Mémoires d’une ex-palladiste parfaite, initiée, indépendante/04/Chapitre III

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chapitre iii

Mon éducation luciférienne


Beaucoup m’ont écrit : « Votre conversion est un miracle. » — Plusieurs : « Vous êtes un miracle vivant de la toute puissante miséricorde divine ; ce miracle ne commence pas à votre conversion. » — Que personne ne croie que je tire orgueil des évènements de ma vie ; à la lumière de la foi, je vois que je ne suis rien, absolument rien, rien de rien. Que Dieu fasse de son instrument ce qu’il a décidé, dans sa souveraine sagesse ; fiat voluntas tua !

Si l’invincible Providence m’a préservée et guidée, quel mérite en ai-je ?… Oui, je dois m’humilier en tout. Mais j’ai le devoir de raconter ma vie ; car, selon les termes d’un de mes meilleurs nouveaux amis « elle démontre lumineusement que Satan n’est après tout que l’esclave de Dieu, ce dont il enrage, et qu’en somme tout le mal qu’il se donne n’aboutit qu’au triomphe divin. » Aveugle il est, certes, et son nom le dit : prince des ténèbres. Il a beau se démener et crier à la révolte ; il ne peut se soustraire à la toute-puissance du Créateur, qui le tient dans sa main : Satan, instrument, lui aussi, le plus méprisable, mais celui qui fait le mieux éclater la vérité de l’Unité Divine. Il ne sait pas où il va, et, tout en perdant des âmes, il travaille contre lui-même et au profit de Dieu.

Le miracle, en mon fait, a plus d’étendue encore qu’on l’a pu penser. Il y a, dans mon cas, autre chose que le fait relatif à un individu. Mon entrée dans l’Église de Dieu est la fin d’une race diabolique, si j’examine en chrétienne la tradition de ma famille, qui est une tradition de la haute-maçonnerie occultiste.

En effet, mon oncle paternel et moi, nous sommes les derniers descendants de l’alchimiste rose-croix Thomas Vaughan. Mon oncle, l’aîné de non père, ne laissera, vu son âge, aucun enfant a sa mort ; quant à moi, j’ai arrêté le dessein de me consacrer à Dieu, une fois terminée ma mission de combat.

« Je ne me sens pas le courage de te maudire, car je t’aime trop encore, m’écrivit mon oncle, à la nouvelle de ma conversion ; mais jamais je n’aurais cru que c’est toi qui ferais mentir le céleste sang qui a été mêlé à celui de Philalèthe. »

Mon oncle s’exprime en palladiste. On va comprendre tout à l’heure.

Les écrivains qui ont publié sur moi ont dit que la situation où j’étais dans la haute-maçonnerie se devait comprendre par des qualités personnelles, dont ils faisaient grand éloge. Il y a autre chose ; il y a le secret que connaissent seuls les Mages Élus, le secret traditionnel de ma famille.

Ce secret, je dois le révêler : il est la clef de l’éducation toute spéciale que j’ai reçue.

Le pacte du 25 mars 1645, signé entre Satan et Thomas Vaughan, mon ancêtre, sera détruit le jour de mon entrée en religion ; en attendant, il est entre de saintes mains.

Pour s’assurer la pierre philosophale et trente-trois ans de vie dans la science hermétique et le pouvoir de faire de l’or, Philatèthe, qui avait obtenu par Cromwell la « faveur » de décapiter le noble martyr Laud, archevêque de Cantorbéry, et qui avait recueilli de son sang, Philalèthe, le 25 mars 1645, offrit ce sang à Lucifer, en échange du pacte le plus inouï qui ait été souscrit entre le démon et un humain ; le linge, un corporal, qu’il avait trempé dans le sang du martyr, fut brûlé par mon ancêtre en hommage à Satan : que Dieu me permette de vivre encore un peu, afin que je puisse brûler le pacte infernal, en hommage à sa Divinité et en prenant le voile, s’il plaît à sa bonté et à sa miséricorde, que ce soit un 25 mars !

Alibone, dans son Dictionnaire de la Littérature anglaise, fait naître Thomas Vaughan en 1621. C’est une grosse erreur. Sa notice biographique est, d’ailleurs, un tissu d’inexactitudes, dans ses brèves lignes que je reproduis :

« Thomas Vaughan, savant physicien, né en 1621, est le frère jumeau de Henry Vaughan, dit le Siluriste ; il fut élevé comme celui-ci, au Jesus-College d’Oxford, dont il devient membre. Après avoir rempli l’office de recteur à St-Bridget, en Brecknockshire, il se retira à Oxford, où il devint fameux comme disciple et maître dans l’école de Cornélius Agrippa. Il mourut en Oxfordshire, le 27 février 1665, presque subitement, en manipulant du mercure, dont une parcelle, lui étant entrée dans le nez, le tua. Il fut grand chimiste, grand philosophe expérimentateur, un zélé confrère des Rose-Croix, comprenant quelques unes des langues de l’Orient, assez bon poète anglais et latin. Il s’appelle lui-même, dans la plupart de ses écrits, Eugénius Philaléthès. »

L’erreur de la date de naissance doit, avant tout, être rectifiée.

Dans son testament, mon bisaïeul James s’applique à énumérer tous les actes établissant sa descendance directe de Thomas, et il dit : « Philalèthe naquit en la même année que les Hollandais achetèrent, pour la valeur de 24 dollars, l’île de Manhattan, sur laquelle est bâtie New-York. » Or, c’est bien en 1612 que des émigrants hollandais, précédant de trois années ceux de leurs compatriotes qui construisirent le fort d’Orange sur l’Hudson, acquirent, pour cette minime somme, l’île fameuse de l’Ivresse (Mannahattannink, en langue delaware, c’est-à-dire Île de la Puissante Beuverie), devenue Nieuwe-Amsterdam en 1614, puis, à partir de 1664, New-York, la reine du Nouveau Monde, la Cité Impériale. Le texte de mon bisaïeul est très précis.

Mais voici un autre texte, et celui-ci signé par Philalèthe lui-même : ce sont les premières lignes de son livre capital, lequel, ainsi que la plupart de ses ouvrages, n’est aujourd’hui plus guère connu que de nom, même dans le monde des occultistes.

L’Introïtus apertus ad Occlusum Regis Palatium — l’Entrée ouverte au Palais fermé du Roi, ou, pour les initiés du premier degré, la Clef de l’Occultisme, et pour les parfaits initiés du second degré, l’Introduction des Adeptes au Palais (fermé aux profanes) de Lucifer Dieu-Roi, — débute par ces lignes :

« Moi qui suis un Philosophe Adepte, connu sous le seul nom de Philalèthe, j’ai résolu en l’an 1645 de notre salut, et le trente-troisième de mon âge, d’écrire ce Traité, propre à dévoiler les secrets de la Médecine, de la Chimie et de la Physique, pour payer ma dette aux Fils de l’Art, et pour tendre la main à ceux qui sont égarés dans le labyrinthe de l’erreur. »

Ce livre, qui a été imprimé en 1667 à Amsterdam, aujourd’hui introuvable, n’existe que dans de rares bibliothèques de bibliophiles, en Europe, principalement en Allemagne et en Hollande. Le manuscrit, que Jean Lange rendit à Philalèthe après l’impression, est au nombre de mes documents de famille, à moi légués par mon père, dont j’ai été l’unique enfant. Ce manuscrit est des plus précieux ; car l’auteur, mon ancêtre, quand il l’écrivit pour l’imprimeur, avait eu soin d’y laisser de grandes marges, et, lorsqu’il lui fut rendu, il les remplit de notes explicatives donnant le sens secret dont la connaissance est réservée aux seuls parfaits initiés.

Si rares que soient les exemplaires imprimés de l’Introïtus apertus ad Occlusum Regis Palatium, ils ne sont pas, du moins, détruits tous, et je suis certaine qu’il ne s’élèvera de nulle part un démenti contre Page:Taxil, Mémoires d'une ex-palladiste parfaite, initiée, indépendante.djvu/112 Page:Taxil, Mémoires d'une ex-palladiste parfaite, initiée, indépendante.djvu/113 l’exactitude de la citation que je viens de faire. Thomas Vaughan est donc vraiment né en 1612, et non en 1621 ; ce point a grande importance pour les faits de 1645, que j’ai le devoir de divulguer, quoiqu’il m’en coûte.

Je rectifierai aussi les autres erreurs de la note biographique d’Alibone, et je la complèterai.

Thomas Vaughan, qui signait, non pas : Eugénius Philaléthès, mais : « Eirenœus Philaléthès, Anglais de naissance et habitant de l’Univers », a vu le jour, ainsi que son frère Henry, à Monmouth ; d’après nos papiers de familles, loin d’être le frère jumeau de Thomas, Henry était son cadet, plus jeune de deux ans. Ils appartenaient à l’une des familles Vaughan, du pays de Galles, dont une branche a été anoblie et a compté parmi ses membres lord Vaughan, pair du royaume en 1620. Un autre parent de mon ancêtre Thomas, était le fameux antiquaire Robert Vaughan, frère puiné du père de Philalèthe ; c’est Robert, qui, établi à Oxford dès 1613, y attira sa belle-sœur, quand elle fut veuve, et fit élever au Jesus-College ses neveux Thomas et Henry.

Autre erreur, énorme, d’Alibone : Philalèthe n’est pas mort en 1665 ; car c’est en 1666 que, se trouvant en Hollande, où il eut pour disciple Helvétius, le grand alchimiste de La Haye, il remit son manuscrit de l’Introïtus apertus à Jean Lange, qui le fit imprimer l’année suivante à Amsterdam.

Thomas Vaughan n’est pas mort en 1665 ; car c’est en 1668 qu’il a fait imprimer Experimenta de Præparatione Mercurii Sophici et les Tractatus Tres (la Métamorphose des Métaux, la Préparation du Rubis céleste, la Source de la Vérité chimique), et, en 1678, le Ripley revised et l’Enarratio trium Gebri}.

Thomas Vaughan n’a pas eu le trépas indiqué par Alibone ; car il n’est mort d’aucune mort humaine. Ayant signé son pacte à trente-trois ans et ayant demandé à Lucifer de lui assurer encore autant d’années d’existence, il a été, comme Élie par Dieu, enlevé par Lucifer a soixante-six ans ; sa disparition en 1678, son enlèvement par le Roi qu’il adorait, et auquel a donné le premier le nom de « Lucifer Dieu-Bon », est attesté par Henry Vaughan, son frère, dans une relation authentique appartenant à notre famille et dont l’original a été déposé par mon père aux archives du Suprême Directoire Dogmatique de Charleston.