Poésies lyriques/Mœurs
MŒURS
Qu’une pauvre orpheline errante par la ville,
Sans refuge, sans pain, les pieds sanglants et nus,
Un soir, contre la mort cherche un dernier asile
À l’ombre des autels d’une impure Vénus,
Tout à coup, à grand bruit, un sombre voile tombe
Entre l’infortunée et le monde en courroux,
Et le mépris la suit jusqu’au bord de sa tombe
Où nul ne plîra les genoux ;
Mais la fille d’un Grand, qui, sous l’œil de sa mère,
Vend son âme et son corps par un honteux contrat,
À la lubricité d’un vil sexagénaire
Qu’un coup de sang, prévu, vient tuer sans éclat ;
La femme de haut rang dont le lit adultère
Déborde, nuit et jour, d’ignobles passions,
Qui déposent souvent leur scandaleux mystère
Au seuil indigné des prisons ;
Oh ! celles-là du moins sont toujours bienvenues !
Le monde leur sourit du haut de ses grandeurs ;
Partout, aux jeux publics, aux salons, dans les rues,
S’incline à leur aspect un peuple de flatteurs ;
La mode aux doigts dorés s’épuise en artifices
Pour complaire à leur goût et parer leur beauté,
Et l’Art lui-même encense et célèbre leurs vices,
Sans rougir de sa lâcheté !