Madagascar (RDDM)/04

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MADAGASCAR

IV[1]
L’ADMINISTRATION FRANÇAISE ET LES FONCTIONNAIRES INDIGÈNES

A Tananarive, un soir, sur l’esplanade du Rova restauré par les Français, tandis que sous un crépuscule fumeux et mauve s’argentait à ses courbes l’Ikopa rampant au loin dans les brumes, un vieux sous-officier qui avait pris part à la campagne de 1895, en regardant le paysage illimité, confiait ses souvenirs : dysenterie, insolations, accès pernicieux, — au camp tous les matins un compagnon se suicidait, — une route inutile à tailler à midi dans des savanes plates, les piétinemens commandés dans les marécages, l’eau des rivières empoisonnée, les camarades que les souliers à clous faisaient glisser des chalands dans la Betsiboka où les crocodiles les happaient, le manque de quinine, la rareté du tabac, le pays invariable, nu, rouge, hallucinant les yeux, affolant l’esprit… Tananarive annoncé chaque jour à l’horizon.

C’est de là, des créneaux de cette citadelle de la capitale qui, avec ses Palais d’argent, ses marchés à viandes, ses grappes de maisons orangées pendues aux remparts, avait été le but à la longue fabuleux de tant d’étapes désespérées, qu’il était émouvant, à l’heure du crépuscule où, dans la ville au-dessous, voix d’Européens et chansons d’indigènes s’égalisaient, de communier par le souvenir avec les soldats français partis 18 000 et arrivés 6 000… A cette pensée, les replis insondables de la perspective, l’indécision des nuances se dérobant aux contours des collines, le vide des plaines brunes, les trouées de lumière fugitive sur la moire du lac Anosy, l’ombre d’un nuage pesant sur des sillons, la sinuosité du fleuve fertilisateur, l’étendue quadrillée de routes rectilignes, les rizières tracées comme des camps, l’indéfini panorama hova prenaient une vie grandiose et historique. Tandis que les mots d’engagement, de balles, de caisson, prononcés par cet ancien sergent dont les enfans rosés se poursuivaient entre les tombeaux des vieux rois malgaches, persistaient devant l’imagination, il semblait qu’on les vît apparaître confusément au loin, nos troupes françaises, sur le fond blafard des marécages où les bourgs féodaux isolent, en des îlots de rocs et d’arbres, leurs cases accumulées.

Si, à l’arrivée sur le Plateau Central, on s’est senti d’abord repoussé, dans un recul brusque d’admiration, par l’aspect cruel. de ce calvaire aux marches rouges où ne s’accrochent que des lianes amarante, qu’on s’applique alors à voir Tananarive avec les yeux exaltés de fièvre de ces piétons la découvrant après trois mois de route, à l’extrémité de la plaine et au terme même de leur épuisement ! Aussitôt l’on éprouvera avec quelle force la grande cité barbare s’attache notre sentiment pour avoir été un jour pathétique à notre race.

Après un mouvement circulaire autour des faubourgs, l’armée entra et, par un escalier de pierre, monta jusqu’au Rova. Pendant que les indigènes, qu’on avait voulu impressionner en faisant défiler de très loin une à une toutes les pièces de notre effectif, restaient déçus de sa médiocrité et plus encore par le visage de ces blancs hâlés de soleil et de paludisme, s’efforçant par amour-propre de parader, mais déguisant mal leur accablement, nos soldats qui s’attendaient à l’abandon des villes conquises, demeuraient, dans le cauchemar de leurs souffrances, étourdis et confusément réconfortés par l’empressement aux portes, aux balcons, aux chutes des ruelles de cette population en vêtemens flottans de fête aux teintes pacifiques. Par son seul silence elle restait vaincue et lointaine, mais sa curiosité de leur entrée immédiatement la trahissait aux nôtres enfantine, légère, attirée et avenante : c’est qu’en dessous toute une cité d’esclaves et de petits artisans se riait de la fugue comique de la cour hova à la campagne et, les yeux séduits par les costumes des Français, cédant à l’exaltation forte au cœur des faibles du spectacle d’une marche conquérante, laissait vibrer, en son âme facile, le désir de l’émancipation et de l’imprévu.


I. — LE CONTACT DE LA CIVILISATION

Dix années ont accompli notre domination. Les administrateurs et les colons se sont établis dans les villages éloignés, au milieu des cases indigènes. Le Malgache que nous avons vu au naturel, insouciant de l’au-delà, voluptueux, artiste, d’esprit souple et de main industrieuse, en général indolent, mais vaniteux et bavard, aimant la toilette, le luxe et la représentation, qu’est-il devenu, que se montre-t-il devant l’Européen ?

Au contact du vainqueur, aussitôt il rentre en soi-même, il se contracte ; même dans la brousse, vis-à-vis du colon qu’il sait sans pouvoirs et peut-être en mauvais termes avec l’Administration, il est instinctivement dissimulé au point de se faire passer pour imbécile et de ne jamais satisfaire à ses interrogations : il présente de côté une physionomie passive jusqu’à l’abêtissement et répond invariablement oui même si le oui n’a aucun sens, parce que c’est le mot d’acquiescement servile, sauf quand l’affirmation pourrait engager ses congénères devant le fisc. Le voyageur finit par en être irrité, et l’on conçoit que l’administrateur ou l’officier se laisse assez vite aller aux coups, prélude des exactions. Les Malgaches, alors, se renferment davantage, se recroquevillent dans une sorte de pétrake cérébral, et, sous une terreur constante, se tiennent hébétés. Leur faiblesse d’esprit est extrême, ce qui étonne quand on note par ailleurs la grande souplesse de leur intelligence. Ils sont essentiellement hypnotisables, à s’en effrayer eux-mêmes tout en s’abandonnant aux suggestions comme à l’ivresse. On sait leur coutume de consulter les paroles magiques qu’ils ne comprennent pas et qui les mettent dans un transport nerveux où ils ne s’appartiennent plus ; un grand nombre aussi sont affolés par la civilisation où ils se jettent à tête perdue, dans une démence d’émulation maladive. Même ceux qui ne l’aiment point la subissent et en sont étourdis, déroutés. Leur crainte originelle d’être ensorcelé s’est transformée devant l’administration en une peur assidue de lui laisser percevoir une ressource ou une faculté encore imposable. Sauf chez quelques tribus restées mâles, leur insoumission même n’est point acte de résistance, d’énergie, mais un délire momentané résultant de l’irritabilité nerveuse. On n’a pu trouver que chez les Haras du Sud quelques communautés franchement anarchiques qui refusaient l’obéissance à un roi : partout ailleurs, les peuplades les plus diverses étaient tenues en esclavage par leurs tyranneaux ; on a beaucoup parlé de l’indépendance des Sakalaves, et il est certain qu’ils sont turbulens, mais elle ne se manifestait point par une rébellion : ils avaient l’intelligence de multiplier leurs rois pour ne point leur être soumis et, au moindre mécontentement, ils passaient la frontière. Ils se dérobaient. Filer à la dérobée a toujours été l’art le plus raffiné de tous les Malgaches. Cela va bien avec leurs paresse forcée qui, avant d’être volontaire, résulte d’une grande anémie.

Mais, avec toutes ces tares d’un tempérament nerveux, ils en ont quelques avantages, pleins d’émulation autant que de vantardise. On a dit qu’ils singeaient 1rs Européens ; cependant, ils ne se laissent point aller tant à la séduction de les imiter que de surpasser leurs congénères. On peut même parler du snobisme des Hovas : des andrianes de Tananarive ou de Fianarantsoa ont des écuries de course, viennent se ruiner à Paris. quitte en rentrant à tirer profit de leurs anciens privilèges pour s’établir recruteurs de portefaix, d’ailleurs sans déroger, par des intermédiaires. Par ce snobisme, on peut faire accomplir à la race des progrès : en voyant les nobles élever des chevaux de luxe et gagner des prix, des bourgeois se sont construit des écuries, en font un objet de rapport ; d’autres élèvent des fermes à l’européenne. Même les roturiers ont de l’amour-propre. C’est en l’éducation de leur amour-propre que doit tenir le principal effort pour civiliser ces races, qu’elles soient orgueilleuses comme les Hovas ou complaisantes comme les Betsimisarakas. Ils sont aussi, quoi qu’on ait dit, mercantiles, aimant discourir, ruser et gagner ; même les andrianes sont commerçans, et cela encore est excellent à servir le progrès.

En résumé, ils se montrent beaucoup plus assimilables que ne croient ceux qui les jugent individuellement et d’après leurs rapports individuels avec l’Européen qui les frappe ou qui les flatte suivant l’heure : sans nul doute, les Betsimisarakas, anémiés par la chaleur et dégradés par l’alcool, le sont moins que les Hovas ; de même les Sakalaves, indisciplinés par un long atavisme de brigandage, et cependant les instituteurs se déclarent très satisfaits des résultats qu’ils en obtiennent : M. Deschamps, le directeur de l’enseignement, qui s’attache à ses pupilles avec un sentiment et un zèle tout inspirés d’une psychologie minutieuse et patiente, a une prédilection pour son Ecole normale d’Ananalava. En leur ensemble, les Malgaches sont parfaitement susceptibles de progrès ; sans nul doute, il ne viendra qu’avec la confiance, lente à se décider, et avec l’apaisement des instincts et des mœurs qu’a développés une longue période d’anarchie belliqueuse et de tyrannie brutale ; sans nul doute aussi, il résultera moins d’un effort profond et original que de l’imitation, malgré l’ingéniosité de ces peuplades : c’est qu’elles-mêmes ont nettement la conscience, aiguisée par leur sagacité, de la supériorité des vainqueurs ; et elles l’acceptent passivement. Le plus sérieux argument qu’on oppose toujours à la possibilité de leur perfectionnement, même lent, est que leur paresse reste incorrigible : elle l’est, si l’on parle de correction, mais non s’il s’agit de reconstituer d’abord les forces physiques de la race. Il est déjà aisé de discerner çà et là chez les plus vigoureux des dispositions au travail qui se réveillent une à une de l’apathie séculaire, en désordre, avec une instabilité qui ne pourra se contenir sérieusement qu’au terme d’une évolution de plusieurs générations. Dans les anciennes colonies, en dépit de ce qui a été écrit sur leur indolence native, des familles descendant des esclaves recomposent peu à peu depuis 1848, au milieu de la dégénérescence des autres, une classe laborieuse.

M. Besson, qui habite depuis vingt ans parmi les Betsileos et les a longtemps gouvernés, a observé qu’ils avaient vaincu leur paresse pourtant invétérée sous la longue tyrannie hova par le découragement de jamais rien sauvegarder : ils ne sortaient autrefois des enclos de cactus où ils s’entassaient pêle-mêle avec les nichées de rats, ils vont aujourd’hui sur les chemins, à dix jours de route, porter à Mananjary leurs propres récoltes. Particulièrement dans les grandes villes, le contact des Européens produit des effets presque immédiats ; il s’effectue une sélection assez rapide : beaucoup acquièrent des vices avec des besoins de luxe ; le vol et la prostitution se développent, sur les trottoirs se multiplient, les jeunes faux-cols qui vont aux Ecoles Supérieures ou à leurs bureaux, endimanchés comme des commis de magasins, se privant de nourriture pour se vêtir, impeccables et étiolés, la badine au doigt et le visage émacié ; mais d’autres cultivent des jardins maraîchers, jadis inconnus, maçonnent, forgent, taillent, amassant avec l’espérance de voir leurs enfans fonctionnaires ou propriétaires de boutiques ; leur nombre augmente. Nous avons dit que les Malgaches étaient essentiellement hypnotisables : la civilisation d’une race inférieure ne saura jamais être qu’une lente suggestion par l’exemple de la race supérieure. Les progrès à Madagascar dépendent plus étroitement qu’ailleurs de l’activité et de l’honorabilité des fonctionnaires et des colons.

En conséquence, le plus grand danger tient à l’état d’esprit des Européens, qui crient à l’indigène son infériorité indéfectible, qui la proclament dans la presse. Il s’en est trouvé pour soutenir, afin d’affirmer jusqu’à l’extrême l’impossibilité de rien faire des Malgaches, que la suppression de l’esclavage, en appauvrissant l’aristocratie, a désagrégé la seule classe perfectible et que les maintys mêmes regrettent l’époque où ils étaient asservis. On a tenu les mêmes propos dans toutes les colonies. A s’entretenir avec les anciens esclaves, on perçoit que, s’ils se plaignent de leur fortune présente, comme font tous les opposans, il est vrai, en revanche, ils jouissent malignement de la liberté individuelle et en particulier du loisir de se déplacer à leur fantaisie, et ils y tiennent surtout pour leurs femmes, autrefois séparées d’eux, et pour leurs enfans qui leur étaient enlevés.


II. — LES IMPOTS ET LES CORVÉES

Il en est de même de la situation que leur crée le régime fiscal établi par le gouvernement français. Dans leur mécontentement contre celui-ci, les colons crient les premiers que le Malgache était bien moins exploité sous le régime hova ; cependant, cela n’est confirmé ni par les ouvrages sérieux écrits avant 1895, ni par les souvenirs des Vieux-Malgaches, — ainsi s’appellent couramment les Européens qui résidaient à Madagascar avant la conquête, — sauf des missionnaires anglais ou norvégiens. Il est certain que la reine n’avait pas besoin, en principe, de beaucoup de numéraire puisque aucune fonction publique n’était rétribuée ; encore cela avait*il singulièrement changé depuis la première guerre de 1885, les emprunts et les achats d’armes faits par Rainilaiarivony. Aux impôts ordinaires se superposaient architecturalement vingt étages d’impôts extraordinaires. Ceux qui étaient réputés détenteurs de richesses et souvent n’en avaient que l’ostentation les payaient plusieurs fois par an. Les amendes et confiscations venaient s’y ajouter : le code malgache contenait 142 articles à la seule fin de spécifier les amendes, parfois très élevées, pour des choses souvent infimes.

Ces abus ne légitiment point ceux de notre administration, dont les agens, pris fort souvent parmi îles sous-officiers parfois bourrus, voire brutaux, sans convictions et se targuant du plus parfait mépris de l’indigène, n’hésitaient pas à adopter les mauvais procédés des fonctionnaires hovas, avec la facilité de pouvoir rejeter les exactions sur le compte de leurs subordonnés malgaches. Il importe moins de diminuer l’impôt que de mettre un peu de doigté et beaucoup d’honnêteté dans la perception. En son principe, sauf chez quelques peuplades bohèmes, il n’est point excessif, s’il est assez élevé. Les adversaires du général Galliéni s’accordent à reconnaître qu’il est le stimulant nécessaire de la paresse malgache ; lui-même mettait en avant « le rôle économique et social, le caractère éducateur de l’impôt. » A n’en pas douter, cette éducation est sévère, plus rigoureuse qu’il ne conviendrait à certaines races de la côte et du Sud restées si longtemps dans l’anarchie : comme sous la reine, un grand nombre fuient dans les pays désertiques, renforçant les fahavalos ; d’autres, tels les Tanales, se réfugient dans la forêt dès que les collecteurs sont signalés, emportant avec eux les ustensiles de ménage et la hache suffisante à reconstruire la case ; dans les villes, la plupart doivent consacrer le tiers de ce qu’ils gagnent à acquitter l’impôt, et les déclassés augmentent considérablement. Mais c’est que souvent ils travaillent juste ce qu’il faut pour payer leur carte, et sans cette obligation ne travailleraient pas du tout. On en vient même à se demander s’il n’est pas conforme à une intelligence exacte de leur esprit de faire acquitter l’impôt d’un coup, au lieu de le répartir en plusieurs termes, ce qui serait certes beaucoup moins dur, mais plus irritant pour ces gens de naturel volage ; il convient seulement de ne pas avancer chaque année la date du versement (31 mars en 1904 ; 15 février en 1905).

La taxe personnelle est de 20 à 10 francs suivant les provinces. Il s’y ajoute des impôts divers. Quand on les additionne, comme font les journalistes, on arrive à un chiffre considérable qui double avec les prélèvemens illégaux. Mais les Malgaches n’ont pas à les acquitter tous et ils conservent la propriété des sous-produits des forêts, même dans les concessions données aux Européens. Ils se soumettaient aux impôts exigés par la reine comme au droit naturel du plus fort, sacré par la routine ; ceux qui sont demandés par les vahazas (étrangers) ont beau être moins forts, ils sont toujours considérés comme des vexations. Le temps, l’habitude seuls modifieront ces sentimens. L’éloquence humanitaire, les proclamations habiles du général Galliéni, à dessein de leur faire comprendre l’utilité des contributions, les laissent sceptiques et hypocrites. Cependant, quelques faits agissent déjà sur eux, ils apprécient le bienfait des hôpitaux et maternités au point de vouloir y résider plus que de nécessité.

En outre, sous le régime hova, les hommes libres devaient d’innombrables corvées au seigneur, aux gouverneurs, au premier Ministre, à la Reine, plus dures et plus nombreuses que celles des esclaves. C’était par corvées qu’on bâtissait leurs maisons, celles de leurs parens, celles de leurs serviteurs, qu’on leur apportait l’eau, le bois, le riz, la viande, qu’on gardait leurs troupeaux, cultivait leurs rizières, qu’on défrichait, gardait et faisait prospérer leurs plantations jusque sur la côte, qu’on exploitait les mines d’or, qu’on les accompagnait dans leurs voyages pour les porter eux-mêmes, leurs bagages et leurs provisions ou pour leur assurer une escorte d’honneur, qu’on charriait de Tamatave à Tananarive ce qu’ils avaient commandé aux Européens : le P. Piolet qui en a tant rencontré peinant sur les pistes déformées de la forêt, a narré le supplice de ces malheureux succombant dans la boue sous le poids des caisses démesurées, en groupes de dix à quinze conduits par un aide de camp qui les piquait du fer de sa lance comme un attelage de bœufs : ils mettaient des heures à faire quelques centaines de mètres, haletans et tordus, obligés d’avancer toujours. Les divers emplois de secrétaires étaient aussi des corvées, condamnant à la misère les familles des subalternes. Et les bons ouvriers à qui leur industrie ménageait quelque aisance voyaient un jour un aide de camp venir les féliciter au nom de la Reine et leur annoncer que dorénavant ils auraient l’honneur de travailler pour elle : c’était la ruine ; ils se mutilaient.

La corvée, acceptée assez aisément sous des rois comme Andriana qui faisaient exécuter, les grands travaux de propriété collective tels que les digues de l’Ikopa, parce que les sujets en reconnaissaient la nécessité, était devenue odieuse, et, tombant sur les meilleurs artisans, une prime à rebours à la paresse ou à la maladresse. Pour les Français qui héritaient du passif fort obéré de la monarchie hova et avaient en outre à entreprendre des travaux publics considérables, la nécessité s’affirmait de recourir à cette antique institution, d’autant que l’esclavage était aboli. Des arrêtés déterminèrent pour les hommes valides l’obligation de 50 à 30 jours de travail gratuit au fanjakane (gouvernement) en allouant une indemnité de vivres. Bientôt, — mesure politique imposée par les principes humanitaires des journalistes métropolitains qui trouvent la corvée odieuse pour les noirs plusieurs siècles tenus sous l’esclavage, alors quelle subsiste dans les villages de France, — le régime des prestations fut supprimé le 31 décembre 1900, ce qui força à augmenter la taxe personnelle. Le paiement de cette taxe ne pouvant s’effectuer en argent pour la majorité des Malgaches, ceux-ci devaient donner en échange des journées de travail. L’arrêté du 31 décembre, qui avait le faste d’un don de nouvel an, n’était donc qu’un subterfuge, une simplification fiscale. Le gouvernement de Madagascar y avait recours dans la situation pénible et très embrouillée que lui créait le Département, ignorant des questions coloniales et curieux de publicité parisienne comme il appert de maintes circulaires, — situation encore aggravée par l’urgence de continuer rapidement de grands travaux publics laissés entièrement à ses frais et par suite de recruter une main-d’œuvre abondante et économique qu’elle devait mettre sous les ordres d’agens pris dans tous les corps au lendemain d’une expédition répressive où bien des appétits s’étaient aiguisés.

Qu’en est-il résulté ? Sur les chantiers du chemin de fer, les indigènes, enlevés par force de leurs lointains villages, étaient astreints aux besognes les plus pénibles pour leur indolence ou leur amour-propre, battus, emprisonnés et retenus pendant plus d’un an quand on leur avait promis de ne les garder qu’un mois. À ce sujet l’opinion est unanime à Madagascar. Le gouvernement répond à cette accusation, qui ne saurait être sans quelque fondement, par une dénégation systématique. Il nous semble certain que l’administration supérieure a pris toutes les mesures théoriques que lui dictaient à la fois le désir de passer pour humanitaire et l’intérêt bien compris du propriétaire de ménager une main-d’œuvre dont elle savait qu’elle aurait indéfiniment besoin ; elle a créé des hôpitaux forains avec des magasins assez bien approvisionnés. Mais cela a été l’ait rapidement, parfois avec beaucoup de désinvolture de la part des subordonnés qu’on n’avait pas le temps de surveiller : tous nos renseignemens confirment que les choses essentielles aux malades, telles que le lait, la viande saine, l’eau filtrée, manquaient. Il nous semble également certain que, beaucoup moins souvent que ne le disent les colons, mais sur nombre de points pourtant, les indigènes ont été frustrés de leur solde, voire des trois quarts de leur nourriture, par les agens européens, dont beaucoup sont rentrés à Marseille avec des sommes considérables, dépensant cyniquement sur les paquebots ; les dossiers eux-mêmes que l’administration supérieure a bien voulu nous communiquer pour nous prouver qu’à chaque fois qu’une plainte lui était parvenue elle avait ouvert une enquête (ce qui est indiscutable) nous ont donné la conviction que de pareilles enquêtes ne pouvaient donner des résultats, et la façon grandiloquente et vague dont les agens indignés se défendaient ne laissait pas fort souvent d’inquiéter. Leur nombre est restreint à côté de celui des esclaves qui peinent sur les chantiers du Congo belge ou de l’Inde anglaise, mais des milliers de Malgaches sont morts sur les tranchées du chemin de fer de Tananarive, souvent enterrés à la dérobée dans la glaise, et dont les familles n’ont jamais plus entendu parler. Avec quelques réserves, on peut comparer la voie ferrée de Madagascar aux travaux que faisaient exécuter les pharaons : infailliblement la colonisation moderne, même pratiquée par le peuple qui de beaucoup s’est montré le plus humain, reste cruelle, meurtrière, gâcheuse à plaisir d’existences, parce qu’elle est faite trop hâtivement par des agens mal recrutés dont la métropole se débarrasse, continuant à se rattacher par là à la colonisation pénitentiaire d’où est née l’Australie ; les fonctionnaires honnêtes et intelligens, plus nombreux qu’on ne croit, sont induits au fatalisme, condamnés au mutisme ou absorbés par leurs occupations et le souci de leur santé. La responsabilité remonte à la Métropole : c’est une question de régime, de conscience publique, de démagogie amorale et pressée qu’il y a à envisager d’une façon générale en étudiant quelle modération des institutions, aisément plus sages que 1rs nôtres, peuvent imposer aux appétits gloutons, aux soifs électorales ; mais, en ce qui concerne particulièrement le chemin de fer, le contrôle local eût pu être facilement plus strict et méthodique, il eût pu être réel.

Autant que celui de crocodile, qui symbolise la voracité poulie colon européen, le mot chemin-de-fer reste horrible, fatidique, dans les imaginations malgaches et ils gardent une idée sinistre de la civilisation. Notre régime de la main-d’œuvre achève de la représenter pour eux sous un jour néfaste. Ils étaient habitués à remplir des corvées, mais leur mentalité n’était pas apte à accepter une organisation universelle du travail et des lois contre le vagabondage, qui en Europe même soulèvent tant de réfractaires et qui désagrègent singulièrement la souveraineté du peuple. Un acte de 1896 oblige tous les Malgaches à entrer dans des catégories prévues de travailleurs, en leur infligeant des peines pour manquemens aux contrats. Le code de l’indigénat, qui est entré dans les usages coloniaux de la France et qui, en Cochinchine, en Nouvelle-Calédonie, au Sénégal, même en Algérie, donne des pouvoirs disciplinaires étendus aux administrateurs, s’obstine à maintenir l’indigène sous la contrainte des fonctionnaires. Un arrêté de 1901 a permis de transposer les amendes en journées de travail, et cette disposition est intelligente, mais elle a facilité aux chefs de district soucieux d’avancement le moyen de fournir à la direction des Travaux publics autant de coupables que le chemin de fer avait besoin de journées de travail. Le général Galliéni a pris une mesure excellente pour sauvegarder les Malgaches en soumettant les détenus de l’administration aux inspections des magistrats qui se sont toujours maintenus dans une réelle indépendance vis-à-vis du pouvoir local ; et l’envoi mensuel au gouverneur du relevé des punitions infligées en vertu du code de l’indigénat l’arme suffisamment pour contrôler le zèle judiciaire des administrateurs dès qu’on n’aura plus besoin de corvées supplémentaires pour le chemin de fer.

Une modification donnerait véritablement à l’indigène la jouissance d’une certaine liberté ; il s’agirait de circonscrire la zone de travail des corvéables : en ne leur faisant exécuter de tâche que dans leur province, ils prennent conscience de la nécessité des besognes qu’ils accomplissent et du profit qu’ils en retireront, ainsi ils s’adaptent à notre civilisation. Autant les travailleurs que nous rencontrions sur la voie ferrée dans un paysage de falaises rosâtres étaient tristes et accablés, pilant en mesure, avec une lenteur découragée à enfoncer le temps, les macadams des terrassemens, immobiles et stupides à vous regarder passer comme dans l’attente résignée de coups, autant les travaux communaux s’exécutent avec vivacité sous la direction des administrateurs paternels. Entre tous, nous nous rappellerons l’aspect qu’offrait la route en construction de Betafo à Antsirabé. Dans la pure lumière de trois heures qui rendait toute leur plénitude aux formes des montagnes et en face même de leurs petites maisons blanches aux enclos gris, hommes, femmes, enfans, par familles, travaillaient avec souplesse et quelque abandon, s’arrêtant le visage mutin ou attentif selon de jolies poses curieuses dans des pagnes où des cordons moulaient le corps, puis courant se rejoindre les uns les autres en un flottement gracieux : fillettes portant les paniers de terre par longues théories, garçons charriant les pierres ou adultes piétinant la boue sur un rythme mâle de mélopée, avec des visages parfois durs, mais francs.


III. — L’ADMINISTRATION INDIGENE ET LE PERSONNEL FRANÇAIS

« L’administration doit être un protectorat, » telle fut la formule-programme du général Galliéni. Elle ne lui était pas seulement imposée par les faits historiques, l’évolution de notre conquête, la patiente Liquidation dont on le chargeait de l’administration du résident Laroche et du régime du protectorat, mais par le système général de la colonisation française, tel qu’il a été conçu dans les bureaux composites du pavillon de Flore qui, recrutés à la hâte à la Marine, se sont mis à l’école diplomatique du Quai d’Orsay. Des fonctionnaires malgaches devaient donc jouer un rôle assez important, servant d’intermédiaires entre les gouvernans français et les contribuables, et ce régime ne devait point être un accommodement provisoire, commandé par le besoin de correspondre au moyen de sortes d’interprètes avec ces derniers jusqu’à ce qu’ils sussent tous le français, but aisé à atteindre, mais au contraire un système définitif. La pensée foncière du général Galliéni était de s’en servir comme d’un mode d’éducation progressive qui adapterait nos sujets et particulièrement les Hovas à la civilisation moderne en leur permettant de se passer de plus en plus de fonctionnaires européens : au lieu de diminuer le nombre d’interprètes dans les bureaux à mesure que notre langue se répandrait et que les ressources permettraient de faire venir plus de Français supérieurement éduqués en Europe, son idéal était de diminuer le nombre de Français et d’augmenter celui des fonctionnaires hovas, en réalisant des économies sur le chapitre des appointemens. Dans cet ordre d’idées, un expédient économique aboutissait peu à peu à une sorte de nationalisation malgache des bureaux, fautrice de séparatisme ultérieur. Et l’on verra que les faits devaient servir la théorie.

Avant l’arrivée du général Galliéni, les gouverneurs indigènes relevaient du service central des Affaires Indigènes à Tananarive ; après l’insurrection de 1896, toute d’inspiration hova, la décentralisation s’imposa au cours de la période active de répression, et ils relevèrent immédiatement des chefs de province français. A mesure que notre domination s’étendait, un personnel important devint nécessaire : on le recruta à la hâte parmi les Hovas, parce qu’ils étaient les plus intelligens, savaient mieux le français et étaient seuls habitués à une organisation bureaucratique. En 1897, fut créée l’Ecole Le Myre de Vilers, formant des fonctionnaires malgaches ; en 1901, des sections administratives dans les écoles régionales de Fianarantsoa, Mahanoro et Ananalave. Celles-ci étaient destinées, en vertu de la politique des races adoptée par le général, à former des fonctionnaires de races betsiléo, betsimisare, et sakalave ; mais il était inévitable que les descendans de Hovas qui habitaient ces grandes villes fournissent le principal élément de ces nouvelles écoles, étant les plus adaptés à notre régime, et c’est ce que nous avons constaté dans nos visites à ces établissemens. En 1903, la section administrative de l’Ecole Le Myre de Vilers en était, détachée et élevée au rang d’Ecole Administrative Supérieure, dont le prestige devait se reporter sur les jeunes Hovas qu’elle allait répandre chaque année dans l’administration de l’île entière.

Les plus vives critiques ont été portées contre ces fonctionnaires qu’on accuse partout d’abuser des contribuables connue aux meilleurs temps de la tyrannie de la Reine ; les Malgaches pensent qu’en ayant confiance en eux le gouvernement « garde des objets dans un panier dont le fond est percé ; » le gouvernement lui-même n’hésite jamais à rejeter officiellement sur eux la culpabilité de toutes les exactions. Cependant, quoi qu’en aient pu dire les journalistes, ils touchent des soldes suffisantes ; et, au fond, après examen de ceux qui les reçoivent actuellement, visages obséquieux et Aines traîtresses, on arrive à regarder les appointemens excessifs des gouverneurs principaux comme des subventions politiques servies aux grandes familles afin de se les acquérir. Le remède à la vénalité ne saurait donc être dans une augmentation d’appointemens, — il est seulement juste de demander que le Gouverneur Général seul puisse prononcer les suspensions de solde des employés indigènes et les fasse toujours insérera l’Officiel, — mais dans l’interdiction à ceux-ci de servir dans les régions où ils ont de gros intérêts, d’acquérir des terres et des troupeaux dans celles où ils exercent leurs fonctions, d’employer à leur bénéfice des prisonniers, ou de la corvée. Les membres de l’aristocratie actuellement pourvus de postes lucratifs sont foncièrement voleurs : ce n’est que par une lente éducation, l’exemple d’Européens intègres et une sévère discipline, qu’ils acquerront le sens de l’honnêteté, amendant ainsi un atavisme séculaire qu’explique leur suprématie d’usurpateurs. A plus forte raison ne saurait-on créer, comme il en est question, trois ou quatre emplois d’inspecteurs en chef indigènes, « recrutés parmi les gouverneurs de première classe réunissant de longues années de service et signalés comme honnêtes et dévoués, par leurs chefs hiérarchiques. » L’espèce ne s’en multipliera pas de longtemps. L’exemple de l’Algérie et l’expérience de Madagascar sont là pour le prouver : de même que dans révolution ce ne sont point les espèces supérieures d’un âge géologique qui ont survécu dans l’âge suivant et y ont prolongé le progrès de la vie organique, l’assimilation de la race conquise à la civilisation de la race conquérante ne s’accomplit jamais par les indigènes supérieurs : ils restent généralement fidèles au passé, ne s’asservissent point aux concessions ; ce sont ceux qui s’adaptent avec souplesse et hypocrisie et prospèrent au détriment des autres qui font la transition entre l’ancienne race conservatrice et la nouvelle race modifiée où les générations ultérieures seules produisent des êtres moraux et dignes.

Au fort de l’insurrection de 1896, le Gouverneur Général manda les deux principaux conseillers de Ranavalo et, sans commentaires, leur donna à choisir entre le peloton d’exécution et les plus hautes fonctions désormais pourvues de somptueux appointemens : le plus honnête et fier refusa avec les honneurs la charge d’instruire et de diriger la répression : il fut fusillé quelques heures après ; le second pâlit, salua et signa depuis lors les mesures draconiennes[2] et les ordres d’arrestation. Il est universellement méprisé des Malgaches et redouté puisque les vainqueurs le maintiennent aux premières dignités. Il en a été de même dans les provinces où, par une nécessité des périodes de transition, nous n’avons le plus souvent trouvé pour nous servir que les traîtres, les concussionnaires ou les Hovas qui guettaient l’occasion de reprendre la tyrannie sur les populations qui les avaient chassés lors de la victoire de nos troupes et qui ont exercé leurs vengeances en rejetant sur le nom français la haine des opprimés. Le gouverneur Galliéni a pu intelligemment leur substituer des fonctionnaires provinciaux, mais ils n’étaient ni nombreux ni capables, et, on le verra de plus en plus, le système général d’administration avec son appareil d’écoles spéciales tend à refaire l’hégémonie hova.

« Le grand soin apporté au recrutement des agens malgaches, conclut sur ce chapitre un rapport du général Galliéni (1905), a permis d’augmenter le nombre de ces derniers, de diminuer par voie de conséquence l’importance de l’élément administratif français. » En effet, les dépenses du personnel indigène montent de 980 000 francs, en 1896, à 3 650 000 francs en 1905, mais à notre sens cette sorte de progrès est extrêmement dangereuse. Sans doute, selon l’évolution des idées sur la colonisation, il s’agit heureusement de ne pas exploiter les races inférieures, mais de les éduquer ; toutefois, cette éducation doit se faire à l’école, au travail (agricole ou industriel), non dans les bureaux et par l’exercice de fonctions qui exigent elles-mêmes au préalable une longue éducation, une pratique ancestrale de l’honnêteté, et l’adaptation à un régime administratif d’esprit tout européen.

Il est vrai que le corps métropolitain d’administrateurs à qui devrait, selon nous, revenir de plus en plus le soin de diriger les indigènes, a provoqué de vives accusations. Chaque année, les députés d’extrême gauche adressent des interpellations contre lui, ne portant d’ailleurs presque jamais à la tribune que des faits isolés, rares, des preuves douteuses, et les ministres aux gestes faciles ont beau jeu pour rejeter les accusations d’hommes qui ne furent jamais aux colonies et disposent de notions géographiques et ethnologiques d’une imprécision notoire. Sans doute il est malaisé, même à ceux qui ont mené des enquêtes dans plusieurs de nos établissemens et qui ont vu à l’œuvre une assez grande variété d’administrateurs, de formuler un jugement d’ensemble ; du moins peuvent-ils constater qu’un grand nombre de ces fonctionnaires français sont intelligens et humains, que les hommes d’élite n’y font pas défaut et que le corps est bien supérieur à ce qu’il était il y a vingt ans, particulièrement en Algérie, pays de proconsulat où l’exemple illustre de Salluste autorisait même ceux qui n’avaient reçu aucune éducation classique à des déprédations opimes et à un cynisme magnifique.

Actuellement les administrateurs de Madagascar sont d’anciens élèves de l’Ecole coloniale ou sortent des rangs. Ceux qui ont passé par l’Ecole y ont appris le droit romain et le droit international, une langue indigène, et les règles de la comptabilité ; expédiés neuf fois sur dix dans la colonie dont ils ne savaient pas l’idiome, ils ont fourni un stage d’un an dans les bureaux de Tananarive où on ne les a pas astreints à apprendre le malgache, puis ont été envoyés pour un ou deux ans dans un village avec la recommandation pressante d’y prélever le maximum d’impôts, et là ils sont chargés de faire construire les routes, élever les hôpitaux, diriger les travaux d’assainissement, desservir des postes météorologiques, créer des jardins d’acclimatation, même surveiller les médecins et infirmiers indigènes, toutes fonctions nécessitant des connaissances scientifiques qu’ils n’ont pas acquises à l’Ecole. Or ils arrivent dans leurs postes éloignés nantis de l’esprit des étudians de ces grands établissemens modernes, improvisés à la hâte par un homme d’Etat inquiet et jamais examinés, où il n’y a ni unité d’enseignement ni principes supérieurs d’éducation morale. Ils restent infatués, sinon toujours de leurs personnes, de leur école ; la plupart sont guindés, secs, arrivistes, pessimistes par égoïsme, pédans et d’un dilettantisme utilitaire, ils n’ont aucun esprit de charité, ils méprisent l’indigène et aussi volontiers le colon. Souvent ils ont quitté Paris imbus de cette théorie mi-artiste et mi-anarchiste, d’ailleurs aussi peu libérale que scientifique (l’ethnographie est là pour le prouver), que les indigènes « sont chez eux, » ; qu’à être sincères il est injuste de leur enlever les terres et de réclamer des impôts, qu’eux-mêmes sont payés pour une besogne immorale que l’Etat leur a confiée et qu’ils ont assumée parce que c’est un métier comme un autre et « où l’on voit des choses ; » alors, avec froideur et détachement, ils exploitent l’indigène, s’y jugeant aussi autorisés que l’État devant lequel seul ils s’estiment être responsables. A part quelques exceptions, nous avons souvent trouvé à Madagascar les anciens commis de résidence supérieurs dans leur tâche aux brevetés des grandes écoles, parce qu’ils avaient plus de bonhomie et de bienveillance envers le paysan. Il est juste d’ajouter que, soucieux de leur avancement, ceux-ci ont l’esprit aigri par les passe-droits fréquens : contrairement à toute légalité, on voit des expéditionnaires du ministère des Colonies, qui n’ont pas réussi à l’examen de rédacteur, nommés d’assaut administrateurs-adjoints de 2e classe, alors que les anciens élèves de l’Ecole coloniale mettent au moins quatre ans pour arriver à ce grade. La Métropole envoie cependant tous les deux ans des inspecteurs dont la fonction est justement de relever les abus de cet ordre : il est vrai qu’ils ne barguignent point à se plaindre publiquement de ce que leurs réclamations sur de tels sujets les font mal noter aux cabinets privés des ministres.

Dans ces conditions, il faut admirer l’administrateur d’avoir su rester en général un type de Français très sympathique, complexe, vivant, pittoresque, éclairé. Velu d’un costume de soie betsiléo qu’a tissé une rainaloa de sa circonscription, il aime à circuler dans le pays, excursionnant pour son agrément tout en accomplissant sa tournée de service ; la géologie l’intéresse ; il a photographié les volcans se succédant en propylées, les cascades fumantes, les lacs recueillis dans les cratères ; montrant aux indigènes qu’il a plaisir à parler leur langue quand il pourrait n’ordonner qu’en français, il a fait quérir les plus vieux et a interrogé leur mémoire flattée sur les légendes et l’histoire des aïeux ; le voici qui se promène au milieu des groupes de lambas les jours de marché et s’entretient avec les marchands de la récolte ; il entre à l’hôpital prendre en la plaisantant des nouvelles de la dernière accouchée. Sa chambre, son bureau sont tendus de rabanes coloriées qu’il a commandées au plus habile ouvrier du district ; il a sur sa table de travail des coupe-papier taillés dans la corne des zébus et sur ses étagères les lampes en porphyre des anciennes cases. Le dimanche soir, dans son salon où sont réunis les Européens, un ancêtre en uniforme rouge du premier Empire vient chanter devant le piano, où la madame vahaza l’accompagne, de vieux airs royaux. De même que l’administrateur invite les indigènes, pressés sous sa varangue, à voir comment les Français se réjouissent en famille, il leur témoigne qu’il est curieux de ses divertissemens et amusé de ses mœurs, il fait acte de présence soit dans ces bals où une Marseillaise jouée sur des flûtes en bambou salue son entrée, où les lanciers et les impériales sont dansés par la jeunesse hova avec une élégance naturelle et des fioritures d’entrelacs, soit dans ces réunions publiques où un pitre sauteur, monté de l’Ouest, entasse histoires sur histoires et lance des grimaces en pilant le sol d’une plante fougueuse.

Progressivement, depuis 1896, les civils ont été substitués aux militaires. On a souvent été injuste envers ceux-ci : certes on a eu à déplorer des cas de despotisme, voire de concussion, dont quelques-uns ont été l’objet de condamnations ; des députés ont pu signaler des officiers abusant de leur pouvoir pour décimer les troupeaux à leur profit ou édifier des villes dans des endroits peu commerçans, s’y maintenant afin de ne pas avouer leur erreur et épuisant ainsi par leur faute individuelle toute la ressource de l’effort administratif ; mais l’on n’a jamais tenu suffisamment compte de ce que la période de gestion militaire a coïncidé avec la première époque d’occupation où il fallait réprimer l’insurrection et qu’il y est moins aisé de rendre à des indigènes perfides ou tremblans une justice déjà réputée si injuste dans les métropoles pacifiques depuis les plus lointains classiques. Les critiques, à force de se vouloir humanitaires, manquent de philosophie. Pour ne pas glorifier tous leurs actes, reconnaissons au moins que fréquemment les officiers des colonies se montrent intelligens et actifs ; ce sont même, si l’on veut bien, des intellectuels, et leurs rapports ou les études publiés par eux dans les Notes, Reconnaissances et Explorations de Tananarive, ingénieux, érudits, dénotent une culture généreuse, un sens artistique délié, une jolie psychologie, une compréhension amicale des âmes simples.

Ils ont montré de sérieuses qualités d’administration, et, s’il faut un nom pour symboliser l’idée, l’effort et les résultats pratiques de la régie militaire, on n’en saurait trouver de meilleur que celui du général Lyautey, le plus brillant disciple du général Galliéni, personnalité hardie et noble, laborieux, sagace, persévérant, curieux et entêté d’innovations, ressassant à ses officiers avec une souriante obstination des leçons d’agriculture et de méthodes commerciales et en gavant les indigènes, — homme de convictions et d’action, aussi énergique que charitable, aime et respecté de tous, esprit et cœur supérieurs. Au-dessus de tous, le général Galliéni a donné la preuve de ce que pouvait accomplir, dans un pays de surprise, un soldat dont les campagnes en Afrique et en Asie avaient enrichi et humanisé le génie militaire français en un génie colonisateur d’ample envergure, rapide à éventer les ruses et découvrir les ressources de toutes les races, à investir leur apathie, à emporter d’assaut leur admiration superstitieuse, à pacifier en travail soumis les instincts de banditisme. Sans nul doute son œuvre, grandiose, reste incomplète, instable ; des erreurs nombreuses et radicales la lézardent, par l’impéritie ou l’inexpérience de subordonnés présomptueux et de manœuvres brutaux, par la précipitation de l’exécution. Mais c’est une œuvre. Elle porte l’empreinte d’un esprit vif, décidé et catégorique, d’une intelligence cultivée et large d’où rayonnait sur tous les services une généreuse complexité de vues, et d’une tenace et souple volonté. Si tant de qualités supérieures n’ont pu fonder le monument durable qu’elles avaient projeté, c’est surtout parce que le pouvoir civil de la Métropole, inconstant, ignorant et autoritaire, a tout fait pour les énerver et finalement dissocier leur, coopération. De même si les entreprises du général Lyautey et de beaucoup d’officiers n’ont pas toujours abouti, il le faut souvent imputer au défaut de persévérance des administrateurs qui leur ont succédé avec l’idée arrêtée de dénoncer l’inanité de leurs conceptions.

Depuis que les civils règnent sur presque toute l’île, les récriminations n’ont pas diminué. On n’a point relevé d’« atrocités » comme au Congo, on a particulièrement signalé des irrégularités financières, — illégales commandes sans adjudication, prélèvemens de chefs de chantier laissant figurer sur l’état des soldes un quart absent de leur effectif, escamotage de contrôle, — qui, si nombreuses soient-elles, sont moins graves que lorsque pesaient sur l’indigène les exactions des Hovas. En dehors des inspections métropolitaines, une tutélaire Administration Centrale de Tananarive peut les réduire de plus en plus, car le fonctionnaire français a un fond d’honnêteté et craint la loi. Lors de la transmission des pouvoirs du général Galliéni à M. Augagneur, le personnel a subi un contrôle si minutieux qu’il a été dans la suite complètement remanié, bouleversé : des mises à la retraite ont été signifiées, de nombreuses arrestations opérées (1905-1900), des indemnités supprimées, des crédits supplémentaires sabrés par le docteur Augagneur, plus militaire que le général, dans une campagne d’exécutions économiques.

Les irrégularités de conduite des administrateurs vis-à-vis de nos sujets sont plus malaisées et dangereuses à vérifier, à cause de la spontanéité même des Malgaches à la délation et à la calomnie. Sans doute l’Européen, exaspéré par un climat souvent énervant, abuse de la complaisance des femmes et de la timidité des maris, qui n’en restent pas moins, dans leur soumission, profondément blessés. Pour légitimer leurs impérieuses fantaisies, ils ont émis en adage que toutes les ramatoas sont des prostituées et que les indigènes se trompent familièrement entre eux : on leur fait donc un honneur en se mêlant à leurs adultères. Mais si l’état d’infériorité mentale où est tenue la femme malgache la laisse en effet volontiers passive devant le premier homme venu, il n’est nullement vrai qu’il soit absolument indifférent, « voire agréable, » aux hommes d’être trompés. A l’ordinaire, les fonctionnaires mariés sont plus réservés ; reconstituant une vie de famille charmante et fleurie dans les jardins vicinaux où ils ont acclimaté le mûrier et fait courir les pampres sur des treilles ouvragées par des écoliers malgaches, ils multiplient ainsi çà et là dans la grande île fauve et broussailleuse les sujets de la douce France. Ils sont alors l’objet du respect, parfois affectueux, des indigènes qui s’empressent avec un culte mignard pour les enfans européens et sont reconnaissans au père assez confiant en eux pour amener les siens avec lui dans ses tournées, bébés rosés, les yeux grands ouverts sur le visage noir d’une nénaine, qui les berce d’une ritournelle madécasse, fillettes aux joues chaudes de santé sous le casque. Les Malgaches ont le sentiment artistique et l’attendrissement caressant de leur délicatesse ; c’est par la grâce des enfans de France que ces peuplades puériles et musiciennes peuvent être le plus subtilement gagnées à notre civilisation. Dans plusieurs chefs-lieux où se rencontrent des ménages, nous avons vu les indigènes aimables, adoucis et familiarisés avec quelque attrait à notre domination. Au contraire, on devrait éliminer les couples français tapageurs, les maris trop complaisans, sujet quotidien des entretiens malins dans la fumée qui ne s’évapore jamais des cases indigènes. Dans les grandes villes, les scandales se répètent ; il s’y étale une corruption bruyante et vulgaire où notre race et notre prestige s’épuisent ; le nouvel arrivé y est initié dès les premières heures, sans qu’un long séjour adoucisse la blessante impression de début ; des femmes qu’ont illustrées, d’un éclat il est vrai assez blafard, des aventures publiques, sont reçues dans les salons officiels, et la promiscuité en est imposée aux épouses des petits fonctionnaires et des colons. Cette philosophie d’indulgence aurait été tirée des exemples et des souvenirs de l’ancienne cour hova : du moins le dilettantisme des hauts fonctionnaires les invoque à décharge avec un sourire érudit. Dans les cercles de province que régissent des célibataires, ils abusent trop souvent de leur autorité, dépêchant leurs filanzanes et leurs miliciens à la conquête de jolies ramatoas signalées à plusieurs jours de marche et aiment à en parler avec humour et galanterie. On ne saurait assez s’ingénier à mettre dans le plus de postes des fonctionnaires mariés ; s’il n’entre point dans l’esprit de notre régime de leur donner des appointemens supérieurs à ceux des célibataires, ce qui serait cependant légitime à Madagascar où il est si important de faire l’éducation des indigènes et de créer des centres de familles françaises, on pourrait tourner la difficulté en allouant de fortes indemnités de logement et d’entretien aux premiers et en les supprimant aux autres, qui sont trop payés.

L’étendue des pouvoirs conférés à l’administrateur a été l’objet d’opiniâtres critiques. Ils ont été restreints par l’arrêté de 1905 concernant le code de l’indigénat, et on demande encore que la justice indigène leur soit enlevée, ainsi qu’en Algérie. Rien ne serait moins politique ni pratique ; sans insister sur les dépenses que nécessiterait la création d’un nouveau service judiciaire, il est aussi aisé de contrôler étroitement la façon dont les administrateurs usent de leurs prérogatives, déjà réduites, qu’il est impossible, si on les leur enlève, de leur demander de gérer leurs districts[3] ; lorsqu’on leur aura ôté le droit d’infliger les petites punitions et les amendes inférieures à cinquante francs aux autochtones, paresseux et rusés, ils ne sauront continuer à diriger les travaux de construction d’hôpitaux et de routes, d’assainissement et de plantations qu’on exige. Indubitablement certains d’entre eux sont durs pour les indigènes, mais la plupart se trouvent désarmés devant la fainéantise insaisissable du Malgache et fort embarrassés entre les ordres de Tananarive qui les pressent de dépenser le minimum, en faisant rentrer le maximum, et les prescriptions philanthropiques de la Métropole.

Si une partie de leurs pouvoirs de police était transmise à des juges, l’administration deviendrait absolument impossible ; car le corps judiciaire est en sa majorité imprégné d’un esprit à la fois vague et autoritaire d’humanitarisme qui l’induit toujours à donner raison, ostensiblement et avec malignité, à l’indigène à cause de ses droits de « possesseur » naturel et donc légitime du sol, et à débouter de ses plaintes le colon, sans tenir compte des circonstances et des sacrifices. Déjà une rivalité aigre-douce est latente entre les fonctionnaires des deux corps qui, communément jaloux de leurs prérogatives, sont animés de préventions les uns contre les autres et souvent surexcités de dédain. Elle deviendrait plus aiguë, au grand dommage de la colonisation. Au contraire, tous les administrateurs s’accordent à réclamer qu’on leur enlève la juridiction des Européens : elle ne chargerait point d’un lourd supplément de besogne les magistrats et elle oblige les administrateurs dénués de sérieuses connaissances juridiques à un travail d’autant plus considérable qu’il est très délicat de condamner des vahazas : mille questions politiques et ethniques se mêlent insidieusement ; aussi n’ont-ils plus grand loisir pour s’occuper d’administration.

Le reste de leur temps est pris par les rapports multiples qu’on leur demande, dont quelques-uns s’acquittent avec un zèle absorbant, qui occupe les meilleures heures de ceux-là mêmes qui, au jugé, mettent les premiers chiffres venus, comme ils vous le déclarent avec rondeur. Déjà, en Algérie, pays depuis longtemps conquis, et sur lequel les travaux privés abondent, les administrateurs nous avaient montré à quel point on les accablait de questions inintelligentes auxquelles ils répondaient toujours de la même façon par les calculs approximatifs les plus aléatoires ; à Madagascar, pays neuf, les enquêtes officielles étant plus légitimes, on en a abusé : les dossiers viennent s’accumuler à la direction centrale où un officier d’ordonnance, célèbre dans toute l’île pour la rapidité avec laquelle, sur un mot de son chef, en une nuit, il composait une copieuse étude économique, artistique ou ethnographique, médicale, agricole, industrielle ou linguistique au choix, en tirait la matière de conclusions et statistiques les plus fantaisistes, au moins sommaires. Il suffit de parcourir le Journal Officiel de la colonie et les Annuaires pour relever les flagrantes contradictions que les faits notoires imposent aux affirmations téméraires des années précédentes. Les chefs de province ne s’entendent pas moins à se plaindre d’être trop assujettis par les questions minutieuses de comptabilité dont les petits fonctionnaires, agens respectifs des services divers, devraient avoir la responsabilité directe devant le Gouvernement Général.

Les changemens incessans de postes les obligent à prendre à chaque fois connaissance de nouvelles questions, au contact de nouvelles contingences, et contribuent fortement à déterminer dans leurs esprits ce découragement et cette instabilité de notions coloniales que préparait déjà l’insuffisance d’instruction pratique spéciale. Cette instabilité s’objective en dilettantisme persifleur chez les plus intelligens et en torpeur passive chez les autres. Le général Galliéni posait la nécessité de deux conditions pour le régime actuel : « la sélection d’un personnel européen qui ne fût plus à la merci des tours de départ des listes administratives suivant la méthode officielle ; la stabilité qui d’abord permet d’acquérir une connaissance approfondie du pays et de concevoir des projets à longue échéance, les seuls efficaces, qui garantit ensuite que la population sera ménagée, parce que l’administrateur, assuré d’avoir du temps devant lui, ne se presse plus de couvrir sa circonscription de créations hâtives et insuffisamment préparées pour laisser une trace de son passage » (ce qui a eu lieu précisément sur nombre de points). Il attestait ainsi une psychologie parfaite de ses auxiliaires. Malheureusement, la stabilité d’un grand nombre de fonctionnaires dûment protégés leur a permis de se cantonner paresseusement dans les fiels les plus avantageux et a provoqué les plaintes qui ont entraîné M. Augagneur à envoyer au littoral tous ceux qui résidaient sur le plateau. Ayant pris systématiquement pour point de départ que tout était à refaire et qu’il devait se débarrasser d’un personnel corrompu, il a négocié avec le Département pour diriger sur nos établissemens d’Afrique une cinquantaine de fonctionnaires ayant de l’ancienneté de services dans la colonie au moment même où les Vieux-Malgaches étaient mis à la retraite. Rien n’est plus propre à entretenir le nihilisme des indigènes : de tous ces changemens, ils présagent que notre domination superficielle sera éphémère, qu’elle passera comme passent les hommes qui la représentent.

« L’administration doit être essentiellement patiente, aussi peu exigeante et fiscale que possible, » édictait le général Galliéni. Cette patience n’était point permise par les dépenses des grands travaux entrepris ni ne le sera par le renouvellement complet du personnel, surtout s’il est actif comme on le lui demande. D’ailleurs, le déplorable esprit dont est imprégné le Département, de laisser presque toutes les charges à une colonie nouvelle où tout est à organiser, n’accréditera jamais cette vertu dans les mœurs administratives de notre empire.

On n’a cessé de répéter qu’il y avait trop de personnel à Madagascar, et, à la Chambre, des députés modérés eux-mêmes, M. Hubert ou M. Le Hérissé, rapporteur du budget des Colonies, ont tenu ce langage de ministrables, donnant des gages à la majorité avide d’économies. C’est une erreur absolue. Particulièrement dans ce vaste pays qu’on a cru riche et qu’on a voulu doter aussitôt d’une organisation luxueuse, il importe d’assurer une liquidation attentive et la moins décevante possible du régime dépensier afin de ne point perdre l’intérêt des sommes considérables avancées. Une réduction notable du personnel ne pourrait avoir d’autre résultat que d’obliger à abandonner des travaux en cours, d’élargir le déficit brut, en n’ayant d’autre but que d’accuser la mauvaise gestion des prédécesseurs. Si Madagascar était un pays désespérément pauvre, il n’y aurait qu’à y renoncer ; mais c’est seulement un pays de rapport médiocre où un labeur assidu est nécessaire pour mettre en valeur les ressources réelles, nullement négligeables. La diminution du nombre des fonctionnaires entraînera seulement la difficulté de percevoir doucement les impôts, de les répartir avec justice, de toucher tous les contribuables. Un exemple est probant : dans la province de Maintirano, le personnel d’officiers administratifs ayant été accru de 1902 à 1904, un meilleur recensement a pu être effectué et amener la constatation de 4 861 habitans de plus, résultat fort notable pour le fisc. Les économies porteraient plus avantageusement sur le chiffre des appointemens, Madagascar s’étant assaini presque partout à la suite de travaux coûteux et la vie s’y maintenant d’un bon marché exceptionnel. On a calculé à l’origine en le tenant pour un pays de climat meurtrier et d’insurrections constantes ; la réputation mauvaise qui lui en est restée a causé un tort économique considérable à la colonie en en détournant les gens sérieux et leurs capitaux, mais a été d’un grand profit pour les fonctionnaires. On a également calculé comme s’il était un pays riche capable de supporter toutes les majorations. Les traitemens actuels ne peuvent être légitimement conservés qu’à ceux qui, avec mérite, entretiennent une famille, foyer de peuplement. De même le régime actuel des congés, aggravé par une circulaire ministérielle de 1906, est excessivement dispendieux[4]. Enfin, en bureaucratie, des économies peuvent être réalisées par une décentralisation judicieuse.

Centralisation : centralisation économique, administrative, politique, voilà à quoi tend fondamentalement le régime français, non seulement par l’institution d’un gouverneur général à Tananarive, centre de l’île, mais par l’esprit même des administrateurs. Elle déterminera logiquement la reconstitution de l’hégémonie hova. Cette hégémonie, au début de la conquête, résultait systématiquement de la politique du protectorat qui, voulant administrer l’île à l’indigène, y employait partout la race, la plus intelligente. Dès que le général Galliéni fut convoqué à remplacer le Résident Laroche, il eut à lutter contre les Hovas que ce régime avait rendus puissans et insolens ; il comprit que, divisant pour régner, il fallait leur opposer les Betsiléos, les Betsimisarakas et les Sakalaves en les appelant dans leurs pays respectifs aux fonctions que les Hovas seuls y occupaient jusque-là : il inaugurait de la sorte son excellente politique des races, dont un des avantages a été d’imposer l’étude des populations des différentes provinces aux administrateurs ; et, en juillet 1897, tous les gouvernans hovas des côtes avaient été rappelés. Mais, la rébellion une fois réprimée, on laissa se relâcher cette politique des races, de moins en moins consciente et rigoureuse à mesure qu’on cessait de craindre militairement les Hovas. Dès lors, les institutions, notamment dans l’enseignement, et la centralisation excessive du gouvernement à Tananarive, concoururent à reconstituer l’hégémonie hova, l’œuvre administrative détruisant ainsi peu à peu celle de la tactique. Cette hégémonie est d’ailleurs vivement souhaitée par nombre d’Européens. Elle plaît à leur besoin foncier d’ordre que renforce l’éducation reçue dans les écoles administratives de Paris ou dans les bureaux : elle leur paraît la seule compatible avec les idées qu’inculquent les Ecoles de sciences morales et politiques sur la supériorité du Protectorat et la nécessité de développer parmi les races indigènes celle dont la nationalité est la plus organisée, — c’est là une des formes, non des moins dangereuses, qu’a revêtue après 1870 la politique des nationalités, réduite à chercher désormais hors d’Europe son champ d’exercices. Enfin elle sourit à leur paresse sous le ciel tropical : les Hovas fournissant le plus grand nombre des employés de bureau qui les servent tous les jours, ils cèdent machinalement à leur accorder les faveurs. Il convient de s’arrêter avec le plus d’attention sur ce point capital.


IV. — L’HEGEMONIE HOVA ET LA POLITIQUE DE L’ASSIMILATION

La supériorité intellectuelle des Hovas entre tous les Malgaches est unanimement proclamée par les Européens, parce qu’ils ont toujours considéré la souplesse et la rapidité à comprendre et à imiter comme le principe de l’intelligence : telle, elle frappait, dès le XVIIIe siècle, Mayeur que tous se plaisent à citer aujourd’hui pour autoriser leurs préférences personnelles ; mais il convient déjà de ne pas oublier que Mayeur les a observés sous le règne d’Andrianapoimerina, à l’apogée de leur grandeur. Cette conviction de leur supériorité a été assez impérieuse pour pousser un de ceux qui ont le plus sagacement apprécié les Hovas, avec des considérations partielles très pénétrantes et justes, à conclure : « Je déclare que notre entreprise (de conquête et de francisation) est un crime. Un crime contre le droit des gens, comme le seraient la conquête et la réduction en servitude du peuple japonais. » Nous citons cette opinion catégorique de M. Carol, qui paraît si excessive à la plupart des Européens, administrateurs, journalistes, voyageurs ou colons, parce que, en somme, elle est l’aboutissement logique de leurs propres, opinions sur les Malgaches, qui, elles, étant modérées, ne leur paraissent point erronées et dangereuses, — comme elles sont en réalité.

Il importe de dégager les avis des personnalités compétentes sur les Hovas. L’opinion officielle s’affirme en son essence dans ce qu’elle a de contradictoire par ces deux phrases du Guide de l’immigrant à Madagascar, grande publication très soignée dont la direction a été confiée par le général Galliéni à M. Grandidier : « Dons naturels, caractère du pays, développement historique, tout a contribué à faire des Hovas le premier peuple de l’Ile… Ils semblent avoir en eux un germe de développement spontané qu’on chercherait vainement chez les autres peuples… » et : « Malgré leur bonne volonté, ils ont au fond peu d’aptitudes assimilatrices… Ils sont naturellement antipathiques. » Ces phrases trahissent le sentiment équivoque de l’administration supérieure qui est pleine à la fois de méfiance, d’irritabilité à l’endroit de ces « sujets, » si difficiles à saisir et à tenir, et de tendresse pour ces pupilles dont la souplesse d’esprit leur a fourni la raison de construire de magnifiques écoles, d’échafauder un système architectural d’instruction, d’administration, de politique ; l’éducation des Hovas a coûté très cher, et il est compréhensible qu’on ait de la complaisance à tirer tout d’eux. Seuls ils avaient un corps de fonctionnaires, et rien ne les rend plus propres à servir la bureaucratie française, dussent-ils l’éliminer ultérieurement. D’autre part, ce sont eux qui consomment le plus de produits métropolitains, élevant le total miroitant des importations, et rien encore ne peut mieux établir que les autres Malgaches leur sont inférieurs. De là cette proclamation de leur supériorité jusque dans l’ouvrage si solide et impartial de M. Gautier, qui conclut : « Dans les institutions Merina, ce qui frappe précisément, c’est leur puissance d’évolution spontanée… Les mêmes institutions qui, dans le reste de l’île, sont restées stationnaires, ou même ont rétrogradé vers un état politique et social inférieur, ont évolué en sens inverse dans l’Imérina. »

La capacité dévolution spontanée ne saurait être un signe absolu de supériorité ethnique. Celle des Hovas, tient moins qu’on ne l’a cru au fond de la race, qui est extrêmement mêlée et chez laquelle nous avons observé constamment que ce sont les métis qui avaient le plus de tendances à évoluer, — le fameux Rainilaiarivony n’était pas un andriane mais un tsimafotsy (esclave privilégié) ; — elle tient bien plutôt à des conditions matérielles ou historiques : le climat et la monarchie, régime qu’ils ont toujours subi, non point par intelligence politique mais de la façon la plus routinière et superstitieuse, qui a fait leur fortune lorsqu’ils venaient d’arriver, les derniers, pauvres et affamés par la nécessité, au milieu de races aisées et patriarcales, mais qui a précipité leur déchéance au bout d’un siècle de pouvoir. La puissance d’évolution est souvent au contraire un indice de dégénérescence et une cause de décadence rapide pour les races dont le cerveau est trop mobile, instable, et qui portent en elles plus de germes de défauts que de qualités. Le Père Piolet, qui a longuement vécu parmi eux, avec bonhomie, charité et studieuse bienveillance, a caractérisé l’essentiel lorsqu’il dit d’eux qu’ils ont beaucoup d’aptitudes physiques et fort peu de qualités morales. « Ni probité, ni moralité, ni seulement de dignité personnelle, » a dû reconnaître M. Grandidier. Lorsque vous séjournez en Emyrne, vous n’êtes point seulement frappés par l’état général de corruption, excessive à vous ôter toute confiance en l’avenir des Hovas ; mais, quand vous les pratiquez individuellement, vous constatez qu’ils n’ont aucun principe, même élémentaire, de moralité, contrairement à ce que l’on observe chez les Africains les plus bornés ; cela indique non point une mentalité primitive, mais une mentalité de civilisés en dégénérescence. Ce qui vous louche le plus agréablement, leur tendresse pour les enfans, vraiment charmante et musicale, se dénonce à l’analyse fort éloignée de l’amour sauvage de la mère, forme puissante de l’instinct de conservation de la race ; elle n’est point une qualité naturelle, mais bien plutôt sociale, faite d’enjouement nonchalant, de baguenaudages et presque de marivaudage, du besoin nerveux de bercer et de caresser, un plaisir artiste : on peut dire que ce n’est point avec son cœur de bête que le Hova aime son petit, mais qu’avec son cerveau à la fois raffiné et puéril il chérit indistinctement tous les enfans, qu’ils soient à lui ou à l’un des amans de sa femme.

En effet ce sont les qualités sociales qui dominent chez lui, presque exclusives : il aime à causer et à rire, à recevoir et à rendre des visites, à donner et accepter des cadeaux ; on a pu vanter à l’extrême son hospitalité. Toutefois on l’a inexactement comparée à celle des anciens ou des Arabes : elle ne se ramené au fond ni à une générosité chevaleresque de seigneur, ni à un échange avisé de bons procédés commerciaux dans un pays difficile, comme chez les Berbères ou les Juifs ; elle est un art superficiel de politesse, un jeu représentatif, à quoi il se sait obligé par une routine de manières cérémonieuses devenues rudes dans cette vie sauvage à laquelle il a dû s’adapter, et voilà pourquoi il a si vite fait d’accepter de l’argent de ses hôtes, en dépit de la loi d’amour d’Andriana. L’hospitalité lui offre avant tout l’occasion excellente de palabrer : le Kabary, où le peuple s’assemble en plein air pour discuter toute affaire intéressant la communauté, est la coutume constitutive de la race ; l’éloquence, sa faculté dominante. Elle est sinueuse et entrelacée, interminable, imagée, poétique, empreinte de couleur locale, — non de chaleur, car, n’étant point sincère, elle est monotone, — et accentuée de conviction, même lorsqu’il ment ; avec cela le Hova ne tient à rien de ce qu’il a dit, il parle pour parler, discutant des heures pour un marchandage de deux sous et achetant à la dernière minute au prix peu avantageux, car il est satisfait d’avoir causé : dans cette race, l’éloquence n’est point une activité politique comme chez les Grecs, mais un jeu d’oisiveté ; elle est avec la musique le luxe de leur pauvreté paresseuse et bohème. Les Européens qui ont vécu eu Emyrne l’ont bien observé : celui qui parle est toujours écouté en silence ; lorsqu’il a terminé, son adversaire commence par le complimenter et par entrer dans ses vues pour les combattre ensuite et conclure contre lui, devant les auditeurs également silencieux ; leur parti est pris d’avance, en faveur du plus fort.

Cette faconde, s’épanche encore quotidiennement au marché qui n’est qu’un kabary commercial où l’on va chercher un objet d’un sou pour avoir un prétexte à causer toute une matinée. Cela a fait dire que le Hova était marchand « autant que le juif et plus que le Chinois, » et que les transactions locales étaient actives. Il est avéré que les Chinois qui tiennent toute l’épicerie sur la côte ne peuvent résister sur le Plateau Central ; mais cela n’est pas assez probant. Il est plus exact de dire que les Hovas sont essentiellement diplomates, et cette diplomatie, qui leur a permis de conquérir l’île sur des populations plus guerrières, établit leur supériorité dans le trafic, mais surtout précisément parce que le commerce est pour eux principale occasion de marchandage, de conversations, et celles-ci ne sauraient être prolongées qu’entre personnes de même race. Ils ont au demeurant l’esprit calculateur, et leur jeu préféré, le fanorana, prête à des combinaisons plus compliquées que les dames.

Les qualités physiques de ce peuple encore plus « débrouillard » qu’ingénieux sont de celles qui se manifestent en société ou pour un état social raffiné : dans l’horlogerie, la ferblanterie, la chapellerie, métiers qu’ils exercent en atelier ou au marché, tout en bavardant : leur patience, leur grande sûreté de main, leur vue très étendue et très distincte, leur assurent une incontestable maîtrise. Les défauts sont du même ordre. Ils se montrent orgueilleux à outrance : les andrianes (nobles) affectent l’arrogance et tous les Mérinas abaissent sous leur mépris les autres tribus de l’île à qui ils ont fait sentir durement leur domination. Le grand roi Andriana avait estimé que ce vice était le plus grave et il avait édicté contre les mupiavonavona (orgueilleux) ses lois les plus rigoureuses : les fokon’olona avaient le devoir de détruire leur tombeau de famille et leur maison ; « mettez-les en quarantaine et ne leur donnez pas même l’eau. » Elles ne purent l’extirper : les récens mémoires, conservés aux archives de Tananarive, de Rainandriamanpandry, colonel à quinze ans et ministre de l’Intérieur que lit exécuter le général Galliéni, nous renseignent sur la qualité, fort pédantesque et vieillotte, de l’orgueil hova, notamment par de tels axiomes qui, au surplus, dénotent quelque philosophie : « Les Français ont beau être en République, ils savent bien qu’il ne faut pas mettre sur le même pied un roi et un paysan ou un tailleur de pierre. »

Devant les vainqueurs, ils sont obséquieux, hypocrites : « S’il y a nation au monde, disait Flacourt, adonnée à la flatterie, cruauté, mensonge et tromperie, c’est bien celle-ci. » Ces diplomates ne se croient liés par aucune promesse. M. Grandidier a particulièrement noté « leur duplicité naïve, leur esprit cauteleux et méfiant : » encore, à vivre au milieu des gens du peuple, reconnaît-on, selon la fine analyse de M. Carol, que chez eux, cette duplicité est une simple déformation morale produite par des siècles de terreur, en sorte qu’un Hova ne vous répondra jamais ce qu’il pense, moins d’ailleurs pour vous le cacher que pour chercher à dire ce qu’il suppose que vous désirez entendre : de là ses contradictions successives au cours d’un même interrogatoire au fur et à mesure que ses dernières réponses semblent ne pas vous contenter ; pendant que vous vous acharnez à poursuivre sa vraie pensée, il court éperdument après la vôtre. Bassesse, lâcheté qui ne peut même pas se mesurer à ses terreurs légitimes, dictant à celui qui déteste le plus la France les hyperboles d’un style qui sait s’assimiler rapidement toutes les épithètes et les tournures du Journal Officiel : ainsi le gouverneur principal Rasanjy ne parle dans ses discours que de « prosternation » du peuple aux pieds de son sauveur le général Galliéni et des bienfaits dont celui-ci accable les nouveaux enfans de la généreuse France.

Leur paresse, proverbiale, est un plaisir de société : on a dit fort justement qu’elle était faite de philosophie et d’espièglerie ; elle dénote surtout l’instabilité mentale : la monotonie leur répugne dans le travail plutôt que la dureté ; le laboureur exécute une besogne extrêmement fatigante, mais qui ne dure que quelques semaines ; après quoi, il court à d’autres occupations ; peu de paysans européens pourraient supporter le métier de bourjanes, portant à des ou sur l’épaule 8 à 10 heures par jour, souvent à la course, mais se distrayant aux étapes toujours nouvelles et aux gîtes d’une galanterie cosmopolite. On a vu à Tananarive un typographe, qui composait la nuit, confectionner, le jour, des tables et des horloges. Peut-être ne faut-il point dire : paresse, mais : baguenaudage. Ils sont plus badauds que les Parisiens mêmes : un mot grossier, une simple constatation de maladresse, un rien les amuse pendant des heures, à petits rires modulés d’où bientôt jaillissent des chansons caricaturales.

lisse trahissent aussi avares, usuriers et voleurs, défauts qui ne sont guère des attributs, de peuples primitifs. En dernier lieu, un trait social est très caractéristique : doux et pacifiques, ne frappant jamais chez eux les animaux, ils deviennent cruels en public, froidement sanguinaires : le tontakély (voleur avec effraction) est-il surpris, la foule se précipite sur lui et fait rapidement justice, surtout s’il est faible. Un sport qui passionne les enfans consiste à laisser retomber plusieurs fois de suite sur une lame très pointue une volaille dont ils ont lié les pattes et les ailes. Ces raffinemens chinois sont des divertissemens auxquels on ne se livre jamais seul. Aux grandes fêtes nationales du Fandroana, la liesse populaire se donnait cours par un dépeçage de bœufs vivans lâchés par la rue ; le couteau à la main, on poursuivait la bête saignante ne sautant déjà plus que sur trois pieds.

Ces tauromachies sans grandeur, d’autres coutumes raffinées et veules, leur zézayante jactance dénotent, non point une population sauvage, mais, comme nous l’avons dit, une race civilisée en décadence, ce qu’indiquait déjà leur grande « assimilabilité. » Leur assimilation ne donne point des résultats stables : arrivés à un certain niveau, ils ont la plus souple facilité à tomber dans l’ivrognerie, et de brillans sujets des écoles supérieures ont donné de très vives déceptions. Le Père Piolet a noté chez toute la noblesse des signes effrayans de caducité. Le peuple est un peu moins atteint, quoique touché par la syphilis dans les proportions effrayantes de 80 pour 100. Il se conserve par un reste de vitalité, par ses privilèges de race dominatrice que les Français ont prorogés et parce qu’il se renouvelle par le croisement. Il présente donc encore un ensemble assez robuste qui se maintient par une certaine cohésion, en sorte qu’ils éliminent peu à peu non seulement les Chinois, mais même les commerçans grecs et bientôt, grâce aux leçons des écoles professionnelles, les ouvriers d’art français et les petits colons.

Le général Galliéni, le colonel Roques, M. Deschamps, la plupart des Vieux-Malgaches se sont laissé gagner, malgré les défauts qu’ils lui constatent, à croire à la prépondérance future de la race hova, à l’envisager avec complaisance et à y travailler. Le général Galliéni a déclaré un jour qu’il « comptait rendre la main aux Hovas. » Or leur patriotisme n’est point simplement l’amour de la terre qu’y a vu M. Carol, ils acquièrent de plus en plus une conscience ; nationale et même nationaliste : M. Descchamps, qui a un sens ethnologique très fin et très éveillé, l’a reconnu avec nous, ils ont en leurs destinées prochaines une grande confiance qu’exagère leur infatuation, ils s’instruisent avec plus d’avidité que nos paysans dans les villages. Plusieurs, parmi les gouvernans français, escomptent que, comme les Japonais, avec qui ils ont parfois une si déconcertante ressemblance physique, ils arriveront, plus lentement il est vrai, à s’approprier les industries européennes pour nous évincer ensuite. Le scepticisme des Français, voire le cynisme de certains à afficher leur indifférence à l’avenir et leur internationalisme vulgaire, la façon même dont on admire l’intelligence des Hovas en les méprisant, les inclinent d’autant à préméditer notre expulsion

Or, cette race a beau se renouveler par des élémens campagnards d’autres peuplades, les mœurs et l’esprit de décadence y dominent : à cause de leur intelligence et de séduisantes qualités familiales ou artistiques, un grand nombre d’individus y sont très intéressans et méritent d’être relevés par une éducation française modérée et progressive qui les dénationaliserait sans les « décérébrer » le moins du monde ; mais l’ensemble de leur société est corrompu, vicié, et il ne peut qu’être nuisible d’en prolonger la vie pour l’utiliser en vue d’économies immédiates.

M. Grandidier croit que les Hovas s’amélioreront parce qu’il attribue leurs vices « à l’état social » où ils ont vécu plusieurs siècles et qui vient de prendre fin ; mais cet état s’est perpétué assez de temps pour les déformer profondément et affecter jusqu’à leur physiologie, qui se ressent d’ailleurs encore de ce que, au contraire des gens de la côte, ils n’hésitent jamais à se marier entre cousins germains. Les lauréats des écoles supérieures font des progrès rapides, mais ne peuvent soutenir longtemps leur effort, bientôt touchés d’anémie cérébrale : cela n’offre point un danger grave, quand ils ne jouent, sous notre domination, qu’un rôle tout mécanique d’intermédiaires, renouvelés à chaque génération, et ainsi sont-ils même utiles à leur race ; mais, affranchis de notre direction assidue, ils seraient naturellement appelés à diriger le mouvement politique et le pays ; et, dans leur île qui est voisine non plus de l’Amérique civilisée, mais de l’Afrique, ils constitueraient un État encore inférieur à celui que les Haïtiens ont hérité de Soulouque.

D’autre part, si intéressans que soient un certain nombre de Hovas pris individuellement, il n’est pas certain que ceux-là mêmes soient supérieurs aux autres pour la civilisation, la supériorité ne consistant pas tout entière dans la souplesse à imiter qui dénote une servilité mentale : les races qui s’assimilent le plus lentement sont celles qui s’assimilent d’une manière durable, et l’avenir à Madagascar est réservé peut-être aux Haras, assurément aux Antaimoros, ces Auvergnats de la Grande Ile, rudes mais avisés, doués de vigueur physique et de sens moral : il y a longtemps qu’ils sont appréciés à la Réunion pour leur honnête et tenace labeur agricole. Enfin, les Hovas sont détestés des autres peuplades et il est donc impolitique de les servir. Au surplus, ce n’est pas tant une race qu’une classe, la classe hova, — car c’est par extension que ce mot a désigné la race entière des Merinas, — la bourgeoisie, dans laquelle rentre peu à peu la noblesse, qui tend à reprendre la suprématie à Madagascar à l’aide des Ecoles et de l’Administration : elle est la classe la moins intéressante, la moins vigoureuse, celle chez qui se rencontrent déjà le plus d’impaludés, voire les neurasthéniques, fait très caractéristique dans un pays neuf. Et voilà à quoi tend un régime moderne appliqué à des races qui n’y sont point préparées par une évolution.

Assimilation, au fond, c’est évolution. On a beaucoup discuté, notamment à l’Ecole coloniale, sur la légitimité et la valeur scientifique de la politique d’assimilation : on oubliait de voir qu’elle a pour principe, rationnel, d’assurer l’évolution et qu’il s’agit seulement de faire respecter ce principe. La colonisation, quoi qu’en pensent les professeurs de l’Ecole, tend infailliblement à l’assimilation, plus ou moins relative suivant le génie des peuples colonisateurs et non suivant les méthodes de leurs universitaires. Si relative qu’on la désire, elle n’a point sa formule suprême dans le protectorat, système qui met les populations africaines, océaniennes ou asiatiques sous la direction de fonctionnaires préparés par les Affaires étrangères dont l’idéologie, commandée par la politique des nationalités, est d’une contingence tout européenne, mais dans la colonisation directe qui, si paradoxal que cela paraisse, laisse l’évolution se faire plus spontanément, dans les meilleures conditions d’égalité, en ne choisissant point pour administrer directement une classe ou race indigène qu’elle aide ainsi à se différencier davantage. On dit avec assez de justesse contre l’« assimilation » immédiate que les indigènes n’ont pas nos habitudes et notre mentalité et qu’on ne peut leur adapter nos institutions administratives, par suite les mettre sous la coupe directe de nos fonctionnaires. Mais qui ne discerne précisément qu’en choisissant une élite, classe ou race parmi les autres classes ou races, en l’éduquant spécialement à ce rôle si complexe d’intermédiaire et en la différenciant donc profondément des autres, on rompt l’équilibre qu’il y avait entre elles, on crée une élite factice et bâtarde qui, devenue le truchement, interpole et falsifie ce qu’elle était chargée de transmettre ? On le voit bien à observer les gouverneurs indigènes dans leurs rapports avec les Français et avec les Malgaches. L’évolution ne peut se faire par classes, systématiquement, mais par individus, naturellement. Et, dans la colonisation directe, il n’y a jamais d’assimilation absolue, fantôme évoqué par les scolastiques du droit colonial, car le fonctionnaire européen, qui, supérieur au fonctionnaire hova, peut en avoir l’initiative, accommode, à moins de mauvais vouloir, les règlemens à la mentalité de ses administrés. Les doctrinaires du protectorat, au premier chef nos professeurs de l’Ecole coloniale, sont, en matière de colonisation, ce qu’ont été les grammairiens qui ont voulu à différens siècles faire la langue : en prétendant la ramener scientifiquement à ses origines, ils l’ont détournée du cours naturel de son développement. L’expansion européenne mettant en relation inévitablement brusque les Européens et les peuples sauvages, il faut laisser les indigènes s’adapter eux-mêmes à notre administration, comme ils sont forcés de s’adapter à notre commerce, à notre industrie et à notre esprit, opérer eux-mêmes leur sélection au contact immédiat de nos fonctionnaires autant que de nos colons. Au lieu de prendre l’élite, de la diriger tout entière au fonctionnarisme par l’appât des appointemens comme nous tentons à Madagascar, d’en former un corps de bureaucrates indigènes, laissons sur un même pied tous les Malgaches dans la vie civile, de façon que les facultés natives s’y développent d’elles-mêmes, s’y francisent peu à peu : alors les plus adaptés seront logiquement appelés à entrer dans nos bureaux au milieu de nous. Nous devons adopter ceux qui, par le jeu naturel de cette sélection, viennent à nous, non les élever tous de force, ce qui revient à les élever ensemble contre nous.

Sans doute le danger de séparatisme que nous avons évoqué peut être moins grave en ce que les Hovas s’élimineront d’eux-mêmes par leurs vices et par la rapidité avec laquelle nous forçons à évoluer jusqu’à les épuiser ces gens que déjà les missionnaires anglais, fervens d’édification spirituelle et de controverse, avaient détournés trop rapidement de leur esprit naturel[5]. Car, si l’on croit communément que nous allons servir par notre civilisation les Hovas, on néglige de considérer que nous créons des besoins, une vie d’effervescence et toute de concurrence qui les contraint déjà à entrer dans un fonctionnarisme de plus en plus étendu, à aller dans les provinces excentriques malgré leur débilité pour toucher des appointemens qui leur deviendront sans cesse plus indispensables ; or ils périssent au dehors du Plateau Central. Et c’est en dernier ressort une œuvre inutile que nous accomplissons en y dépensant beaucoup.

On a proposé, comme mesure de justice, une mesure qui pourrait obvier à la formation d’un mouvement national malgache analogue à celui des Indiens : la haute administration a lancé dans la presse l’idée d’un décret spécifiant qu’après vingt années de service, les fonctionnaires indigènes recevraient pour récompense suprême leur naturalisation ; on ferait ainsi rentrer, « doucement et à la longue, parmi les citoyens français une série d’individus régénérés par l’instruction et une longue pratique des vertus administratives ; en transmettant à leurs enfans leur titre de Français, ils constitueraient la souche d’une génération indigène perfectible et mieux préparée à recevoir le baptême de l’égalité humaine. » On a observé en outre qu’il y avait des Hovas, docteurs en médecine ou chirurgiens-dentistes des facultés de France, qui étaient soumis à toutes les vexations du code de l’indigénat et restaient les égaux de bourjanes, et il est certain que rien n’est plus injuste et impolitique. Mais la naturalisation, telle qu’elle est envisagée, serait très dangereuse. On peut évidemment s’en servir avec adresse pour instituer de nouvelles différences de classes entre les Malgaches, mais celles qu’on propose, dans le régime tel que nous l’avons établi, aboutiraient à susciter une aristocratie hova (ou « hovatisée » aux écoles comme on le verra à propos de l’Instruction publique) dont la descendance surtout deviendrait vite une classe privilégiée et hostile, en plein « regrès. » En effet, les enfans de ces « intellectuels » malgaches, fatigués par leurs études et le surmenage d’une vie européanisée, retourneraient plus qu’en nul autre pays à un état inférieur à celui du reste des indigènes. La naturalisation, privilège créé par la démocratie aux colonies, ne saurait jamais être, non plus que les autres privilèges combattus par cette même démocratie, un bénéfice héréditaire. Et il serait injuste et inintelligent de ne la conférer qu’aux intellectuels, les laboureurs et les bourjanes formant l’élément le plus intéressant, le plus digne de la population.

Comme on divisait autrefois les tribus pour régner sur elles, il peut être ingénieux de diviser aujourd’hui les classes, et, les classes constituées par la richesse ne correspondant plus à nos catégories sociales, d’en créer de nouvelles. L’erreur dangereuse serait de ne fonder cette nouvelle classification que sur les différences d’instruction brevetée, dans un pays où ce sont les plus servîtes et avides qui vont avec le plus d’empressement aux écoles et où l’enseignement, donné trop rapidement, est superficiel. D’autant plus qu’ils viennent des dans qui ont été éduqués par les Shervington et ces missionnaires anglais qu’un juge peu suspect de partialité, M. Gautier, a reconnus avoir entretenu et surexcité la méfiance et la vanité hovas : et l’on imagine quelle sorte d’intellectuels ont voulu, — car ils l’ont voulu, — et pu en faire les révérends de la London Sy. Les instituteurs sont obligés de reconnaître que les qualités ne se rencontrent pas tant chez eux que dans le peuple.

Les artisans et agriculteurs, ceux qu’on récompense en France de médailles de travail ou de primes de concours régionaux, les personnes ayant prouvé un caractère moral ou charitable par des œuvres similaires de celles que couronnent en France nos prix de vertu, les bourjanes, robustes, laborieux, gais et intelligens, les plus sympathiques des Malgaches, voilà ceux qui, en principe, doivent constituer la classe sur laquelle la France peut s’appuyer et par laquelle elle peut élever progressivement les autres. Ce n’est pas une aristocratie d’école, mais une aristocratie de travail. C’est le travail qui est l’instrument de progrès et de pacification, c’est le travail approprié et récompensé qui détournera ces peuples instables et enfantins, impulsifs et prêts à l’effervescence, des funestes chimères d’indépendance et de nationalisme indigène où l’oisiveté jette les déclassés, déchets des assimilations mal faites, comme on le voit assez dans l’Inde anglaise. Autrefois le grand roi de l’Emyrne, Andriana, organisait de véritables comices agricoles où il dispensait des lambas et des insignes aux vainqueurs du concours ; tandis qu’il punissait les orgueilleux, il célébrait l’époque des semailles par une distribution solennelle de bêches aux laboureurs méritans : c’est d’un tel exemple que peuvent le mieux s’inspirer nos coloniaux admirateurs du génie hova.


V. — LE PEUPLE MALGACHE

Avant la conquête, il y avait des classes populaires ; depuis, en dehors des cadres administratifs qui ne sont pas assez anciens pour les enserrer définitivement, il se forme un peuple : une masse composite et égalitaire, où les élémens d’aristocratie et de plèbe s’unifient, qui a une certaine conscience de son existence civile avec ses charges et ses droits, — car notre occupation, qui a rendu plus pesant le sentiment des charges, a créé, par l’hostilité du vaincu pour le vainqueur, le sens des droits et de leur revendication ; — une masse qui, pour le moment, soumise à l’étranger mais marchant inconsciemment vers la souveraineté, a une vie large et spontanée, autonome, confuse mais solidaire, turbulente, gaillarde, expansive.

Elle a gardé ses coutumes et même ses respects hiérarchiques, ses salutations rituelles aux représentans de la vieille caste noble, mais seulement par routine, par politesse et par bon ton national et tout en y mêlant quelque maligne animadversion pour l’ancienne aristocratie dont, dans les cases, on inédit et se gausse. Le scepticisme naturel à ces races s’est invétéré, davantage sous notre régime laïque qui a développé leur sécheresse obséquieuse, leur utilitarisme mesquin ; seulement, le goût des autorités françaises et leur propre prédilection pour les formes légales contribueront de plus en plus à régulariser leurs mœurs anarchiques, à accréditer le mariage plus sévère et, sinon la fidélité de l’épouse, une certaine tenue ; la femme tend à prendre une part de tache moins lourde dans le ménage que ce progrès rend toujours plus stable. L’indigène est-il moins heureux qu’au temps de la Heine, comme on l’affirme ? Sans doute l’activité à laquelle il est condamné n’entrait point dans la conception qu’il avait jusque-là du bonheur ; affairé, talonné, surveillé, il se fatigue, mais cela même l’oblige à des repos moins énervans : par le travail que nous lui imposons, nous forçons le Malgache à moins s’épuiser dans la volupté où il a perdu toute énergie et tout sens moral ; réveillé et fouetté de convoitises, il ne s’en laisse que plus vivement entraîner aux fêtes dont l’ingéniosité française a multiplié les divertissemens, où il se parc de cotonnades neuves, trouvant du plaisir à changer plus souvent de lambas économiques et brillans fabriqués en Europe où, dans d’amusantes imageries d’Epinal, des fantasias de cavaliers et des régimens évoluent sur les dos des femmes, des canons s’arc-boutent, des attelages des Champs-Elysées secouent à leur marche des sonnettes rouges, des automobiles s’enlèvent dans des nuages de poussière. La foule malgache, sans être joviale, est gaie, pittoresque, d’une grande vivacité de lignes souples et de tons chauds. Des couleurs d’un bleu et d’un orangé délicats brochent l’emmêlement d’étoffes blanches où, aujourd’hui que les privilèges n’en réservent plus l’usage, d’innombrables parasols voyans à manches de métal s’ouvrent libéralement.

Cette population à forme nouvelle, ce peuple, est-il, lui, foncièrement, hypocritement hostile aux Français comme on le dit, comme le sont les nobles et les bourgeois hovas ? Soit enquêtes et interrogations, soit causeries sur toutes les sortes de sujets, psychologie familière et intuition, nous ne l’avons pas senti, nous ne le croyons pas. Leur sentiment est confus, incertain, mobile. Ce sont des gens légers, enfantins, habitués à la soumission plus qu’à l’obéissance, facilement suggestionnâmes, donc aisés à diriger par une politique habile et stricte. Surtout, ils se suggestionnent eux-mêmes par l’habitude, et c’est en ce sens que les déclarations ampoulées, les adresses de félicitations et sollicitations que faisait présenter ou réciter par eux le général Galliéni, finissent par agir sur leur esprit, quoiqu’ils n’y mettent d’abord aucune sincérité : on en arriverait un peu par cette considération à légitimer le bluff comme on l’a voulu pour les Américains et il est certain que, dans nos grandes colonies, Madagascar ou Indo-Chine, on tend à user du bluff comme méthode de colonisation ; les abus en sont graves.

M. Carol a conté le cas amusant de ce jeune Malgache à qui l’on avait convié le soin d’écrire un fait-divers et qui rédigea le texte suivant :


Le vendredi 30 avril, vers cinq heures quarante du soir, il y avait un bourjane, attaqué gravement par la fièvre, va se coucher par terre dans la rue Dupré n° 6, ouest de la maison de M. Rapaoly, à Antsampanimahazo, qui a fait son soupir à six heures dans celle rue. A la vue de cette mort effroyable, le colonel, le commandant et les officiers habitant à côté de la rue avaient fait prévenir le commissaire de police Rastel. MM. les docteurs Peters et Wilson étaient venus pour sauver sa vie ; mais, hélas ! la mort venue lui a pris sa vie. Les policiers et les fokonolona ont enveloppé le corps de ce malheureux et l’ont porté à sa dernière demeure. Louange aux unanimités des polices d’Ambatovinaky ! Honneur et gloire à la France, qui a envoyé ses docteurs à Madagascar pour soigner les Malgaches !

Cette rédaction est d’un élève des écoles ; mais l’urne du peuple n’aime pas moins à plaire, autant par galanterie que par flatterie : on le voit dans ces si curieuses affiches, toutes marquées de l’esprit populaire, fantaisiste, pittoresque, alangui et mélodique, qu’il compose pour appeler le plus de gens aux concerts du dimanche. En vers libres et farcis, familièrement symboliques et cajoleurs, ils célèbrent le bonheur et la civilisation en manière d’actualité afin d’attirer le public à leurs fêtes du jour en en signalant le cachet nouveau.


Réjouissez-vous, — vous tous qui vivez, c’est l’époque de l’allégresse. Réjouissez-vous : les ténèbres sont parties, la route est éclairée, les grands comme les petits ont chacun leur part au bonheur : ceux qui possèdent ne craignent plus d’être volés, les malheureux ne sont point oubliés, les orphelins sont soignés, et les pères, les mères travaillent avec joie à augmenter le nombre du leur progéniture… Marchons ensemble, et voici le chant que nous ferons en marchant : Louons, louons la bonne mère la France qui ne nous abandonnera jamais. Réjouissons-nous, car c’est notre chère mère, acclamons et remuez vos pieds pour marcher ensemble.


Ce sont des Te Deum de peuples sceptiques mais artistes à la France. Ces paroles déclamatoires ou musicales de fêtes s’insinuent dans les âmes langoureuses des races zézayantes. Lorsque la routine de la répression, l’injustice, les exactions n’entretiennent point une sourde rébellion dans les peuples soumis, les races supérieures se les assimilent en leur ensemble, laissant, par un échange fatal, leurs représentais en ces pays chauds s’assimiler eux-mêmes individuellement à la race indigène, ce qui n’a guère d’importance, puisque d’autres Européens les remplaceront. Ce n’est point par la participation prématurée, à l’administration, mais, en une sorte de connivence humanitaire, par l’adoucissement joyeux des mœurs qu’on francise un peuple.


MARIUS-ARY LEBLOND.


  1. Voyez la Revue du 15 janvier, du 15 mars et du 1er avril.
  2. Un journaliste l’a attaqué en l’appelant « traître à son ancienne patrie. » C’est une sentence de pure rhétorique : il n’y avait pas de patrie sous Ranavalo. mais à peine une camarilla… Il est nécessaire de le dire à Paris.
  3. L’expérience du général Lyautey, la science juridique de M. Arthur Girault (Congrès de sociologie coloniale) sont d’accord à proclamer qu’ « il n’est pas désirable d’établir une autorité judiciaire distincte de l’autorité administrative. »
  4. On accorde un voyage pour la France tous les deux ou trois ans, suivant les corps, et la plupart des passages sont de première classe. Une simple réduction de classe pour les fonctionnaires n’ayant pas atteint un grade assimilé A celui de commandant permettrait une économie de plusieurs centaines de mille francs. D’autre part, c’est un abus, reconnu tel par tous, d’accorder tous les deux ou trois ans des congés pour la France, avec un passage aussi onéreux ; une fois sur deux, ils pourraient être donnés pour les sanatoria voisins de la Réunion où toute l’année le climat est celui de la côte méditerranéenne et où les eaux minérales, très variées, sont peut-être supérieures à celles de France. Le général Galliéni avait fini par reconnaître, en 1905, le bien fondé de ce projet, qui mériterait d’être repris en considération par le Dr Augagneur. M. Saint-Germain a excellemment fait observer au Sénat, en 1900, que les crédits de passages avaient passé de 4 974 155 francs à 6 721 115, exigeant de la métropole des crédits supplémentaires.
  5. Non seulement l’éducation spirituelle, mais l’éducation militaire des Hovas est tout anglaise. Andriana avait fait d’eux plus encore des laboureurs que des soldats ; sous Hadama, l’Anglais Hastie fit décréter le service obligatoire et l’armée permanente, promulguant un code militaire d’une dureté extrême où tout recul, tout abandon de poste entraînait la condamnation à être brûlé vif. Et ce sont les Anglais qui leur fournirent toujours fusils et canons.