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Alcools/Merlin et la vieille femme

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AlcoolsNRF, troisième édition (p. 74-77).
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MERLIN ET LA VIEILLE FEMME


Le soleil ce jour-là s’étalait comme un ventre
Maternel qui saignait lentement sur le ciel
La lumière est ma mère ô lumière sanglante
Les nuages coulaient comme un flux menstruel

Au carrefour où nulle fleur sinon la rose
Des vents mais sans épine n’a fleuri l’univers
Merlin guettait la vie et l’éternelle cause
Qui fait mourir et puis renaître l’univers

Une vieille sur une mule à chape verte
S’en vint suivant la berge du fleuve en aval
Et l’antique Merlin dans la plaine déserte
Se frappait la poitrine en s’écriant Rival


Ô mon être glacé dont le destin m’accable
Dont ce soleil de chair grelotte veux-tu voir
Ma Mémoire venir et m’aimer ma semblable
Et quel fils malheureux et beau je veux avoir

Son geste fit crouler l’orgueil des cataclysmes
Le soleil en dansant remuait son nombril
Et soudain le printemps d’amour et d’héroïsme
Amena par la main un jeune jour d’avril

Les voies qui viennent de l’ouest étaient couvertes
D’ossements d’herbes drues de destins et de fleurs
Des monuments tremblants près des charognes vertes
Quand les vents apportaient des poils et des malheurs

Laissant sa mule à petits pas s’en vint l’amante
À petits coups le vent défripait ses atours
Puis les pâles amants joignant leurs mains démentes
L’entrelac de leurs doigts fut leur seul laps d’amour


Elle balla mimant un rythme d’existence
Criant depuis cent ans j’espérais ton appel
Les astres de ta vie influaient sur ma danse
Morgane regardait du haut du mont Gibel

Ah ! qu’il fait doux danser quand pour vous se déclare
Un mirage où tout chante et que les vents d’horreur
Feignant d’être le rire de la lune hilare
Et d’effrayer les fantômes avant-coureurs

J’ai fait des gestes blancs parmi les solitudes
Des lémures couraient peupler les cauchemars
Mes tournoîments exprimaient les béatitudes
Qui toutes ne sont rien qu’un pur effet de l’Art

Je n’ai jamais cueilli que la fleur d’aubépine
Aux printemps finissants qui voulaient défleurir
Quand les oiseaux de proie proclamaient leurs rapines
D’agneaux mort-nés et d’enfants-dieux qui vont mourir


Et j’ai vieilli vois-tu pendant ta vie je danse
Mais j’eusse été tôt lasse et l’aubépine en fleurs
Cet avril aurait eu la pauvre confidence
D’un corps de vieille morte en mimant la douleur

Et leurs mains s’élevaient comme un vol de colombes
Clarté sur qui la nuit fondit comme un vautour.
Puis Merlin s’en alla vers l’est disant Qu’il monte
Le fils de la Mémoire égale de l’Amour

Qu’il monte de la fange ou soit une ombre d’homme
Il sera bien mon fils mon ouvrage immortel
Le front nimbé de feu sur le chemin de Rome
Il marchera tout seul en regardant le ciel

La dame qui m’attend se nomme Viviane
Et vienne le printemps des nouvelles douleurs
Couché parmi la marjolaine et les pas-d’âne
Je m’éterniserai sous l’aubépine en fleurs