Mes mémoires (Groulx), tome I/Mes Mémoires

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Texte établi par Notes de Juliette Lalonde-RémillardFides (p. Vol. 1-14).


PREMIER VOLUME
1878 – 1915












De la naissance de l’auteur
à son départ de Valleyfield
(août 1915)


MES MÉMOIRES




Écrire ses Mémoires ! J’y ai toujours vu la besogne d’un paresseux ou d’un impuissant. Pourtant j’écris les miens. La Providence a voulu qu’en mes soixante-seize ans, j’aie connu une période de fatigue. Le médecin m’a condamné au repos forcé. Pour me divertir, j’écris Mes Mémoires. On m’en a prié, depuis longtemps, de-ci, de-là. « Vous avez vu ou connu de près, m’a-t-on dit, la plupart des personnages qui ont tenu un rôle public à votre époque ; vos souvenirs constitueraient un document historique de grand prix. » Et j’écris, comme j’ai écrit autrefois Les Rapaillages et les deux romans d’Alonié de Lestres, par pur divertissement.

POURQUOI J’AI ÉCRIT CES MÉMOIRES

Même si je ne les ai écrits que par passe-temps, je ne me sens pas délivré de tout scrupule. N’aurais-je pas dû employer ce délassement à quelque emploi, quelque travail plus conformes aux exigences de la vie sacerdotale ? Il y a des passe-temps qui peuvent s’accorder avec l’action apostolique. Ce motif ou cet aperçu précisément est celui-là qui m’a fait persévérer dans l’accumulation de ces pages.

Quand la Providence m’a tiré de Valleyfield pour m’asseoir dans une chaire, à l’Université de Montréal, et m’y confier l’enseignement de l’histoire de mon pays, on m’a tant dit, et d’excellentes âmes me l’ont dit et répété : j’étais devenu un chargé de mission. Et cela voulait dire, dans leur esprit, une mission envers mes compatriotes canadiens-français. À un petit peuple en train de perdre son histoire, sa civilisation, son âme, ma tâche aurait consisté à lui rappeler son passé, les éléments spirituels de sa culture, de sa civilisation, et par là, lui faire retrouver son âme, et du même coup, le destin que Dieu y a inscrit.

Cette mission fut-elle vraiment la mienne ? J’aurais quelque raison de le penser, puisque je n’ai rien fait que par obéissance à mes supérieurs et avec leurs encouragements. Or, si j’écris ces pages où je résume le travail, les soucis de ma vie, les idées que j’ai essayé de mettre en circulation, c’est avec l’espoir de continuer quelque peu, quand je n’y serai plus, ce pourquoi j’ai vécu. J’essaie de continuer ma mission, si tant est que cette mission fût celle que l’on a présumée.