Les Fleurs du mal (Revue des Deux Mondes)/Moesta et errabunda
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X.
MŒSTA ET ERRABUNDA.
Dis-moi, ton cœur parfois s’envole-t-il, Agathe,
Loin du noir océan de l’immonde cité,
Vers un autre océan où la splendeur éclate,
Bleu, clair, profond, ainsi que la virginité ?
Dis-moi, ton cœur parfois s’envole-t-il, Agathe ?
La mer, la vaste mer console nos labeurs.
Quel démon a doté la mer, — rude chanteuse
Qu’accompagne l’immense orgue des vents grondeurs, —
De cette fonction sublime de berceuse ?
La mer, la vaste mer console nos labeurs.
Emporte-moi, wagon ! enlève-moi, frégate !
Loin ! — loin ! — ici la boue est faite de nos pleurs !
— Est-il vrai que parfois le triste cœur d’Agathe
Dise : Loin des remords, des crimes, des douleurs,
Emporte-moi, wagon, enlève-moi, frégate ?
Comme vous êtes loin, paradis parfumé,
Où sous un clair azur tout n’est qu’amour et joie,
Où tout ce que l’on aime est digne d’être aimé,
Où dans la volupté pure le cœur se noie !
Comme vous êtes loin, paradis parfumé !
Mais le vert paradis des amours enfantines,
Les courses, les chansons, les baisers, les bouquets,
Les violons mourans derrière les collines
Avec les pots de vin, le soir, dans les bosquets,
— Mais le vert paradis des amours enfantines,
L’innocent paradis, plein de plaisirs furtifs,
Est-il déjà plus loin que l’Inde et que la Chine ?
— Peut-on le rappeler avec des cris plaintifs,
Et l’animer encor d’une voix argentine,
L’innocent paradis plein de plaisirs furtifs ?