Monographies politiques/Henri IV/01
HENRI IV.
Dans les nombreux panégyriques inspirés par le conquérant pacificateur de son royaume, on s’est plutôt attaché à mettre en relief les qualités personnelles du Béarnais qu’à juger l’œuvre même dont il fut l’instrument. Celle-ci mériterait pourtant une appréciation sérieuse, car elle fut inspirée par des idées très différentes de celles qui avaient prévalu jusqu’alors, et elle ouvrit une ère nouvelle pour la France et pour l’Europe.
Jamais prince ne fut plus propre que Henri de Béarn à la tâche que lui imposèrent les évènemens. Pour l’accomplir, ses défauts ne lui servirent peut-être pas moins que ses qualités. Si devant une sérieuse critique on voit disparaître le héros virgilien chanté dans un fastidieux poème, et le preux chevalier dont on s’est accoutumé à dessiner la brillante silhouette sur des mots heureux et des aventures galantes, il reste pour la postérité un prince d’autant de jugement que de courage, aussi propre aux transactions qu’à la guerre, aussi habile à résister à ses amis qu’à triompher de ses adversaires. Marchant vers son but avec une rare persistance, sachant entretenir le dévouement des siens sans leur en payer jamais le prix au préjudice de ses intérêts, combinant enfin tous les profits du calcul avec toutes les séductions de la spontanéité, Henri IV était l’homme le plus propre à maîtriser cette société dissolue, qui, long-temps exploitée par des médiocrités ambitieuses, ne pouvait manquer, ne fût-ce que par lassitude, de se reposer sous la main du plus persévérant et du plus habile.
La royauté n’avait été jusqu’à lui que le couronnement de l’édifice social ; Henri s’efforça d’en faire la base même de la société française, et prépara presque toutes les choses accomplies sous son successeur. À l’avénement du premier prince de la maison de Bourbon se rattache la chute du régime municipal, qui avait fait la force de la ligue, et la prépondérance de la noblesse de cour, sur laquelle s’était appuyé le monarque pour combattre la bourgeoisie et le clergé, étroitement associés dans une résistance commune.
À ce règne remonte enfin le nouveau droit public européen qu’on entreprit de fonder sur l’équilibre des puissances, lorsqu’il devint nécessaire de suppléer par des combinaisons dynamiques à la pensée qui, après avoir constitué la chrétienté, venait de succomber sous la réforme. Cette époque marque donc la fin de beaucoup de choses et le commencement de beaucoup d’autres. Il y a toujours profit à l’étudier, lors même qu’on n’espérerait pas l’éclairer par des documens nouveaux. Je veux en retracer rapidement l’esquisse, afin de juger à son origine même la conception politique du chef de la maison de Bourbon ; je veux surtout rappeler sous quelles influences se développa le grand mouvement qu’il fut donné à Henri IV de régler et de contenir.
La monarchie s’était transformée depuis que la maison de Valois présidait aux destinées de la France. Les rois avaient conquis leur couronne à la pointe de l’épée, en ce sens du moins que ce n’était plus du siége lointain de leurs souverainetés indépendantes que les grands vassaux menaçaient l’impuissant suzerain. Les incidens de la longue guerre qui avait assuré l’indépendance nationale au XVe siècle, les entreprises habilement machinées de Louis XI et l’extinction de la plupart des anciennes maisons princières, avaient fait passer aux mains des membres de la famille royale les apanages et presque tous les grands gouvernemens du royaume. La plupart des hauts seigneurs avaient transporté leur domicile à la cour, et c’était contre les princes de son sang que la royauté était désormais appelée à défendre ses prérogatives. Le Louvre était devenu le centre de toutes les intrigues, le siége de tous les complots, le foyer où toutes les ambitions venaient se concentrer pour exploiter la faveur du monarque ou s’imposer à lui par la force.
Jamais la royauté n’avait été entourée de plus d’éclat, et jamais elle n’avait été plus impuissante. La force était partout, excepté dans ses mains. Les grandes villes s’administraient elles-mêmes et traitaient avec les envoyés du prince du haut de leurs remparts crénelés ; le clergé, indépendant par sa richesse territoriale et régi par ses propres assemblées, ne tenait à la couronne que par les heureuses dispositions du concordat récemment conclu par François Ier. Si la noblesse avait cessé d’exercer dans ses domaines la souveraineté à laquelle elle aspirait en d’autres temps, elle en avait conservé l’administration presque tout entière. Ses baillis y appliquaient les lois, les fourches de ses justices épouvantaient les peuples, et ses membres se présentaient seuls aux montres pour former les contingens militaires, dont la couronne ne disposait que pour un temps fort court et sous des conditions déterminées. Les parlemens, élevés par la politique royale pour combattre l’aristocratie féodale, commençaient à fonder leur indépendance et réclamaient des droits que la royauté entendait concentrer entre ses mains. La faculté de choisir parmi les princes du sang et les grands du royaume des gouverneurs de province investis, par le seul fait de leur nomination, de toutes les prérogatives de la souveraineté, le pouvoir de lever quelques compagnies régulières et de soudoyer des reîtres à l’étranger pour les opposer aux armemens des dépositaires infidèles de leur autorité, telles étaient les seules attributions de la couronne au moment où la plus grande crise des temps modernes vint troubler toutes les consciences, remuer tous les intérêts, agiter toutes les passions, de l’une à l’autre extrémité de l’Europe.
Lorsque la lance de Montgommery eut frappé Henry II dans les pompes d’une fête, il fut facile de prévoir à quelle impuissance la royauté serait réduite, et quel abîme de calamités allait s’ouvrir pour le royaume. Des princes dont l’aîné portait au front le signe de sa mort prochaine, et dont les autres touchaient encore à l’enfance, survivaient seuls de cette maison de Valois qui avait régné sur la France pendant plus de deux siècles. Ils avaient tous hérité de la légèreté pétulante et de l’irrésistible entraînement vers la gloire et vers le plaisir qui caractérisèrent la plupart des souverains issus de cette race brave et frivole. Une étrangère était appelée à soutenir le pouvoir chancelant au milieu des ambitions qui s’apprêtaient à le dévorer. Catherine de Médicis avait été nourrie dans les pratiques de ces petits états de l’Italie, pour lesquels la trahison et le meurtre étaient devenus des moyens réguliers de gouvernement. Les odieuses théories émises pour les justifier, les élégances d’une vie raffinée, plus corrompue par l’esprit que par les sens, tous ces enseignemens et tous ces exemples avaient pénétré avec la Florentine dans la demeure de nos rois. Jamais influences pestilentielles n’altérèrent d’une manière plus rapide et plus prompte la pureté du caractère national. La France avait vu long-temps le sang couler dans sa capitale et jusque sur les marches du trône ; mais, avant cette époque, le crime avait toujours parmi nous gardé son nom : il n’avait jamais été travesti en maxime d’état, en système de politique journalière. Si les passions de nos pères étaient ardentes, quelquefois impitoyables, elles n’appelaient pas à leur aide la dague et les maléfices, les drogues des empoisonneuses et l’art des nécromanciens. Ce fut à l’Italie du XVe siècle que la France dut tout cela, et, dans ce triste commerce, elle troque presque toutes ses vertus contre les vices qui allaient le moins à sa nature et à son génie.
Il faut avoir cette considération toujours présente à l’esprit pour comprendre la physionomie de la France dans la seconde moitié du XVIe siècle. Les trahisons, les meurtres et les guet-apens de cour, les doctrines homicides qui se répandirent dans la nation et que la chaire chrétienne accueillit trop souvent, tout ce dévergondage d’action et de parole, toute cette corruption de l’intelligence, la seule qui ne soit pas sans remède, émanait de l’Italie comme d’une sentine ouverte sur l’Europe. La ligue aurait été la plus admirable, et l’on peut dire la plus sublime des manifestations populaires, si à la pensée religieuse qui animait les masses pour la conservation de leur foi nationale, ne s’étaient jointes des inspirations plus calculées, et si le génie florentin n’avait déteint sur les chefs de ce grand mouvement tout autant que sur leurs adversaires. Machiavel a exercé sur les contemporains de Catherine de Médicis une action aussi universelle que celle de Voltaire sur la génération qui l’a suivi. L’un faussa le mouvement religieux de 1590, comme l’autre a détourné de sa direction naturelle la révolution politique de 1789. Il en est presque constamment ainsi dans l’histoire : le présent y porte toujours le poids des erreurs et des passions du passé. C’est parce qu’il est rarement donné à des principes de se développer en dehors de toute influence étrangère à eux-mêmes qu’il faut se garder de les juger en les isolant du milieu qui les transforme et les modifie.
À l’époque où Catherine se trouva chargée du poids de cette couronne, trop lourde pour la tête mourante de François II, la cour avait trop d’intérêts particuliers à ménager pour concevoir quelque chose qui ressemblât à une politique nationale. D’un côté s’élevaient les princes lorrains, puissans par leur origine carlovingienne, leurs alliances royales et les grands gouvernemens dont ils étaient revêtus. Le duc de Guise avait sauvé la France en défendant Metz contre les forces impériales, et consommé l’œuvre de Duguesclin en arborant la bannière fleurdelisée sur les remparts de Calais. Le cardinal de Lorraine, l’une des lumières de l’église, n’était pas moins puissant par sa doctrine au concile de Trente que par son habileté et son esprit de décision au sein du cabinet. Insatiables de grandeur et d’influence, les Guise s’étaient approprié la grande maîtrise de la maison du roi, au préjudice du vieux connétable de Montmorency, et avaient enlevé à la maison de Châtillon et à ses créatures des gouvernemens de province et des commandemens de place que celle-ci entendait reprendre. Cette puissante maison, étroitement liée par le sang à celle du connétable, était alors représentée par trois frères, dont l’un commandait l’infanterie de la France, dont l’autre portait le titre d’amiral de ses flottes, dont le troisième, élevé à la plus haute dignité de l’église, donna le scandale d’un mariage et d’une apostasie, et contribua, par une activité infatigable, à réunir pour jamais les intérêts de la réforme et ceux de sa famille.
Bientôt une autre maison, dont la haute origine faisait ressortir davantage la position besogneuse, vint agiter pour son propre compte le théâtre où grandissaient chaque jour aux dépens de l’autorité royale les deux factions de Lorraine et de Châtillon. Les princes de la branche de Bourbon parurent à la cour de François II, portant encore le poids d’impopularité qui s’attachait au nom du connétable, ce grand ennemi de la France. Antoine de Bourbon, son chef, avait trouvé, par son mariage avec l’héritière nominale du royaume de Navarre, une fortune que la pauvreté de sa maison lui faisait estimer encore plus douce ; il n’aspirait guère qu’à la conserver en se dérobant aux agitations qui bouleversèrent sa vie, quelques efforts qu’il fit pour leur échapper, au prix de sa dignité, pour ne pas dire de son honneur ; mais le prince de Condé, son frère, dont un mariage royal n’avait pas relevé la triste fortune, sentait dans toute son amertume la déchéance de sa race et l’espèce d’amnistie dont elle portait le poids. Il éprouvait l’ardent désir de la replacer au niveau de son origine en lui reconquérant une place usurpée par des princes étrangers au sang de saint Louis, et les périls mêmes qu’il avait à traverser dans sa lutte contre la maison de Lorraine étaient un stimulant pour cet esprit aussi enclin à l’action qu’au plaisir et à l’intrigue qu’à la guerre. Condé décida du sort de la maison de Bourbon, car le parti pris par le chef de la branche cadette entraîna bientôt le jeune représentant de la branche aînée. Il aurait suffi du seul conflit de ces ambitions princières pour troubler le règne d’une femme et d’un enfant. Ces grandes factions réunissaient en effet tous les personnages dont le nom faisait alors autorité dans la nation, dans l’église ou dans l’armée, et la royauté n’aurait pu trouver en dehors d’elles ni force matérielle ni force morale.
Cette époque était donc prédestinée à des luttes inévitables. Toutefois, ces luttes se seraient livrées à la surface de la société, et auraient fini, comme toutes les prises d’armes de cette nature, par transaction ou par lassitude, si un intérêt plus élevé n’était venu agrandir la sphère où s’agitaient toutes ces cupidités. Dans sa course rapide à travers l’Europe, le protestantisme avait rompu l’unité de l’Allemagne, bouleversé l’Angleterre, changé la face des monarchies du Nord. De Genève, il s’étendait sur la France, et faisait les plus grands efforts pour vaincre les résistances qu’il rencontra dès l’origine dans les corps de l’état et surtout dans le pouvoir municipal, expression et organe des populations elles-mêmes.
À juger de la réforme par l’état où elle est aujourd’hui descendue, on a quelque peine à s’expliquer l’ardeur et le dévouement de ses premiers apôtres. Le protestantisme ne présente nulle part aujourd’hui un corps de doctrine religieuse, et, en l’envisageant sous cet aspect, il est assurément moins menaçant pour l’unité catholique que ne le fut l’arianisme au IVe siècle, ou le pélagianisme au Ve. Si l’on ne mettait au premier rang les circonstances politiques qui firent du protestantisme l’instrument d’une révolution européenne, il serait impossible de s’expliquer une propagation aussi rapide, car quelle œuvre reposa jamais sur des idées moins concordantes, quelle doctrine marcha aussi audacieusement de contradictions en contradictions ? La réforme proclamait l’indépendance de la raison humaine en continuant de l’enchaîner à des dogmes laissés désormais sans interprétation comme sans autorité. En prétendant maintenir à la parole divine son action souveraine sur l’humanité, elle subordonnait cette parole elle-même à tous les caprices de notre orgueil, à toutes les faiblesses de notre intelligence. Si elle conservait au christianisme son caractère de révélation surnaturelle, c’était en arrachant à celle-ci l’infaillibilité qui la conserve, et sans laquelle l’œuvre de Dieu se trouve soumise à celle de sa créature. Abîme d’incohérence et de non-sens, le protestantisme attribuait à l’esprit de l’homme l’interprétation de la parole divine, alors qu’il déniait le libre arbitre à sa conscience ; combinant l’austérité et le relâchement, il exagérait les rigueurs inutiles et supprimait les pratiques nécessaires, il jetait le prêtre marié dans tous les soucis de la vie du monde, en même temps qu’il refusait au monde la consolation et l’appui du tribunal de la pénitence.
Si le temps a pu mettre en relief ces contradictions de la réforme, elles n’échappaient nullement au siècle grave et savant qui la vit naître. Aussi faut-il reconnaître que, si en moins de trente années l’hérésie s’étendit sur la moitié de l’Europe, de tels progrès ne pouvaient s’expliquer que parce que Luther perpétra une révolution sociale en affectant de poursuivre une révolution religieuse.
Débarrasser les princes électeurs du joug que faisaient peser sur eux les constitutions de l’empire germanique, faciliter à Henri Tudor ses sanglans hyménées, permettre à Gustave Wasa de rémunérer les services de ses pauvres compagnons par le pillage des églises et la distribution des terres ecclésiastiques, livrer à la dévastation, des bords de la Baltique à ceux de la Méditerranée, les vieilles abbayes, les nobles commanderies et les manses épiscopales, ce n’était pas faire de la théologie, et je ne sais pas d’œuvre plus exclusivement politique que celle-là.
En substituant à l’unité du saint-empire une anarchie au sein de laquelle s’arrondirent quelques souverainetés au détriment de la patrie commune ; en battant monnaie dans tout le nord de l’Europe avec les vases du sanctuaire ; en recommençant en Angleterre, au profit de l’aristocratie, épuisée par les guerres civiles, l’œuvre de spoliation consommée en d’autres temps par la conquête normande, Luther a été un révolutionnaire pur et simple, et, dans sa pensée intime, le temps qu’il donnait à la controverse n’était pas certainement le plus utilement employé. La France se trouva menacée à son tour par l’invasion protestante. C’est un des momens les plus solennels de son histoire, et de l’histoire du christianisme tout entier. Son adhésion à la réforme aurait porté à l’unité catholique un coup terrible ; cette défection eût tôt ou tard entraîné l’Europe méridionale, déjà menacée par Venise et par le nord de l’Italie. La France triompha dans cette épreuve par l’énergie de sa foi populaire, le calvinisme ne parvint pas à identifier sa puissance avec celle de la royauté et de l’aristocratie aussi étroitement que dans le reste de l’Europe, par un concours de causes qu’il est important d’observer.
La Providence, qui semble réserver la France à une mission religieuse dont elle n’a pas conscience entière, avait en quelque sorte pris ses mesures à l’avance pour l’empêcher d’être envahie par l’hérésie. Sans être irréprochable, le clergé français était moins dissolu que celui dont Luther avait pu signaler avec trop de justice les vices et les souillures. D’un autre côté, aux mauvais rapports qui avaient existé entre Louis XII et Jules II avaient succédé, depuis l’avènement de Léon X à la papauté, les relations les plus bienveillantes. Le concordat conclu avec le pontife réservait aux rois très chrétiens la nomination directe aux évêchés et la collation de la plupart des bénéfices. Cette prérogative épargnait à la royauté la principale tentation d’une rupture. Les dignités ecclésiastiques directement conférées par la couronne étaient d’ailleurs le plus souvent attribuées à la noblesse de cour, et si cet usage eut pour résultat regrettable d’affaiblir l’esprit ecclésiastique, il empêcha du moins l’aristocratie française de convoiter les dépouilles de l’église avec autant d’ardeur que dans le nord de l’Europe. Enfin l’unité nationale était trop fortement constituée à cette époque pour qu’il fût possible d’aspirer à la briser au profit des ambitions princières, comme cela s’était fait en Allemagne. Au XVIe siècle, toutes les grandes provinces de la monarchie étaient réunies à la couronne, et quelques efforts qu’aient tentés pendant près d’un siècle les chefs successifs des réformés, depuis le premier prince de Condé jusqu’au dernier duc de Rohan, pour provoquer le morcellement du territoire, leurs projets de fédéralisme n’en ont jamais compromis gravement l’intégrité. Si ce grand travail d’assimilation territoriale n’avait été terminé avant les derniers Valois, la réforme aurait trouvé dans le royaume un accès beaucoup plus facile.
Les parlemens repoussèrent aussi le protestantisme par esprit de corps et par intérêt de parti. Ils s’étaient attribué des droits d’intervention exagérés sans doute sur les juridictions ecclésiastiques et la discipline même de l’église ; mais cette intervention suffisait à leur ambition, et leur orgueil trouva autant de profit à rester gallicans qu’à se proclamer calvinistes. Quant aux universités, qui, à de rares exceptions près, furent le centre de la plus vive résistance aux doctrines protestantes, on sait qu’elles repoussaient alors systématiquement toute innovation, quelle qu’en fût la nature : elles luttèrent contre le protestantisme dans le même esprit qu’elles mettaient à défendre l’inviolable autorité de la philosophie d’Aristote ; elles restèrent stationnaires en religion comme en philosophie, moins peut-être par piété que par pédantisme.
Aucune cause générale ne favorisait donc en France la diffusion du protestantisme ; il s’y trouva livré à ses propres forces, au lieu de devenir comme en Angleterre, en Suède, en Prusse et dans presque tout le reste de l’Allemagne, l’auxiliaire et l’instrument du pouvoir. Il fut vaincu dans cette lutte corps à corps contre le génie national, car dix siècles de l’histoire s’élevèrent contre lui. En France, plus encore que dans le reste de l’Europe, l’église avait constitué la nation. L’invasion musulmane s’était arrêtée aux plaines de Tours, le cri puissant des croisades était sorti de poitrines françaises, et la chevalerie avait, par un lien mystique, uni l’esprit nobiliaire à l’esprit religieux. La France avait presque toujours été l’auxiliaire des pontifes romains dans leur politique en Italie, quoiqu’elle eût maintenu avec une singulière et jalouse persévérance la liberté d’action de la couronne, depuis saint Louis jusqu’à Charles VII. Aucun peuple n’avait pris autant de soin pour combiner l’indépendance de la puissance temporelle avec les droits de l’unité religieuse, et le gallicanisme, dans ses prétentions exorbitantes, était devenu comme une sorte d’inoculation anticipée de la réforme, devant laquelle les progrès du protestantisme s’étaient soudainement arrêtés. Depuis le commencement du siècle, les merveilles de la renaissance avaient développé des goûts peu conciliables avec la nudité d’un culte iconoclaste ; enfin l’austérité qu’affectait la réforme n’allait pas à la génération qui, après avoir vu les scandales de François Ier, était destinée sur ses vieux jours à contempler les adultères publics de Henri IV.
La réforme ne s’étendit en France que par voie de conquête individuelle. On comprend dès-lors que, de tous les pays de l’Europe, la France soit celui où les convictions calvinistes aient été le plus désintéressées et le plus sincères. La doctrine de Calvin fit d’assez grands progrès dans quelques villes et surtout dans les nombreux châteaux de la noblesse éloignée de la cour. Plus tard, dans les provinces méridionales du royaume, un levain d’hérésie, dont la fermentation était vieille de plusieurs siècles, vint lui prêter l’énergie populaire qui lui manqua presque toujours ailleurs.
Il était impossible qu’à raison de leur faiblesse numérique, les réformés ne recherchassent pas l’appui de l’une des grandes factions de cour qui se disputaient le gouvernement. Le prince de Condé et les Châtillon, qui avaient associé leurs efforts pour supplanter les Guise, vers lesquels inclinaient toutes les préférences de François II et de Marie Stuart, leur nièce, profitèrent avec une habileté peu commune de tous les incidens d’une lutte soutenue en commun pour identifier les destinées du protestantisme avec celles de leur propre parti. Ils y avaient déjà rallié la plus grande portion de la noblesse provinciale : cette association scella l’union de plus en plus intime de l’aristocratie et de la réforme, du moins dans le midi du royaume.
Au début de la lutte, les ambitions de cour parurent au premier plan de la scène, et les religionnaires restèrent encore relégués sur le second. Tel fut le caractère de la ténébreuse conspiration d’Amboise, exécutée par des instrumens ignorans de l’œuvre pour laquelle ils étaient convoqués. Mais les passions fortes et les convictions sérieuses reprirent promptement dans ce conflit la suprématie qui leur appartient toujours, et la mesquine rivalité des Châtillon et des Guise fut bientôt élevée à toute la hauteur d’une guerre de religion. Dès l’avénement de Charles IX, une immense question avait surgi, celle de savoir quelle place il convenait de faire dans la constitution du royaume très chrétien aux novateurs qui, déplaçant la base de cette constitution elle-même, se séparaient de l’unité religieuse et menaçaient de briser l’unité politique.
Cette question était assurément la plus grave et la plus délicate qui pût alors être agitée, car l’admission des hérétiques à la jouissance du droit commun et à l’égalité civile était une chose jusqu’alors sans exemple au sein de l’Europe chrétienne. Dans la ferme croyance du temps, il n’était pas moins nécessaire d’être fils de l’église que d’être régnicole pour faire partie de la grande société française. Abjurer la foi commune, c’était répudier la patrie même. Les peuples vivaient par une seule pensée, autour de laquelle ils avaient enlacé leur avenir comme leur passé. Cesser d’être catholique, c’était se séparer de l’histoire et de la constitution du pays telle que les siècles l’avaient faite ; déserter la vieille cathédrale des aïeux pour le temple construit d’hier était un acte aussi énorme que le serait dans nos idées modernes l’abandon du drapeau, symbole visible de la nationalité. Dans une contrée où les parlemens appliquaient les décisions des conciles, où les deux puissances distinctes en principe étaient toujours confondues dans leur action par les légistes et par les peuples, l’hérésie était une rébellion contre l’état même. Les édits contre les religionnaires étaient les lois de septembre du XVIe siècle. Comment n’eût-il pas paru tout aussi rationnel de protéger alors le symbole de Nicée par des dispositions pénales, qu’il a pu l’être de nos jours de mettre sous la protection des lois le droit que le roi tenait de sa naissance, selon la charte de 1814, ou celui qu’il tient du vœu de la nation, selon la charte de 1830 ?
Il fallait de longs et rudes assauts pour entamer cette grande idée de la chrétienté qui planait sur l’Europe depuis Charlemagne, et qui n’était pas demeurée moins vivace chez les réformés que chez les catholiques. Où donc a-t-on vu que les religionnaires aient appliqué, dans les états où il leur fut donné de prévaloir, le principe tout moderne de la liberté de conscience et surtout celui de l’égalité complète des croyances dans l’ordre politique ? Était-ce là ce que disaient Luther, Calvin et Zwingle ? était-ce là ce que faisaient Gustave Wasa et la papesse Élisabeth ? Les temps présens ne viennent-ils pas malheureusement confirmer encore sur ce point les enseignemens du passé ? Les pays les plus hostiles au nouveau droit public européen fondé sur l’incompétence de l’état en matière de religion ne sont-ils pas ceux où la réforme s’est enlacée comme une plante parasite au vieux tronc dont elle aspire la sève ? La France avait, même avant 1789, rendu l’état civil et l’égalité politique aux protestans. La Suède et le Danemark sont encore loin du temps de Louis XVI, et si le grand scandale de la persécution légale touche à son terme en Angleterre, c’est aux efforts persévérans de la plus pauvre des nations catholiques qu’il faut en attribuer la gloire.
Combien de temps la réforme résistera-t-elle à la liberté ? Dieu seul le sait. Quant à nous, nous acceptons de grand cœur l’épreuve nouvelle préparée par les âges. La séparation complète des deux puissances nous apparaît comme l’un des plus grands bienfaits que la Providence ait ménagés au catholicisme. En accueillant avec confiance ce grand changement, le culte catholique a fait aux docteurs qui arguaient de son immobilité la réponse du philosophe : il a marché.
Sachons ne pas nous étonner si les contemporains de Charles IX et de Henri III n’envisageaient pas les questions comme nous le faisons aujourd’hui, et s’ils résistaient avec énergie à des faits dont la portée peut nous paraître insignifiante. Les seules transactions durables sont celles que les évènemens ont préparées ; c’est se condamner à l’impuissance et parfois s’exposer à un martyre inutile, que de devancer le temps en prétendant substituer son œuvre propre à celle des siècles.
L’Hospital eut à la fois ce malheur et cette gloire ; il appartenait moins à son siècle qu’au nôtre. Les espérances de conciliation et de paix obstinément poursuivies pendant le cours de sa carrière le rendirent presque étranger à la génération belliqueuse au milieu de laquelle il était condamné à vivre. Il est aussi dangereux de devancer son époque que de ne pas marcher avec elle, et dans les affaires les presbytes sont aussi impuissans que les myopes. Entre Coligny et le cardinal de Lorraine, le célèbre chancelier ne pouvait manquer d’être effacé et n’était appelé à laisser dans l’histoire que le stérile souvenir de ses bonnes intentions. L’édit de Romorantin, l’édit d’Orléans, toutes les mesures de pacification successivement essayées de 1560, à 1572 avaient un défaut capital, c’est de n’être sincèrement acceptées d’aucun des deux partis. Aux yeux des huguenots comme à ceux des catholiques, les mesures déterminées par les chances de la guerre, et variables comme ces chances elles-mêmes, étaient plutôt des armistices que des actes permanens placés sous l’inviolable garantie de la foi jurée. Il serait d’ailleurs impossible de signaler, même dans les ordonnances les plus favorables aux religionnaires rendues sous le règne de Charles IX, aucune disposition qui impliquât la conquête du principe de la liberté de conscience telle qu’elle a été plus tard comprise et entendue. Si la libre pratique de leur culte était accordée aux protestans, c’était seulement dans les domaines des seigneurs possédant haute justice, ou bien encore dans l’enceinte de quelques villes déterminées, en exceptant toujours, par une disposition formelle, la résidence royale et spécialement la vicomté de Paris. Jamais le tiers-parti ne tenta davantage, même par l’édit de janvier, le premier pas du chancelier dans une route qui devait être marquée pour lui par tant de déceptions. Nous verrons bientôt dans quel sens se modifia sous Henri III l’esprit de ces conventions, devenues plus tard de véritables traités passés avec l’ennemi au même titre qu’avec l’étranger, selon la fortune des armes.
Les mesures conciliatrices de L’Hospital vinrent se briser contre d’invincibles résistances. Le peuple voyait un hérétique dans le magistrat qui se refusait à partager ses haines, et s’écriait dans ses suspicions outrageantes : Dieu nous garde de la messe du chancelier[2]. Les parlemens résistaient à ses édits et ne consentaient à les enregistrer que sur des lettres de jussion et après des protestations éclatantes. Cette résistance était plus vive encore au sein des corporations municipales placées par leur constitution même hors de l’action d’un gouvernement désarmé, et qui, délibérant comme des corps souverains dans l’enceinte de la cité fortifiée, s’inquiétaient fort peu des belles harangues de M. le chancelier aux états d’Orléans ou à l’assemblée de Saint-Germain. Le plus grand nombre des bonnes villes avaient entrevu dans la réforme une menace contre les droits que leur avait légués un passé encore plein de sève ; elles la repoussaient comme un attentat aux douces croyances et aux pompeuses cérémonies qui constituaient alors la poésie même de l’existence. En voyant le protestantisme appuyé sur l’aristocratie territoriale marcher à la conquête religieuse et politique de l’Europe dans toute la ferveur de son prosélytisme, la bourgeoisie française, celle de Paris en particulier, comprit d’instinct qu’il fallait ou renoncer à sa foi, ou combattre à outrance pour rester maîtresse du terrain ; elle prit noblement ce dernier parti, et sut le poursuivre jusqu’au bout. En fermant l’accès du trône à Henri IV jusqu’à son abjuration, elle sauva le catholicisme en France ; mais ce fut pour périr elle-même à l’œuvre, successivement dépouillée de tous les élémens qui avaient fait sa force, effacée pendant deux siècles de la scène politique où elle ne devait plus reparaître qu’au jour d’une réaction terrible.
Catherine de Médicis, dont le cœur ne palpita que pour le pouvoir, s’il battit jamais pour quelque chose, voyait avec la plus complète indifférence la lutte dogmatique ouverte entre les docteurs des deux religions, lutte dont elle avait espéré d’abord tirer quelque parti dans l’intérêt de sa puissance. Obsédée par une idée fixe, tout entière à l’espoir d’établir l’ascendant de la royauté entre les deux factions qui se disputaient l’exploitation du royaume, la régente consuma sa vie en efforts non moins furieux qu’impuissans pour atteindre un résultat impossible. On la vit d’abord se lier aux Châtillon et repousser les Guise, parce que, le parti protestant étant plus faible que le parti catholique, elle crut qu’il serait plus facile de le dominer ; mais les Guise, ayant promptement pénétré la pensée de Catherine, opposèrent à la déférence systématique des réformés une ardeur non moins systématique et non moins efficace. Ne pouvant se faire agréer de la reine, ils résolurent de la faire trembler, et la sommèrent de choisir entre eux et leurs ennemis. La régente subit alors la pire condition pour les ambitieux, celle de servir d’auxiliaires dans leur propre parti, au lieu d’en être l’ame.
Le duc de Guise s’étant entendu avec le duc de Montmorency et le maréchal de Saint-André, on vit s’élever le triumvirat fameux dont l’accord rendit vains tous les efforts de Catherine pour ressaisir le pouvoir. Pendant douze ans, cette femme étrangère à toutes les émotions de son siècle fut condamnée à des manœuvres stériles entre des partis énergiques et convaincus. On la vit dépenser dans une poursuite vaine une souplesse sans égale et une fécondité d’esprit incomparable. C’est qu’il est des temps où l’on ne peut agir qu’en résumant en soi les forces vives qui les dominent. La nature avait créé Catherine incapable d’un tel rôle. Un jour, lassée de ses tentatives inutiles, elle voulut jouer ce rôle de sang-froid, en suppléant par un affreux calcul de l’esprit à la passion dont elle était dépourvue ; c’est pour cela surtout que la mémoire de Catherine restera maudite dans la postérité, et qu’au souvenir de la Saint-Barthélemy elle ne pourra pas même opposer l’horrible excuse qui ne manque pas toujours aux bourreaux, et que Dieu pèse dans sa justice.
Il est difficile d’éclaircir, d’après des témoignages contemporains, les motifs véritables des diverses prises d’armes qui vinrent, en moins de dix années, interrompre le cours de cette paix si laborieusement préparée par la régente, et qui la fuyait toujours comme une ombre insaisissable. Les violences commises à Vassy en 1562 par l’escorte du duc de Guise, la querelle survenue au souper de la reine, en 1567, entre le prince de Condé et le duc d’Anjou pour la lieutenance générale du royaume, enfin le projet attribué l’année suivante à la cour de faire enlever les deux chefs des réformés pendant qu’ils profitaient dans leurs terres du bénéfice de la seconde paix ; ces évènemens précipitèrent peut-être les résolutions décisives, comme le veulent les historiens, mais il y aurait à coup sûr bien peu de clairvoyance à les regarder comme les causes mêmes de la guerre. Ces causes étaient plus générales et plus profondes ; elles gisaient en quelque sorte dans l’air embrasé que respiraient les partis. Jamais les édits de pacification n’avaient reçu d’exécution sérieuse. D’un côté, les protestans s’efforçaient d’en étendre les dispositions en prêchant hors des limites où l’exercice de leur culte était strictement confiné ; de l’autre, les catholiques employaient la violence pour empêcher, dans les lieux où ils se trouvaient les plus forts, ce qu’ils considéraient comme un scandale. Les provocations succédaient aux provocations, et le sang coulait impunément chaque jour sur tous les points du royaume. Lorsqu’une cause morale domine à ce point les évènemens, il n’est pas d’étude plus stérile que celle d’en démêler l’origine accidentelle.
En se développant dans leur cours irrésistible, ceux-ci apprirent bientôt à Catherine qu’il fallait, malgré les leçons du Prince, renoncer à la pensée de battre l’un des partis par la main de l’autre, et à l’espoir de terminer cette grande lutte par quelques meurtres particuliers. La direction des évènemens avait échappé depuis long-temps aux hommes mêmes qui les avaient provoqués, et ceux-ci avaient déjà presque tous disparu de cette scène agitée. Le prince de Condé était tombé à Jarnac sous l’arquebuse de Montesquiou, le duc de Guise avait été assassiné devant Orléans par un serviteur de Châtillon, le connétable avait péri à Saint-Denis, le maréchal de Saint-André à Dreux, le roi de Navarre avait succombé à la blessure reçue au siége de Rouen, au moment où il rêvait dans la tranchée au repos qu’il goûterait un jour sous les orangers des Baléares. Tous ces grands chefs n’étaient plus, la guerre et l’assassinat en avaient délivré le royaume. Pourtant la situation était plus troublée et le pouvoir royal plus impuissant que jamais. Catherine n’avait pas marché d’un pas plus assuré dans cette route que la mort avait ainsi nivelée devant elle. Subissant donc dans toute son étendue l’empire des passions soulevées, après s’être reconnue incapable de les contenir, la reine-mère résolut un jour de faire oublier à force d’audace les longues hésitations de sa pensée et la duplicité de sa conduite. Mettre un abîme entre elle et les réformés, donner un gage terrible aux catholiques, lui parut une combinaison habile et sûre pour échapper à ses propres incertitudes et pour conquérir cette prépondérance qu’elle poursuivait en vain depuis si long-temps.
C’était en 1572 : la paix était faite depuis deux ans, une paix pleine de troubles et de soupçons, comme toutes celles qui l’avaient précédée, et qui ne permettait pas de compter sur le lendemain. Cependant les chefs des deux partis étaient tranquilles, car on avait ménagé tous les intérêts particuliers et largement servi la cupidité des grands, à quelque religion qu’ils appartinssent. Coligny se montrait au Louvre à côté du jeune duc de Guise, et, sur l’ordre du monarque, celui-ci s’asseyait à la table royale près de l’homme auquel il imputait l’assassinat de son père. L’austère Jeanne d’Albret avait quitté ses montagnes, et consentait à voir de ses yeux les pompes de la cour catholique ; Henri de Béarn, son jeune fils, était appelé à l’honneur de la plus haute alliance du royaume, et Charles IX l’allait chercher dans le camp des huguenots pour l’appeler son frère. L’enivrement des plaisirs succédait à celui des armes. Le Louvre se dépouillait du sombre appareil dont il était revêtu depuis si long-temps, et sous les voûtes de Notre-Dame on voyait réunis pour le royal mariage les plus illustres soutiens des deux religions. Charles IX applaudissait à cette union symbolique, car il était las de régner au milieu des alarmes, et, sentant la vie lui échapper, il aspirait à en jouir. Le jeune monarque poursuivait à la fois avec une ardeur fébrile la pensée du plaisir et celle de la gloire. Le plaisir, comment le goûter dans toute sa plénitude en vivant entouré d’une muraille de hallebardes ? La gloire, comment l’atteindre en combattant contre des Français ?
Cette triste gloire des guerres civiles, la politique de sa mère la lui avait même dérobée ; c’était au duc d’Anjou, son frère, qu’il avait été donné de cueillir les lauriers de Jarnac et de Moncontour. Cependant une occasion propice semblait s’offrir à son empressement, et une brillante carrière pouvait s’ouvrir devant sa jeunesse inutile. Les Pays-Bas échappaient alors à l’Espagne, et les insurgés suppliaient la cour de France d’en accepter la souveraineté en échange de son concours. Charles IX embrassait avec un empressement égal cette double perspective de guerre étrangère et d’émancipation filiale. Coligny, habile à cacher la souplesse d’un courtisan consommé sous le grave appareil du sectaire, entretenait constamment le jeune monarque d’un dessein dont celui-ci aimait à entendre exposer l’exécution facile et la portée incalculable. Le vieux chef des réformés commençait à devenir ainsi singulièrement agréable au roi. Son beau-frère de Béarn et le jeune prince de Condé ne lui advenaient pas moins. Une sorte de révolution paraissait donc sur le point de s’opérer dans cet esprit non moins violent que mobile. Les mémoires contemporains attestent que Catherine s’en alarma souvent, et c’est énoncer un fait sinon certain, du moins très probable, que d’attribuer en partie la résolution du 24 août au désir d’élever une barrière éternelle entre le roi et les chefs calvinistes, vers lequel commençaient à incliner ses sympathies.
On a souvent accusé la reine-mère d’avoir préparé par deux années de machinations le crime de la Saint-Barthélemy ; on a prétendu associer un roi de vingt-trois ans à l’horrible préméditation de ce massacre : c’est avoir réussi à calomnier même Catherine. Le mariage du jeune roi de Navarre avec Marguerite de Valois ne fut point un guet-apens préparé pour attirer à la cour, par l’éclat d’une telle solennité, la noblesse huguenote. L’amitié de Charles pour son beau-frère, sa bienveillance pour Coligny, étaient sincères, et le ciel n’a pas permis que la couronne de France reposât jamais sur la tête d’un monstre qui aurait reculé à ce point la limite du crime. Les témoignages contemporains, et en particulier celui de la reine Marguerite[3], constatent que le roi demeura jusqu’au dernier moment étranger au complot tramé quelques jours seulement avant son exécution par sa mère et par le duc de Guise ; ils laissent également hors de doute la sincérité des sentimens affectueux qui entraînaient alors Charles IX vers l’amiral.
Ces dispositions publiquement manifestées alarmèrent Catherine ; un évènement soudain hâta sa résolution. Au coup de pistolet de Poltrot qui avait frappé son père, le duc de Guise répondit, selon les mœurs et les maximes du temps, par le coup d’arquebuse de Maurevert. Au moment où Coligny revenait du Louvre à son hôtel, il fut blessé au bras de trois balles par l’assassin le plus expert de l’époque, homme fort connu et fort accrédité, auquel diverses expéditions entreprises par ordre de la cour avaient mérité le surnom quasi officiel de tueur du roi. Cet incident contraignit à prendre un parti décisif, car on était placé dans l’alternative, ou d’arrêter immédiatement tous les princes de Lorraine, ou de voir se soulever tous les amis de l’amiral qui réclamaient avec lui une vengeance juridique. Livrer les Guise à la justice, c’était se séparer à jamais de Catherine et commencer un procès qu’on n’aurait pas eu la force de conduire jusqu’au bout ; laisser les huguenots courir aux armes pour se faire justice, c’était voir recommencer la guerre civile en abdiquant dès l’origine toute action et toute autorité.
Catherine se crut donc arrivée à l’heure suprême de sa vie, et résolut d’atteindre en un seul jour, par son audace, le but qui depuis douze années échappait toujours à sa souplesse et à son habileté. Machiavel avait dit : « La cruauté est bien employée lorsqu’elle ne s’exerce qu’une seule fois et qu’elle est dictée par la nécessité de s’assurer la puissance… Il faut commettre en une seule fois toutes les cruautés nécessaires pour n’avoir plus à y revenir… Les offenses doivent être faites toutes ensemble, afin qu’ayant moins de temps pour les ressentir, elles blessent moins, tandis que les bienfaits doivent se verser petit à petit, afin qu’on les savoure davantage[4]. »
Ces maximes étaient celles du temps ; elles passaient, comme les idées encyclopédiques au XVIIIe siècle, pour la doctrine des grands esprits et la nourriture des fortes ames : quoi d’étonnant si Catherine en subit l’influence, et si, pressée de prendre un parti, elle en essaya la sanglante application ? Le roi subit une dernière fois l’ascendant de sa mère. Circonvenu par quelques gentilshommes dévoués à Catherine, il reçut avec des détails multipliés et odieusement vraisemblables la confidence d’un complot tramé par les huguenots contre sa vie ; il comprit d’ailleurs, selon l’aveu d’un des plus impitoyables conseillers de ce grand crime[5], qu’il fallait opter entre le Châtillon et la reine, se séparer à jamais de sa mère, ou sacrifier avec l’amiral tous ceux qui aspiraient à le venger. Alors, par une péripétie terrible, cet esprit faible et malade s’élança d’un seul bond jusqu’aux dernières extrémités de la violence. Incapable de résister à l’ivresse du sang, Charles eut à peine consenti à le laisser répandre, qu’il s’y plongea jusqu’aux coudes.
Alors sonna la cloche funèbre qui a marqué ce jour d’un caractère ineffaçable. Il est demeuré unique dans nos annales jusqu’à ce que le 2 septembre ait associé à ce sanglant souvenir celui de ses horreurs nouvelles. Ces deux massacres furent inspirés par une même pensée : l’un était destiné à séparer à jamais la royauté du parti protestant ; l’autre eut pour but et pour résultat de séparer à jamais la révolution du parti modéré, qui aspirait à arrêter son char lancé vers les abîmes. Toutefois, s’il fallait pousser jusqu’au bout le parallèle, Danton resterait bien supérieur à Catherine : l’un eut au moins toute l’énergie et, s’il est permis de le dire, tout le profit de son crime ; l’autre s’arrêta court, hésitante et indécise, dans la voie où elle était entrée. De tous les grands attentats de l’histoire, il n’en est pas de plus stérile que la Saint-Barthélemy ; il n’en est pas qui ait plus infructueusement déshonoré ses auteurs. Désavoué le lendemain, puis repris pendant quelques jours pour être abandonné de nouveau, le projet d’un massacre général des protestans n’aboutit qu’à des assassinats nombreux sans aucune efficacité politique. Le roi était sans armée, et restait, après s’être fait haïr, incapable de se faire craindre. Un grand nombre de gouverneurs se refusèrent à seconder les vues de la cour, manifestées par des ordres contradictoires. Les fugitifs ne furent jamais poursuivis ; aucune disposition ne fut prise pour les empêcher de se réunir dans les provinces, où ils firent à loisir les préparatifs d’une nouvelle campagne.
L’issue de celle-ci releva toutes leurs espérances, et les laissa plus forts avec le souvenir d’une mortelle injure à venger. Après avoir résisté dans la Rochelle à toutes les forces du duc d’Anjou, les réformés allaient contraindre ce prince à lever honteusement le siége, lorsque son élection à la couronne de Pologne parut en fournir un prétexte plausible. Le traité signé avec les Rochellois victorieux contint pour tout le parti protestant les stipulations les plus favorables, et organisa pour la première fois la religion réformée dans une indépendance menaçante. L’humiliation des armes royales et l’établissement des places de sûreté, tel fut donc le résultat définitif d’une exécution accomplie par un fanatisme moins coupable et moins odieux dans sa barbarie que la froide politique qui l’avait suscité.
Charles ne porta pas long-temps le poids de ce crime ; de sanglantes images chassèrent le sommeil de sa couche et lui infligèrent l’un des plus grands supplices de ce monde, celui du remords dans la puissance. La violence de ses émotions hâta le terme de sa vie, que son siècle fit coupable et qu’il aspirait à rendre glorieuse.
Sous Henri III, les évènemens se pressent ; la situation se présente sous un aspect nouveau, et la royauté se trouve directement mise en cause. Si le calvinisme ne s’est pas numériquement étendu dans les provinces, il s’est organisé partout d’une manière formidable. Plus de cent vingt places fortes sont entre les mains des réformés ; ils forment une patrie dans la patrie par l’unité de leurs pensées, et un état dans l’état par la nature des concessions qui leur sont faites. Les sympathies religieuses, vivement excitées d’un bout à l’autre de l’Europe, et devant lesquelles le patriotisme disparaît, assurent aux huguenots des ressources inépuisables. Élisabeth leur prodigue des secours ; l’Allemagne jette sur le Rhin des nuées de reîtres et de lansquenets, attirés par le fanatisme religieux et par l’espoir de faire fortune. Pour résister à ces invasions menaçantes, préparées par les princes mêmes du sang de France, la cour est contrainte de rechercher le dangereux appui de l’Escurial. Philippe II devient par la force des choses le chef avoué du catholicisme en Europe, et la main qui agite l’Angleterre du fond de la prison de Marie Stuart ourdit en France la grande ligue devant laquelle la royauté disparaît comme une fiction inutile. Stimulé par les offres qu’on lui adresse et les secrets desseins qu’il voit poindre, le fils de Charles-Quint conçoit l’espoir de régner à Paris par procureur. Des rivalités excitées au sein de la famille royale, des mœurs dépravées et cruelles semblent précipiter vers une catastrophe ce royaume divisé contre lui-même et cette royauté chargée des mépris publics. Aux deux factions religieuses qui s’y combattent depuis vingt ans, il faut ajouter désormais le parti des mignons et celui des politiques : l’un qui vit des faiblesses du prince, l’autre qui grandit en exploitant les fautes de tous. Un roi de théâtre trône sur cette scène déshonorée par l’intrigue, ensanglantée par l’assassinat. Il y joue tour à tour à la guerre, à la dévotion, au machiavélisme, à la grandeur, dominé dans ces transformations diverses par la seule pensée du plaisir. Celle-là, Henri de Valois la poursuit avec une ardeur inextinguible : en Pologne, où il croit trouver le plaisir sous une couronne ; dans les cours d’Allemagne et d’Italie, où il s’arrête comme un touriste désœuvré, entre les soucis de la royauté qu’il abandonne et de la royauté qu’il va prendre. Il change de royaume comme de maîtresse, et pendant que le duc de Guise élève en face de lui l’édifice de ses audacieuses espérances, on le voit poursuivre avec persévérance la laborieuse recherche du plaisir, tantôt dans l’éclat de fêtes somptueuses, tantôt sous le froc des pénitens. Sa précoce vieillesse demande à la nature entière des émotions qu’elle lui refuse. Il dissipe la fortune publique en des profusions inouies ; il essaie, pour réchauffer ses sens, des voluptés hideuses, et lorsqu’à la livrée du plaisir il associe celle de la mort, la terrible joie du sacrilége jette à peine quelques lueurs dans les ténèbres de cette ame éteinte.
L’impuissance physique du monarque était devenue aux yeux des peuples le signe même de sa dégradation morale. Elle ouvrait le champ à toutes les ambitions, et semblait légitimer tous les attentats. Lorsque la tombe s’était refermée sur le duc d’Alençon, dernier fils de Henri II, après une vie de complots avortés et de trahisons domestiques, Henri III, à peine âgé de trente ans, avait déjà perdu l’espoir de continuer sa race, et derrière cette royauté avilie, dont un coup de poignard ou les excès d’une orgie pouvaient soudainement terminer le cours, un abîme s’ouvrait devant la France. La branche la plus rapprochée du trône était représentée par un prince calviniste, qui, séparé de sa femme, n’avait pour héritiers que les princes de la maison de Condé, élevés dans le protestantisme le plus fervent. La question dynastique se trouvait donc nécessairement posée, et il était impossible que le grand péril de l’avenir ne pesât pas déjà de tout son poids sur ce malheureux règne.
On a accusé la maison de Guise d’avoir créé tous les embarras de cette époque ; il serait plus exact de lui reprocher d’en avoir profité avec une habileté rare. L’extinction prochaine de la branche régnante, l’avènement imminent d’une maison huguenote, et la lutte dès-lors inévitable du principe religieux contre le principe héréditaire laissaient pressentir à tous les esprits le recours, si dangereux dans tous les siècles, à la décision suprême de la nation.
Par ses grandes qualités personnelles et par le souvenir de son père, le jeune duc de Guise exprimait plus complètement qu’aucun autre prince de son temps la pensée religieuse, qui faisait alors le fond de la nationalité française. Il comprit de bonne heure l’importance de ce rôle, et les chances qu’il lui préparait lorsque le conflit viendrait à s’élever entre le droit dynastique et la souveraineté populaire. Sous François II et sous Charles IX, la maison de Lorraine n’avait aspiré qu’à gouverner l’état en dominant le monarque ; sous Henri III, elle espéra davantage, et on la vit s’élever à la hauteur de sa nouvelle fortune. Cette maison n’aspira pas d’abord à expulser Henri de Valois d’un trône où son abaissement même préparait après lui un accès plus facile ; elle ne désirait pas précipiter la crise, tant elle la jugeait inévitable. C’est le propre des révolutions de ne laisser à personne la puissance de conduire les évènemens, et d’amener des dénouemens rapides autant qu’imprévus. Au lieu d’une guerre de succession contre un prétendant huguenot, à la mort de Henri III, le duc de Guise se trouva conduit à engager contre son roi une lutte immédiate ; il dut combattre pour lui arracher le sceptre de la main, au lieu de s’emparer après lui d’une couronne en déshérence. S’il est des temps où l’ambition du trône peut être patiente et où il lui est donné de ne rien risquer, il en est d’autres où il faut qu’elle sache marcher tête levée et jouer les grosses parties. Le Balafré accepta tous les périls et toutes les conditions de son grand rôle. Il parvint, par la signature de la sainte ligue, à grouper autour de sa personne toutes les forces des catholiques, en associant ses destinées à leurs plus chères espérances ; puis, lorsqu’il se vit dépassé par un évènement dont il n’avait pas mesuré toute la portée, il n’hésita pas, pour conserver le vent de la faveur populaire, à substituer l’audace du factieux à la prudence du chef de parti, et la France le vit à la journée des barricades pénétrer dans le Louvre, et faire évanouir par son regard dominateur les desseins mal concertés d’une royauté hésitante.
Pendant que le fils de François de Guise héritait de la gloire et du rang de son père, les réformés voyaient grandir loin de la cour un jeune prince auquel les rattachaient les souvenirs de sa mère, et qui par son droit héréditaire paraissait appelé à rétablir un jour l’équilibre entre la faiblesse numérique des protestans et la puissance des catholiques. Henri de Béarn et Henri de Guise, deux princes du même âge, représentaient les deux idées de leur siècle ; c’était entre eux que l’avenir semblait avoir à prononcer.
Nous verrons disparaître promptement de la scène le duc de Guise assassiné, tandis que le roi de Navarre va l’occuper bientôt tout entière. Puis après nous verrons celui-ci se séparer de son propre parti pour devenir roi d’une transaction en abdiquant avec éclat la pensée même dont il avait été si long-temps l’expression et l’espérance. Quel était ce prince, quels présages pouvait fournir sa jeunesse, quelles hâtives épreuves avaient façonné cette souple et forte nature ?
Ce fut un bien grand jour pour Henri d’Albret que celui où il emporta dans les pans de sa robe le vigoureux enfant destiné à le venger plus tard de l’Espagne. La chanson de sa mère dans les douleurs de l’enfantement, le vin de Jurançon et la gousse d’ail ont reçu depuis Péréfixe une consécration populaire. Tout cela est devenu vrai. Henri d’Albret était un prince d’un esprit cultivé. Il avait en matière d’éducation des idées fort avancées qu’on dirait empruntées de l’Émile. Il voulut faire élever le jeune comte de Viane à l’air libre des montagnes, la tête nue et les pieds déchaux. Nourri en simple gentilhomme, au château de Coroaze, dans les solitudes du Bigorre, ayant passé toute sa jeunesse dans une province aux habitudes simples, au langage pittoresque, Henri contracta dans ce commerce journalier avec la nature et avec les hommes une rectitude de pensée et un naturel de manières inconnus aux princes grandis dans l’enceinte des cours. Élevé dans les principes calvinistes par sa mère, dans le temps où Antoine de Bourbon, son père, combattait contre les réformés, à la tête de l’armée royale, le prince de Béarn avait contracté par suite de cette déplorable dissidence une indifférence précoce pour les idées qui passionnaient si vivement son siècle. Cette indifférence, entretenue par le goût des plaisirs et les entraînemens de la jeunesse, était rendue plus invincible encore par le spectacle des animosités et des violences qui répugnaient à son équité et à sa modération naturelles. Doué d’un sens droit et d’un calme imperturbable, lors même qu’il semblait dominé par l’ivresse des sens, Henri de Béarn ne pouvait s’associer ni à l’ardeur de tant de haines, ni aux illusions de tant d’espérances dont son bon sens pénétrait la vanité.
Conduit un jour à la cour à l’âge de huit ans, cet enfant alerte et frais avait charmé Henri II par la vivacité de ses réparties en langue béarnaise, la seule qu’il parlât alors. Deux années passées au collége de Navarre lui apprirent le français et quelque peu de latin. Les habitudes de l’écolier n’enlevèrent rien à l’originalité du jeune montagnard. Jeté après la mort de son père dans le camp des réformés par l’autorité de Jeanne d’Albret, proclamé à la mort du prince de Condé, son oncle, chef nominal du parti, il assista à la bataille de Moncontour à l’âge de seize ans. Son coup d’œil militaire, si l’on en croit les historiens, pénétra le vice des dispositions qui amena la perte de cette journée si fatale aux religionnaires[6]. Sitôt que la paix fut faite, il se retira dans son gouvernement de Guyenne, et vécut surtout dans ses domaines héréditaires du Béarn, où il allait poursuivant les daims sur les rochers et les jeunes filles dans les vallées, entremêlant ses volages amours de la lecture des Vies de Plutarque, que Jacques Amyot venait de traduire pour l’usage des jeunes seigneurs.
Ce fut au sein de cette vie provinciale et de ces plaisirs faciles que la politique de Catherine vint chercher le prince de Béarn pour l’unir à sa fille. Celui-ci n’accepta pas sans regret cette vie si nouvelle et si contrainte. Il parut à la cour réservé et un peu timide. Les noces vermeilles étaient à peine terminées, que la nuit de la Saint-Barthélemy vint arracher au roi de Navarre tous ses amis, et l’isoler dans une cour au milieu de laquelle il n’était plus qu’un otage et un prisonnier. Ce prince ploya sans trop d’efforts sous le poids des circonstances, et crut pouvoir pactiser avec la force. De tous les sacrifices, imposés comme conditions de son salut, il faut bien reconnaître que l’abandon de sa religion fut celui qui parut le moins lui coûter. Entre la messe et la Bastille, il choisit volontiers la messe, et donna sur ce point au roi son beau-frère les plus complètes satisfactions.
Sans méconnaître la contrainte qui pouvait alors peser sur lui, il est curieux de retrouver dans les importantes archives de sa vie, si heureusement mises en lumière, ses diverses lettres au pape, au cardinal de Ferrare, au doyen du sacré collége[7], et de suivre les détails de la mission de M. de Duras, envoyé par le roi de Navarre vers Grégoire XIII, pour lui porter l’assurance de sa respectueuse et filiale soumission. C’est avec des exhortations qui semblent de tout point sincères, qu’il invite ses amis « à se ranger, à son exemple, à la forme de vivre que le roi désire pour la réunion de ses subjects en son obéissance[8]. »
Si les actes publics du roi de Navarre étaient fort surveillés dans cette cour, les penchans de l’homme privé n’y étaient aucunement contrariés. Les filles d’honneur de Catherine de Médicis étaient d’une facilité proverbiale, et Marguerite de Valois n’avait pas acquis le droit d’être jalouse. Pris aux filets de Mme de Sauve, la grande coquette de son siècle, Henri s’inquiétait moins des sévérités de la fortune que des infidélités de sa maîtresse. Les évènemens ne l’avaient pas révélé à lui-même, il n’avait pas encore deviné ses destinées.
Trois années s’étaient écoulées de la sorte, lorsque l’esprit remuant du duc d’Alençon engagea ce prince dans des manœuvres clandestines avec les religionnaires et avec l’étranger. Alors, comme nous l’apprend Sully[9], par suite de la résistance qu’il rencontrait pour obtenir le titre de lieutenant-général qu’avait porté son père, le roi de Navarre eut le tort de recevoir ces dangereuses confidences. La police de Catherine eut bientôt découvert la complicité des deux princes, et de ce jour le Louvre devint pour l’un et l’autre une étroite et odieuse prison. L’évasion du duc d’Alençon, préparée par la reine Marguerite, fut suivie de près de la fuite du roi son époux. Il se rendit à Tours, et, s’y trouvant entouré de la noblesse huguenote, il n’hésita pas à reprendre la cocarde de son parti, en se rendant solennellement au prêche. Son retour au protestantisme fut un moyen de trouver de la force pour la lutte dans laquelle il venait de s’engager.
Pendant que cet évènement remettait les armes aux mains du parti, le prince de Condé agitait l’Allemagne en y soulevant contre la France toutes les antipathies religieuses et toutes les cupidités de petits princes sans fortune. Les mécontens de l’intérieur eurent bientôt réuni une armée de cinquante mille hommes, à laquelle Henri III n’aurait pu résister, si l’égoïsme des prétentions n’avait fait naître chez les chefs un désaccord qui sauva l’unité de la monarchie sous Henri III, comme plus tard sous Louis XIII. Catherine parvint à dissoudre par des traités particuliers une coalition redoutable. Deux intérêts s’y trouvaient réunis sous une bannière commune. Les politiques, groupés autour de la maison de Montmorency, s’efforçaient de faire prévaloir les questions territoriales et les intérêts des grandes races sur les passions religieuses qui imprimaient à ces débats une physionomie toute populaire. Les réformés subordonnaient tout à l’intérêt de conscience, dont ils étaient les représentans ardens et convaincus. Ceux-ci faisaient la guerre au pape et à la messe, ceux-là voulaient des gouvernemens et des pensions : étrangers par leurs vues et par leurs tendances, les uns et les autres aspiraient à abaisser le pouvoir royal, afin de s’élever sur ses ruines. Le duc d’Alençon était devenu pour les politiques un instrument précieux. Frère du roi et héritier présomptif du trône, il donnait à la ligue de tous ces intérêts privés la consistance d’un parti dont il travaillait à devenir le centre.
Les princes de Condé et de Navarre représentaient pour l’Allemagne comme pour la France la cause même de la réforme. Le triomphe du duc d’Alençon tendait à reconstituer la féodalité sur la base de l’hérédité des gouvernemens provinciaux ; celui des princes de la maison de Bourbon impliquait pour l’avenir la séparation du royaume de la grande unité romaine.
Le peu d’accord des confédérés arracha la France à ce double péril. Les chefs du parti politique tinrent la campagne, qui fut terminée sitôt qu’une ample satisfaction eut été donnée à leurs prétentions individuelles aux dépens du trésor public. Après avoir, dans son manifeste, réclamé pour les protestans des conditions qui auraient fait passer entre leurs mains la souveraineté du royaume, le duc d’Alençon n’hésita pas à abandonner les réformés, et renonça, pour prix de quelques apanages, au rôle qui pouvait, selon Sully, en faire l’un des plus grands princes de la chrétienté.
Le jeune roi de Navarre ne voulut pas devenir la doublure du duc d’Alençon, et partager avec lui le mépris public. Séparé désormais par l’éclat de son abjuration du parti catholique, comprenant bien d’ailleurs que ce parti était pour jamais inféodé à la maison de Lorraine, il aima mieux rester le premier dans la faction la plus faible que de disputer une position secondaire au sein du parti le plus nombreux. Arraché aux molles influences qui dominaient sa vie, Henri de Béarn ne se sentit pas plus tôt entouré d’une noblesse pleine de courage, qu’il s’engagea dans une direction ferme et arrêtée. Les circonstances, à défaut de conviction, le firent chef du parti réformé, et de ce jour sa carrière publique commence. Retiré dans son gouvernement de Guyenne après la conclusion de la paix, il ne tarda pas à y déployer les qualités éminentes destinées à briller plus tard sur un plus vaste théâtre.
Les huit années qui s’écoulèrent depuis la fuite du roi de Navarre[10] jusqu’à la mort du duc d’Alençon, qui éleva Henri au rang d’héritier présomptif de la couronne de France, ne furent pas moins agitées que stériles. La paix et la guerre s’y mêlent et s’y succèdent au point de leur imprimer un caractère indéfinissable.
L’édit de Poitiers et les articles de Bergerac, les conférences de Nérac, de Pleix, de Mazères, des actes nombreux et des négociations éclatantes, témoignent du désir persévérant d’Henri III d’octroyer aux réformés des stipulations favorables et d’assurer la paix du royaume, tandis que celle-ci n’a jamais été plus troublée par les attentats particuliers et les agressions des partis. Menacé par les progrès chaque jour croissans de la ligue, tenu en échec par l’attitude équivoque des chefs du parti politique, le roi de France devait faire les plus grands efforts pour éviter la guerre. En admettant en effet que cette guerre fût heureuse, elle ne pouvait profiter à son autorité abaissée, car l’enivrement du parti catholique était un péril pour le monarque, qui avait perdu sa confiance ; et si l’on supposait des revers, ceux-ci devenaient une arme plus dangereuse encore aux mains de ses implacables ennemis. Pendant cette période où il voyait se préparer de loin sa propre déchéance, Henri III fit donc la paix aussi vite et aussi souvent qu’il le put ; mais lors même que les conditions de la paix avaient été solennellement proclamées, on en aurait vainement cherché la trace dans le pays. Les provinces soumises aux seigneurs mécontens, particulièrement le Languedoc, sous Danville, celles qui formaient soit l’apanage de la maison de Condé, soit la souveraineté particulière du prince de Navarre, restaient étrangères aux stipulations proclamées par les édits pour le reste de la monarchie française. Tantôt les cours de justice ajournaient l’enregistrement des édits, tantôt les commandans particuliers des villes refusaient obstinément de s’en dessaisir, de telle sorte que, de la Garonne aux Pyrénées, il n’y avait pas moins d’expéditions militaires à entreprendre et de places à forcer pour parvenir à l’exécution des traités que pour conquérir ces traités mêmes. Les luttes de seigneur à seigneur, les surprises de places, soulèvemens de villes, maraudes, pillages et assassinats entretenaient une anarchie permanente, et rendaient la paix aussi funeste que la guerre même. Tel était plus spécialement le triste état de la Guyenne, lorsque le roi de Navarre vint reprendre possession de son gouvernement. Les forces des deux religions s’y balançaient, les places de guerre étaient tenues par des commandans appartenant à des partis opposés, la guerre de partisans était devenue une industrie, et la force la seule règle des transactions.
Le roi de Navarre ne recula pas devant tant d’obstacles, augmentés souvent par le mauvais vouloir des agens de la cour. Il entama une guerre héroïque contre le brigandage, et osa parler de justice et de traités à des hommes qui ne croyaient qu’à la force et ne prenaient conseil que de leurs passions. C’est en lisant sa volumineuse correspondance qu’on peut comprendre tout ce qu’il en coûta d’efforts à ce prince pour conquérir les terres dont il avait le gouvernement, ville par ville et pour ainsi dire homme par homme. Jamais on ne déploya dans une œuvre difficile plus de persévérance et de courage. Ses nombreuses lettres au roi Henri III, à ses secrétaires d’état, au duc de Damville, au maréchal de Matignon, aux échevins, jurats et consuls des villes, aux pasteurs des églises réformées, ses dépêches officielles et ses billets les plus intimes, sont empreints du même cachet, et s’élèvent, si l’on peut ainsi parler, à la même hauteur de modération et de droiture. Le roi de Navarre ne poursuit qu’un seul but, l’exécution complète et sincère des édits de pacification dans son gouvernement et dans ses domaines ; il le poursuit contre ses co-religionnaires aussi vivement que contre les catholiques ; il ne fait aucune acception de personnes et de croyances dans les mesures de redressement qu’il réclame de la cour ou qu’il prescrit à ses officiers. On le voit aussi souvent se mettre en campagne pour réprimer les excès des protestans que pour contenir les catholiques ; enfin l’on a peine à se persuader, en lisant cette vaste correspondance, qu’elle émane du chef de l’un des partis qui partageaient alors la France, tant elle est calme et précise, tant elle rappelle l’austère lucidité de notre meilleur style administratif.
« Messieurs, écrit-il, presque au début de ses fonctions, à la noblesse et aux communautés de Guyenne, ayant plu à Dieu, après tant de calamités, confusions et désolations, que les guerres et discordes civiles ont apportés en ce royaulme, toucher le cœur du roi, mon seigneur, de la compassion de si longues et continuelles misères, et l’encliner à faire un édict de pacification, chascun a pu voir clairement comme mes actions et déportemens n’ont tendu qu’à la faire bien établir en mon gouvernement, à réduire la noblesse et les villes, à promettre publiquement de la maintenir, à faire, suivant iceluy, esgal traictement, faveur et distribution de justice à ceulx de l’une et de l’autre religion, et en somme à jouir de la doulceur du bien de la paix, jusques à faire remettre entre les mains des catholiques plusieurs places et maisons, encore occupées, bien qu’aulcuns d’eulx me déteinsent les miennes propres, afin de montrer à tous exemple d’une vraie réunion… Nous avons tous esprouvé à noz despens que toutes nos guerres et divisions du passé n’ont servi que de nous réduire à cette extrémité de toucher au doigt la ruine et dissipation générale de ce royaume, esquelles si nous rentrions à présent, il n’en faut moings attendre que de voir ralumer un feu inextinguible et une guerre irréconciliable par toute la France, et conséquemment une ruine inévitable. À ces causes, il est temps de nous desciller les yeux, pour n’être abusez et empeschez, par les artifices accoutumez, à prévoir l’horrible orage qui déjà nous menace, et le prévenir, comme il est aisé, si nous voulons y apporter une sincère volonté et droite intention. Il est besoin que vous tous, messieurs, tant de la noblesse que du clergé, vous accordiez unanimement à faire obéir sa majesté, à suivre et exécuter cette sienne volonté et déclaration. Et puisque la conservation, le repos et le salut du peuple est la plus juste et équitable de toutes les lois approuvées de Dieu et des hommes, il faut s’employer tous à un si utile et nécessaire effect, empescher tous autres effects contraires au repos commun, et s’opposer à tous qui tascheront de le rompre, en renouvelant les défiances au milieu de nous, sans se laisser désormais circonvenir du prétexte et vérité de religion, du service du roy et bien public, dont ils ont trop souvent accoutumé de se couvrir faussement… Prenons donc cette bonne et nécessaire résolution, de pourvoir à notre conservation générale contre les prastiques et artifices des ennemys de notre repos, et je proteste devant Dieu, qui est notre juge, que sous l’autorité du roy, mon seigneur, je vous maintiendrai tous en ma protection ; je feray rendre esgalement justice à un chascun, tant de l’une que de l’autre religion, et avec pareil traictement ; je vous tiendray tous chers comme ma propre vie, courray sus avec vous à tous ceux qui entreprendront de troubler nostre concorde publique. En quoy je n’espargnerai ma vie, ne tous les moyens que Dieu m’a donnez[11]. »
Le roi de Navarre ne dérogea jamais aux engagemens pris dans cette lettre, et solennellement renouvelés dans une déclaration adressée aux états du royaume[12]. Jamais les actes ne répondirent plus complètement aux paroles dans les situations les plus diverses de la vie. Lorsque, bloqué par l’émeute dans les murs de la ville d’Eause, il échappait à la mort par un miracle d’audace ; lorsque, couvert de sang, il forçait Cahors après un assaut furieux, le prince était aussi maître de lui-même, aussi fidèle à sa politique d’apaisement, qu’au jour où il négociait avec Catherine, au milieu des plaisirs de sa petite cour de Nérac, entre d’Ayelle et Fosseuse.
Le mérite éminent de Henri IV est de s’être toujours possédé dans l’entraînement des sens comme dans celui de la guerre ; il unit la force du champ de bataille au sang-froid du cabinet, les qualités brillantes du gentilhomme à la calme persévérance d’un esprit politique. Aussi quelle habileté ne le voit-on pas déployer ! à quels sacrifices ne le voit-on pas consentir pour rentrer dans les voies de sa politique naturelle, lorsque les passions des siens ou l’entraînement des circonstances l’ont obligé à en dévier momentanément ! La guerre provoquée par les menées de Marguerite de Valois, et connue sous le nom de guerre des amoureux, est à peine commencée, que Henri se prépare à négocier la paix, qu’il la provoque par ses démarches, et se montre aussi facile que son parti voudrait le voir exigeant. Plus tard, ce n’est qu’à la dernière extrémité, après la révocation de tous les édits accordés aux protestans, qu’il arme contre la cour pour résister à l’agression depuis long-temps préparée par la ligue.
C’est que si le tempérament du roi de Navarre l’entraînait à la guerre, l’intelligence de sa position le faisait constamment incliner vers la paix. Chef d’une minorité pleine de courage et en même temps d’illusions, ne parvenant à se maintenir contre la maison de Lorraine et contre la ligue que par le concours précaire du parti politique et l’assistance intéressée de l’étranger, Henri ne se flatta pas un seul jour d’amener le triomphe du parti qui avait uni ses destinées avec les siennes. Toute sa correspondance constate la réserve avec laquelle il s’expliquait en toute occasion sur la question religieuse ; elle prouve ses efforts persévérans pour détourner l’attention publique de sa situation particulière, et pour rejeter dans le vague les mesures qu’elle pourrait lui commander un jour.
Une lettre contraste cependant avec toutes celles où il est fait allusion à cet intérêt si délicat et si grave : c’est une réponse de Henri à son cousin le cardinal de Vendôme, qui l’engageait, avant la mort du duc d’Alençon, à se déclarer catholique pour faire tomber la barrière qui le séparait de la nation. Henri répond avec une émotion qui ne lui est pas habituelle à cette ouverture intempestive, risquée par un jeune homme de vingt et un ans. Sans anticiper sur les évènemens, et en s’en remettant à la Providence pour le cas, alors improbable, où elle l’appellerait à des devoirs nouveaux, il proteste que ses convictions religieuses sont sincères, indépendantes de tout motif humain, et déclare qu’il ne donnera jamais aux peuples le scandale de changer de religion comme de chemise, convaincu que les gens de bien l’aimeront trop rnieulx affectionnant une religion que n’en ayant pas du tout[13].
Une telle déclaration ne se reproduira plus dans ces termes affirmatifs et chaleureux, du moment où la position du roi de Navarre sera changée, et où le chef du parti huguenot sera devenu l’héritier de la couronne des fils aînés de l’église. Il est difficile de concilier l’énergique conviction qu’elle exprime avec la réserve habituelle du roi de Navarre sur cette matière. Aussi serait-elle de nature à causer quelque étonnement, si Duplessis-Mornay ne rappelait, dans ses mémoires, l’origine de cette lettre, en écrivant en marge : dressée par M. Duplessis[14]. Il est facile de trouver la trace de la même influence dans les lettres du roi à Théodore de Bèze, et dans les dépêches officielles dressées pour M. de Ségur lors de sa mission près des princes protestans du Nord, mission à laquelle l’austère calviniste s’efforçait d’imprimer une couleur beaucoup plus religieuse que politique. La coopération de Philippe de Mornay aux dépêches du roi son maître se révèle par une phraséologie pompeuse et une gravité compassée. Il fait poser le roi de Navarre devant l’Europe, et substitue le langage animé d’un chef de secte au naturel parfait d’un homme dégagé de toute passion, et malheureusement aussi de toute croyance.
Les difficultés étaient grandes à la petite cour de Navarre, agitée par les intrigues de la reine-mère et par celles de Marguerite, devenue irréconciliable à son époux. On y manquait du nerf de la guerre, car le malheur des temps avait ruiné la pauvre noblesse, et il était donné à peu de gentilshommes huguenots de pouvoir, comme M. de Rosny, en venant rejoindre leur brave chef, porter en croupe derrière eux le prix de leurs hautes futaies. Il fallait se concerter avec les seigneurs mécontens qui entendaient donner à la guerre une direction toute politique, pendant que les réformés exigeaient qu’on lui imprimât une direction toute religieuse. Henri se trouvait donc placé entre des intérêts égoïstes toujours prêts à l’abandonner et des passions ardentes dont il n’était pas moins dangereux de dépendre. Il était contraint ou de rester en paix sous la protection d’édits dont le retrait était exigé par une faction puissante, ou bien d’armer contre son suzerain au risque d’avancer, par ses succès non moins que par ses revers, les affaires de MM. de Guise et la chute de la dynastie capétienne.
- ↑ Pour la série de ces monographies politiques, voyez les numéros du 15 novembre 1842, 1er, 15 novembre et 1er décembre 1843.
- ↑ Histoire de Charles IX, par Varillas, liv. II.
- ↑ Mémoires de Marguerite de Valois, liv. ier, année 1572.
- ↑ Il Principe, cap. VIII. De quelli che per scelleratezza sono pervenuti al principato.
- ↑ Le maréchal de Tavannes.
- ↑ Bury, Histoire de la vie de Henri IV, t. Ier
- ↑ Recueil des lettres-missives de Henri IV, par M. Berger de Xivrey, publié par ordre de M. le ministre de l’instruction publique. (Tome Ier, lettres du prince de Navarre.)
- ↑ Lettre à l’amiral de Villars, 22 octobre 1572.
- ↑ Mémoires de Sully, liv. Ier, année 1575.
- ↑ Ce prince quitta la cour le 1er février 1576, et le duc d’Alençon, alors duc d’Anjou, mourut le 10 juin 1584.
- ↑ Lettre à la noblesse, villes et communautés du gouvernement de Guyenne ; 21 décembre 1576.
- ↑ À MM. les gens assemblés pour les états de Blois ; 1er février 1577.
- ↑ Lettre au cardinal de Vendôme, archevêque de Rouen ; 6 mars 1583.
- ↑ Mémoires de Duplessis de Mornay, t. Ier, p. 172 ; 1624.