Monsieur et Madame Denis (Laurencin, Delaporte)
GASTON, filleul de M. Denis | Mlle | Darcier. |
BELLEROSE, sergent du guet | M. | Potel. |
LUCILE, nièce des époux Denis | Mmes | Pfotzer. |
NANETTE | Simon. | |
BRINDAMOUR, soldat du guet | Taffanel. | |
JOLICŒUR, idem | Mathéa. | |
LA VALEUR, idem | Lecuyer. | |
LA RAMÉE, idem | Parent. | |
Quatre Soldats Du Guet. |
Un salon vieux style. À droite, au premier plan, une cheminée avec pendule et flambeaux, ensuite une porte ; dans l’angle, une fenêtre ; au fond, au milieu, porte d’entrée ouvrant sur un vestibule ; dans l’angle de gauche, une fenêtre. À gauche, dernier plan, une porte conduisant à la cuisine et à un petit escalier. Sur l’avant-scène, un guéridon ; sur ce guéridon, une grande tête de poupée avec un bonnet ; à droite, une tête à perruque avec une grande perruque ; devant la cheminée, deux fauteuils à haut dossier ; au-dessus des portes latérales et face à face, les portraits des vieux époux Denis.
Scène PREMIÈRE.
Souvenez-vous-en ! souvenez-vous-en !... La ! M. et madame Denis pourront revenir de la campagne si tôt qu’ils voudront... Voilà leurs hardes bien brossées, pliées. (Elle les met sur les fauteuils, puis va au guéridon où est la tête en carton.) Le bonnet de madame est monté. (Allant arranger les boucles de la perruque placée sur la tête de bois.) La perruque de monsieur frisée et poudrée... Est-elle belle !... C’est madame qui lui en a fait cadeau pour sa fête... à ce pauvre bonhomme... Elle l’aime encore tant ! (Souriant.) Je suis bien sûre que celle-là n’aura jamais planté autre chose sur la tête de son mari. (S’adressant à la poupée.) Pas vrai, madame ?... Tiens, elle ne se presse pas de répondre... Après ça... elle ne s’en souvient peut-être plus... à son âge !... Et dire que viendra une époque où, moi aussi, Nanette, je porterai des bonnets comme ça.
- Hélas ! un jour,
- À mon tour,
- La vieillesse me viendra !
- Ah ! ah ! ah ! ah !
- D’avance je déplore
- Ce vilain moment-là
- Où l’âge m’atteindra.
(Changeant de ton.)
- Ah ! bah !
- Je suis jeune encore,
- Chantons et rions jusque-là,
- Tra, la, la, la, la.
- Priser comme un suisse, avoir des lunettes,
- Aimer un vieux chat, jouer au loto,
- Se brûler les pieds sur des chaufferettes,
- Du grand âge, voilà le vrai lot,
- Hélas ! un jour, etc.
(Violent coup de sonnette.) Hein ! quoi ! ce coup de sonnette effronté ?… M. et madame Denis n’ont pourtant pas de créanciers ! (On sonne de nouveau.) Eh ! mon Dieu, un moment donc, on y va ! (Elle ouvre et l’on voit entrer un jeune homme et une jeune fille.) Entrez !
Scène II.
Venez, ma chère Lucile, venez !
Monsieur Gaston… le filleul de M. Denis[1] !
Et sa petite-nièce, mademoiselle Lucile Du Coudrai, ma femme.
Votre…
Ou qui le sera bientôt, plaise à Dieu ! Prévenez vite vos respectables maîtres, ou conduisez-nous à eux.
Ah bien, oui ! ils sont à leur campagne de Saint-Germain.
Ô ciel !
Ah diable !
Que faire alors ? que devenir ? Eux qui devaient nous donner un asile.
Non, monsieur, non… je ne vous ai que trop écouté déjà… et j’ai eu bien tort de quitter mon pensionnat.
Un enlèvement ?
Je veux y retourner.
Y songez-vous ?
Vous n’avez pas à craindre les reproches et la colère de madame la supérieure, vous.
C’est vrai… mais ni vous non plus… nous en voilà à quinze lieues.
Oh ! alors…
Et mon tuteur, qui sans doute nous poursuit.
Oh ! avec sa goutte qui le fait marcher ainsi. (Il marche en boitant comiquement.)
Ah ! ah ! ah ! (Elle va prendre la tête à perruque et la porte à gauche.)
Je vous défends de me faire rire, monsieur.
Eh bien, parlons sérieusement… Je vous aime comme un fou… et vous m’aimez aussi un peu.
Oh ! non… plus du tout.
Plus du tout ?… pas plus que ce vilain employé des gabelles que votre tuteur veut vous donner pour mari… hein ?
Laissez-moi.
Mais vos parents s’y opposeront…. Ils protégeront notre amour, eux qui s’aiment tant aujourd’hui encore.
Ah ! ça, c’est vrai… au point qu’on les chansonne. (Chantant.)
- En mil sept cent un, mon cœur
- Vous déclara son ardeur.
- Comment, ce refrain que le jardinier du pensionnat chantait ?… Ces deux bons vieux époux… Souvenez-vous-en…
Mon parrain et votre tante.
M. et madame Denis.
Que nous allons rejoindre… Nanette, vite, à quelque prix que ce soit, une voiture !
Tout de suite.
Mais avant, quelque chose pour nous réconforter, car nous en avons grand besoin.
Oh ! oui.
Ce que vous voudrez, un quartier de volaille… deux tranches de pâté… Ah ! et du vin, aussi âgé que mon vénérable parrain.
Bien, bien ! (Elle sort.)
Scène III.
Cet air soucieux !… Qu’est-ce donc, chère ange ?
Eh ! mais ce nouveau départ, la nuit… seuls.
Comment, c’est pour cela ?
- Partir seule avec moi.
- Partir seule avec toi ?
- Non, non !
- Non, non ?
- LUCILE.
D’où vient donc cet effroi ?
- Ne comptez pas sur moi.
- Que crains-tu ? Veillant sur tes jours,
- Près de toi je serai toujours,
- Heureux de te défendre.
- Malgré ta voix si tendre,
- Partir seule avec toi…
- Partir seule avec moi…
- Non, non !
- Mais d’où vient tant d’effroi ?
- J’éprouve trop d’effroi.
(Gaston va surveiller au fond.)
- Est-ce crainte ou bonheur ?
- Je ne sais, mais je tremble,
- Et ne puis sans frayeur
- Nous revoir seuls ensemble.
- Mais contre tout danger
- Je veux te protéger.
- Pourquoi trembler ?… Il m’aime !
- Et je puis, sans danger,
(À Gaston.)
- Partir seule avec toi.
- Et tu n’as plus d’effroi ?
- Non, non !
- Non, non !
- Avec moi, plus d’effroi !
Scène IV.
auprès du guéridon. Voilà ce que j’ai trouvé de mieux.
Tout cela me semble très-appétissant.
Quant au vin, c’est de celui que vous avez bu, il y a un mois, en célébrant la cinquantaine du mariage de M. et madame Denis.
Oui, oui, je le connais… Excellent, mais sournois en diable !
Ah ! dame, du jurançon.
Et comme il avait mis notre respectable parrain en gaieté !
Vraiment ?
Il riait, il chantait, il embrassait sa chère moitié ! (Il s’avance vers Lucile.)
Monsieur, je ne veux pas que vous buviez de ce vin-là.
Nous lui verserons beaucoup d’eau.
Ah ! Nanette…
Voilà qui est prêt…. À table !
À table ! (Il conduit Lucile, qui se place à gauche du guéridon[5].)
Et ne perdons pas de temps. J’ai commandé la voiture ; elle sera en bas dans un quart d’heure. (Bruit au dehors. Elle s’arrête.) Hein ?
N’entendez-vous pas… ce bruit de voix dans la cour de la maison voisine ?… (Elle va à la fenêtre de droite et regarde.) Ah ! mon Dieu !…
Qu’y a-t-il ?
Mais oui… des soldats du guet…
Des soldats !
Chut !… écoutez !… Ils parlent d’un enlèvement !
Ah ! peste !
Deux jeunes gens partis d’Étampes ce matin…
Plus de doute… c’est nous qu’on cherche… Fuyons !… (Il veut emmener Lucile.)
Impossible !… ils sont en bas !
Que faire, alors ?…
D’abord, ne pas perdre la tramontane, et puis… (Apercevant les vêtements sur les fauteuils.) Ah !… oui… c’est cela… prenez ces vêtements de M. et madame Denis.
Ah ! je devine. À moi la douillette… (Montrant la perruque.) et cette perruque !
Pour vous ce bonnet à barbes et cette… grande pelisse. (Elle aide Lucile à se déguiser[6].)
Mon Dieu, mon Dieu, si l’on allait nous reconnaître !
Donnez-vous l’air bien vieux et cassés.
Nanette !… Na… a… nette !…
C’est cela !… (À Lucile.) Et vous, mademoiselle ?
Na… Na… Ah ! je ne pourrai jamais… j’ai trop peur !…
Alors… ne dites rien… et faites mine de dormir… là, au coin du feu. (Elle la fait asseoir dans le fauteuil de droite, devant la cheminée.)
On monte l’escalier. (Il vient s’asseoir sur l’autre fauteuil.).
Oui… vite… à vos places !… (Poussant un cri.) Ah ! (Ils se lèvent tous deux effrayés.) Non… rien… c’est pour une recommandation… N’oubliez pas que vous êtes un peu sourds. (Elle va jeter une serviette sur le guéridon et le place à l’écart, à gauche.)
Très-bien ! (on frappe à la porte de l’appartement ; les deux jeunes gens se rassoient vivement, s’enfoncent dans les grands fauteuils et mettent de grandes lunettes qu’ils trouvent sur la cheminée.)
Entrez !
Scène V.
Bonsoir, la compagnie !
Hein ? Depuis quand entre-t-on de cette façon chez les gens ?
La, la, tout doux, la jolie fille ; on va s’expliquer ! (À part.) Mordieu, le frais minois !…
Mais enfin, qui êtes-vous ? que voulez-vous ?
- Vous voyez en moi, Bellerose,
- Sergent du guet,
- S’il vous plaît !
- C’est sur ma tête que repose
- Tout le Châtelet.
- J’ai bon pied, bon œil, fine oreille,
- Leste et vif comme un émouchet,
- Sur Paris, nuit et jour je veille
- En sergent du guet.
- Il est deux amants,
- Jeune garçon, jeune fille,
- Que je viens céans
- Réclamer pour la Bastille !
- Vous voyez en moi Bellerose,
- L’émouchet
- Du Châtelet ;
- C’est sur ma tête que repose
- Tout l’honneur du guet.
- Soldat du roi,
- Bras de la loi,
- De tous l’effroi,
- C’est Bellerose !
(À Nanette, avec galanterie.)
- Près d’un tendron,
- Plein d’abandon,
- Son colonel, c’est Cupidon !
- Ces deux beaux enfants,
- Accourus dans la grand’ville,
- Ont chez leurs parents
- Trouvé, dit-on, un asile.
(Nanette passe aux jeunes gens[8].)
- Vous voyez en moi Bellerose, etc.
- Soldat du roi,
- Bras de la loi,
- De tous l’effroi,
- C’est Bellerose !
- Près d’un tendron,
- Plein d’abandon,
- Son colonel, c’est Cupidon !
- Soldat du roi,
- Bras de la loi,
- De tous l’effroi,
- C’est Bellerose !
- Il a raison,
- Attention,
- Car il y va de la prison.
Ainsi, monsieur l’émouchet du… Châtelet, vous venez ici pour…
Une perquisition.
Eh !… non. (Galamment.) Quoique, à vrai dire, la commission me semblasse remplie d’agrément… (Riant.) Ah ! ah ! ah !
Plus bas, donc ! (Elle lui montre les fauteuils.) Mes maîtres se sont assoupis après leur repas, et, n’était qu’ils sont sourds, vous les auriez réveillés.
Corbleu !… vos maîtres, ces deux… sarcophages ?… (Mouvement de Nanette.) Pardon, je voulais dire… catafalques. (Avec défiance.) Est-ce bien sûr, au moins ? (Il veut s’approcher encore.)
Comment ?…
La loi, dont je suis le représentant céans, m’ordonne de m’assurer. (Il veut passer, Nanette le repousse ; il chancelle et renverse une chaise.)
Ah !
Ah !
- Grand Dieu ! les voici réveillés !
- Tubleu ! je les ai réveillés !
- Je vous demandais le silence,
- C’est montrer peu de complaisance.
- Mais je me tais, vous le voyez,
- Peut-on montrer plus d’obligeance !
- Hem ! hem ! hem ! hem ! mon cher Denis !
- Hem ! hem ! hem ! hem ! à votre femme.
- Répondez donc, hem ! hem ! Denis.
- Hem ! hem ! hem ! hem ! Plaît-il, chère âme
- Quoi vous ne me dites rien ?
- Mon ami, ce n’est pas bien,
- Jadis c’était différent,
- Souvenez-vous-en, souvenez-vous-en !
- J’étais sourde à vos discours,
- Et vous me parliez toujours !
- Mais, m’amour, j’ai sur le corps
- Cinquante ans de plus qu’alors ;
- Car c’était en mil sept cent,
- Souvenez-vous-en, souvenez-vous-en !
- Au premier de mes amours,
- Que ne durez-vous toujours !
- Avec adresse,
- Avec finesse,
- De nos vieux parents,
Prenons les accents ; Prenez
Que votre ruse notre
- Ici l’abuse,
- Et, libre tous deux,
Nous fuirons ces lieux. Vous fuirez
- À la vieillesse,
- Je m’intéresse.
- Ils ont les accents
- De mes grands-parents.
- Ce vieux m’amuse,
- Mais je m’abuse,
- Ailleurs qu’en ces lieux
- Sont mes amoureux.
- Laissez-moi cette main jolie.
(Il la couvre de baisers.)
- D’en faire autant ça donne envie.
- Il faut être prudent,
- Souvenez-vous-en.
(Lucile et Gaston se lèvent)
- Avec adresse, etc.
- À la vieillesse, etc.
- Quel aimable réveil pour des gens de cet âge !
- C’est gentil, n’est-ce pas ? Ce serait grand dommage
- De les troubler, venez !…
- Eh ! la belle, un instant.
(Il frappe sur l’épaule de Gaston.)
- Pardon, bourgeois !
- Hein ! quoi ?
- C’est un sergent !
- Vous dites ?
- Un sergent !
- Un sergent !
- Un sergent !
- Cet homme est à la poursuite
- De deux amoureux en fuite.
- Des amoureux !
- Sur ma foi,
- Vous échoûrez !
- Et pourquoi ?
- Ils sauront se défendre,
- Comme j’eus fait jadis,
- Si l’on m’eût voulu prendre
- Mes amours, ma Denis.
- Ne vous échauffez pas la bile.
(À Nanette.)
- Le bonhomme est encore vif.
- Votre recherche est inutile !
- Tout doux, vieillard rébarbatif.
- M’arracher mon doux trésor !
- GASTON.
Mais non !
- Je saurais encore,
- À qui le tenterait, couper les deux oreilles !
- Tubleu ! corbleu !
- Vit-on jamais fureurs pareilles !
(Lucile se lève : elle s’appuie sur une grande canne.)
Essayez-donc de l’enlever ! de m’enlever !
- Merci !
- Alors, au diable, et hors d’ici !
(Lucile va à Bellerose[10].)
- Insolent ! c’en est trop, de chez moi,
- Sors bien vite, ou, sur ma foi,
- Nous saurons nous venger de toi.
- C’en est trop ! on me met hors de moi,
- Et je saurai, sur ma foi,
- Vous faire obéir à la loi,
- Porter la main sur ma personne,
- L’audacieux !
- Ah ! quelle horreur !
- Sur une femme douce et bonne.
- Bonne, oui, comme une lionne !
- Sors, ou crains tout de ma fureur.
- Pars, insolent,
- Brutal sergent,
- Quitte la maison à l’instant ;
- Fuis vivement,
- Ici t’attend
- Un juste et rude châtiment.
- Insolent, c’en est trop… etc.
- C’en est trop ! on met… etc.
À bon entendeur, serviteur ! (Il retourne à sa place ; dans le mouvement animé et brusque que Gaston a fait, sa douillette s’est entr’ouverte et le sergent a aperçu son épée.)
Qu’ai-je vu !… une épée !… Hum !… hum !…
Or donc, si vous les rencontrez, regardez-y à deux fois, beau sergent.
Soyez tranquille, la jolie fille, un bien averti en vaut deux… (À part.) Ce sont eux… je les tiens ; mais un jeune homme armé, résolu, soyons prudent… point de violence ni d’infusion de sang… (Haut, en saluant Gaston.) Pardon de vous avoir dérangés, (Appuyant.) respectable monsieur et vénérable madame Denis.
Bonsoir, monsieur Bellerose ; à l’avantage (à part.) de ne plus te revoir, estaffier maudit !… (Restant sur la porte et lui parlant à la cantonade.) À gauche… l’escalier.
Et puisses-tu t’y rompre le cou. (Il se débarrasse de sa douillette.)
Ainsi soit-il ?
Ah !
Patatras !… (À la cantonade.) Prenez garde, il y a un pas !
Du diable, il est bien temps de m’avertir !
Je vais vous montrer le chemin. (Elle sort.)
Scène VI.
Parti enfin ! Le danger est passé, et nous pouvons continuer notre repas… (Il va à la table et la remet en place.) repas si fâcheusement interrompu avant d’avoir commencé. (Allant à Lucile.) Venez, chère Lucile. (Il lui prend la main.) Eh quoi ! vous tremblez encore ?
Et moi donc !… Mais nous nous en sommes bien tirés… Vous étiez charmante en petite vieille… (Mouvement de Lucile.) Ah ! mais c’est égal, je vous aime mieux ainsi. (Prenant la bouteille.) Allons, vite, à chacun un doigt de ce vin, pour nous remettre de cette terrible alarme… (Il va verser.)
Alerte ! alerte !
Qu’est-ce encore ?
Ah ! le sournois ! ah ! le fourbe de sergent !
Eh bien ?
Il vous a devinés… Arrivé en bas, je l’ai entendu parler à ses soldats. Ils vont revenir ici en force.
Malpeste !
Perdus cette fois !
Il est dit que nous ne souperons pas aujourd’hui. (Il passe à droite.)
Et que nous ne leur échapperons pas.
Oh ! ils ne nous tiennent pas encore.
Que voulez-vous faire ?
Les tuer tous !
Gaston !…
Ta, ta, ta ! rengaînez donc votre flamberge ; ne voyez-vous pas que mam’selle pâlit déjà !
Chère Lucile !
Que devenir !
Ah ! une idée !… Tout à l’heure, le sergent nous a pris pour nos grands-parents… maintenant, il faut qu’il les prenne pour nous.
Oui… oui… il a raison… (Elle court au fond à droite prendre la poupée.)
Mais ils sont à Saint-Germain !
Les autres !
Mais pas ceux-ci.
Mais pas ceux-ci.
Aidez-moi à les affubler avec les vêtements et coiffures que vous aviez tout à l’heure… puis à les placer ici et là, comme vous étiez…
Très-bien.
Chargez-vous de votre grand’tante, mademoiselle. (Lucile passe un fauteuil de la cheminée. À Gaston[13].) Et vous de votre parrain.
Ah !
Oh ! le malheureux ! il a occis son parrain !
Non, non, il n’a rien.
On dirait qu’il a une bosse. Pauvre cher homme !… (Elle va porter la tête au premier fauteuil.) A son âge… ce serait la première ! (Elle l’habille avec la douillette.)
Écoutez… on monte, je crois.
Hâtons-nous.
Ah ! mon Dieu !… Tout le guet vient de ce côté.
Eh bien, entrez là, et vous fuirez par le petit escalier pendant que j’occuperai le guet.
Comment ! toute l’escouade ?
Ça me regarde. Allez, allez… (Les deux jeunes gens sortent, Nanette rassemble plusieurs chaises devant les mannequins.) Ces pauvres enfants ! Pourvu qu’ils aient le temps de rejoindre la voiture… (Elle écoute.) Voici le guet…. (Elle prend le flambeau qui est sur la cheminée et entre dans la chambre à droite. – Le théâtre est dans l’obscurité.)
Scène VII.
- Marchons,
- Marchons,
Suivez mes pas, tous et sans bruit, Suivez ses
- Grâce à la nuit,
- Nos oiseaux seront pris au nid.
- Mais la maison paraît déserte.
- Marchons, marchons.
- Les tourtereaux ont pris l’alerte.
- Cherchons, cherchons.
- Auraient-ils fui par la fenêtre ?
- Voyons, voyons.
- Blottis sous les meubles, peut-être ?
- Fouillons, fouillons.
(Ils fouillent partout avec leur fusil, mais ils se heurtent à la barricade de chaises, et reculent.)
- Surtout de la prudence,
- Et point de violence.
- Ensemble
- Cherchons,
- Marchons, etc.
(Cherchant en vain. – Perdant patience et frappant le plancher avec la crosse de son fusil.)
- Holà ! ho ! chambrière !
Scène VIII.
- Eh quoi ! c’est encore vous ?
- Par grâce, silence tous,
- Quand du sommeil le plus doux
- Se rendorment ces deux époux.
- Souvenenez-vous-en, souvenez-vous-en !
(Lui arrachant le flambeau qu’il passe à un soldat, et que celui-ci met sur le guéridon.)
- Mais, foin de la plaisanterie !
- Assez, assez de fourberie ;
- Gardez vos discours superflus,
- Ma charmante, on ne vous croit plus !
(Aux soldats.)
- Saisissez-les !… Place, ma chère !
- Non, non, jamais ! plutôt la guerre,
- La guerre !
(Elle court prendre un balai, et se place entre les chaises et les mannequins.)
- Allons, ma vaillante escorte,
- On ose nous défier ;
- À la loi prêtez main-forte,
- En avant, point de quartier !
- Avancez donc, moi je me charge
- De culbuter vos bataillons.
(Elle le repousse.)
- À fond, faisons tous une charge ;
- Courage ! sus aux cotillons !
- Bien, avancez !
- Démolissez.
(Il saisit le balai et l’enlève à Nanette, qui s’échappe et court à la porte de gauche.)
- LES SOLDATS.
Le beau combat, la belle gloire.
- Victoire ! victoire !
- Ils sont partis,
- Ces chers petits !
- Réveillez-vous !
- Sont-ils malins !
- Des mannequins !
- Bernés par une chambrière,
- Que dira-t-on au Châtelet ?
- C’est trop défier la colère
- Des valeureux soldats du guet !
- Ah ! ah ! ah ! la plaisante affaire !
- Ah ! ah ! ah : les soldats du guet !
- Bernés par une chambrière
- Que dira-t-on au Châtelet ?
(Un des soldats enlève les mannequins, et les porte dans la chambre pendant ce qui suit.)
Eh bien, beau sergent, vous attendiez-vous à celle-là ?
Peut-être. (Coup de feu au dehors.)
Ciel !…
Ma risposte, mignonne. (À part.) Le signal de mes hommes. (Allant au fond.) Donnez-vous la peine d’entrer, monsieur et madame Denis. (Gaston et Lucile paraissent, ramenés par deux soldats.)
Scène IX.
Surpris, arrêtés par des soldats qu’il avait appostés dans la voiture !
Perdus !
Et vous, la belle, vous attendiez-vous à celle-là ?
Ah ! tenez, si je ne me retenais pas, sergent de malheur !
On vous retiendrait, mon cœur. (Aux soldats.) Allons, vous autres, demi-tour à gauche et emmenez les prisonniers.
Pas accéléré.
Arrrrche !
Écoutez, sergent, un mot.
Pas un mot…
Sergent !… Amour de sergent !…
Arrière !
Ah ! monsieur Bellerose, de la rancune, parce que, bonne servante, j’ai défendu mes jeunes maîtres ; comme vous, bon militaire, vous avez suivi votre consigne !… Ah ! M. Bellerose !
Ah ! M. Bellerose !
C’est véridique, sergent.
C’est histoirique, sergent.
Écoutez-moi.
Eh bien… parlez… Je l’obtempère.
C’est à la liberté seulement, et non à la vie des prisonniers que vous en voulez, n’est-ce pas ?
Indubitablement.
Ostensiblement.
Eh bien, ils n’ont rien pris depuis vingt-quatre heures.
Oh !
Oh ! oh ! oh !
Tous deux tombent de faiblesse.
Ah !
Ah !
Voyez ! (s’appuyant sur Bellerose.) Et moi aussi… ah ! je me trouve mal !
Elle se trouve mal !… Mais je me trouve bien, moi.
Ces pauvres petits !
Sont-ils gentils !
Je m’attendris.
Ah ! j’en gémis.
Et moi aussi ! (Ils se mouchent bruyamment.)
Silence dans les rangs !
Ces pauvres enfants ! Vous n’aurez pas la barbarie de leur refuser quelques instants pour se réconforter ?
Hum !… À vrai dire, on n’est point un rhinoféroce. (Il se mouche ; tous les soldats recommencent.) Silence !… En somme, quelques moments de plus ou de moins…
Ostensiblement, sergent.
Allons, je réobtempère.
Vous permettez ?… Alors, vite, monsieur, vite, mademoiselle ! (Elle court au guéridon.) Monsieur Bellerose, je vous revaudrai ça.
J’y compte lien. (Haut, à ses soldats.) Reposez vos armes ! (Aux deux soldats qui ont amené les jeunes gens et qui sont restés à la porte.) Retournez au poste, on n’a plus besoin de vous. (Aux autres.) Et nous, ne les perdons pas de vue !… (Ils s’assoient tous, moins Bellerose.)
Très-bien, très-bien !… je comprends… (À Bellerose.) Si monsieur le sergent voulait accepter une tranche de ce pâté ?
Merci !
Ou plutôt un verre de vin ?
Merci !
Et vous ?
Sergent…
Je vous le prohibe !
Oh !
Du jurançon !
Du… Hum !…
Sergent !… du jurançon ! (Il fait claquer sa langue.)
Oui ! (Tous les soldats se lèvent.)
Non ! (Tous retombent assis ; Brindamour retourne à sa place.)
Cinquante ans de bouteille !
Cinquante ans, sergent !
Oui ! (Même jeu des soldats.)
Non ! (Même jeu.)
Pas même pour trinquer à la santé du roi ?…
Brrrons…
Du roi, sergent !
Et de la reine !
Oh ! de la reine, sergent !
De notre gracieuse reine !
Des militaires ne peuvent pas refuser. (Nanette court à la cuisine et rapporte des bouteilles et des verres qu’elle donne aux soldats.) Ça ne se peut pas, sergent, mille diables !… Le roi, la reine !
Ah ! vous m’en direz tant !…
Versez, versez !
Les voilà heureux, ils vont boire !… Mais avant, prenons nos précautions… (Il va à la porte du fond, la ferme et en retire la clef, qu’il met dans sa poche.)
Il a pris la clef !
Oui ; mais laissez-moi faire, nous la reprendrons. (À Bellerose, en lui offrant un verre.) À vous, sergent ! (Lucile et Gaston circulent parmi les soldats et leur versent du vin.).
- Versez et buvez à plein verre,
- Bellerose ici l’obtempère.
- Vive un vin généreux qui pétille !
- Vive un vin qui pétille !
- Dès qu’il mousse et qu’il brille,
- Rougissant un pur cristal,
- Du plaisir c’est le signal.
- C’est un ami qui charme et qui console !
- Oui, le vin nous console.
- À son aspect s’envole
- Des soucis le cortège fâcheux.
- Vive un vin généreux !
- À notre reine !
- GASTON, LUCILE, NANETTE.
À notre roi !
- À notre reine !
- Au roi, je boi.
- Buvez, la coupe est pleine.
- Je boi !
- Ce vin vieux les entraîne,
- Au roi !
- Amis, buvez sans gêne
- À notre souveraine.
- Je boi !
- Mes amis, il faut boire !
- À la reine, au roi !
- Je boi !
- Buvons, buvons, buvons, buvons
- À sa gloire !
(Ils trinquent et boivent.)
- Voyez ce jurançon plein de flamme.
- Quelle ardeur ! quelle flamme !
- Il électrise l’âme.
- Fils d’un rayon du soleil,
- Comme lui, vif et vermeil,
- Franc compagnon, partout il sait plaire.
- En tous lieux il sait plaire.
- S’il anime à la guerre,
- Il charme et distrait en garnison.
- Vive le jurançon !
- À notre reine, etc.
- Ne les laissons pas reposer.
- Merci pour le roi, pour la reine,
- Mais vous ne pouvez refuser
- LES SOLDATS.
Aussi de boire à votre capitaine ?
- Ça ne peut pas se refuser.
- Ni de trinquer à notre belle
- Demoiselle ?
- À cette belle demoiselle !
- Et puis, mes amis,
- Au bon monsieur Denis.
(Il montre le portrait.)
- Au bon monsieur Denis !
(Ils s’inclinent devant le portrait.)
- À madame Denis !
- À madame Denis.
- Souvenez-vous-en !
- Souvenez-vous-en !
- Et, finalement,
- Buvons à la ronde,
- À tout le monde !
(Ils se mêlent et trinquent entre eux, puis viennent se grouper derrière le sergent, à droite.)
- Allons,
- Buvons,
- Trinquons,
- Et vidons
- Les flacons ;
- Chantons,
- Trinquons,
- Versons,
- Buvons ;
- Oui, chantons,
- Oui, trinquons,
- Et vidons
- Les flacons.
- Ce vin est vraiment un nectar, un velours.
- Je le préfère même à toutes les amours.
- Ah ! je voudrais en boire, en boire toujours.
- TOUS LES SOLDATS. Buvons, etc.
Vive le sergent !
Or çà, Brindamour, Jolicœur, La Valeur, en route !
Eh quoi, déjà ?
Halte-là ! ho ! mignonne, arrêtez-vous !
Plaît-il ?
Ne tournez pas tant, ça m’étourdit.
Moi ?
Oui, pardieu ! et M. et madame Denis, et tout le bataclan ici.
C’est vrai, tout tourne !
Ah ! ah ! ah !
Chut ! nous les tenons…
Holà ! ho ! pas si vite, ma mie, ou je perds la mesure… J’ai tant chanté de votre vin et tant bu de votre chanson… que ça me brouille la cervelle.
Chantez encore.
Oui, la chaconne.
Oui… la… chaconne… chacun sa chaconne.
- Dansons la chaconne ;
- L’air résonne
- De son rhythme joyeux.
- Allons, en cadence,
- Que l’on danse
- Deux à deux ;
- Cette mélodie
- À l’amour nous convie.
- Dansons la chaconne, etc.
(Pendant le chant, Bellerose et les soldats, fatigués, étourdis, tombent sur les sièges et s’endorment, les soldats çà et là, deux à deux, Bellerose seul, à l’avant-scène, où Nanette, qu’il voulait embrasser, l’a amené et fait asseoir sur un siège placé au milieu du théâtre.)
Prenons la clef…
Non, non ! ce serait imprudent ! Attachons-les d’abord. Les serviettes… les cordons de sonnettes… ceux des rideaux… coupez, arrachez !
Oui, oui, et garrottons-les tous… (Riant.) à la ronde.
La ronde !… Hé ! camarades !…
Ah !
La ronde… c’est l’heure de la ronde…
- C’est la ronde qui partout veille.
- Ron, ron, ron, ron.
- Et, l’œil ouvert, toujours surveille.
- Ron, ron, ron, ron.
- Dormez, bons bourgeois de Paris,
- Le guet protège vos logis.
- Ron, ron, ron, ron.
Le joli concert !
Chut !
- Prudent, adroit, rien ne l’abuse.
- Ron, ron, ron, ron.
- Vin et tendron il les refuse.
- Ron, ron, ron, ron.
- Dormez, bons bourgeois de Paris,
- Le guet veille sur vos logis.
- NANETTE. Ron, ron, ron, ron.
La ! voilà ce que c’est… la clef, maintenant… dépêchons…
(Elle cherche dans une des poches de Bellerose et Gaston dans l’autre.)
Ah ! je la tiens, je crois… Oui !… (En retirant vivement sa main, la clef s’est embarrassée dans la poche, et Gaston a donné une forte secousse à Bellerose, qui se réveille.)
Qui vive !
Aux armes !
Ciel ! vous les avez réveillés !
Ouais ! qu’est-ce cela ?… lié !
Garrottés ! ! (Ils se démènent sur leurs chaises pour se délivrer de leurs liens.)
Ne vous fatiguez pas, c’est inutile.
Où suis-je ?… comment se fait-il ?… Ah ! je me souviens !… Vin du diable !
Et comment la trouvez-vous, celle-là ?
Vous vouliez nous conduire à la Bastille ; nous, c’est différent, nous vous laisserons seuls ici.
Seuls ?
Absolument seuls, car nous allons rejoindre leurs parents, et il faut que je ferme la porte de la maison. (Elle lui montre la clef.)
Et vous reviendrez ?
À Pâques.
À Pâques ? (Ils s’agitent sur leurs chaises.)
Ou à la Trinité.
Dans deux mois ! (Il s’agite.)
Ça vous contrarie ? Eh bien ! acceptez une capitulation.
Jamais !
Adieu donc ! (À Lucile et Nanette.) Partons ! À notre retour, on ne trouvera plus ici que feu le sergent Bellerose et son escouade… !
Tonnerre !
Morts de faim.
Hélas !
Et de soif.
De soif aussi ! (Ils se démènent.) Au secours !… à l’aide !… à la garde !…
Capitulez-vous ?
Oui, oui !
Silence dans les rangs.
Capitulez-vous ?
Houx !… (À Gaston.) Parlez !
- En liberté je vais vous mettre,
- Beau sergent.
- Mais ici vous devez promettre,
- Par serment,
- D’oublier pour nous votre indigne
- Consigne,
- Qui nous privait de notre liberté.
- Nous le jurons à l’unanimité.
- Alors on vous accorde
- NANETTE, détachant les liens du sergent.
Miséricorde.
- Et l’on coupe la corde !
(On dénoue les liens. L’orchestre joue l’air de la chanson de M. et madame Denis.)
- Silence, mes amis !
- Oui, ce sont eux. Oh ! quelle chance !
(À Lucile, avec joie.)
- C’est l’heureux couple qui s’avance !
- Monsieur et madame Denis !
(Les soldats courent prendre leurs fusils et se mettent en rang devant la porte d’entrée.)
- Ah ! courons !
- Mais, avant,
- Il faut bien humblement
- À nos amis demander assistance.
- Ici, l’espérance
- Nous a conduits, jeunes, aimants, joyeux ;
- Un peu d’indulgence,
- Ah ! soyez tous généreux !
- Nous aussi, contre le danger,
- Daignez tous nous protéger.
- Ici, l’espérance
Nous a conduits, jeunes, aimants, joyeux ; Les
- Un peu d’indulgence,
- Ah ! soyez généreux !
- Du couple qui s’avance
- Imitant l’indulgence ;
- Ah ! puissiez-vous, messieurs, toujours,
Être l’appui de nos amours ! leurs
- ↑ Nanette, Gaston, Lucile.
- ↑ Gaston, Lucile.
- ↑ Lucile, Gaston.
- ↑ Nanette, Gaston, Lucile.
- ↑ Lucile, Gaston, Nanette.
- ↑ Gaston, Nanette, Lucile.
- ↑ Bellerose, Nanette, Gaston, Lucile.
- ↑ Bellerose, Nanette, Gaston, Lucile.
- ↑ Bellerose, Gaston, Nanette, Lucile.
- ↑ Bellerose, Lucile, Gaston, Nanette.
- ↑ Nanette, Lucile, Gaston.
- ↑ Lucile, Gaston, Nanette.
- ↑ Lucile, Guston, Nanette.
- ↑ Gaston, Nanette Lucile.
- ↑ L’escouade, Bellerose, Nanette.
- ↑ Nanette, les soldats, Bellerose.
- ↑ Bellerose, Nanette.
- ↑ Lucile, Gaston, Bellerose, Nanette.
- ↑ Gaston, Lucile, Nanette, Bellerose.
- ↑ Nota. — On pourra, en province, faire chanter ces deux couplets par Gaston.