Le Vigneron dans sa vigne/Noisettes creuses

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Le Vigneron dans sa vigneMercure de France. (p. 160-168).



NOISETTES CREUSES


Êtes-vous comme moi ? quand j’ai de petits ennuis avec une personne, je voudrais tout de suite la voir morte.


Tantôt on jetterait les autres, tantôt on se jetterait soi-même par la fenêtre.


Quel jour sommes-nous donc ? Vu des gens quelconques qui n’impressionneraient pas une plaque photographique. Lu des choses avec un œil de verre. Dit, d’une langue pendante, des phrases où l’herbe poussait entre les mots. Frotté mon front comme un parquet. Éternué, reniflé, toussé…


Si chacun de nous s’appliquait toute sa vie au bonheur de deux personnes, nous serions chacun deux fois heureux, c’est-à-dire une fois de trop.


Ce que je prévois n’arrive jamais, et il me suffit de faire des projets qui m’embêtent, pour n’être contrarié que par d’agréables surprises.


J’essaie de fuir la vie et ses tracas, de me réfugier, comme on dit, dans le rêve, et j’ai rêvé toute la nuit que je n’étais pas fichu de trouver mon chapeau.


L’amitié ne dure qu’autant que les humeurs des deux amis restent complémentaires.


Je ne connais que le coup de foudre antipathique.


Ce qui me plaît me plaît moins que ce qui me déplaît ne me déplaît.


Capable de haïr, je ne sais point me venger. Aussi ma haine ne me sert à rien. Mieux vaut rester bon garçon.


Pauvre langue française où le mot tournure s’applique également bien au derrière des femmes et à l’esprit des hommes !


Madame, je vous recommande cette étude de mœurs mondaines. Elle est signée par un véritable gentilhomme de lettres, qui l’a écrite avec des gants, au Bois et à cheval.


Avez-vous remarqué que dans une bibliothèque les livres se dérangent d’eux-mêmes, et qu’un Daudet parfois grimpe sur un Zola ?


Je n’écris que d’après nature et j’essuie mes plumes sur un caniche vivant.


Voici le soir, la terre a fait un tour de plus, et les choses vont passer avec lenteur sous le tunnel de la nuit.


Dieu ! que cet arbre a l’air faux, ses feuilles remuent au vent du Nord comme le nez d’une femme qui ment.


Je me promenais au milieu des arbres, quand ma bottine s’alourdit d’une motte de terre boueuse. Je voulus m’en débarrasser et je vis combien il est difficile de trouver un petit morceau de bois dans une forêt.


En omnibus, je m’assieds au fond, et d’abord, je fixe la croupe des chevaux pour ne pas céder ma place. Une jeune femme monte sur la plate-forme. Jolie et de bonne santé, elle peut se tenir debout. Puis, c’est une vieille dame. Elle semble distinguée et riche. Que ne prend-elle une voiture ? Plus loin, c’est une ouvrière du peuple avec un enfant et un panier. L’idée d’une bonne action me séduit. Mais où placer le panier ? D’ailleurs il y a dans l’omnibus des messieurs plus jeunes que moi. Tout à coup, sans raison (car la dernière venue n’est ni vieille, ni jeune, ni bien, ni mal, et elle ne me demande rien, elle ne penche pas la tête à l’intérieur comme les effrontées qui dévisagent), je me dresse, j’écarte le double obstacle des pieds et des genoux et je dis d’un ton autoritaire : « Madame, prenez ma place. — Non, merci », répond la dame, polie et sèche. Oui, elle refuse. C’est son droit et elle n’admet aucune réplique. Il ne me reste qu’à regagner piteusement ma place, au milieu des jambes hostiles. Je préfère descendre.


Serait-ce aujourd’hui mon jour de caprices humanitaires ? Voilà maintenant que je me mêle d’aider un pauvre vieux à passer d’un trottoir à l’autre. Et comme il s’accroche, multiplie les excuses et les mercis, me donne sa bénédiction et me promet celle de Dieu sous les regards d’une foule narquoise, je le laisse en plan, dans la rue.


Dès que j’aurai deux sous, nous partagerons. Je te donnerai même cinq sous quand j’aurai dix sous. Mais n’espère pas, compagnon, que nous serons ainsi de moitié jusqu’à cent mille francs. Notre communauté est réduite à l’argent de poche. D’ailleurs, je n’ai rien encore, tu peux tout prendre.


Le divorce serait inutile, si le jour du mariage, au lieu de mettre l’anneau au doigt de sa femme, on le lui passait dans le nez.


Chérie, j’ai calculé, quand vous m’aimez bien, l’éclat de vos deux yeux est de quarante bougies.


Moins femme que fleur, frêle comme une fleur, odorante comme une fleur, vous parleriez le langage des fleurs, si les fleurs parlaient patois.


— Quand on aime sa chérie, me dites-vous, ce n’est jamais le jour qu’on veut qu’on lui offre un cadeau. On ne se retient pas de l’offrir la veille.


Je dis à ma chérie : « Souvent, je ne sais ce que j’ai et je crois que je deviens fou. » — Voyons, mon pauvre ami, tu es fou, me dit-elle.


— Chère chérie, vous ne m’aimez plus. Autrefois, quand j’y restais longtemps, vous veniez discrètement frapper de petits coups à la porte et vous me demandiez, inquiète : « N’es-tu pas malade, mon ami ? »

Aujourd’hui, vous m’y laisseriez mourir.


Ce soir, avant de me coucher, je compte les étoiles du ciel. Elles y sont toutes, et je fais sur la vie des réflexions si bêtes, que c’est à croire que je ne les entends pas.

Puis par habitude, comme quand j’étais petit, j’examine ma conscience, mais je n’ose plus me signer sous les draps. Et je me désole, je me méprise, je m’attrape ferme, je me battrais.

Va, calme-toi et ronfle : La vertu n’est pas pour ton nez.


C’est l’homme que je suis qui me rend misanthrope.