Nora l’énigmatique/03

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Texte établi par Société des Éditions Pascal, cop. (p. 55-81).


chapitre iii

« M. 25 »

I

Le lendemain, la nuit ayant passé sur cette conversation, Édouard ne savait que penser.

Son régiment restait cantonné dans Morona, car les opérations ne se poursuivraient qu’au ralenti. On savait que les Allemands avaient retraité de plusieurs milles, mais que, ayant reçu de puissants renforts, ils s’étaient consolidés dans de fortes positions. Notre aviation et nos formations avancées de blindés, ainsi que notre artillerie, maintenaient le contact. Le gros de l’infanterie restait à l’arrière.

Dans cette oisiveté, le sergent avait le temps de méditer.

Ce qui surnageait surtout de l’entretien, c’était l’évocation de son père, qui l’avait bouleversé beaucoup plus qu’il n’avait voulu le laisser paraître. Jamais, depuis sa petite enfance, le souvenir du disparu ne s’était imposé avec tant de force à son esprit. Dans sa famille, l’existence lointaine du chef ne constituait plus qu’une sorte d’arrière-plan nuageux de l’existence. On le savait quelque part ; on s’était habitué, afin de combattre le désespoir initial, à en parler le moins possible. Le tran-tran de la vie avait recouvert de sa médiocrité l’acuité de la blessure morale.

De se trouver tout à coup devant un être qui avait fait partie de l’existence fabuleuse de l’homme cher et mystérieux, avait fait lever tout un vieux fonds de regrets, de rancœurs, de colères, mais aussi d’affections inassouvies, d’aspirations et de désirs qu’il croyait morts. Comme il lui avait manqué, son père ! Comme Édouard avait envié, petit, ses camarades que gâtait un tel compagnon ! Sa mère avait été pour lui d’une bonté immense, mais une femme ne peut pas se mêler complètement à la vie d’un garçon qui se transforme en homme.

Édouard éprouvait le désir d’interroger celui qui avait été témoin de l’activité militaire, extérieure, de son père, de ce côté de la vie dont il n’était parvenu que des échos à l’épouse. Mais une pudeur compréhensible le retenait. D’autant plus qu’une idée étrange commençaient à se faire jour dans son esprit. Ce capitaine Benoît… Se pourrait-il ?… Mais il n’osait se formuler nettement la question.

Quant à Nora, il éprouvait à son endroit un sentiment assez trouble. Sans entretenir les mêmes soupçons que son chef, il ne parvenait tout de même pas à s’expliquer le voyage au cœur de la nuit. Il s’irritait surtout de la profondeur de dissimulation dont l’Italienne se révélait capable. Vraiment, elle dépassait les bornes et il n’allait plus se faire son jouet.

Le capitaine Benoît le fit enfin venir pour lui dire :

— As-tu réfléchi ? Restes-tu avec moi ? L’excitation va commencer bientôt.

— Je reste avec vous, répondit Édouard.

— Bon ! reprit l’officier. Pour le moment, je voudrais que tu revois Nora… Ne proteste pas. Tu pourras l’observer : ce sera peut-être le meilleur moyen de l’exonérer. En tout cas, ça me rendrait service… Naturellement, je tiens pour acquis que tu n’as pas pour elle un sentiment si fort qu’il t’empêcherait de signaler, chez elle, une conduite nettement fautive, de notre point de vue ?

— Vous avez raison, monsieur, dit Édouard, et je vais m’efforcer de vous satisfaire, peu importe mon sentiment.

II

Dans les jours qui suivirent, le capitaine Benoît mit Édouard Lanieu au courant des éléments du métier. Non pas qu’il voulût en faire un agent proprement dit : le sergent ne connaissait pas assez l’italien pour rendre de grands services en cette qualité. Il désirait qu’il se rendît compte de ce qui se passait et pût, à l’occasion, se tirer d’affaire.

On lui apprit comment une armée se procure les renseignements dont elle a besoin pour ne pas risquer de se lancer à l’aventure, ne connaissant rien de la force, de l’armement, ni des dispositions de l’ennemi : il reste déjà, malgré tout, trop d’inconnu.

Il sut que les services de renseignements comprennent deux grandes catégories : le service central, dirigé par le grand état-major et le service de campagne, qui englobe les officiers de renseignements d’unité, de brigade et de division. C’est ce dernier qui l’intéressait immédiatement. Sa tâche consiste, d’abord, à empêcher le coulage des renseignements vers l’ennemi et à enseigner aux troupes à garder le secret militaire. Sa besogne principale est de recueillir des données sur l’ennemi.

En campagne, on se renseigne de diverses manières. Ce sont les avions de reconnaissance qui, sans cesse dans les airs, repèrent les mouvements et dispositions de l’adversaire. Ce sont les troupes engagées dans l’action qui font part de leurs observations. Ce sont surtout les officiers de renseignements, dont le grand moyen d’action se trouve dans l’interrogatoire des prisonniers de guerre, qu’on soumet aux questions alors qu’ils sont encore tout ébranlés par la rude aventure où ils sont passés.

Édouard Lanieu apprit qu’il est bien rare qu’on puisse se procurer des renseignements d’ensemble en campagne, bien qu’il arrive qu’on saisisse sur un officier fait prisonnier et qui n’a pas eu le temps de les détruire, des documents, des plans d’un haut intérêt. L’ennemi le sait et c’est pourquoi, avant l’invasion de la Belgique en 1940, il avait eu recours à un truc qui lui avait réussi. Un beau jour, un avion avait été forcé d’atterrir en territoire belge, alors neutre. Les Belges en avaient interné les occupants. Sur la personne d’un officier qui se trouvait parmi le groupe, on avait découvert les plans d’attaque de l’Allemagne, plans que la Belgique communiqua à ses alliés quand elle dut entrer dans le conflit. Or, ils étaient faux et l’incident n’avait été monté que pour nous induire en erreur.

Ces grands coups sont rares, à l’ordinaire, on n’a que des bribes de renseignements, dont l’accumulation et la confrontation permettent de dresser un tableau général de la situation. Bribes venues de partout, des troupes avancées, des prisonniers, de la population du lieu, des agents (euphémisme dont on désigne les espions et contre-espions).

Le service central a d’autres moyens à sa disposition. Outre les données qu’il a réunies en temps de paix grâce à l’étude d’une foule de documents (lois, journaux, livres), il a ses organismes d’écoute radiophonique, les grands raids de reconnaissance aérienne, le réseau d’espionnage à grande échelle.

En réalité, le service de campagne participe à cette besogne, puisque les espions pénètrent dans la zone des armées. C’est cet aspect qui attirait Édouard Lanieu.

Il apprenait certains trucs du métier : comment employer, lire et même fabriquer l’encre invisible ; les codes secrets, mais simples encore ; la façon d’expédier les messages au nez de l’adversaire.

III

Édouard allait bientôt recevoir des leçons d’ordre éminemment pratique et, par le fait même, entrer de plein pied dans ses fonctions nouvelles. Un matin, le capitaine Benoît lui dit :

— Je t’ai fait entrevoir, l’autre jour, que nous allions nous lancer dans une activité plus considérable. Le temps en est venu. Depuis quelques semaines, nous pressentions la présence d’espions nombreux. Maintenant, nous en avons la certitude, parce que nos troupes ne peuvent guère faire un mouvement sans que l’ennemi ne soit prêt à y parer : c’est donc qu’il a été averti. D’autre part, on nous prévient de Londres qu’un maître-espion a pris la direction des opérations dans notre secteur : ce que nous soupçonnions déjà, ainsi que je te le disais l’autre jour. Qui est-il au juste ? On ne le sait trop. On connaît tout de même le numéro qu’il a dans le service de renseignements boche, c’est-à-dire « M. 25 ». Nous nous sommes déjà butés à lui. Évidemment, c’est quelqu’un ! Son habileté infernale lui a toujours permis, non seulement de nous échapper, mais même de nous cacher, en grande partie, ses méthodes de travail et son organisation. Il ne faut plus le laisser libre de nous nuire. Nous aurons du fil à retordre, mais ce n’en sera que plus amusant. Dangereux en diable, cependant.

— Ça ne me fait pas peur.

— Je le sais. Seulement, un homme averti en vaut deux, n’est-ce pas ? Comment procéderons-nous ? Je n’ai pas encore arrêté mon plan… T’ai-je dit qu’on m’a confié la besogne de chercher « M. 25 » dans notre coin ?… Je me laisserai guider par les circonstances. M’est avis que nous ne tarderons pas à avoir des éclaircissements. On vient d’arrêter un homme, que je vais interroger en ta présence et dont nous avons déjà entendu le nom. J’ai le pressentiment qu’il nous fournira des lumières, sinon sur le grand chef, du moins sur une partie de son organisme. Au reste, certains indices permettent de penser que « M. 25 » n’est pas un homme, mais une femme. J’ai, de mon côté, de fortes raisons de le croire.

— Vous n’allez vous imaginer que Nora ?…

— Pourquoi prononces-tu ce nom ? Je ne sais rien ; tout est possible.

— Mais, monsieur, Nora a beau être intelligente, elle n’a pas la tête qu’il faut pour diriger un service d’espionnage ! Elle est bien trop légère, pas assez sérieuse. Et puis, c’est une fille qui n’a jamais quitté son coin de pays. Qu’est-ce qu’elle connaît à ces machins compliqués ?

— Évidemment, je suis de ton avis jusqu’à nouvel ordre. Mais, dans notre métier, il ne faut jurer de rien… L’homme que nous avons arrêté est un habitant des environs. Nous n’avons rien de précis à invoquer contre lui. Il est pour le moins suspect. D’abord, nous avons fini par savoir que, bien qu’ayant demeuré à Gerardino autrefois, il est disparu pendant plusieurs années, pour ne reparaître que lorsque nos troupes ont débarqué en Calabre. Ensuite, on l’a toujours vu rôder autour des troupes, tâcher d’en tirer des renseignements, les interroger sans cesse. Enfin, il voyage beaucoup, parfois avec des sauf-conduits, d’autres fois sans documents. Nous l’avons cueilli alors qu’il se dirigeait vers le nord, passé nos avant-postes. Il a beau fournir une explication qui paraît plausible, la situation est trop critique dans ces parages pour qu’un civil s’y risque sans raison sérieuse… Nous allons bien voir.

Sur ce, le capitaine appela un planton, pour lui demander d’aller chercher le prévenu.

C’était un Italien du peuple, typique. Face arrondie, yeux vifs, moustaches tombantes. Vêtu de pièces et de raccrocs, les pieds chaussés d’espadrilles, rien ne le distinguait des paysans qu’on voyait dans les champs, s’obstinant, entre deux batailles, à arracher à un sol ingrat, et dans ce domaine de la mort, de maigres aliments qui perpétueraient un peu de vie. Le sergent se rappelait vaguement de l’avoir vu au café de Gerardino.

L’interrogatoire se révéla laborieux. Édouard Lanieu connaissait déjà assez d’italien pour suivre la conversation, qui en restait aux phrases élémentaires.

— Tu te nommes Guglielmo Ferrati !

— Non : Giacomo Betesta.

— C’est le nom que tu as donné, mais je trouve l’autre dans des papiers que tu portais sur toi.

L’homme se lança dans un long récit pour expliquer qu’il avait, quelques années auparavant, emprunté le nom et les papiers d’un cousin afin d’obtenir des secours dans Naples, à cause de certaine réglementation défavorable aux gens venus en ville de la campagne.

— C’était irrégulier, conclut-il, mais, quoi, faut bien vivre.

— Mettons, dit le capitaine… Tu n’es plus à Naples…

— Vrai, je ne m’explique pas que ces papiers aient été encore dans mes poches. Aussi, j’ai toujours horreur de jeter quelque chose.

— Surtout quelque chose qui peut servir à l’occasion. Par exemple, une double identité… Nous examinerons ça plus tard. Dis-moi, pour le moment, pourquoi tu es revenu de Naples, il n’y a pas longtemps.

— Je voulais recommencer à cultiver la terre.

— Juste comme nous arrivions en Italie ?

— Ça s’adonnait comme ça.

— Bon !… On verra !… Dis-moi, puisque tu aimes tant à cultiver la terre, comment se fait-il que tu voyages tant ? On ne voit que toi sur les routes.

— Je vais porter des denrées aux troupes et, comme j’ai une voiture, je me charge de commissions pour les voisins.

À ce moment, l’officier ouvrit un tiroir et en tira un paquet, dont il défit la ficelle et l’enveloppe de papier. Il en sortit de ces longs et minces cigares, tordus et aux bouts coupés, que les Américains nomment stogies. Le capitaine dit à l’homme :

— Et ces cigares ? C’était pour toi ?

— Non. C’était pour Jacopo.

— Qui est ce Jacopo ?

— Jacopo, de la ferme de Belvedere, au sortir de Morona, vers Gerardino.

— Bien ! Où as-tu pris ces cigares ?

— C’est le tenancier du café de Gerardino qui me les a remis.

— Pourquoi ?

— Jacopo m’avait demandé d’aller les y chercher… Les cigares sont rares, maintenant. Jacopo est riche, lui ; il peut s’en procurer, même à gros prix et loin.

— Intéressant !… Intéressant ! murmurait Benoît, tout en tournant les cigares entre ses doigts… Amenez-le, dit-il aux soldats de l’escorte.

— Est-ce que je peux retourner chez moi ? demanda le paysan. Il y a des travaux qui attendent.

— Attends toi-même un peu ; on verra, répondit le capitaine.

Et, comme l’Italien allait passer la porte :

— Dis donc, la veille de la bataille qui nous a amenés ici n’as-tu pas conduit, à la ferme de Belvedere une femme connue sous le nom de Nora et venant de Gerardino ?

— En effet, monsieur.

— Bien ! Tu peux te retirer.

IV

Le bonhomme sorti, le capitaine demandait au sergent :

— Que penses-tu de tout cela ?

Et l’autre de répondre :

— Je pense que nous venons de voir un espion de la plus belle eau. Mais, si je puis parler avec franchise, je ne vois pas le besoin qu’il y avait de mêler la pauvre Nora à cette affaire.

— Tiens ! Tu en es à l’appeler la pauvre Nora… Passons… Je voulais corroborer ce qu’elle nous a dit et mettre notre paysan à l’épreuve… Je ne partage pas ton avis sur ce dernier. Bien sûr, c’est un triste sire et peu scrupuleux sur les moyens de gagner de l’argent. Justement, il est trop peu digne de confiance pour que personne lui fasse partager le moindre secret. Du reste, tu as vu comme il n’a pas hésité à tout raconter.

— C’est qu’il est lâche.

— Non, s’il s’était senti coupable, il aurait craint de s’incriminer. Évidemment, il n’y avait rien de plus à tirer de lui.

— Alors, nous avons perdu notre temps ?

— Minute ! Il ne sait rien, il ne se doute de rien. Seulement, je crois, comme il l’a raconté, que les gens le chargent de commissions et, parmi ces commissions, il sert d’intermédiaire inconscient. Et, si j’ai raison dans mon hypothèse, il nous a livré des noms précieux. Ou je me trompe fort, ou il en est de peu catholiques.

— Oui, mais, monsieur, vous avez dit « hypothèse ».

— En effet. Je crois posséder un moyen de la corroborer.

— Un moyen ?

— Classique. Ces cigares.

Édouard sourit.

— Ne ris pas. Je ne suis sûr de rien. J’ai une idée : on va bien voir.

Le capitaine prit un cigare, l’examina avec beaucoup de soin, puis l’ouvrit et en déchiqueta le tabac.

— Rien ! dit-il.

Il recommença le manège avec un deuxième cigare, un troisième, un quatrième : sa patience ne semblait pas se lasser. Enfin, il eut un cri de triomphe :

— Et voilà ! Je savais bien !

Au milieu d’un stogy, perdu dans le brun du tabac, un mince bâton blanc apparaissait.

— Qu’est-ce que c’est que ça ? demanda Édouard.

— Ça, mon vieux, c’est un message. Tu vas voir.

Avec d’infinies précautions, le capitaine déplia une feuille roulée très serré, feuille sans doute de papier à cigarette.

— Batèche ! ne put s’empêcher de s’écrier Édouard.

— Approche, dit le capitaine. Tu vois, il y a de l’écriture.

— C’est pourtant vrai. Mais je ne comprends pas.

— Moi non plus, mais examinons de plus près. Voyons voir ; où est ma loupe ? Ah ! voici… Et voici ce que nous obtenons :

Venw. lrw. prxenmrvjccrwxPKV. J.

Édouard Lanieu éclata de rire.

— Nous voilà bien avancés, s’écria-t-il.

— Mais, oui, nous sommes en présence d’un message chiffré, et chiffré avec tant de simplicité, si je ne m’abuse, que, moi, qui ne suis pas un spécialiste de la cryptographie, je vais en venir à bout… Va te reposer, pendant que je m’y mets.

Une heure après, le sergent rentrait, pour entendre le capitaine dire

— J’ai la solution, en partie du moins et les renseignements de notre bonhomme m’ont mis sur la voie. Comme tu le sais, il faut toujours tâtonner, avant de déchiffrer. J’ai donc tâtonné, mais pas trop, parce que, convaincu qu’il s’agissait d’un système très simple, j’ai essayé les quelques clés élémentaires que je connais. Après de vains essais, j’ai pensé au système dit de Jules César, lequel consiste à décaler l’alphabet. Il fallait trouver la lettre-clé. Or, les cigares, et donc le message, s’en allaient vers Jacopo et l’on aperçoit un « J », isolé à la fin du message. Donc, l’initiale du nom a servi de clé. C’est-à-dire que « J » représente « a », « k » représente « b » et ainsi de suite. Nous obtenons cet alphabet que j’ai mis par écrit :

j : a ; k : b ; l : c ; m : d ; n : e ; o : f ; p : g ; q : h ; r : i ; s : j ; t : k ; u : l ; v : m ; w : n ; x : o ; y : p ; z : q ; a : r ; b : s ; c : t ; d : u ; e : v ; f : w ; g : x ; h : y ; i : z.

Lisons maintenant le message et nous avons :

V. enw. lrw. prxenmrvjccrwx PKV. J.

M. ven. cin. giovedimattino……

C’est-à-dire : « M. ven. cin. giovedi mattino… » En italien, naturellement. Si nous reconstituons les mots qui suivent « M » et qui ont été abrégés, nous avons « venti cinque ». Traduisons en français : « M. vingt-cing jeudi matin… »

— « M. 25 » ! s’exclama Édouard. Le numéro du fameux espion ?

— Exactement. Tu vois la découverte formidable que nous venons de faire.

— Nous avons « M.25 » !

— Pas si vite ! Il reste bien du mystère. Que fera M. 25 jeudi matin, c’est-à-dire demain ? Et puis, nous n’avons pas déchiffré les dernières lettres : PKV. J. Qu’en penses-tu ?

— Vous avez déjà découvert que « J » désigne Jacopo.

— Parfait !

— Maintenant. Attendez !… P…K…V… D’après votre alphabet, P représente G ; K égale B et V se met à la place de M… Donc, on a : GBM… Sapristi !… Qu’est-ce que ça veut dire ?… G…B…M… Ah ! j’ai une idée… Mais, c’est pas ça…

— Dis toujours.

— Si « G » signifiait Gerardino ; « B », Belvedere et « M », Morona ?

— Tu y es !… Attends !… attends !… Je crois comprendre : jeudi matin, M. 25 voyagera par Gerardino, la ferme de Belvedere et Morona !

— Et Jacopo est chargé de le faire passer !

— Oui, oui ! Ça y est ! Nous avons le mot. Et notre paysan de tout à l’heure fera le voiturier comme à son habitude.

— Vous allez le garder, maintenant ?

— Au contraire ! Je vais lui redonner la liberté la plus complète ! C’est lui qui va nous conduire vers M. 25, sans s’en douter.

— Vous avez raison.

— Auparavant, il faut lui redonner ses cigares, et avec le message.

— Comment ?

— Mais, oui. Sans ça, Jacopo ne saurait pas qu’il faut aller chercher M. 25… Seulement, il va être difficile de remettre le bout de papier comme il était. Nos gaillards l’avaient roulé dans le tabac en façonnant le cigare.

Édouard dit alors, s’emparant d’un cigare :

— C’est mon affaire… Parmi les nombreux métiers que j’ai faits, il y a celui de cigarier. Pas longtemps, mais j’en sais assez pour défaire et refaire un stogy.

— Tu as été cigarier ? Pauvre garçon !

Édouard eut vite terminé, en effet. Il refit le paquet comme il était à l’origine, à l’aide de la même ficelle et du même papier, puis de quelques stogies qu’il réussit à trouver parmi ses camarades et destinés à remplacer ceux que le capitaine avait détruits dans ses recherches. Après quoi, on appela le paysan et Paul Benoît lui dit :

— Je suis satisfait de tes explications. Tu vas donc rentrer chez toi. Voici les cigares de Jacopo que tu lui remettras : j’avais bien envie de les fumer !… eh bien, bonjour, Guglielmo.

— Non, Giacomo.

— Si tu veux… Bonjour !

Le bonhomme parti, le capitaine s’écria

— Et maintenant, préparons nos plans.

V

Malgré tout, il restait bien des points à élucider. Si, comme le croyaient nos deux hommes, M. 25 devait passer, dans la charrette de Giacomo, par Gerardino, la ferme et Morona, il fallait déterminer à quelle heure le fait se produirait. Le plus prudent serait de compter largement et de considérer que le matin commencerait à minuit.

Pour l’heure, il importait de surveiller les mouvements de Giacomo et Jacopo. Un homme, près de la ferme du Belvédère, s’en chargerait. Tâche assez difficile, à moins de s’approcher beaucoup et alors, on risquait de se faire voir. Bien qu’elle comprit de beaux champs, ce qui en expliquait la prospérité, les bâtiments se trouvaient en un coin tourmenté, parsemé de rochers, de ravins et de bosquets. C’était, à y bien penser, le lieu rêvé pour des conspirateurs.

Tout de même, vers le soir, l’observateur revenait annoncer que Giacomo s’était présenté à la ferme, puis qu’il en était reparti, toujours dans sa charrette, en compagnie de Jacopo. Benoit prit alors ses dispositions. Deux hommes se rendraient à Gerardino, le sergent Lanieu surveillerait la ferme en compagnie de Jos. Larivier. Lui-même resterait dans Morona, prêt à toute éventualité. En outre, des observateurs feraient le guet aux approches de ce dernier village. Le plan consistait a n’arrêter M. 25 que passé Morona et, si possible, tant qu’on ne connaîtrait pas nettement sa destination : il fallait tirer tous les renseignements possible. Au reste, on ne le perdrait jamais de vue, puisque les observateurs de Gerardino suivraient la voiture discrètement jusqu’à la ferme ; puis les deux groupes, de la ferme à Morona. Bien d’autres précautions étaient prévues et, en particulier, les moyens de communiquer d’un groupe à l’autre.

Dès 8 heures du soir, les détachements partaient pour se rendre à leurs observatoires. La nuit s’annonçait belle.

Alors qu’il allait sortir du village, Édouard croisa Nora.

Tou viendras au café, ce soir ? lui demanda-t-elle.

— Non, répondit-il, je suis de service.

— Pas un petit moment ?

— Non, non. D’ailleurs, je veux me coucher de bonne heure.

Elle le fixa un instant des yeux, puis ajouta :

— Eh bien, bonne nouit, mon chéri… Ye me consolerai avec Jos Larivier, dit-elle dans un petit rire.

— Tu n’auras pas la chance de me faire cette infidélité, répondit Édouard sur le même ton. Jos est de service, lui aussi.

— Ensemble, vous deux ?

— Tu es trop curieuse.

Songeur, il la regarda s’en aller dans un mouvement des hanches. Puis, il se hâta pour rejoindre son compagnon.

VI

Le capitaine Benoît avait pris position dès minuit dans une vieille tour en bordure du village, d’où il surveillait les environs, autant que le permettait la clarté diffuse de la lune. Il avait en outre disséminé ses hommes à tous les points stratégiques. Les heures s’écoulèrent, sans rien apporter. Vers 4 heures du matin, Jos Larivier arrivait en trombe, dans le jeep qu’on avait eu soin de dissimuler près de la ferme du Belvédère. Dès qu’il aperçut le capitaine, il cria :

— L’avez-vous ?… L’avez-vous ?…

— Qui ?

— M. 25.

— Comment, M. 25 ? Vous l’avez vu ?

— Oui, il nous a échappé. Il va venir !

Remettant les explications à plus tard, le capitaine alertait ses hommes. Le temps passa encore, mais rien ne paraissait. Jos. Larivier était retourné vers Édouard Lanieu. Le capitaine Benoît n’y comprenait plus goutte. Comme l’aube pointait, il vit rentrer ses deux jeeps, celui de Gerardino comme celui de Belvedere. Dans le dernier, quatre hommes, c’est-à-dire, outre les deux militaires, Jacopo et Giacomo. Ayant confié ceux-ci à des soldats, Édouard se présenta devant son chef.

— Enfin, s’écria celui-ci, va-t-on m’expliquer ?

— Mais vous-même, monsieur, avez-vous pris M. 25 ?

— Non !

— Alors, tout est raté, je pense.

— Mais dis, dis !

Édouard raconta :

— Les observateurs de Gerardino m’ont signalé qu’ils ont vu partir la charette de Giacomo vers deux heures du matin. Un homme y avait pris place, en plus de Giacomo et Jacopo.

— Où, à Gerardino ?

— Apparemment, de la maison où j’étais cantonné.

— Donc, chez les parents ou soi-disant parents de Nora ?

— Oui.

— Ah !

— Ils ont suivi la voiture qui se dirigeait bien vers la ferme du Belvédère ; mais, à un certain moment, elle leur a échappé. Ils pensent qu’elle a pris un chemin qu’ils ne connaissent pas.

— Et toi ?

— J’étais à mon poste, avec Jos. Larivier, attendant la voiture par le seul chemin qui conduit à la ferme. Tout à coup, derrière nous, nous entendons un bruit insolite. Nous nous retournons et nous apercevons deux hommes qui cherchent à gagner la ferme à travers les rochers et les ravins. Laissant Jos. à son poste, je m’avance vers eux.

— C’était ?

— Jacopo et un inconnu.

— As-tu bien vu cet inconnu ?

— Non. Je n’ai guère vu sa figure, du moins à ce moment-là.

— Et Giacomo ?

— Pas de Giacomo ni de voiture. Avaient-ils constaté qu’on les suivait : Voulaient-ils user de précautions supplémentaires ? Toujours est-il, évidemment, qu’ils avaient laissé la grande route et abandonné la charrette. En tout cas, j’avais mon gaillard. Selon vos instructions, j’ai laissé les deux hommes pénétrer dans la ferme. Bientôt les observateurs de Gerardino arrivaient. J’ai disposé mon monde de façon que personne ne pût sortir de Belvedere sans qu’on l’aperçût. Au bout de quelques minutes, je vois venir vers moi une ombre qui se glisse parmi les rochers : c’était mon inconnu. Je voulais me contenter de le surveiller, toujours d’après vos ordres. Mais il ne m’a pas laissé le choix. Il m’avait vu sans doute. Avant que j’aie pu me rendre compte de ce qui se passait, il me saute dessus.

— Il t’a attaqué ?

— Oui. Je ne comprends pas ce qui l’a pris. Peut-être pensait-il me surprendre et me tuer d’un coup du couteau qu’il portait à la main. Mais je le voyais venir ! Au moment où il allait m’atteindre, je lui ai tordu le poignet.

— Tu l’as eu ?

— On ne l’a pas si facilement ! Il a réussi à se dégager. Je l’ai rattrapé par la manche. Il se débattait tellement que je ne le tenais pas bien. Avant que j’eusse pu lui mettre vraiment le grappin dessus, il avait réussi à se débarrasser de son veston, que je gardais à la main et il s’est élancé dans le ravin. Je l’ai encore rejoint. Mais c’est un athlète ou le diable en personne : il m’a encore échappé.

— Tu n’as pas appelé ?

— J’ai appelé et tout le monde lui a couru après. Mais il est plus agile que des commandos ou il connaît le terrain : il s’est perdu dans la nuit et c’est alors que je vous ai envoyé Larivier.

— Raté !

— Pas tout à fait ; j’apporte des renseignements. Et puis, il passera peut-être encore par ici.

— Peu probable. Et les renseignements ?

— Formidables ! D’abord, la dernière fois que je l’ai attrapé, je lui ai déchiré sa chemise ; j’ai tout arraché, même le sous-vêtement. Et j’ai vu que M. 25 est une femme !

— Une femme !… Es-tu sûr que c’était M. 25 ?

— Je crois, comme vous allez voir…

— Lui as-tu vu la figure, cette fois-là. Assez pour la reconnaître ?

— Je ne l’ai pas vue parfaitement, mais je pense que je la reconnaitrais… Je n’en suis pas sûr… Et puis, j’ai autre chose. D’abord, un papier dans la poche du veston, indiquant, me semble-t-il, qu’il s’agit de M. 25 : le voici. Ensuite, l’oiseau étant envolé, j’ai pénétré dans la ferme et j’y ai trouvé d’autres papiers que j’apporte aussi. Enfin, j’ai cru bon d’arrêter Jacopo, qui pourra nous éclairer.

— Tu as bien fait. Et où as-tu pris Giacomo ?

— J’ai envoyé un jeep vers l’arrière. Le bonhomme, revenu sur la route, s’en allait tranquillement. Nous avons laissé sa charrette à Belvedere.

VII

— Évidemment, dit le capitaine après quelques moments de réflexion, M. 25 est disparue : elle a évité Morona. Tout de même, je vais faire battre la campagne, pour le cas ou il… je veux dire elle se serait terrée quelque part, attendant la nuit pour reprendre sa randonnée.

Il donna des ordres. Puis examina les documents qu’Édouard lui avait remis. D’abord, le bout de papier trouvé dans la poche du veston. C’était un message fort court, écrit dans le même code que la dépêche trouvée à l’intérieur du cigare destiné à Jacopo, et indiquant la route à suivre : Gerardino-Belvedere-Morona. Il était intéressant en ce qu’il ne laissait subsister aucun doute sur l’identité du personnage.

— Et puis, nota Paul Benoit, on voit que notre donzelle n’est pas aussi forte que certains le prétendent. Quelle imprudence de garder ce document dans sa poche ! Elle se méfiait peut-être de sa mémoire.

Parmi les papiers saisis chez Jacopo, les uns, facilement déchiffrables, dénotaient que cet homme servait de courrier ou de passeur, c’est-à-dire qu’il agissait à titre d’intermédiaire dans l’expédition de rapports et qu’il faisait passer certaines gens d’une zone à l’autre. D’autres documents comportaient un code beaucoup plus compliqué. Le capitaine résolut de les envoyer à un spécialiste.

Restait à interroger les deux prisonniers. On commença par Giacomo, qui pouvait fournir une indication utile en vue de l’interrogatoire suivant, le seul vraiment important.

— Ah ! te revoilà, mon gaillard ! lui dit Benoit quand il l’aperçut.

— Ben quoi, oui, répondit l’autre. Impossible de circuler, maintenant, sans se faire arrêter.

— Tu dois te douter de la raison.

— Je ne sais rien. J’ai déjà expliqué que je fais des voyages pour gagner un peu d’argent. Hier, quand on m’a relâché, j’ai été porter les cigares de Jacopo. Il m’a demandé d’aller, le soir, avec lui, chercher un ami à Gerardino. C’est ce que j’ai fait et voilà tout.

— Hum… Jacopo t’a-t-il conseillé des précautions particulières ?

— Non… On s’est rendu chez Ferrero…

— C’est le parent de la Nora dont je t’ai parlé hier ?

— Je pense… Là, on a pris un homme et on est revenu.

— Connais-tu cet homme ? L’avais-tu déjà vu ?

— Il faisait noir, je n’ai pas bien vu et ça ne m’intéressait pas.

— Jacopo et l’autre ont-ils causé en route ?

— Quelques mots… Rien de particulier.

— Pourquoi avez-vous quitté la route ?

— En arrivant près de Belvedere, Jacopo m’a demandé de le conduire jusqu’à la cabane d’un homme qu’il emploie souvent comme journalier ou berger, je ne sais trop. Il voulait lui donner un ordre.

— Avez-vous ensuite repris la route ?

— Oui.

— Es-tu bien sûr, Giacomo ?

— C’est-à-dire que, moi, j’ai repris la route. Eux, ils m’ont dit que, comme il faisait beau, ils rentreraient à pied, afin de jeter un coup d’œil aux champs.

— En pleine nuit ?

— Il faisait clair de lune.

— Bon ! Ça suffit pour l’heure. Mais tu restes à notre disposition.

VIII

L’interrogatoire de Jacopo n’alla pas si facilement. Au grand étonnement du capitaine Benoît, le suspect se montra agressif et, par moments, ironique.

C’était un paysan encore jeune, solide, beau gars, a l’intelligence et à la débrouillardise peu communes. Il n’y avait pas moyen de le traiter avec le même sans gêne que Giacomo. Aussi l’officier de renseignements eut-il recours à toutes ses ressources.

— Jacopo, commença-t-il, vous savez la gravité de votre situation ? Il n’y a qu’un moyen d’en sortir. Parlez franchement et je vous promets l’indulgence des autorités : nous voulons attraper des gens plus considérables que vous dans l’espionnage. Aidez-nous, nous vous aiderons.

— Faudrait savoir de quoi vous parlez, répondit le paysan.

— Vous aimez les formalités ? Très bien ! Précisons. Nous vous accusons d’avoir, la nuit dernière, facilité le voyage d’un chef de l’espionnage ; puis, de servir constamment de courrier et de passeur.

— Moi ? J’ai fait voyager un espion, la nuit dernière ?

— Plus précisément, M. 25.

— Comprends pas !

— Jacopo, ne faites pas la bête ! Vous avez reçu un message que nous avons lu… un message parmi les cigares que vous a apportés Giacomo, hier.

— En voilà une bonne ! Les cigares de Giacomo, les voici ; je les ai fourrés dans ma poche et j’en ai fumé un, il est vrai, mais il n’avait rien que d’ordinaire.

— Il sortit des cigares de sa poche et les déposa sur la table.

— Sergent Lanieu, vous n’aviez pas fouillé votre prisonnier ? demanda le capitaine.

— J’en avais chargé le soldat Larivier, répondit Édouard. Je ne comprends pas.

— Voyons un peu.

Édouard reconnut le stogy qu’il avait tourné lui-même. Il l’ouvrit : le message s’y trouvait intact. Le capitaine se renversa sur le dossier de sa chaise, l’air ahuri.

— Voilà qui est trop fort ! dit-il. Et, alors, pourquoi êtes-vous allé chercher M. 25 à Gerardino ?

— Excusez-moi, mon capitaine, mais je vous trouve drôle, avec votre histoire de M… quelque chose. Je n’y comprends rien. J’ai été chercher un ami à Gerardino.

— Vous voulez dire une amie.

En entendant ces mots, Jacopo perdit de son assurance. Évidemment, il ne savait pas qu’Édouard avait découvert le secret.

— Touché ! murmura le capitaine Benoît en français.

Mais Jacopo s’écriait :

— Et puis, une femme n’aurait pas le droit de porter le pantalon ? Ça vous connaît chez vous, en Amérique !

— Mais comment expliquez-vous que, dans le veston de cette femme, on ait trouvé le message correspondant à celui du cigare ?

— Comment le saurais-je ? Je n’avais pas vu le message du cigare.

— Jacopo, vous éludez les questions. Justement ! vous n’aviez pas vu ce message, et cependant vous saviez qu’il fallait aller chercher M. 25 à Gerardino.

— Je n’élude rien. Et, d’abord, puisque vous êtes si curieux, avez-vous cherché à savoir d’où venaient les cigares ?

— Voilà une excellente idée : vous allez nous le dire.

— Moi, j’avais demandé à Giacomo de m’apporter des cigares du café de Gerardino comme il le fait régulièrement. Est-ce ma faute s’il lui a donné celui qui contenait le papier et qui était destiné à un autre ?

— Vous avez de bons raisonnements, Jacopo. Mais vous n’expliquez pas comment il se fait que vous ayez été en compagnie d’une femme déguisée en homme et que cette femme portait le message correspondant à l’autre… Je ne vois pas encore pourquoi le cigare en question est resté intact. J’y arriverai : il s’agit sans doute d’une finasserie cousue au fil blanc. Vous ne voulez décidément pas parler ?

— Je n’ai rien à dire.

— Peut-être serez-vous plus loquace quand j’aurai fait déchiffrer ces papiers saisis chez vous.

Le capitaine remuait ces documents, quand, tout à coup, il en aperçut un, dans le même code que le message du cigare et qu’il n’avait pas d’abord remarqué. Ayant encore sur sa table l’alphabet qu’il avait dressé la veille, il n’eut pas de peine à lire : « N’ouvre pas le cigare. Va chez Ferrero ce soir. N. »

— Ah ! ah ! s’écria-t-il. Vous ne nierez plus, Jacopo.

Ce dernier, dont l’allure changeait, hésita, puis finit par dire :

— Je vais vous épargner de la besogne. Vous finiriez par savoir que c’est Giacomo qui m’a remis ce dernier billet, en même temps que les cigares. On le lui avait remis au moment où il sortait de chez vous, hier.

— Qui, « on » ?

— Minute ! Je vais vous le dire, parce que, ça aussi, vous l’apprendriez. J’ai commis une erreur en ne détruisant pas ce billet : tant pis ! Mais, capitaine, avant que nous allions plus loin, je vous prie de procéder avec prudence.

— Dites donc ! En voilà un langage, dans la bouche d’un prisonnier !

— Je sais ce que je fais ! Attendez. Vous allez me garder en prison, je le sais : rien ne presse par conséquent. Attendez d’avoir fait déchiffrer les documents et de vous être mieux renseigné. Sinon, vous pourriez commettre une erreur qui coûterait cher à votre côté.

— Explique-toi !

— Je ne veux pas parler maintenant. Moi, je n’ai pas le droit… Interrogez plutôt la personne qui a remis le billet à Giacomo.

— Et c’est ?

— Nora !

IX

Quand on se mit en quête de Nora, on apprit que personne ne l’avait vue, ce jour-là. Ses logeurs croyaient pouvoir jurer qu’elle avait passé la nuit dans sa chambre, mais ne l’en avaient pas vue descendre.

L’Italienne était bel et bien disparue.