Le Parnasse contemporain/1869/Nouveaux sonnets païens
NOUVEAUX SONNETS PAÏENS
I
Refleuris sous mon front, ô fleur de volupté,
Fleur du rêve païen, fleur vivante & charnelle,
Corps féminin qu’aux jours de l’Olympe enchanté
Un cygne enveloppa des blancheurs de son aile.
L’amour des Cieux a fait chaste ta nudité :
Sous tes contours sacrés la fange maternelle
Revêt la dignité d’une chose éternelle
Et, pour vivre à jamais, s’enferme en la Beauté.
C’est toi l’impérissable, en ta splendeur altière,
Moule auguste où l’empreinte ennoblit la matière,
Où le marbre fait chair se façonne au baiser :
Car un Dieu, t’arrachant à la chaîne fragile
Des formes que la Mort ne cesse de briser,
A pétri dans tes flancs la gloire de l’argile !
De ta face immortelle & de ton noble buste
Mes mains ont affronté les contours radieux,
Quand, fervent & tout plein de l’image des Dieux,
J’ai moulé sur ton corps leur souvenir auguste ;
Et, sous l’enchantement de ta beauté robuste,
J’ai touché de ma lèvre, ivre & fermant les yeux,
Ta lèvre aux feux sacrés, vase religieux
Où le sang de nos cœurs, comme un rubis, s’incruste.
Je ne tenterai plus l’inutile tourment
De ton amour, ô Femme, & je veux seulement,
Jaloux de ta splendeur, craintif du sacrilége,
Ceindre très-humblement, de mes bras prosternés,
Tes pieds, tes beaux pieds nus, frileux comme la neige
Et pareils à deux lys jusqu’au sol inclinés.
N’espère pas que tu l’apaises,
Le désir qui brûle mes reins :
Je fuis les bras dont tu m’étreins
Et la bouche dont tu me baises.
Les serpents jetés aux fournaises
Des lourds trépieds pythoniens,
En des tourments pareils aux miens,
Se tordaient, vivants, sur les braises.
Je suis comme un cerf aux abois
Qui, par la plaine & par les bois,
Emporte, en bramant, ses blessures.
Tourne vers moi tes yeux ardents :
Ouvre ta lèvre, — à moi tes dents !
— Plus de baisers, mais des morsures.
Souvent, — & j’en frémis, — quand sur ta lèvre infâme
J’ai bu, dans un sanglot, d’amères voluptés,
Alors qu’une détresse immense prend mon âme,
O toi pour qui je meurs, tu dors à mes côtés !
L’ombre épaisse envahit tes sereines beautés
Et jusque sous tes cils éteint tes yeux de flamme ;
Ton souffle égal & lent fait comme un bruit de rame :
— C’est ton rêve qui fuit vers des bords enchantés.
Repose sans remords, ô cruelle maîtresse !
Ignore dans mes bras les pleurs de ma caresse,
Car tu n’es pas ma sœur, cœur à peine vivant !
Mais quand la nuit a clos tes paupières meurtries,
Quelle pitié des cieux pour les choses flétries
Te rend, sous mes baisers, le sommeil d’un enfant ?
Que ne suis-je le rêve où ton âme me fuit,
Quand l’haleine de fleur dont ta bouche est baisée
Se berce au rhythme lent de ta gorge apaisée,
Dans la tranquillité profonde de la nuit !
Que ne suis-je le rêve où ma douleur te suit
D’un souffle haletant & d’une aile brisée,
Sans entrevoir jamais, comme une aube embrasée,
L’invisible soleil qui sous ton front reluit !
— L’amour qui te fait vivre est celui qui me tue ;
Car ta sérénité cruelle de statue
N’est qu’un leurre où sans fin s’épuise mon souci.
De ton sommeil menteur étreignant le mystère,
Près de ton cœur j’y sens vivre un hôte adultère
Et voudrais être mort pour t’apparaître aussi.
Toi qui foules encor l’argile qui me pèse,
Que ne suis-je moi-même à l’argile rendu,
Mort glacé sous tes pas & sous l’herbe étendu,
Sein brûlé que le froid de son linceul apaise !
Que ne suis-je mêlé dans la cendre qui baise
Le pli traînant du voile à ton flanc suspendu,
Dans le monde vivant qui t’entoure perdu,
Et de mes vains débris t’étreignant à mon aise !
Je deviendrais un peu de tout ce qui te sent,
De tout ce qui te voit, de tout ce qui te touche ;
Fleur, je me sécherais aux chaleurs de ton sang,
Ou fruit, je me fondrais aux saveurs de ta bouche ;
— Je serais une proie à tout ce que tu veux
Et je boirais dans l’air l’odeur de tes cheveux.