Nouvelle Biographie générale/Spener (philippe-jacques)

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Firmin-Didot (44p. 166-168).

SPENER (Philippe-Jacques), célèbre théologien protestant; né le 25 janvier 1635, à Ribeauvillé (Alsace), mort le 5 février 1705, à Berlin. Il était fils de l'archiviste du comte de Ribeauvillé. De bonne heure des sentiments de piété fervente lui furent inculqués par sa marraine, la comtesse de Ribeaupierre, et par les pasteurs Horb et Stoll. Après avoir étudié les humanités à Colmar, il se rendit en 1651 à Strasbourg, où les professeurs Dannhauer et Séb. Schmid, op-posés tous deux à l'esprit d'ergotage et de coatroverse acrimonieuse qui animait alors les théologiens protestants de toutes les cxonfessions, lui inspirèrent le goût de l’étude approfondie de la Bible. En 1654 il devint précepteur des deux fils du comte de Birkenfeldt ; selon le désir de leur père, il eut, malgré sa répugnance, à les instruire dans les diverses branches de l’art héraldique. Au bout de deux ans, il se remit avec une ardeur nouvelle à la théologie, et perfectionna ses connaissances dans les langues orientales, telles que l’hébreu et l’arabe. En 1663 il obtint à Strasbourg une place de prédicateur ; l’onction pénétrante de ses sermons lui valut aussitôt une grande réputation et le fit appeler à l’âge de trente et un ans comme premier pasteur à Francfort (1666). « Ses prédications, disent MM. Haag, quoique, à dire vrai, elles ne brillassent pas par l’éloquence, ne tardèrent pas à attirer la foule ; elles plaisaient parce que l’orateur, méprisant le vain étalage d’érudition, les subtilités, les bizarreries, les attaques violentes contre les cultes dissidents qui remplissaient les sermons de ses confrères, s’attachait à prêcher la Bible et rien que la Bible. C’était une nouveauté pour presque tous ses auditeurs… On chercherait en vain un sermon de controverse dans le volumineux recueil Evangelische Glaubenslehre, où il passe en revue tous les dogmes du christianisme ; mais il n’oublie jamais les applications pratiques qui découlent de son texte. Il s’éleva fortement contre le principe de la justification par la foi seule, et insista sur la nécessité des bonnes œuvres pour l’accomplissement du salut. Pour stimuler la piété de ses ouailles, il établit chez lui en 1670 des assemblées appelées collegia pietatis, où il s’attachait à fournir sur la morale évangélique tous les éclaircissements que pouvaient lui demander les assistants. En même temps il prenait soin de réorganiser la catéchisation et de mettre l’enseignement religieux à la portée des enfants. Dans tout ce qu’il entreprit pour opérer une réforme que l’indifférence générale avait rendue nécessaire, Spener agit avec tant de discernement, de prudence et d’habileté, que pendant longtemps il ne donna point prise à la malveillance. Mais depuis 1679 il devint en butte à de vives attaques, provoquées par une préface qu’il mit en tête d’une nouvelle édition de la Postille d’Arndt, et où il censurait les mœurs des classes élevées. En 1684 il accepta, à la sollicitation de Seckendorf ([1]), les emplois de prédicateur de la cour de Dresde, de confesseur de l’électeur de Saxe et de membre du consistoire supérieur. Il fit apporter de notables améliorations à l’enseignement théologique à Leipzig et à la catéchisation dans toute la Saxe. En 1689 il tomba en disgrâce pour avoir adressé à l’électeur Jean-Georges III une lettre respectueuse, mais énergique, où il lui reprochait le débordement de ses mœurs. Attaqué avec véhémence par Carpzov,


qui convoitait sa place à la cour, et par d’autres théologiens orthodoxes, il quitta Dresde en 1691 et passa à Berlin en qualité de prévôt de l’église Saint-Nicolas et d’inspecteur consistorial, emplois qu’il conserva jusqu’à la fin de sa vie. L’électeur de Brandebourg encouragea ses efforts pour une régénération religieuse, et confia l’enseignement théologique de la nouvelle université de Halle à Franke, à Breithaupt et à d’autres disciples de Spener ; cela irrita profondément les facultés de Wittenberg et de Leipzig, qui avaient censuré comme hérétiques deux cent soixante-quatre propositions tirées de ses écrits. Spener s’éteignit doucement, avec la certitude d’avoir mené à bonne fin une réforme qui devait avoir les plus heureux résultats, et qui notamment devait frayer la voie à la tolérance. L’esprit d’exagération et d’exclusivisme orgueilleux que beaucoup de ses soi-disant disciples montrèrent après sa mort, et qui a jeté tant de discrédit sur le nom de piétiste, ne détruisit pas l’influence salutaire des idées de Spener. Peu à peu dans l’Allemagne protestante, la chaire cessa de retentir d’arguties scolastiques ; on y commença d’enseigner au peuple la pratique des devoirs du chrétien.

Spener était un modèle de candeur, de simplicité et d’une humilité vraiment chrétienne. « Sa modestie, disent les auteurs déjà cités, n’était surpassée que par sa bonté ; la violence même de ses ennemis ne put le faire sortir de son caractère. Doué d’une imagination très-vive, il avait dans sa jeunesse aimé passionnément la poésie ; mais arrivé à l’âge mûr, il avait renoncé au culte des Muses et brûlé presque tous les vers qu’il avait composés. Ses connaissances étaient très-étendues dans la plupart des branches de la théologie ; cependant l’exégèse avait ses préférences ; aussi avait-il principalement dirigé ses études vers les langues qui pouvaient l’aider à pénétrer le sens des livres saints. La Bible était sa lecture favorite, la prière son occupation la plus chère. Ses talents cependant, son activité infatigable et ses qualités persoenelles n’auraient pas suffi pour le rôle auquel la Providence le destinait, s’il n’avait possédé en même temps un esprit essentiellement pratique, un jugement ferme et pénétrant, une grande connaissance des hommes, l’expérience des choses du monde et l’art d’exposer ses idées dans un style naïf, clair, naturel, qui les mettait à la portée de tous. Parmi ses cent quarante et quelques écrits, nous citerons : Tabulæ chronologicæ ; Stuttgard, 1660, in-8o ; — Sylloge genealogico-historica ; Francfort, 1665, 1677, in-8o : ouvrage plein d’érudition et écrit avec beaucoup de sagacité critique, comme tous ceux que Spener a publiés sur ces matières ; — Commentarius in insignia domus Saxonicæ ; ibid., 1668, in-4o ; — Theatrum nobilitatis Europaeæ ; ibid., 1668-78, 2 vol. in-fol. ; — Pia desideria ; ibid. 1675, in-12 ; souvent réimpr., en dernier lieu à Dresde, 1846 ; — Das geistliche Priesterthum (Le Sacerdoce spirituel) ; ibid., 1677, in-12 ; Stuttgard, 1851, in-8o ; — Christliche Leichenpredigten (Oraisons funèbres) ; Francfort, 1677-1707, 13 vol. in-4o ; — Busspredigten (Sermons de pénitence) ; ibid., 1678-1710, 3 vol. in-4o ; — Des thætigen Christenthums Nothwendigkeit (Nécessité du christianisme pratique) ; ibid., 1679, 1721, in-4o ; — Historia insignium illustrium, seu opus heraldicum ; ibid., 1680-90, 2 vol. in-fol. ; — Tabulæ catecheticæ ; ibid., 1683, in-fol. ; — Klagen ueber das verdorbene Christenthum (Plaintes sur la corruption du christianisme) ; ibid., 1684, in-12 ; — Der innerliche and geistliche Friede (La Paix intérieure et spirituelle) ; ibid., 1685, in-12 ; — Evangelische Glaubentslehre (Doctrines des dogmes évangéliques) ; ibid., 1638, in-4o ; — Illustriores Galliæ stirpes ; ibid., 1689, in-fol. ; — Evangelische Lebenspflichten (Devoirs de la vie évangélique) ; ibid., 1692, 1715, in-4o ; Berlin, 1761, in-4o ; — Wahrhafte Erzaehlung dessen was wegen des sogenannten Pietismi in Deutschland vorgegangen (Récit sincère de ce qui s’est passé en Allemagne au sujet du soi-disant piétisme) ; Francfort, 1697, in-12 ; — Historie der Wiedergeborenen (Histoire de ceux qui renaissent par la grèce) ; ibid., 1698, 3 vol. in-8o ; — Geistreiche Schriften (Œuvres spirituelles) ; ibid., 1699, in-4o ; Magdebourg, 1742, 2 vol. in-4o ; — Theologische Bedenken (Questions théologiques) ; Halle, 1700-1721, 5 vol. in-4o : recueil de cas de conscience écrit avec une rare sagesse ; — Predigten ueber diesonntaeglichen Evangelien (Sermons sur les Évangiles des dimanches) ; Halle, 1706-1709, 2 vol. in-4o ; — Kleine geistliche Schriften (Opuscules spirituels) ; Leipzig, 1741, 2 vol. in-4o. Un résumé des doctrines de Spener a paru à Stuttgard, 1714, in-8o, sous le titre de Der Spenerschen Schriften Kern. E. G.

Canstelo, Lebensbeschreibung Speners ; Halle, 1740, in-8o. — Hossbach, Spener und seine Zeit ; Berlin, 1828, 2 vol. in-8o. — Pfannenberg, Spener der Kirchenvater des evanvelischen Deutschlands ; Berlin, 1832, in-8o. — Thilo. Spener, als Katechet., Berlin, 1840, in-8o. — Wildenhahn, Ph.-J. Spener ; Leipzig, 1842, 1847, 2 vol. in-8o. — Hirsching, Handbusch. — Grégoire, Hist. des sectes religieuses. — Haag frères, France protest. (On y trouvera, avec une juste appréciation des doctrines religieuses de Spener, une liste très-détaillée de ses écrits.)

  1. (1) Il hésita pendant deux années, et ne se décida qu’après avoir consulté cinq ecclésiastiques, qui s’accordérent à lui présenter cette recase comme divine.