Nouvelles (1869)/Préface

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Nouvelles (1861)
Michel Lévy frères, éditeurs (p. i-iv).

PRÉFACE


C’est la première fois que l’on réunit en volume ces nouvelles écrites en différents pays et à différentes époques. Si quelques-unes sont des fantaisies du moment, d’autres, Métella et Pauline par exemple, sont des études un peu plus approfondies et mieux faites pour résister aux changements de mode ou d’opportunité dans la forme et la donnée. À ce propos, l’auteur veut, non pas se défendre, mais s’expliquer vis-à-vis de ceux qui lui reprochent encore quelquefois de placer systématiquement la femme au premier plan de ses compositions, et de lui attribuer le meilleur rôle. Il a peut-être le droit de trouver la remarque un peu vieillie à l’heure qu’il est, car il croit avoir apporté, sous ce rapport, plus d’équilibre dans un certain nombre de ses romans. Si on n’en trouve pas encore assez, il répondra simplement ceci : « Donnez-moi le temps. » Mais la réponse demande encore une courte explication.

Il n’y a jamais eu de système chez l’auteur de ces nouvelles, à propos de la priorité d’un sexe sur l’autre. Il a toujours cru à une parfaite égalité naturelle que n’altère en rien la diversité des fonctions, puisque chaque sexe a sa supériorité marquée par la Providence dans l’exercice de la fonction que la nature lui attribue. Mais, sans revenir à des considérations philosophiques trop élémentaires pour être discutables, l’auteur de Pauline, de Métella et de beaucoup d’autres fictions du même genre peut appeler l’attention du critique et du lecteur sur une circonstance dont il faut tenir compte.

Il est très-difficile à une femme de bien comprendre, de bien définir et de bien dépeindre un homme d’un mérite complet, et surtout de l’employer comme personnage actif et principal dans un roman. Pour qu’un écrivain-femme connaisse bien la cause et le jeu des forces morales de l’homme, il faut qu’avec le temps, l’observation et quelques études injustement réputées inutiles à son sexe et à son état, il devienne, non pas homme lui-même, ce qui lui serait impossible, mais un peu moins enfant que ne l’a laissé son éducation première. Il pourra comprendre alors l’importance, de certaines préoccupations intellectuelles qui lui étaient étrangères, et ne pas restreindre le rôle masculin à ses rapports avec l’amour ou la famille. Si, de préférence, cet écrivain-femme étudie les passions qui sont le principal ressort du roman moderne, il pourra, du moins, indiquer par quelles applications de sagesse, de courage et de haute raison, un homme de cœur et de savoir peut corriger la fatalité des circonstances et les défaillances même de l’esprit ou de l’âme chez lui et chez les autres.

Bien plus facile est la tâche de ce même écrivain quand il réserve toutes les couleurs de son pinceau pour le type femme. Celui-ci, il le connaît en lui et hors de lui, parce que l’ordre des sentiments et des idées du sexe dont il fait partie rentre dans le point de vue que son œil peut mesurer et embrasser. Pour être juste, disons que les écrivains-hommes éprouvent aussi de grandes difficultés lorsqu’il s’agit pour eux de pénétrer délicatement et impartialement dans le cœur et dans le cerveau de la femme. Généralement ils la font trop laide ou trop belle, trop faible ou trop forte, et ceux qui ont surmonté les aspérités de ce travail de divination savent que ce n’a pas été peu de chose. Mais disons aussi que, par son éducation plus complète et son raisonnement plus exercé, l’homme peut plus aisément peindre la femme, que la femme ne peut peindre l’homme.

Les nouvelles qu’on va lire appartiennent presque toutes à la jeunesse de l’auteur, et on est toujours indulgent pour la jeunesse. On sent qu’il serait injuste de conclure dogmatiquement contre ce qui est spontané, par conséquent naïf.

G. SAND.
Nohant, janvier 1861.