Novalis. Essai sur l’idéalisme romantique en Allemagne/Appendice/Introduction

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APPENDICE

NOVALIS DEVANT LA CRITIQUE

Introduction

Quels sont les jugements portés par la postérité sur Novalis ? Quels problèmes cette personnalité et cette œuvre littéraires soulèvent-elles encore ? Une revue générale de la critique peut seule fournir les éléments de cette enquête, en même temps qu’elle constitue un chapitre particulier de l’histoire de l’opinion publique en Allemagne.

La réputation littéraire de Novalis se trouve en effet, dès les débuts, étroitement rattachée aux destinées du premier romantisme. Cette réputation s’est faite pour ainsi dire en petit comité. Ce sont les amis littéraires du poète défunt qui ont édité ses œuvres restées fragmentaires, les ont présentées au grand public, les ont interprétées et commentées et se sont efforcés de fixer devant la postérité l’image de leur compagnon et collaborateur romantique, dont ils entouraient le souvenir d’un culte pour ainsi dire religieux. Ils ont très intentionnellement idéalisé cette image. Par une sorte de conspiration tacite, ils ont créé une « légende romantique », qui s’est peu à peu accréditée auprès des lecteurs et des critiques appartenant à la même génération romantique. — Mais surgit une génération très différente de la précédente, dominée par de tout autres préoccupations. Au nom des idées libérales et démocratiques, elle entreprend une revision générale de toutes les « valeurs » littéraires et philosophiques, qui avaient eu cours avant elle. C’est la période polémique et, à l’endroit du romantisme, essentiellement négative. La dénomination même de romantique est devenue une étiquette de parti, un synonyme de réaction politique et, religieuse. Et en effet ne voit-on pas les piétistes réactionnaires et les catholiques théocrates revendiquer le patrimoine philosophique et poétique de la génération précédente, y chercher une doctrine de gouvernement et en même temps des armes dans leur lutte contre les idées libérales ? Le nom de Novalis se trouvera à présent intimement mêlé à toutes les polémiques du jour, littéraires, philosophiques, religieuses, politiques, — surtout lorsque parut en 1826, dans la quatrième édition de ses Œuvres complètes, son pamphlet politico-religieux « Die Christenheit oder Europa », qui devint aussitôt une œuvre d’actualité passionnante. La Jeune Allemagne d’une part, au nom d’un idéal moral et esthétique anti chrétien, et d’autre part le groupe radical des néo-hégéliens, au nom d’une doctrine politique et sociale révolutionnaire, menèrent la campagne contre les idées romantiques. — Cependant après 1848 s’observe un nouveau recul des idées libérales au profit des aspirations nationales, patriotiques et unitaires. Vers le parti « national-libéral » semble s’orienter de plus en plus l’opinion publique dans la bourgeoisie allemande. En même temps se prépare dans la critique une phase plus particulièrement positive et historique à l’endroit du premier romantisme. Celui-ci apparaît comme une période nécessaire dans l’évolution nationale, comme une des manifestations essentielles du caractère ethnique et de la civilisation du peuple allemand. Dans tous les domaines — religieux, philosophiques, artistiques — il se trouve des noms marquants pour revendiquer de nouveau une part de ce patrimoine national, trop dédaigné par la génération précédente. — Enfin il semble même que dans les dernières années du 19e siècle une Renaissance romantique se produise en peu partout en Europe, suscitant dans la critique un regain de curiosité à l’endroit des premiers romantiques et tout particulièrement de Novalis.

Tels sont les grands courants d’opinion que nous verrons se dessiner et qui ont notablement transformé les jugements de la critique. En même temps se préciseront quelques problèmes fondamentaux, autour desquels se sont pour ainsi dire amassées toutes les controverses et qui ont généralement déterminé les « positions » de la critique. Ils peuvent se ramener à deux grands chefs : le problème psychologique, qui se rapporte à la personnalité même du poète, — et le problème religieux qui, après une période de polémiques passionnées, semble occuper encore aujourd’hui la première plaît dans l’interprétation des œuvres de Novalis.