Nécrologie de Louis Dulongpré
NÉCROLOGIE.
Décédé à St. Hyacinthe, au manoir seigneurial, le 26 avril dernier, Louis Dulongprés, écuyer, à l’âge de 89 ans.
M. Dulongprés était Français, né à St. Denis, près Paris, le 16 avril 1754. Il paraît qu’il s’était d’abord destiné à la marine et qu’il était déjà au service sur la flotte française qui transporta le général Rocheambeau et son corps d’armée aux colonies anglaises alors en guerre contre leur métropole. L’amour de la liberté lui fit quitter un service pour lequel il n’avait pas trop d’inclination, et il s’enrôla sous les drapeaux de Rocheambeau. Il fit le service sous ce général jusqu’à la fin de la guerre qui assura l’indépendance aux États-Unis d’Amérique. Avant de repasser en France, il voulut visiter les principaux endroits de l’Amérique. À Albany il fit rencontre de plusieurs Canadiens qui l’engagèrent à venir à Montréal, en Canada. Il y vint en effet avec eux et y retrouvant les mœurs, le langage et la religion de sa patrie, il s’y fixa pour toujours. Il y épousa une demoiselle Campeau, d’une beauté remarquable et des meilleures familles du pays. Il sut utiliser ses talents ; il enseigna d’abord la musique et ensuite s’appliqua à la peinture pour laquelle il se sentait des dispositions. Il fit plusieurs portraits qui furent remarqués. Il fut encouragé et ses succès furent tels, jusqu’à ses dernières années, que le pays le mit au premier rang de ses artistes. Son grand talent fut de saisir les traits et la physionomie avec une précision remarquable et de les transmettre à la toile avec un rare bonheur. C’est là le grand mérite de ses œuvres. Ses portraits sont peu de choses sous le rapport de la beauté du coloris ou de l’art ; mais celui qui se fait peindre désire, en premier lieu, laisser à sa famille et à ses amis, sa ressemblance, quelque chose que l’on puisse appeler ses traits, sa physionomie véritable. 4200 portraits, et même plus, tant à l’huile qu’au pastel, faits par M. Dulongprés, attestent qu’il était d’un grand talent, et cette postérité le rappellera pour longtemps aux souvenirs du pays. Il a aussi fait des tableaux d’imagination, principalement des tableaux d’églises qui ne sont pas sans mérite.
Comme citoyen M. Dulongprés a su se rendre estimable à ses compatriotes d’adoption. Il était grand et bien fait, d’une belle figure, doux et affable, toujours honnête et probe dans ses relations d’homme à homme, et rappelant, par sa politesse et ses manières élégantes, le gentilhomme français.
M. Dulongprés aurait pu faire fortune si l’artiste s’occupait des biens de la terre. Il passait sa vie au milieu de la bonne société, vivant gaiement et content de peu. Hélas ! il a trop vécu ! Il perdit d’abord sa femme. La vieillesse vint, glaçant le pinceau dans sa main débile. Le peu d’épargnes qu’il avait (placés à la maison Canadienne), lui fut retranché par la suspension subite des opérations de cet établissement Ses enfans, deux filles établies aux États-Unis, le laissèrent à des soins étrangers. L’abandon, si cruel au cœur du vieillard, empoisonna ses dernières heures. Cependant il mourrait entouré des soins de madame Dessaulles et de sa famille, qui remplissaient envers lui un devoir d’amis et acquittèrent la dette du pays.
M. Dulongprés tenait rang de lieutenant-colonel dans la milice sédentaire du pays.