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Observations sur l’orthographe/Appendice A

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Observations sur l'orthographe ou ortografie française ; suivies d'une Histoire de la réforme orthographique depuis le XVe siècle jusqu'à nos jours
1868


Table des matières - INTRODUCTION DICTIONNAIRE DE L'ACADÉMIE ET SON ORTHOGRAPHE : - D - E - F - APPENDICE A - APPENDICE B - APPENDICE C - APPENDICE D - APPENDICE E - APPENDICE F - APPENDICE G



langue française et les origines de son orthographe, est le Dictionnaire latin-français, encore inédit, commencé en 1420 et terminé en 1440 par Firmin LE VER (Firminus VERRIS), prieur des Chartreux de Saint-Honoré lez Abbeville, et écrrit tout entier de sa main : Ce manuscrit, inconnu à Du Cange et qui lui a été si utile, est un in-folio sur vélin, de 942 pages à deux colonnes et de 86 lignes à la page, contenant environ 30,000 mots latins en usage au commencement du XVe siècle, avec leurs correspondants français, leur synonymie, leur interprétation soit en latin, soit en français.

Ce grand travail, auquel toute la communauté de Saint-Honoré a dû collaborer avec son prieur, commence ainsi :

« Incipit Dictionarius a Catholicon et Hugutione atque a Papia et Britone extractus atque a pluribus aliis libris grammaticalibus compilatus et hoc secundum ordinem alphaheti. »

A la fin avant la grammaire : « Explicit liber iste qui proprie nominari debet dictionarius, quia omnes dictiones, seu significationes, quas in Catholicon et Vgutione ; atque in Papin, et Britone, et eciam in pluribus aliis libris gramaticalibus repperire potui ego, Firminus Verris, de villa Abbatisuille, in Pontino, Ambianensis diocesis oriundus, religiosus professus ao huius domus Beati Honorati prope dictam villam Abbatisuille, Cartusiensis ordinis, prior indignus, per virgenti annorum curricula et amplius, cum maxima pena et labore insimul congregani, compilaui et conscripsi.

« Vnde infinitas Deo patri jam refero gratias qui per coëternum filium suum, in spiritus sancti gratia, nostrum librum sic compilatum cum maximo labore et pena ad finem tamen usque compleuit. Qui dictus dictionarius anno dui millesimo cccc quadregesimo. (1440) mensis aprilis die ultimo completus fuit et finitus. Pro quibus laboribus ego supradictus hujus opens compilator vos obsecro omnes in visceribus caritatis quicumque in libro isto studere volueritis ad Christi laudem et gloriam michi ex diuina gratia repondatis. Quatinus pro salute anime mee Salutationem beate Marie semper virginis dicere vos volitis : Quatinus vestris oracionibus et precibus adjutus omniumque meorum percepta venia peccatorum una vobiscum ad eterna valeam peruenire gaudia. Ubi jam reuelata facie illa vera et coeterna perfruamur sapientia cum patre et spiritu sancto per infinita secula. A men. Amen. Cest liure est et appartient [aux chartreux pres dableuille [1] en pontieu de leuesquiet damiens. Qui lara le rende. Explicit. »

Je n’insisterai pas sur l’intérêt que ce beau manuscrit d’une écriture soignée et très-lisible, présente pour l’histoire de notre langue, dont il offre le tableau complet à une époque bien déterminée, et non cette promiscuité des temps et des lieux inévitable dans les glossaires actuels du vieux français. Il est facile, en le parcourant, d’apprécier quel était l’état de l’idiome « gaullois » sous le règne de Charles VII, pendant, la période de l’invasion étrangère, si funeste aux études et aux lettres. Le soin apporté par l’auteur au classement des mots, soin que je nai pu constater dans aucun des glossaires manuscrits que j’ai vus, la justesse des synonymies et des définitions, en font une œuvre à part, un corpus général notre vieux langage en même temps que du latin, à l’époque qui précède immédiatement celle où les érudit de la renaissance allaient, non plus seulement introduire dans le français une couche nouvelle de mots de forme, latine, mais le replonger vivant dans le moule du latin littéraire de Cicéron et de Virgile, en substituant un calque romain à la forme propre au vieux langage français et conforme à ses procédés phoniques

Sous plusieurs rapports le Dictionnaire latin-français de Le Ver jette un nouveau jour sur l’état de l’écriture et de la prononciation au commencement du XVe siècle. On y voit combien l’orthographe des mots latins s’était déjà simplifiée et se rapprochait de la simplicité de forme figurative de la prononciation. On y lit ainsi écrite cette série de mots antitesis, antrax, antropofegi, antropoformita, antropos sans ph ; tous ces mots sont expliqués en latin, le mot français pour le traduire ne faisant pas encore partie de notre langue ; mais on voit ainsi écrits et traduits les mots : IDRA, idre ; IDROPICIA, idropisie, IDROPICUS, idropiques ; IDROMANCIA, devinemens par les eaux ; IPOTECA, ipotèque ; IPOTECARIUS ou APOTECARIUS, apoticaire ; ANTECRISTUS, antecrist ; TIRANNUS, tirans ; LIRA, lire ; MISTERIUM, mistere ; MARTIRIUM, marttire, etc.

Ces explications des mots latins encore privés de correspondants français sont quelquefois curieuses et instructives pour nous refléter les idées de l’auteur et de son temps. Je lis aux mots Theatrum Comedia, Tragedia.

« THEATRUM. A theoro, ras, quod est videre : dicitur hoc

« THÉATRUM, tri, pe (nultima) cor (ripitur). I. Spectaculum tibicumque flat. s (eu) locus in quo omnis populus aspiciat ludos. scilicet locus in civitatibus ubi exercentur joca et ludi. Id. Ubi decollabantur rei. Id. Plache commune où on fait les jeux ou quarrefour (1) (1) Je lis dans l’article si remarquable de M. Sainte-Beuve sur Joach. du Bellay (p. 210 du Journal des Savants, avril 1867) : « On doit rendre justice aux eftorts de quelques poètes de la Pléiade pour instituer une comédie qui ne fût pas celle des carrefours. ».

«THÉATRUM, atri, etiam dicitur Prostibulum. siue Lupanar quo post ludos exactos meretrices ibi prostituerentur. Id. bordel. Undo

«THEATRALIS, is, trale, ad theatrum pertinens. Id. de quarrefour ou de bordel.

« THEATRICUS, ca, cum. Idem. I. de bordel. Ut dicitur mulier theatrica. I. Bordeliere. »

— COMÉDIA, die. I. Villanus cantus. s (ou) villana laus : quia tractat de rebus rusticanis. comme chansons de Jeus de personnages (2) [2].

« COMÉDUS, da, um, pe(nultima) pdr (producitur). qui cornediam describit. Seu facit seu dicit comediam,

« COMÉDICUS, ca, cum. I. ad comediam seu ad comedendum pertinens. Seu delectabilis.

« COMÉDICE. Adv. I. delectabiliter. »

— TRAGEDIA. Oda quod est cantus. seu laus. cornponitur cum tragos quod est hircus. Et dicitur hec

« TRAGEDIA, die. pen. prod. I. Carmen luctuosum quod incipita leticia et ilnit in tristicia. Cui contraria est comedia. quia incipit a tristicia et finit in leticia. Unde

« TRAGEDIA. dicitur de crudelissimis rebus. sicutqui patrem seu rnatrem occidit. seu comedit filium et e converso s. hujus modi. Unde et tragedo dabatur hircus animal fetidum. Ad fetorem materie designandum.

« TRAGÉDUS, da, dum. ad tragediam pertinens.

« TRAGEDUS, di. tragedie scriptor. seu cantor.

« TRAGEDICUS, ca. cum. I. fluctuosus. Funestus. »

Il est remarquable que la plupart de ces mots relitifs au théâtre, si usités au siècle suivant, manquent complètement au français en 1440.

Une autre instruction ressort encore de l’examen des mots français contenus dans ce vaste répertoire. La trace des cas figurés conforrnément à la grammaire romane se rencontre à chaque instant, bien qu’à l’époque où il a été commencé (1420), ils eussent disparu de la plupart des manuscrits depuis près d’un siécle. Le Ver écrit premieries de PRIMITAS, commenchemens au singulier, PRINCEPS est traduit par prinches. PRIORATUS devient prioreit, priorte : dignetés ou offiche de prieur. PRIORITAS, premieries. Il en est de même pour le participe passé : ratificatus donne acceptes. INUTILIS donne nient profitables ; ABSTINENS, abstinens, sobres, ABSTINENTIA, abstinence, sobriétés ; ABRENUNTIATIO, renoiemens ; ADEMPLETUS, accomplis, parfait. Il y a cependant des incertitudes : REBELLIS fournit rebelle et rebelles. La plupart des mots très-usités, comme roy, fil (filius), foy (fides), ne prennent pas l’s caractéristique du nominatif latin ou subjectif roman[3].

J’ai fait pour les huit premières colonnes du B le relevé des mots latins du Dictionnaire de Le Ver qui manquent cornplétement aux glossaires latins et à Du Cange lui-même : sur 210 mots, 32 sont inconnus aux lexicographes, c’est-à-dire que près d’un sixième de ce dictionnaire est nouveau ou inédit.

Voici ces trente-deux mots :

balans

balaire

balbere

balbescere

balbiter

balbutia

balbutiens

balbuties

brebis

jougleur (sic)

besguier

idem.

besguement

besguerie

besgans

besguetes, baubetes, parlers de petis enfans. balearius

baleator

balestrum

batestrare getteur à la tandesle

ou abalestrier

getteur à la tandesle

ou abalestrier

abalestre, a Balin (gr.) dicitur

traire aucune chose dabalestre ou ferir d e balestre

balestratus

balneatio

ballare

balluga

ballanga

balsamatus

baptismaliter

bapterium

baratro

barbarius gettes, trais ou ferus de traits d’abalestre

baignemens

peser à balanche, balanchier

balanche

banlieue

embasme, oins de basme

par baptême

baton

lecherres barbarizare

barcarius

baronissa

basilisca

batillum

beatificentia

bellacitas

bellaciter

bellicator

bellificare

faire cruelment

qui fait barges, nefs ou qui les gouverne

barocheresse

genciana

enchensoir

eurensetca (felicitas)

bataille

bateilleusement

bateilleur, combateur

faire bataille, bateiller, combatre

Je dois à l’obligeance de MM. les Conservateurs de la Bibliothèque impériale la communication de deux anciens, glossaires manuscrits, l’un français-latin (n° 7684 f. l.) ; l’autre latin-français (n° 7679), dont Du Cange s’était servi pour son beau Glossarium mediae et infimae latinitatis ; leur nomenclature, très-sèche, est moitié moins considérable que celle du ms. Le Ver. J’ai essayé de comparer l’orthographe et le mode de composition de certains mots, la plupart de formation récente, dans la première moitié du XVe siècle, à leurs formes respectives dans la seconde moitié et à la fin de ce même siècle ou au commence ment du suivant. Mots latins avec le français actuel Firmin Le Ver Dictionarius latino-gallicus 1420-1440 Glossarium gallico-lat. scrpt. XVe saec. Il est de la 2e moitié du siècle (Bibl. Imp. Ms. 7684) Gloss. Lat.-gal XVe s. script. XVIe s. Cod. Bigotlanus (B. Imp. Ms. 7679)

bivium (carrefour) quarrefour carfourt (double voie) ager (champ) champ champt champs candelabrum (chandelier) chandelier chandellier chandelier bubo (chat-huant) chuette, cahuhan (oisel) chouen (certain oisel) biga (charrette) charrette a il roues et a il chevaus charrete charette cruca, curcullo (chenille) chatepeleuse, catepeleuse chatepelouse » calidus (chaud) chaut chault, chaut » vespertilio (chauve-souris) chauvesoris chauvesouris chauve souris captivitas (captivité) chetivetes ou prison cheitiveté chetiveté comosus (chevelu) qui ha grans cheveus cheveleulx, grans cheveux de fames » capsa (coffre) casse, coffre, escrin cofre casse

Mots latins avec le français actuel Firmin Le Ver Dictionarius latino-gallicus 1420-1440 Glossarium gallico-lat. scrpt. XVe saec. Il est de la 2e moitié du siècle (Bibl. Imp. Ms. 7684) Gloss. Lat.-gal XVe s. script. XVIe s. Cod. Bigotlanus (B. Imp. Ms. 7679) convalescentia (convalescence) convalescence, sanite, poissance, vaillanche » » columba

colombe femelle de coulon, coulumbe, colombé » columna coulombe convenientia (convenance) convenables convenablete, convenance » bufo (crapaud) crapaut crapaust crapoult crux (croix) crois » croais mandibula (mâchoire) machoire machouere machoere infelicitas (malheur) mal euries malourette » infaustus (malheureux) mal eureux mal eureux mallereux malefactum (méfait) maufait (malefactio-malefaisson) maufait » malefaciens maufaisant, malfaiteur mal faisans mal faisant malefactor maufaiteur malivolus (malveillant) mal veullans mal veillant malvelant melancolia (mélancolie) melencolie, une des iiij humeurs melencolie » tabonus (taon) tahon taan, taon thaon Il régnait encore une grande simplicité orthographique dans le cours du XVe siècle et au commencement du XVIe. Le latin lui-même, dans les mots qu’il avait empruntés au grec, obéissait à cette répugnance, j’allais dire à cette horreur, naturelle au génie français, pour les doubles, les triples et les quadruples consonnes. L’introduction, non plus partielle mais générale, dans notre langue de lettres parasites signale le milieu du XVIe siècle ; elle est due aux tendances gréco-latines mal dirigées que nous allons voir se développer successivement dans les glossaires publiés au premier siècle de l’imprimerie.

J’arrive maintenant à la série des glossaires-imprimés Il m’a été impossible de me procurer le titre exact du`Dictionnaire latin-français, imprimé à Genève, en 1587, par Loys Garbin, et cité par M. Diez.

La table étendue que Génin ajointe à la grande Grammaire de Palsgrave pourrait, jusqu’à un certain point, tenir lieu d’un de ces recueils alphabétiques ou vocabulaires, si écourtés, qu’on publiait en latin avec le mot français correspondant, au com mencement du XVIe siècle. Bien que le travail original de Palsgrave n’ait paru à Londres qu’en 1531, on reconnaît par voie de comparaison, que son orthographe est bien plus gauloise que celle des grammairiens et des lexicographes du continent au début du règne de François Ier, et que le docte professeur de Henri VIII a dû travailler en Angleterre sur des documents de la fin du XVe siècle ou des premières années du suivant (1) [4]. Malgré sa date plus récente on peut donc le placer au premier rang parmi les livres imprimés contenant un recueil de mots français.

Je possède les trois autres glossaires :

1e Le Catholicon abbreviatum, pet. in-4 goth ; imprimé à Paris, en 1506, par Jehan Lambert, sans nom d’auteur. Il ne contiént que 3,500 mots ; c’est un livre très-intéressant, puisqu’il nous représente l’état de la langue avant l’introduction de cette multitude de vocables savants tirés du latin et même du grec à l’époque de la Renaissance.

L’orthographe y est simple, naturelle, assez logique, bien que, souvent irrégulière et entachée de l’influence que j`appellerais volontiers calligraphique.

On y rencontre peu de lettres dites étymologiques, et, quand les consonnes sont redoublées, c’est probablement qu’elles se prononçaient ainsi. Il écrit abbe, abesse, abaye... alumer, flateur….. acolite, fiole, doy (digitus), vayne (vena), authentique, blon, painture, acoutumer, acompagner, accroistre et solicitude ; mais il double la consonne i lorsqu’elle termine un mot dont la désinence est en e féminin ; ainsi, il écrit : argille, cautelle, huille, et l’on y voit ces mots ainsi figurés, deffendre, celluy, couraige, secret, enhardy, oyseaulx, poyson, pulpitre, haultesse, etc.

2e Vocabularius latinis, gallicis et theutonicis verbis scriptum (sic). Il parut à Strasbourg, en 1515, chez Mathis Humpffuff ; il est composé de 36 ff. in-4. J’en extrais, comme curiosité orthographique, quelques-uns des noms relatifs aux oiseaux :

« Avis, oyseau. Auceps, oyseleur, Nidus, nid. Aquila, aigle. Falco, faulcon. Accipiter, tiercelet. Nisus, espervier. Ventilanus, vannete. Milvus, huan. Ardea, hairon. Ciconie, sigoigne. Cigaus, cigne. Griphus, griffon. Pellicanus, pelican. Structus, ostruche. Grus, grue. Nicticorax, chuette. Vullur, voultour. Ossifragus, freynol. Ritersculus, roytellet. Philomena, rossignol. Canapelus, chardoneret. Citradula, cerin. Ficedula, grive. Figellus, pinson. Sturnus, estourneau. Parix, mesange. Passer, moyneau. Pstacus, papegay. Turtur, turierelle. Palumdus, colombier. Paves, paon. Quostulla, caille. Arundo, arondelle. Pica, pie ou agasse. Cornix, corneille. Vespertilio, chauvesouris. Anas, anette ou cane. Auca, oye. Monedula, corneille. Gallus, coq. Gallina, gelline. Pullus, poussin. Capo, chappon : Pullinarium, poullalier. Papilio, papillon. Vespa, mousche gueppe. Apes, mousche a myel. Cuculus, cocul. Lucinia, hoche cul. Upupa, hupe. »

3e Le Vocabularius nebrissensis (1) [5] de 1524 est un travail beaucoup plus ample que le précédent. Il contient près de 30,000 mots latins avec leurs correspondants ou leur interprétation en français. L’influence de la Renaissance y est encore bien peu sensible : Son système orthographique, un peu plus régulier, ressemble à celui du Catholicon abbreviatum. Il n’est pas plus étymologique que son prédécesseur en ce qui concerne les mots tirés du grec, et en général il se borne à les interpréter sans les retranscrire sous la forme française. Il ne s’asservit pas non plus trop à l’orthographe latine : il écrit eicorée, cengle (cingula), saincture, estraines (étrennes). Les l qui ne se prononcent pas figurent cependant dans bien des endroits : poulpitre, avantureulx, chault (calidus).

Quant aux doubles lettres, il peint la prononciation : resembler et assembler, netoyer, alumer, acoustumer et accorder, accepter, appeller, amonceler, etc. Ce précieux Dictionnaire constate un état très-intéressant de notre langue, celui où elle va subir l’influence, qui sera trop longtemps dominante, du latin classique et même quelquefois du grec.

Robert Estienne eut le premier, en 1540, l’honneur de publier non plus un simple Vocabulaire, mais un Dictionnaire français-latin, dans les conditions d’érudition et de critique qu’exigeait un tel travail. Son œuvre, accrue et perfectionnée dans l’édition de 1549, fit autorité et exerça pendant deux siècles une grande influence sur l’orthographe. Elle contient prés de 20,000 mots français suivis de leurs diverses acceptions et de leur interprétation latine.

Cette belle édition, où Robert Estienne introduisit une riche moisson de termes nouvellement imités du latin et même du grec, servira donc de point de comparaison avec la manière d’écrire qui a précédé et celle qui a suivi.

Le docte imprimeur écrit, on le comprend, conformément à l’étymologie les mots savants de nouvelle formation ; mais de plus, il a réintégré des lettres dites caractéristiques dans une grande partie des mots d’une époque antérieure. Il corrige cylindre au lieu de cilindre, cymaise au lieu de cimaise, cymbale au lieu de cimbale, cyprès au lieu de ciprès, phiole au lieu de fiole ; il écrit chauchemare (cauchemar), chaulx (calx), cheueul (capillus), eichorée ; il redresse hermite en ermite ; il réclame chifre et non chiffre, à cause de l’hébreu sephira. Il respecte cependant les formes consacrées par l’usage, soulfre, thriacle (thériaque), et il écrit sans th tesme (thema), et sans ph orfelin. Sa manière d’agglutiner les mots composés est conforme à celle que je propose : il réunit tous les mots composés avec la préposition contre (1) [6]; il écrit chaussetrape, chauuesouri, chathuant (qui serait mieux écrit chahuant), des chaufecires. On peut regretter toutefois de rencontrer partout dans ses colonnes des mots défigurés par l’addition de lettres latines déjà représentées dans le français ; comme chaircuictier, poulpitre, poulser, poulsif, poulsin.

L’autorité dont jouit le Dictionnaire français de Robert Estienne se perpétua longtemps. En 1586 Guillaume de Laimarie, imprimeur de Genève, donna une édition très-correcte du Dictionarium puerorum que Robert avait publié en dernier lieu, en 1557, postérieurement au Dictionnaire français-latin (2) [7]. Cette édition de Laimarie renchérit dans plusieurs cas sur le Dictionnaire de 1549, pour l’emploi des lettres étymologiques surérogatoires ; mais on lui doit quelques bonnes leçons, comme sansue par exemple (écrit sanssue dans le ms. Le Ver).

Le Dictionnaire français-latin connu sous le nom de Jean Nicot, qui parut pour la première fois en 1564, le Thrésor de la langue françoyse du même, dans lequel il a mis à profit les recherches laissées par le président Ranconnet ; le Grand Dictionnaire françois-latin du même Nicot, dont le succès se continua d’édition en édition jusqu’en 1618, nous reproduisent également 1’orthographe de Robert Estienne, dont les éditeurs déclarent repre nlre en grande partie le travail. Voici comment s’exprime à ce sujet Jacques du Puys dans la préface de l’édition de 1614 : « Il ne peut que la France ne celebre grandement la mernoire, comme elle se sent auoir été ornée par son industrie, de deffunct Robert Estienne, lequel peut estre dict auoir esté le premier qui a faict que la France, pour ce regard, ne cede à aucune autre nation, tant pour les graces qu’il a eu propres pour l’ornement de cet art d’imprimerie que pour l’amour infini qu’il a porté à l’vtilité publique et le grand labeur et peine qu’il a pris, sans y espargner rien qui ne fast en sa puissance, pour l’aduancer et mener à sa perfection : de quoy font foi tant de beaux et excellens liures et latins et grecs et hébrieux, plus encens recherchez au- iourd’huy que du vivant de l’imprimeur…. » La Perfection du Dictionnaire français « estant de soy tant recommandable et pro- fitable qu’un chaseun sçait, m’a principalement incité à r’impri- mer le dict liure, duquel il y a quelque temps que i’ay recouvré l’exemplaire laissé par deça par le dict Robert Estienne, auant que de partir de France. »

L’édition de 1614 contient environ 26,000 mots avec toutes leurs acceptions alors connues.

Le P. Philibert MONET, de la Compagnie de Jésus, très-habile professeur de langue latine, rompit, dès 1623, avec la tradition léguée aux dictionnaristes par l’autorité, jusque-là incontestée de Robert Estienne. Il fit paraître à cette époque un Parallele des deus langues latine et françoise, complètement perdu aujourd’hui, et que nous ne connaissons que par la préface de son Inventaire des deus langues françoise et latine, publiée à Lyon chez Claude Rigaud en 1635, in-folio. Ce dernier ouvrage, que j’ai eu le bonheur de me procurer récemment, est précieux pour l’histoire de la réforme orthographique modérée, car il en est le code. Il contient 23,000 mots au moins. Le système orthographique de l’auteur est simple et bien conçu : il ne s’attache pas uniquement, comme les phonographes, à figurer la prononciation, et ne fait pas disparaître toutes les lettres dites caractéristiques, mais il ne figure jamais, autant que possible, un même son par deux signes différents. Il écrit, par exemple, dysanterie, diseine, doit (digitus), contanter, contantement, contarmpter, continance, deus (duo), cheveus, barreaus, chevaus, et leurs similaires.

Nathaniel DUEZ, grammairien polyglotte, fit paraître en 1669 un Dictionnaire françois-italien, fort bien imprimé à Leyde Chez Jean Elsevier. Son orthographe, conforme en général à celle de Robert Estienne et de ses continuateurs, renchérit même en certains cas sur ceux-ci par une nouvelle intrusion de lettres destinées à figurer de plus près l’orthographe latine et grecque. Ce glossaire.eontient 20,000 mots environ.

César OUDIN, secrétaire interprète du roi pour les langues étrangères, publia en 1660 à Bruxelles le Trésor des deux langues, françoise et espagnolle. Ce lexique est encore un calque, au point de vue de l’orthographe, de celui qu’Estienne avait publié 120 ans plus tôt.

César-Pierre RICHELET, auteur d’un Dictionnaire françois publié, à Genève en 1680, était aussi versé dans les langues anciennes que dans les langues modernes, l’italien et l’espagnol entre autres. Son dictionnaire, dont les premières éditions sont devenues rares et précieuses, est du plus haut intérêt. L’auteur s’exprime ainsi dans son avertissement : « Touchant l’orthographe, on a gardé un milieu entre l’ancienne et celle qui est tout à fait moderne et qui défigure la langue. On a seulement retranché de plusieurs mots les lettres qui ne rendent pas les mots méconnoissables quand elles en sont otées, et qui, ne se prononçant pas, embarrassent les étrangers et la plupart des provinciaux.

« On a écrit avocat, batistère, batême, colère, mélancolie, plu, reçu, revue, tisanne, trésor, et non pas advocat, baptistère, baptême, cholère, mélancholie, pleu, receu, reveuë, ptisane, thrésor.

« Dans la rame vue on retranche l’s qui se trouve après un e clair, et qui ne se prononce point, et on met un accent aigu sut l’e clair qui accompagnait cette s ; si bien que présentement on écrit desdain, détruire, répondre, et non pas desdain, destruire, respondre.

« On retranche aussi 1’s qui fait la silabe longue, et qui ne se prononce pas, soit que cette s se rencontre avec un e ouvert, ou avec quelque autre lettre, et on marque cet e ou cette autre lettre d’un circonflexe qui montre que la silabe est longue. On écrit apôtre, jeûne, tempête, et non pas apostre, jeusne, tempeste. Cette dernière façon d’orthographier est contestée. Néanmoins, parce qu’elle empéche qu’on ne se trompe à la prononciation et qu’elle est autorisée par d’habiles gens, j’ai jugé à propos de la suivre, si ce n’est à l’égard de certains mots qui sont si nuds lorsqu’on en a oté quelque lettre qu’on ne les reconnoît pas.

« A l’imitation de l’illustre monsieur d’Ablancourt, Préface de Tucidide, Apophtegmes des anciens, Marmol (1) [8], etc., et de quelques auteurs célèbres, on change presque toujours l’y en i simple. On retranche la plupart des lettres doubles et inutiles, qui ne défigurent pas les mots lorsqu’elles en sont retranchées. On écrit afaire, ataquer, ateindre, dificulté, et non pas affaire, attaquer, difficulté. »

On voit combien cette orthographe est conforme à celle que Firmin Le Ver a consignée dans son dictionnaire rédigé deux siècles et demi auparavant. On doit moins s’étonner et l’ouvrage de Richelet, sous le rapport de l’orthographe, est si fort en avance sur le premier Dictionnaire de l’Académie de 1694. Lors de l’apparition, en 1680, de 1’œuvre de Richelet, la copie des premières lettres du travail académique devait être déjà entre les rnains de Coignard, imprimeur de l’Académie françoise (le privilége donné à l’Académie par son Dictionnaire est de 1674). Or, d’après le témoignage même du privilège, la rédaction en était commencée dès 1635 : elle devait donc représenter l’état de la langue, et de l’écriture en particulier, non pas en 1694, date de l’achèvement du dictionnaire, mais tel qu’il pouvait être vers 1660, époque de la mise sous presse de la première édition des cahiers. (On s’en convaincra en jetant les yeux surle Tableau comparatif qui suit.) Or le travail d’analyse et de coordination accompli par de savants académiciens pendant la longue période comprise entre 1635 et 1680, époque de l’apparition du Dictionnaire de Richelet, ainsi que toutes les propositions acceptables des grammairiens réformateurs étaient, pour ainsi dire, non avenues : l’Académie se croyait engagée par les décisions grammaticales et orthographiques adoptées dans les Cahiers, puis dans les premières lettres du Dictionnaire.

Il est résulté de cette lenteur du travail, très-explicable en pareille matière, qu’au point de vue de l’usage, même en fait d’écriture, l’œuvre académique s’est trouvée arriérée en naissant, et que l’orthographe du Dictionnaire de Richelet de 1680, si raisonnable en bien des points, n’a pu être sanctionnée en partie par l’Acadé

mie qu’en 1740, en partie qu’en 1835, et qu’il en reste même une certaine part en instance devant l’Académie de 1868,

En 1685 parut à Lyon chez Pierre Guillemin, en 1 vol. in-folio, un Dictionnaire général et curieux, contenant les principaux mots et les plus usitez en la langue françgisé, leurs définitions, divisions et étymologies par César de ROCHEFORT. L’ouvrage eut peu de succès, et partant peu d’influence. Son orthographe ne se distingue par rien de particulier de celle des dictionnaristes de son temps.

Antoine FURETIÈRE, chassé de l’Académie française en 1685 et mort en 1688, a laissé un Dictionnaire universel qui ne parut qu’en 1690, à Roterdam. Bien qu’il soit antérieur comme date de publication à la première édition de l’Académie ; il est facile de s’assurer qu’il a beaucoup profité des discussions et des travaux de la compagnie auxquels il avait eu part lui-méme. Son orthographe, loin d’être, comme celle de Richelet, en progrès rnarqué sur celle du Dictionnaire de l’illustre Société, est plus inconséquente et moins régulière.

Il m’a paru utile de résumer en un tableau syrhöptiqué les détails des vicissitudes orthographiques de quelques-uns des mots difficiles quant à l’écriture depuis 1420 jusqu’à nos jours, en extrayant la forme de chacun d’eux des anciens lexiques, soit manuscrits, soit imprimés, que je possède. Cette comparaison fait apparaître mieux qu’une longue dissertation la nature des causes qui ont agi, la persistance de certaines influences, et la raison du retour aux formes simplifiées.


Il n’est peut-être pas sans intérét de rechercher quels principes ont dirigé l’Académie française dans l’établissement des règles d’orthographe adoptées dans la première édition de son Dictionnaire en 1694. Ces règles sont, pour la plupart, tombées en désuétude sous l’action du temps, mais il en reste encore des traces nombreuses dans presque toutes les parties de la sixième édition.

Pour déterminer ces principes, je m’attacherai à trois documents officiels :

  • La préface du Dictionnaire même ;
  • Les Cahiers de remarques sur l’orthographe françoise pour estre examinez par chacun de messieurs de l’Académie, sorte de mémento particulier destiné à assurer une certaine unité dans la discussion académique et à préparer la solution des difficultés grammaticales ;
  • La Grammaire de Regnier des Marais, secrétaire perpétuel de la Compagnie, et chargé par elle de rédiger la Grammaire mentionnée dans les statuts de sa fondation.

En 1694, l’Académie s’exprimait ainsi dans sa préface : « L'Académie s'est attachée à l'ancienne Orthographe receuë parmi tous les gens de lettres, parce qu'elle ayde à faire connoistre l'Origine des mots. C'est pourquoi elle a creu ne devoir pas authoriser le retranchement que des Particuliers, et principalement les Imprimeurs ont fait de quelques lettres, à la place desquelles ils ont introduit certaines figures qu'ils ont inventées[9], parce que ce retranchement oste tous les vestiges de l'Analogie et des rapports qui sont entre les mots qui viennent du Latin ou de quelque autre Langue. Ainsi elle a écrit les mots Corps, Temps, avec un P, et les mots Teste, Honneste avec une S, pour faire voir qu'ils viennent du Latin Tempus, Corpus, Testa, Honestus…. Il est vray qu'il y a aussi quelques mots dans lesquels elle n'a pas conservé certaines Lettres Caracteristiques qui en marquent l'origine, comme dans les mots Devoir, Fevrier, qu'on escrivoit autrefois Debvoir et Febvrier, pour marquer le rapport entre le Latin Debere et Februarius. Mais l'usage l'a decidé au contraire ; Car il faut reconnoistre l'usage pour le Maistre de l'Orthographe aussi bien que du choix des mots. C'est l'usage qui nous mene insensiblement d'une maniere d'escrire à l'autre, et qui seul a le pouvoir de le faire. C'est ce qui a rendu inutiles les diverses tentatives qui ont esté faites pour la reformation de l'Orthographe depuis plus de cent cinquante ans par plusieurs particuliers qui ont fait des regles que personne n'a voulu observer (1) [10]. Ce n'est pas qu'ils ayent manqué de raisons apparentes pour deffendre leurs opinions qui sont toutes fondées sur ce principe, Qu'il faut que l'Escriture represente la Prononciation ; Mais cette maxime n'est pas absolument veritable ; Car si elle avoit lieu il faudroit retrancher l'R finale des Verbes Aymer, Ceder, Partir, Sortir[11], et autres de pareille nature dans les occasions où on ne les prononce point, quoy qu'on ne laisse pas de les escrire. Il en estoit de mesme dans la Langue Latine où l'on escrivoit souvent des lettres qui ne se prononçoient point. Je ne veux pas, dit Ciceron, qu'en prononçant on fasse sonner toutes les lettres avec une affectation desgoustante. Nolo exprimi litteras putidius (3, de Orat.). Ainsi on prononçoit Multimodis et Tectifractis, quoy qu'on écrivist Multis modis et Tectis fractis ; Ce qui fait voir que l'Escriture ne represente pas tousjours parfaitement la Prononciation ; Car comme la Peinture qui represente les Corps, ne peut pas peindre le mouvement des Corps, de mesme l'Escriture qui peint à sa maniere le Corps de la Parole, ne sçauroit peindre entierement la Prononciation qui est le mouvement de la Parole. L'Académie seroit donc entrée dans un détail tres-long et tres-inutile, si elle avoit voulu s'engager en faveur des Estrangers à donner des regles de la Prononciation. Quiconque veut sçavoir la veritable Prononciation d'une Langue qui luy est estrangere, doit l'apprendre dans le commerce des naturels du pays ; Toute autre methode est trompeuse, et pretendre donner à quelqu'un l'Idée d'un son qu'il n'a jamais entendu, c'est vouloir donner à un aveugle l'Idée des couleurs qu'il n'a jamais veuës. Cependant l'Académie n'a pas negligé de marquer la Prononciation de certains mots lors qu'elle est trop esloignée de la maniere dont ils sont escrits, et l'S en fournit plusieurs exemples ; C'est une des lettres qui varie le plus dans la Prononciation lors qu'elle precede une autre Consone, parce que tantost elle se prononce fortement, comme dans les mots Peste, veste, funeste ; Tantost elle ne sert qu'à allonger la Prononciation de la syllabe, comme dans ces mots teste, tempeste ; Quelquefois elle ne produit aucun effet dans la Prononciation, comme en ces mots, espée, esternuer ; c'est pourquoy on a eu soin d'avertir le Lecteur quand elle doit estre prononcée. Il y a des mots où elle a le son d'un Z, et c'est quand elle est entre deux voyelles, comme dans ces mots, aisé, desir, peser ; Mais elle n'est pas la seule lettre qui soit sujette à ces changements. Le C se prononce quelquefois comme un G, ainsi on prononce Segret, et non pas Secret ; segond et non pas second ; Glaude, et non pas Claude, quoy que dans l'Escriture on doive absolument retenir le C. Ainsi les Romains prononçoient Gaius, quoy qu'ils escrivissent Caius ; Amurga, quoy qu'ils escrivissent Amurca, selon l'observation de Servius sur le premier livre des Georgiques ; ce qui acheve de confirmer ce qu'on vient de dire que la Prononciation et l'Orthographe ne s'accordent pas tousjours, et que c'est de la Vive Voix seule qu'on peut attendre une parfaite connoissance de la Prononciation des Langues vivantes, et qu'on n'appelle Vivantes que parce qu'elles sont encore animées du son et de la voix des Peuples qui les parlent naturellement ; au lieu que les autres Langues sont appellées Mortes, parce qu'elles ne sont plus parlées par aucune Nation, et n'ont plus par consequent que des Prononciations arbitraires au deffaut de la Naturelle et de la veritable qui est totalement ignorée. »

(1) La préface du premier Dictionnaire de l’Académie, en 1694 a été écrite par Regnier des Marais, et l’epître dédicatoire an Roi, par Ferrault. On croit que les observations sur cette dédicace publiées par d’Olivet, à la fin de ses remarques sur les tragédies de Racine (Paris, Gandoin, 1738, in-12), sont dues à Racine et à Regnier des Marais.

Dans cette préface comme dans les autres citations, j’ai suivi scrupuleusement l’orthographe même des textes. Quant à la ponctuation qui, n’étant soumise à aucune règle fixe, nuit parfois à l’intelligence du sens, j’ai dû la rétablir d’après l’usage des bonnes imprimeries. Le grand nombre des majuscules, employées souvent de façon arbitraire, est modifié selon nos habitudes actuelles.

On doit cependant signaler dans cette préface l’emploi du (;) suivi d’une majuscule qui remplit la fonction d’une ponctuation intermédiaire entre le point-virgule ( ;) et le point. (Les deux points ( :) remplissent une autre fonction.) Il est regrettable qu’on ait abandonné un secours utile quelquefois et qui , du reste, avait un précédent, ainsi qu’on peut en juger par les textes grecs de la Bibliothèque des auteurs grecs. Cette ponctuation intermédiaire s’y trouve remplacée par l’emploi de la minuscule simple après le point, pour indiquer une suspension moins forte que lorsque le point est suivi de la majuscule.

La comparaison de notre orthographe, académique, d’après la derni ère édition

Dans les Cahiers dressés par l’Académie pour éclairer la discussion des mots du Dictionnaire de 1694, se trouvent des règles de détermination orthographique qu’elle n’a formulées nulle part ailleurs. Ces Cahiers étaient tirés strictement à quarante exemplaires au nom de chacun des membres. Il en existe deux éditions (1) [12]. C’est sur l’exemplaire de Racine, de la première édition, conservé à la bibliothèque impériale, que j’ai transcrit ce qui suit. On y voit établie la règle, du doublement de la consonne avec ses nombreuses exceptions, celle de la composition de nos mots avec les prépositions latines. La loi de la configuration étymologique parait déjà subir de notables restrictions, faites au nom de l’usage. Voici l’analyse de quelques-unes des principales remarques :

« La premiere observation que la Compagnie a cru devoir faire est que, dans la langue françoise, comme dans la pluspart des autres, l’orthographe n’est pas tellement fixe et determinée qu’il n’y ait plusieurs mots qui se peuvent escrire de deux differentes manieres, qui sont toutes deux esgalement bonnes, et quelquefois aussi il y en a une des deux qui n’est pas si usitée que l’autre, mais qui-ne doit pas entre condamnée. Generalement parlant, la Compagnie prefere l’ancienne orthographe qui distingue les gens de lettres d’avec les ignorans, « ét est d’avis de l’observer par tout, hormis dans les mots où un a long et constant usage en a établi une, differente, L’ancienne orthographe peche quelquefois en lettres super- fluës ; mais il ne faut pas les appeller ainsi quand elles servent à marquer l’origine, comme en ce mot vingt, qui s’escrit de la sorte, encore que le g ne se prononce point, parce qu’il vient du latin virginti. Il n’en est pas de mesme quand l’usage a depuis long-temps reglé le contraire : ainsi on n’orthographie plus le mot escrire avec un p ni escripture. » du Dictionnaire de 1835, avec celle du Dictionnaire de 1694, prête une grande force aux instances de ceux qui veulent améliorer l’état da choses actuel.

Suivent quelques règles sur la permutation des consonnes ou le maintien des consonnes caractéristiques, règles que l’usage a consacrées ou que l’Académie a abrogées elle-même en 1710.

Cependant, le passage suivant est à noter particulièrement ; il explique et justifie l’abandon des caractères étymologiques dans les mots tirés du grec et devenus d’un usage vulgaire : « Plusieurs aussi escrivent : fantaisie, fantastique, fantasque, fantasme mais d’autres veulent un ph à phantaisie, qui signifie cette faculté de l’âme que les latins appellent imagination ; mais fantaisie qui signifie caprice, bizarrerie, s’escrit avec f. Ce n’est pas que les deux mots n’ayent la mesme origine, mais le dernier, à force d’estre usité et de passer dans les mains de tout le monde, a changé son PH grec en y françois. »

C’est ce dernier précepte qui aurait dû être, appliqué plus rigoureusement dans les éditions successives du Dictionnaire.

« On doit garder, ajoute le Cahier, les doubles consonnes aux mots où il y en avoit dans le latin, par exemple, deux bb, deux cc, deux dd, etc ; D’autre costé, pour l’ordinaire la consonne n’est pas double dans le françois quand elle ne l’estoit point dans le latin. »

Le Cahier, pour être conséquent avec l’exemple qu’il donne en écrivant partout consone avec un seul n, aurait dû supprimer la double lettre à persone, à sonette, à pome, etc., etc.

« Les composez et les derivez suivent l’orthographe de leurs simples. »

Le Cahier passe ensuite en revue les prépostions latines qui entrent dans la composition des mots français. « Quand la préposition a est suivie d’un g ou d’un m, ces consonnes ne se doublent pas, excepté pour le g les mots où il est déjà double en latin. Exemples : aggreger, aggresseur, aggraver, exaggerer. Toute autre consonne que g ou m se double : abbatre, abbonner, abbreuver, abbreger, abbrutir. » Il y a un certain nombre d’exceptions indiquées.

« Avec la préposition ad il y a à distinguer ; quelques-uns enlèvent le d, mais la meilleure orthographe le conserve. Exemples : addonner, adjoint, adjourner, adjouster, adjger, adjuster, admettre, admiral (1) [13], admis, admodier, admonester, addresser, advis, advocat. Quelques-uns neanmoins escrivent ENCORE (1) [14] avis, avertissement, avertir et avocat sans d. »

« Preposition e. Devant un mot simple commençant par f, cette consone se double. Exemples : effaroucher, effeminer. Devant toute autre consone que f, on met après la préposition latine un s. exemples : esbattre, esmouvoir, espleurer, esprit, esraller, estester, etc.

« La prepoition sous garde son s. Exemples : sousbarbe, sous-chantre, souslever, souspeser, souspir, soustenir, soustraire. Quelques-uns neantmoins escrivent soupir et soutenir. »

Mais l’Académie, en 1740, a décidé contrairement à la plupart des règles des cahiers de 1694. Il suffit d’indiquer quelques mots extraits de séries complètes du Cahier qu’elle a rectifiés dès sa troisième édition : appanage, appaiser, apercevoir, etc. ; desboetter, desbotter, desborder, desbourser, esbattre, esbranler, escarter, qu’elle écrit les uns par un seul p et les autres sans s.

Dans le Cahier on autorise cependant d’écrire deffaillir et defleurir, deffaire et defricher, et l’on remarque que quelques mots qui n’avaient pas d’h en latin en ont pris en français : « ululare, hurler ; altus, haut ; exaltare, exhausser ; ostreum, huistre ; oleum, huile ; ostium, huis ; octo, huit.»

Voici ce qui est dit à l’article DU CIRCONFLEXE :

« Le circonflexe mis sur une syllabe marque bien qu’elle est longue ; mais ce n’est pas pour cela qu’on l’y met, c’est pour montrer qu’on y a retranché une voyelle, comme on fait en grec aux verbes et aux noms contractes (2) [15]. Par exemple ; on le met en bâiller, railler, contractes de beailler et de riailler ; à âge, blessûre,j’ay pû, ingenûment, assidûment, etc. Les novateurs de l’orthographe le veulent substituer à la place de l’s muette, et escrivent tempéte, béte, óter, etc. »

L’opinion des novateurs a prévalu, et l’Académie a même retranché l’accent circonflexe à la plupart des mots qui ont subi une contraction : railler, blessure, pu, ingénument. Elle l’a conservé à assidûment.

On lit à l’article de la DIVISION :

« La division se met entre deux mots qui, en effet, ne font qu’un, mais qui ne sont pas entierement joincts : comme eux-mesmes, re-saler, re-sumer, francs-fiefs, cordon-bleu, grand-croix, ciel-de-lict, entre-post, etc. On la met aussi entre la troisiesme personne singuliere tant du present de l’indicatif que du futur, et le pronom personnel il et elle, et l’impersonnel on. Exemples : parle-il, mange-elle, diisne-on ceans, ira-il, dira-elle, sonnera-on. C’estoit l’ancienne orthographe, dont la raison est assez connue à ceux qui connoissent la langue françoise du quatorziesme et quinziesme siecle. Mais depuis quelques années on s’est advisé de mettre entre ces mots deux tirets et un t au milieu, de cette sorte, dira-t-il, ira-t-on. Je voy grand nombre de gens qui s’opposent à cet usage, et disent qu’il n’y en a aucune raison, ny aucun exemple chez nos anciens. Mesieurs jugeront si leur opposition est bien fondée ; et chacun marquera, s’il luy plaist, ce qu’il voudroit changer, corriger, retrancher et adjouster à tout ce Traitté, tant pour le gros et pour l’ordre, que pour le détail et pour les exemples. »

Dans sa Grammaire, publiée en 1706 ; Regnier des Marais, qu’on peut supposer avoir été le rédacteur des Cahiers, expose les mêmes pricipes avec plus de développements. (Voir plus loin l’analyse de cette grammaire, p. 136)

Ainsi donc, l’Académie dès 1694 procédait en matière d’orthographe, sous l’influence gréco-latine, en vue d’une conformité aussi intime que possible avec l’écriture du latin littéraire. Bien

bêche, bellâtre, câli, etc. Il y a là une source de nombreuses difficultés pour les étrangers. qu’elle tienne peu de comptedes concession que le latin vulgaire, la basse latinité, et les écrivains franais du XIIe au XVIe siècle avaient faites à la prononciation, on remarque une tendance à s’écarter de l’orthographe des Cahiers de remarques rédigés par Renier des. Marais ; elle fait quelques sacrifices à la nécessité de simplifer, qui est propre au génie de notre langue et à sa prosodie. Aussi la lecture, d’après ces principes mixtes de 1694, devait étre fort difficile, par suite de la multiplicité de ces consonnes ramenées du latin du siècle d’Auguste, consonnes qui tantôt se prononçaient et tantôt ne se prononçaient point. Ronsard, ainsi que le grand Corneille, tous deux véritablement Français, avec des idées et des sentiments antiques, avaient mieux compris l’organisme de notre langue. C’est un grand Ihonneur pour l’Académie d’avoir osé, dès 1740, se déjuger elle-même en renonçant aux règles et aux idées théoriques qu’elle avait adoptées en 1694, et d’avoir su rentrer dans la voie de la tradition et de la vérité pratique.

  1. Ce passage a été gratté dans le XVIe siècle.
  2. (2) Le Jeu de Marion ; le Jeu de la Sainte Hostie ; le Jeu du Prince des Sots, par Gringore. Tel était le nom donné aux comédies d’alors.
  3. On sait que la langue d’oïl conserva à l’origine le système des cas de la déclinaison latine : seulement elle le simplifia en réduisant à deux seulement les six cas du latin. Le.premier fut le signe du sujet : on l’a appelé enconséquence cas-sujet ou mieux subjectif. Le second servit pour les cornpléments de toute espèce, d’où lui vient le nom de cas-régime ou camplétif. J’expliquerai à l’appendice D, en donnant l’analyse des travaux récents sur la grammaire du vieux français dans leur rapport avec notre orthographe, le mécanisme de ces deux cas : je me bornerai à noter ici que généralement le subjectif romain au singulier conservait l’a finale là où il y avait s ou x dans le primitif latin au singulier.
  4. (1) Il signale, comme ayant contribué à l’aider dans son travail, l’ouvrage intitulé : Here begynneth the introductory to write and to pronounce frenche, compyled by Alexander Barcley compendiously at the commandement of the prynce Thomas duke of Northfolke.
  5. (1) Publié Lyon par Frère Gabriel Busa, de l’ordre des Augustins, d’après le Dictionnaire latin-espagnol de Antoine de Lebrixa.
  6. (1) La marque du superlatif très est toujours réunie au mot qu’il modifie : tresaccoutumé, tresaise (très-aise), tresuite (très-vite). Cette série forme plus de trois cents mots dans son Dictionnaire.
  7. (2) Laimarie remania l’ordre des mots de la partie française pour remédier à la confusion qui résultait du groupement des mots dérivés sous leur simple et il adopta l’ordre alphabétique absolu.
  8. (1) 3 vol. in-4, 1667, revu par Richelet.
  9. Les accents
  10. (1) Moins de cent ans après, l’Académie devait, conformément aux propositions de la plupart des novateurs, simplifier l’écriture de près de cinq mille mots et introduire les accents dans le corps d’une grande partie d’entre eux.
  11. Par cet exemple, on voit que dans partir, sortir, on ne prononçait pas le r, de même que nous ne le faisons pas sentir dans aimer, céder non suivi d’une voyelle.
  12. M. Ch. Marty-laveaux a réédité en 1863, chez le libraire J. Gay, à trois cents exemplaires, ces deux éditions en les faisant précéder d’une intéressante Introduction.
  13. (1) On a reconnu plus tard que le mot amiral vient de l’arabe émir. La préposition ad des latins n’avait rien à faire ici.
  14. (1) L’habitude d’écrire simplement et d’essayer de figurer la prononciation plutôt que l’étymologie est plus ancienne en France que l’Académie de 1694 ne parait le supposer, car cet usage remonte à l’époque même de nos plus anciens monuments écrits du XIe, du XIIe et du XIIIe siècle (Lois de Guillaume, Apocalypse, Quatre livres des rois, etc.). Le mot appellata que l’Académie de 1694 écrit appellée, est figuré aussi, apeled et apelee ; le tesmoignage (testimonium) est alors testimoine ou tesmoigne ; les yeux, comme écrivait R. Estienne, sont des oils, etc. Il est vrai que, depuis le XIVe siècle, les clercs, fort épris du latin, se sont donné carrière pour saupoudrer de plus en plus leurs transcriptions de lettres étymologiques et souvent de lettres qui ne le sont pas ; mais c’est à partir de la Renaissance de l’antiquité que cette fièvre d’érudition a pris son plus grand développement. Voir plus haut, p. 112.
  15. (2) Cet accent circonflexe joue encore dans notre orthographe le double rôle de marquer la suppression d’une lettre ; comme dans affût, affûtage, aîné, vous arrivâtes, nous crûmes, etc., et de rendre la syllabe longue, comme dans bâche.