Odes (Horace, Séguier)/III/6 - Aux Romains

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Odes et Épodes et Chants séculaires
Traduction par M. le Comte de Séguier.
A. Quantin (p. 100-102).


VI

AUX ROMAINS


Romains, vous paîrez les crimes de vos pères,
D’eux quoique innocents, tant que vous n’aurez pas

Rebâti des dieux les sanctuaires,
   Les marbres saints, noircis, jetés à bas.

Le culte des dieux nous fit maîtres du monde ;
Les dieux sont de tout le principe et la fin :
      Négligés, d’une chute profonde
   Ils ont puni le triste sol latin.

Dêjà, par deux fois, et Monèse et Pacore
Vainquirent nos fils de l’Augure oublieux,
      Et le Parthe insolemment décore
   Ses colliers vils de notre or précieux.

La flotte d’Égypte et l’arc fameux du Dace,
Combinant leur tir, leurs évolutions,
      Ont failli détruire, en leur audace,
   Rome tombée aux mains des factions.

Notre âge coupable a d’abord dans sa course
Perverti l’hymen, la famille et les mœurs :
      Le pays, le peuple à cette source
   Doivent, hélas ! tant d’horribles malheurs.

La vierge, à quinze ans, avec ardeur se mêle
De danse ionique et d’arts voluptueux.
      Je me trompe : encore à la mamelle
   Son cœur rêvait d’amours incestueux.

Bientôt elle cherche, aux fêtes conjugales,
Les meilleurs galants, et n’attend même plus,

Pour l’octroi de faveurs illégales,
   L’obscurité, le mystère voulus.

Mais interpellée, et son mari complice,
La belle, en public, sort pour tel commerçant,
      Tel patron d’un bateau de Galice
   Pactole impur de ce couple indécent.

Ah ! ceux-là naissaient de parents sans reproche
Qui battaient Carthage en maint combat naval,
      Qui domptaient le grand roi d’Antioche,
   L’altier Pyrrhus, le terrible Annibal !

D’agrestes soldats postérité solide,
Remuant le col de leur hoyau sabin,
      Sous les yeux d’une mère rigide
   Ils rapportaient le chêne, le sapin,

Coupés dans les bois, quand l’ombre des montagnes
Changeait au soleil, et que l’heure, en s’usant,
      Ramenait la paix dans les campagnes
   Et délivrait les bœufs du joug pesant.

Que n’altèrent pas les siècles damnifères ?
Nos pères étaient moins bons que nos aïeux
      Nous, jamais, nous ne vaudrons nos pères ;
   Nos fils seront plus que nous vicieux.