Odes (Horace, Séguier)/IV/2 - À Jule Antoine

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Odes et Épodes et Chants séculaires
Traduction par M. le Comte de Séguier.
A. Quantin (p. 143-145).


II

À JULE ANTOINE


Jule, quiconque ose suivre Pindare,
D’ailes de cire use au sein de l’éther ;
Il donnera bientôt, nouvel Icare,
          Son nom à quelque mer.

Comme un torrent, dont la pluie enfle l’onde,
Tombe d’un mont en franchissant son lit,
Ainsi Pindare, immense flot, jaillit
          De sa source profonde,

Digne à bon droit du rameau d’Apollon,
Soit qu’il émaille un large dithyrambe
De termes neufs, et se soustraie ingambe
          Aux jougs du saint vallon ;


Soit qu’il célèbre ou les dieux, ou ces princes,
Leurs rejetons, qui du centaure affreux,
De la Chimère, aux gigantesques feux,
          Purgeaient villes, provinces ;

Soit qu’il redise athlètes et chevaux
Rentrant vainqueurs des carrières d’Élide
Pour leur renom monument plus solide
          Que cent bronzes rivaux ;

Soit qu’il regrette un héros à sa belle
Ravi trop tôt, et l’arrache d’un pleur,
En exaltant son cœur d’or, sa valeur,
          À la Parque rebelle.

Aux champs de l’air quand le cygne thébain
Prend son essor, Antoine, il y domine
Royalement. Mais ainsi que du thym
          L’abeille de Matine

Cueille, en peinant, les sucs délicieux
Moi, près des eaux, dans l’ombreuse retraite
Du frais Tibur, je forge, humble poète,
          Des vers laborieux.

C’est à ton luth d’une meilleure école
De saluer, sous ses justes lauriers,
César venant pousser au Capitole
          Les Sicambres altiers ;


César, des Dieux et du Sort à la terre
Le plus beau don, le plus parfait encor,
Comme leurs mains, revît-on l’âge d’or,
          Ne pourraient en refaire.

Chante, au retour longuement imploré
Du brave Auguste, et l’ivresse romaine,
Et nos grands jeux, enfin de toute haine
          Le Forum délivré.

Moi-même alors, si ma voix en est digne,
A tes côtés heureux d’être entendu :
« Ô jour charmant ! dirai-je, ô jour insigne !
          César nous est rendu. »

Mais il s’avance, on clame : « Io victoire ! »
Nous, de clamer cent fois : « Victoire Io ! »
Puis aux dieux bons d’offrir, pieux duo,
          Un encens méritoire.

Tu leur dois bien dix génisses, dix bœufs :
Pour moi, le sang d’un veau, loin de sa mère
Broutant déjà la verdure éphémère,
          Acquittera mes vœux.

Son jeune front imite de la lune
Le fin croissant, à sa troisième nuit :
Étoile blanche au beau milieu reluit ;
          Toute la robe est brune.