Oraison funèbre de Henriette-Marie de France

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ORAISON FUNEBRE

DE LA REINE

DE LA

GRAND’BRETAGNE


Et nunc Reges intelligite ; erudimini qui judicatis terram. Pſal. 2.

Maintenant, ô Rois, apprenez ; inſtruiſez-vous, Juges de la Terre.


Monseigneur,

Celuy qui regne dans les Cieux, & de qui relevent tous les Empires, à qui seul appartient la gloire, la Majeſté, & l’indépendance, eſt auſſi le ſeul qui ſe glorifie de faire la loy aux Rois, & de leur donner quand il luy plaiſt de grandes & terribles leçons. Soit qu’il éleve les Thrônes, ſoit qu’il les abbaiſſe ; ſoit qu’il communique ſa puiſſance aux Princes, ſoit qu’il la retire luy-meſme & ne leur laiſſe que leur propre foibleſſe : il leur apprend leurs devoirs d’une maniére ſouveraine & digne de luy. Car en leur donnant ſa puiſſance, il leur commande d’en uſer comme il fait luy-meſme pour le bien du monde ; & il leur fait voir en la retirant, que toute leur Majeſté eſt empruntée, & que pour eſtre aſſis ſur le Thrône, ils n’en ſont pas moins ſous ſa main, & ſous ſon autorité ſuprême. C’eſt ainſi qu’il inſtruit les Princes, non-ſeulement par des discours & par des paroles, mais encore par des effets, & par des exemples. Et nunc Reges intelligite ; erudimini qui judicatis terram.

Chreſtiens, que la mémoire d’une grande Reine, Fille, femme, Mere de Rois ſi puiſſans, & Souveraine de trois Royaumes, appelle de tous coſtez à cette triſte cérémonie ; ce diſcours vous fera paroiſtre un de ces exemples redoutables, qui étallent aux yeux du monde ſa vanité toute entiére. Vous verrez dans une ſeule vie toutes les extrémitez des choſes humaines : la félicité ſans bornes, auſſi-bien que les miſéres ; une longue et paiſible joûïſſance d’une des plus nobles Couronnes de l’Univers ; tout ce que peuvent donner de plus glorieux la naiſſance & la grandeur accumulé ſur une teſte qui enſuite eſt expoſée à tous les outrages de la fortune ; la bonne cauſe d’abord ſuivie de bons ſuccés, & depuis, des retours ſoudains ; des changemens inoûïs ; la rebellîon longtemps retenuë, à la fin tout-à-fait maiſtreſſe ; nul frein à la licence ; les Loix abolies ; la Majeſté violée par des attentats juſques alors inconnus ; l’uſurpation & la tyrannie ſous le nom de liberté ; une Reine fugitive qui ne trouve aucune retraite dans trois Royaumes, & à qui ſa propre patrie n’eſt plus qu’un triſte lieu d’exil ; neuf voyages ſur Mer entrepris par une Princeſſe malgré les tempeſtes ; l’Ocean étonné de ſe voir traverſé tant de fois en des appareils ſi divers, & pour des cauſes ſi differentes ; un Thrône indignement renverſé, & miraculeuſement rétabli. Voilà les enſeignemens que Dieu donne aux Rois : ainſi fait-il voir au monde le néant de ſes pompes, & de ſes grandeurs. Si les paroles nous manquent, ſi les expreſſions ne répondent pas à un ſujet ſi vaſte, & ſi relevé ; les choſes parleront aſſez d’elles-meſmes. Le cœur d’une grande Reine, autrefois élevé par une ſi longue ſuite de proſperitez, & puis plongé tout-à-coup dans un abyſme d’amertumes, parlera aſſez haut ; & s’il n’eſt pas permis aux particuliers de faire des leçons aux Princes ſur des événemens ſi étranges, un Roy me preſte ſes paroles pour leur dire, Et nunc Reges intelligite ; erudimini qui judicatis terram : Entendez, ô Grands de la terre ; inſtruiſez-vous, arbitres du monde.

Mais la ſage & religieuſe Princeſſe qui fait le ſujet de ce diſcours, n’a pas eſté ſeulement un ſpectacle propoſé aux hommes, pour y étudier les conseils de la Divine Providence, & les fatales révolutions des Monarchies ; elle s’eſt inſtruite elle-meſme, pendant que Dieu inſtruiſoit les Princes par ſon exemple. J’ay déja dit que ce grand Dieu les enſeigne, & en leur donnant, & en leur oſtant leur puissance. La Reine, dont nous parlons, a également entendu deux leçons ſi oppoſées ; c’eſt-à-dire, qu’elle a uſé chreſtiennement de la bonne & de la mauvaiſe fortune. Dans l’une elle a eſté bienfaiſante ; dans l’autre elle s’eſt montrée toûjours invincible. Tant qu’elle a eſté heureuſe, elle a fait ſentir ſon pouvoir au monde par des bontez infinies ; quand la fortune l’eût abandonnée, elle s’enrichit plus que jamais elle-meſme de vertus. Tellement qu’elle a perdu pour ſon propre bien cette puiſſance Royale qu’elle avoit pour le bien des autres ; & ſi ſes Sujets, ſi ſes Alliez, ſi l’Egliſe univerſelle a profité de ſes grandeurs, elle-meſme a ſceû profiter de ſes malheurs & de ſes diſgraces plus qu’elle n’avoit fait de toute ſa gloire. C’eſt ce que nous remarquerons dans la vie éternellement mémorable de Tres-haute, Tres-excellente, & Tres-puiſſante Princeſſe Henriette Marie de France, Reine de la Grand’Bretagne.

Quoy-que perſonne n’ignore les grandes qualitez d’une Reine dont l’Histoire a rempli tout l’Univers, je me ſens obligé d’abord à les rapeller en votre memoire, afin que cette idée nous ſerve pour toute la ſuite du diſcours. Il ſeroit ſuperflu de parler au long de la glorieuſe naiſſance de cette Princeſſe : on ne voit rien ſous le Soleil qui en égale la grandeur. Le Pape Saint Gregoire a donné dés les premiers ſiécles cét éloge ſingulier à la Couronne de France ; qu’elle eſt autant au-deſſus des autres Couronnes du monde, que la dignité Royale ſurpaſſe les fortunes particulières. Que s’il a parlé en ces termes du temps du Roy Childebert, & s’il a élevé ſi haut la race de Merovée : jugez ce qu’il auroit dit du Sang de Saint Loûïs, & de Charlemagne. Iſſuë de cette race, fille de Henri le Grand, & de tant de Rois, ſon grand cœur a ſurpaſſé ſa naiſſance. Toute autre place qu’un Thrône euſt eſté indigne d’elle. A la vérité elle eût de quoy ſatisfaire à ſa noble fierté, quand elle vit qu’elle alloit unir la Maiſon de France à la Royale Famille des Stuarts, qui eſtoient venus à la ſucceſſion de la Couronne d’Angleterre par une fille de Henri VII. mais qui tenoient de leur Chef depuis plusieurs ſiécles le Sceptre d’Ecoſſe, & qui deſcendoient de ces Rois Antiques, dont l’origine ſe cache ſi avant dans l’obſcurité des premiers temps. Mais ſi elle eût de la joye de regner ſur une grande Nation, c’eſt parce qu’elle pouvoit contenter le déſir immenſe, qui ſans ceſſe la ſollicitoit à faire du bien. Elle eût une magnificence Royale, & l’on euſt dit qu’elle perdoit ce qu’elle ne donnoit pas. Ses autres vertus n’ont pas eſté moins admirables. Fidelle dépoſitaire des plaintes & des ſecrets, elle diſoit que les Princes devoient garder le meſme ſilence que les Confeſſeurs, & avoir la meſme diſcrétion. Dans la plus grande fureur des Guerres Civiles, jamais on n’a douté de ſa parole, ni deſeſperé de ſa clémence. Quel autre a mieux pratiqué cét art obligeant, qui fait qu’on ſe rabaiſſe ſans ſe dégrader, & qui accorde ſi heureuſement la liberté avec le reſpect ? Douce, familiére, agréable autant que ferme & vigoureuſe, elle ſçavoit perſuader & convaincre, auſſi-bien que commander, & faire valoir la raiſon non moins que l’autorité. Vous verrez avec quelle prudence elle traitoit les affaires ; & une main ſi habile euſt ſauvé l’Eſtat, ſi l’Eſtat euſt pû eſtre ſauvé. On ne peut aſſez loûër la magnamité de cette Princeſſe. La Fortune ne pouvoit rien ſur elle ; ni les maux qu’elle a préveûs, ni ceux qui l’ont ſurpriſe, n’ont abbatu ſon courage. Que diray-je de ſon attachement immuable à la Religion de ſes Anceſtres ? Elle a bien ſceû reconnoiſtre que cet attachement faiſoit la gloire de ſa Maiſon, auſſi-bien que celle de toute la France, ſeule Nation de l’Univers, qui depuis douze ſiécles preſque accomplis, que les Rois ont embraſſé le Chriſtianiſme, n’a jamais veû ſur le Thrône que des Princes enfans de l’Egliſe. Auſſi a-t-elle toûjours déclaré, que rien ne ſeroit capable de la détacher de la Foy de Saint Loûïs. Le Roy ſon mari luy a donné, juſques à la mort, ce bel éloge, qu’il n’y avoit que le ſeul point de la Religion, où leurs cœurs fuſſent deſunis ; & confirmant par ſon témoignage la piété de la Reine, ce Prince tres-éclairé a fait connoiſtre en meſme temps à toute la terre, la tendreſſe, l’amour conjugal, la ſainte & inviolable fidelité de ſon Epouſe incomparable.

Dieu qui rapporte tous ſes conſeils à la conſervation de ſa ſainte Egliſe, & qui fécond en moyens, employe toutes choſes à ſes cachées, s’eſt ſervi autrefois des chaſtes attraits de deux ſaintes Heroïnes, pour délivrer ſes Fidelles des mains de leurs ennemis. Quand il voulut ſauver la ville de Béthulie, il tendit dans la beauté de Judith un piége impréveû & inévitable à l’aveugle brutalité d’Holoferne. Les graces pudiques de la Reine Eſther eûrent un effet auſſi ſalutaire, mais moins violent. Elle gagna le cœur du Roy ſon mari, & fit d’un Prince infidelle, un illuſtre protecteur du Peuple de Dieu. Par un conſeil à peu prés ſemblable, ce grand Dieu avoit préparé un charme innocent au Roy d’Angleterre, dans les agrémens infinis de la Reine ſon Epouſe. Comme elle poſſédoit ſon affection (car les nuages qui avoient paru au commencement furent bientoſt diſſipez) & que ſon heureuſe fécondité redoubloit tous les jours les ſacrez liens de leur amour mutuelle : ſans commettre l’autorité du Roy ſon Seigneur, elle employoit ſon crédit à procurer un peu de repos aux Catholiques accablez. Dés l’âge de quinze ans elle fut capable de ces ſoins : & ſeize années d’une proſpérité accomplie, qui coulérent ſans interruption, avec l’admiration de toute la terre, furent ſeize années de douceur pour cette Egliſe affligée. Le crédit de la Reine obtint aux Catholiques ce bonheur ſingulier & preſque incroyable, d’eſtre gouvernez ſucceſſivement par trois Nonces Apoſtoliques qui leur apportoient les conſolations, que reçoivent les enfans de Dieu de la communication avec le Saint Siége. Le Pape Saint Grégoire écrivant au pieux Empereur Maurice, luy repreſente en ces termes les devoirs des Rois Chreſtiens : Sçachez, ô grand Empereur, que la Souveraine Puiſſance vous est accordée d’en-haut, afin que la Vertu ſoit aidée, que les voyes du Ciel ſoient élargies, & que l’Empire de la terre ſerve l’Empire du Ciel.[1] C’eſt la Vérité elle-meſme qui luy a dicté ces belles paroles. Car qu’y a-t-il de plus convenable à la puiſſance, que de ſecourir la vertu ? à quoy la force doit-elle ſervir, qu’à défendre la raiſon ? & pourquoy commandent les hommes, ſi ce n’eſt pour faire que Dieu ſoit obéï ? Mais ſur tout, il faut remarquer l’obligation ſi glorieuſe que ce grand Pape impoſe aux Princes, d’élargir les voyes du Ciel. Jesus-Christ a dit dans ſon Evangile, Combien eſt étroit le chemin qui meine à la vie ! & voicy ce qui le rend ſi étroit. C’eſt que le Juſte, ſevére à luy-meſme, & perſécuteur irréconciliable de ſes propres paſſions, ſe trouve encore perſecuté par les injuſtes paſſions des autres ; & ne peut pas meſme obtenir que le monde le laiſſe en repos dans ce ſentier ſolitaire & rude, où il grimpe plûtoſt qu’il ne marche. Accourez, dit Saint Grégoire, Puiſſances du ſiécle : voyez dans quel ſentier la vertu chemine ; doublement à l’étroit, & par elle-meſme, & par l’effort de ceux qui la perſécutent : ſecourez-la, tendez-luy la main : puiſque vous la voyez déja fatiguée du combat qu’elle ſouſtient au-dedans contre tant de tentations qui accablent la nature humaine, mettez-la du moins à couvert des inſultes du dehors. Ainſi vous élargirez un peu les voyes du Ciel, & rétablirez ce chemin, que ſa hauteur & ſon aſpreté rendront toûjours aſſez dif‍f‍icile.

Mais ſi jamais l’on peut dire que la voye du Cheſtien eſt étroite, c’eſt, Messieurs, durant les perſécutions. Car que peut-on imaginer de plus malheureux que de ne pouvoir conſerver la Foy, ſans s’expoſer au ſupplice, ni ſacrifier ſans trouble, ni chercher Dieu qu’en tremblant ? Tel eſtoit l’eſtat déplorable des Catholiques Anglois. L’erreur & la nouveauté ſe faiſoient entendre dans toutes les Chaires ; & la doctrine ancienne, qui, ſelon l’oracle de l’Evangile, doit eſtre preſchée juſques ſur les toits[2], pouvoit à peine parler à l’oreille. Les enfans de Dieu eſtoient étonnez de ne voir plus ni l’Autel, ni le Sanctuaire, ni ces Tribunaux de miſéricorde, qui juſtifient ceux qui s’accuſent. O douleur ! Il falloit cacher la pénitence avec le meſme ſoin qu’on euſt fait les crimes ; & Jesus-Christ meſme ſe voyoit contraint, au grand malheur des hommes ingrats, de chercher d’autres voiles, & d’autres tenebres, que ces voiles, & ces tenebres myſtiques, dont il ſe couvre volontairement dans l’Euchariſtie. À l’arrivée de la Reine, la rigueur ſe ralentit, & les Catholiques reſpirérent. Cette Chapelle Royale qu’elle fit baſtir avec tant de maginificence dans ſon Palais de Sommerſet, rendoit à l’Egliſe ſa premiére forme. Henriette digne fille de Saint Loûïs, y animoit tout le monde par ſon exemple ; & y ſouſtenoit avec gloire par ſes retraites, par ſes priéres, & par ſes dévotions, l’ancienne réputation de la Tres-Chreſtienne Maiſon de France. Les Preſtres de l’Oratoire, que le grand Pierre de Bérulle avoit conduits avec elle, & aprés eux les Peres Capucins, y donnerent par leur piété, aux Autels, leur véritable décoration ; & au Service Divin, ſa majeſté naturelle. Les Preſtres & les Religieux, zelez & infatigables Paſteurs de ce troupeau affligé, qui vivoient en Angleterre pauvres, errans, traveſtis, deſquels auſſi le monde n’eſtoit pas digne[3], venoient reprendre avec joye les marques glorieuſes de leur profeſſion dans la Chapelle de la Reine & de l’Egliſe deſolée, qui autrefois pouvoit à peine gemir librement, & pleurer ſa gloire paſſée, faiſoit retentir hautement les Cantiques de Sion dans une terre étrangére. Ainſi la pieuſe Reine conſoloit la captivité des Fidelles, & relevoit leur eſpérance.

Quand Dieu laiſſe sortir du puits de l’abyſme la fumée qui obſcurcit le Soleil, ſelon l’expreſſion de l’Apocalypſe[4], c’eſt à dire, l’erreur & l’heréſie ; quand pour punir les ſcandales, ou pour réveiller les Peuples & les Paſteurs, il permet à l’eſprit de ſéduction de tromper les ames hautaines, & de répandre par tout un chagrin ſuperbe, une indocile curioſité, & un eſprit de révolte : il détermine dans ſa ſageſſe profonde les limites qu’il veut donner au malheureux progrés de l’erreur, & aux ſouffrances de ſon Egliſe. Je n’entreprens pas, Chreſtiens, de vous dire la deſtinée des Héréſies de ces derniers ſiécles, ni de marquer le terme fatal, dans lequel Dieu a réſolu de borner leur cours. Mais ſi mon jugement ne me trompe pas ; ſi rappelant la mémoire des ſiécles paſſez, j’en fais un juſte rapport à l’eſtat preſent : j’ose croire, & je voy les ſages concourir à ce ſentiment, que les jours d’aveuglement ſont écoulez, & qu’il eſt temps deſormais que la lumiére revienne. Lors que le Roy Henry VIII. Prince en tout le reſte accompli, s’égara dans les paſſions qui ont perdu Salomon & tant d’autres Rois, & commença d’ébranler l’autorité de l’Egliſe : les ſages luy dénoncérent qu’en remuant ce ſeul point, il mettoit tout en peril, & qu’il donnoit contre ſon deſſein une licence effrénée aux âges ſuivans. Les ſages le prévîrent ; mais les ſages ſont-ils crûs en ces temps d’emportement, & ne ſe rit-on pas de leurs prophéties ? Ce qu’une judicieuſe prévoyance n’a pû mettre dans l’eſprit des hommes, une maiſtreſſe plus impérieuſe, je veux dire l’expérience, les a forcez de le croire. Tout ce que la Religion a de plus ſaint, a été en proye. L’Angleterre a tant changé, qu’elle ne ſçait plus elle-meſme à quoy s’en tenir ; & plus agité en ſa terre & dans ſes ports meſmes, que l’Ocean qui l’environne, elle ſe voit inondée par l’effroyable débordement de mille Sectes bizarres. Qui ſçait ſi eſtant revenuë de ſes erreurs prodigieuſes touchant la Royauté, elle ne pouſſera pas plus loin ſes réfléxions ; & ſi, ennuyée de ſes changemens, elle ne regardera pas avec complaiſance l’eſtat qui a précedé ? Cependant admirons icy la piété de la Reine, qui a ſçeû ſi bien conſerver les précieux reſtes de tant de perſecutions. Que de pauvres, que de malheureux, que de familles ruinées pour la cauſe de la Foy, ont ſubſiſté pendant tout le cours de ſa vie, par l’immenſe profuſion de ſes aumoſnes ! Elles ſe répandoient de toutes parts juſqu’aux derniéres extrémitez de ſes trois Royaumes ; & s’étendant par leur abondance, meſme ſur les ennemis de la Foy ; elles adouciſſoient leur aigreur, & les ramenoient à l’Egliſe. Ainſi non-ſeulement elle conſervoit, mais encore elle augmentoit le peuple de Dieu. Les converſions eſtoient innombrables ; & ceux qui en ont eſté témoins oculaires nous ont appris, que pendant trois ans de ſéjour qu’elle a fait dans la Cour du Roy ſon Fils, la ſeule Chapelle Royale a veû plus de trois cens convertis, ſans parler des autres, abjurer ſaintement leurs erreurs entre les mains de ſes Aumoſniers. Heureuſe d’avoir conſervé ſi ſoigneuſement l’étincelle de ce feu divin que Jesus eſt venu allumer au monde ! Si jamais l’Angleterre revient à ſoy ; ſi ce levain précieux vient un jour à ſanctifier toute cette maſſe où il a eſté meſlé par ces Royales mains : la poſterité la plus éloignée n’aura pas aſſez de loûanges pour célébrer les vertus de la religieuſe Henriette, & croira devoir à ſa piété l’ouvrage ſi mémorable du rétabliſſement de l’Egliſe.

Que ſi l’Hiſtoire de l’Egliſe garde chérement la mémoire de cette Reine ; noſtre Hiſtoire ne taira pas les avantages quelle a procurez à ſa Maiſon & à ſa Patrie. Femme & Mere tres-cherie & tres-honorée, elle a réconcilié avec la France le Roy ſon Mary, & le Roy ſon Fils. Qui ne ſçait qu’aprés la mémorable action de l’Iſle de Ré, & durant ce fameux ſiége de la Rochelle, cette Princeſſe prompte à ſe ſervir des conjonctures importantes, fit conclure la Paix, qui empeſcha l’Angleterre de continuer ſon ſecours aux Calviniſtes révoltez ? Et dans ces derniéres années, aprés que noſtre grand Roy, plus jaloux de ſa parole e& du ſalut de ſes Alliez que de ſes propres intéreſts, eût déclaré la guerre aux Anglois ; ne fut-elle pas encore une ſage & heureuſe Médiatrice ? Ne réünit-elle pas les deux Royaumes ? Et depuis encore ne s’eſt-elle pas appliquée en toutes rencontres à conſerver cette meſme intelligence ? Ces ſoins regardent maintenant vos Altesses Royales : & l’exemple d’une grande Reine, auſſi-bien que le ſang de France & d’Angleterre, que vous avez uni par voſtre mariage, vous doit inſpirer le deſir de travailler ſans ceſſe à l’union de deux Rois qui vous ſont ſi proches, & de qui la puiſſance & la vertu peuvent faire le deſtin de toute l’Europe.

Monseigneur, ce n’eſt plus ſeulement par cette vaillante main & par ce grand cœur que vous acquererez de la gloire. Dans le calme d’une profonde Paix vous aurez des moyens de vous ſignaler ; & vous pouvez ſervir l’Eſtat, ſans l’alarmer, comme vous avez fait tant de fois, en expoſant au milieu des plus grands hazards de la guerre une vie auſſi précieuſe, & auſſi néceſſaire que la voſtre. Ce ſervice, Monseigneur, n’eſt pas le ſeul qu’on attende de vous ; & l’on peut tout eſperer d’un Prince que la ſageſſe conſeille, que la valeur anime, & que la juſtice accompagne dans toutes ſes actions. Mais où m’emporte mon zele, ſi loin de mon triſte ſujet ? Je m’arreſte à conſiderer les vertus de Philippes, & ne ſonge pas que je vous dois l’hiſtoire des malheurs de Henriette.

J’avoûë en la commençant, que je ſens plus que jamais la dif‍f‍iculté de mon entrepriſe. Quand j’enviſage de prés les infortunes inoûïes d’une ſi grande Reine, je ne trouve plus de paroles ; & mon eſprit rebuté de tant d’indignes traitemens qu’on a faits à la Majeſté & à la vertu, ne ſe réſoudront à ſe jetter parmi tant d’horreurs, ſi la conſtance admirable avec laquelle cette Princeſſe a ſouſtenu ſes calamitez, ne ſurpaſſoit de bien loin les crimes qui les ont cauſées. Mais en meſme-temps, Chreſtiens, un autre ſoin me travaille. Ce n’eſt pas un ouvrage humain que je médite. Je ne ſuis pas icy un Hiſtorien qui doive vous déveloper le ſecret des cabinets, ni l’ordre des batailles, ni les intéreſts des partis : il faut que je m’éleve au deſſus de l’homme, pour faire trembler toute créature ſous les jugemens de Dieu. J’entreray avec David dans les puiſſances du Seigneur[5] ; & j’ay à vous faire voir les merveilles de ſa main & de ſes conſeils ; conſeils de juſte vengeance ſur l’Angleterre ; conſeils de miſericorde pour le ſalut de la Reine ; mais conſeils marquez par le doigt de Dieu, dont l’empreinte eſt si vive & ſi manifeſte dans les événemens que j’ay à traiter, qu’on ne peut réſiſter à cette lumiére.

Quelque haut qu’on puiſſe remonter, pour rechercher dans les Hiſtoires les éxemples des grandes mutations, on trouve que juſques icy elles font cauſées, ou par la moleſſe, ou par la violence des Princes. En effet, quand les Princes négligeant de connoiſtre leurs affaires & leurs armées, ne travaillent qu’à la chaſſe, comme diſoit cét Hiſtorien ; n’ont de gloire que pour le luxe, ni d’eſprit que pour inventer des plaiſirs ; ou quand emportez par leur humeur violente, ils ne gardent plus ni loix ni meſures, & qu’ils oſtent les égards & la crainte aux hommes, en faiſant que les maux qu’ils ſouffrent leur paroiſſent plus inſupportables que ceux qu’ils prévoyent : alors ou la licence exceſſive, ou la patience pouſſée à l’extrémité, menacent terriblement les Maiſons régnantes. Charles I. Roy d’Angleterre eſtoit juste, modéré, magnanime, très-inſtruit de ſes affaires, & des moyens de regner. Jamais Prince ne fut plus capable de rendre la Royauté, non ſeulement vénérable & fainte, mais encore aimable & chere à ses Peuples. Que luy peut-on reprocher, sinon la clémence ? Je veux bien avouër de luy ce qu’un Auteur célébre a dit de Cesar, qu’il a esté clément, jusqu’à estre oblige de s’en repentir : Cæsari proprium & peculiare fit clementia insigue, quâ usque ad poenitentiam omnes superavit. Que ce soit donc là, si l’on veut, l’illustre defaut de Charles aussi-bien que de Cesar : mais que ceux qui veulent croire que tout est foible dans les malheureux & dans les vaincus, ne pensent pas pour cela nous persuader que la force ait manqué à son courage, ni la vigueur à ses conseils. Poursuivi à toute outrance par l’implacable malignité de la fortune, trahi de


Texte incomplet, en cours de correction.
  1. Ad hoc enim poteſtas dominorum meorum pietati cælitus dua eſt ſuper omnes homines, ut qui bona appetunt, adjuventur ; ut cælorum via largiùs pateat, ut terreſtre regnum cæleſti regno famuletur.
    Greg. lib. 2. Ep. 62. Maur. Aug.
  2. Quod in aure auditis, prædicare ſuper tecta.
    Matth. x. 27.
  3. Quibus dignus non etat mundus.
    Heb. xj. 32.
  4. Apoc. ix. 4
  5. Introibo in potentias Domini.
    Pſal. lxx.