Paul Verlaine (Verlaine)

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Œuvres complètes - Tome VVanier (Messein) (p. 300-307).


PAUL VERLAINE


Paul Verlaine est né à Metz, le 30 mars 1844, et a opté en 1873 pour la nationalité française. Il fit ses études à Paris, où il résida constamment avec l’exception de fréquents voyages et longs séjours à l’étranger et en province. C’est surtout le Nord, un peu l’Est, la Belgique, une bonne part de l’Angleterre, de vagues Normandies, Orne, pays de Caux, et un bout d’Allemagne, qu’il parcourut, reposant ici sa tête pendant des années pour ne rester là que le temps d’une visite ou deux aux bons endroits. Il avait passé sa petite enfance à Montpellier et se rappelle encore cette ville et son Peyrou, ses pénitents de toutes couleurs, — et cette chaleur ! Ses seules aventures dans ce Midi sur le pouce furent l’absorption d’un scorpion dans un verre d’eau sucrée (le scorpion en mourut) et une brûlure de la main droite, obtenue en la plongeant — adorable, intelligent bébé ! — dans une Dubelloy (ou bouillotte) remplie d’eau bouillante, et qui rendit gaucher l’auteur des Poètes maudits.

En 1865, il donnait à l’impression les Poèmes Saturniens, recueil de vers déjà anciens, faits pour la plupart dans son pupitre de rhétoricien en proie à feu le baccalauréat encyclopédique et polytechnique d’alors. On fit à ce livre, qui parut en même temps que le Reliquaire de Coppée, l’honneur de ne s’en un peu occuper que pour renvoyer l’auteur au bon français, au bon sens, à toutes les sortes de bonnes choses tenues par ces messieurs à tant la ligne. Impénitent, Verlaine publia un an après les Fêtes galantes qui eurent quelques succès et procurèrent, étrangement gracieuses sans contestes et raffinées, non fades, qu’elles étaient, avec un point de mélancolie quelque peu féroce, un regain de lecture aux Poèmes Saturniens.

Des écrivains sérieux, Sainte-Beuve, entre autres, comme peut en témoigner sa correspondance, s’intéressèrent à ces débuts. Nestor Roqueplan aima cette poésie bizarre et contrastée, déjà musicale. D’autres suffrages intimes et familiers continuèrent d’encourager l’auteur, déjà très volontaire et emballé pour sa part, qui mit au jour, au commencement de 1870, la Bonne Chanson, vers d’amour chaste. La guerre et son bruit firent tort à ce petit ouvrage auquel l’auteur tiendrait particulièrement à voir rendre justice.

Un mariage, les gardes au rempart, la Commune, dans laquelle il fut quelque peu compromis, puis de violentes affaires d’intérieur suspendirent trois ans la production du poète. Ce ne fut qu’en 1874 que fusa pour ainsi parler, son volume peut-être le plus original, mais qui devait beaucoup plus tard faire son bruit dans le nouveau monde poétique : j’ai nommé les Romances sans paroles. Depuis, l’auteur, blessé cruellement par la vie et aussi, il l’avoue franchement, victime et dupe d’une longue conduite inconsidérée, fut amené à se convertir sincèrement et de tout point au catholicisme, oublié depuis sa première communion. Six années s’ensuivirent d’austérité, de recueillement, de travail obscur, au courant desquels néanmoins Verlaine composa un livre mystique, Sagesse, qui parut en 1880 et commence seulement à faire son chemin ; cette rentrée le détermina à reprendre ses travaux littéraires et il lança deux nouveaux livres, l’un de critique, les Poètes maudits dont on parla et écrivit beaucoup, y cherchant des théories, que sais-je ! l’autre de vers, Jadis et Naguère, qui eut un franc succès.

Le théâtre le sollicite, mais du théâtre court, qui donne le moins possible prise au métier.

Deux livres de prose, les Mémoires d’un veuf et Louise Leclercq, la seconde édition augmentée des Poètes maudits, où il expliquera ses idées poétiques des vers dans la tonalité de ceux de Sagesse, Amour, sont sur le chantier de cet infatigable qui prémédite de donner à chacun de ses recueils catholiques, Amour, puis Bonheur, un complément plus mondain. Il a déjà commencé en faisant suivre Sagesse de Jadis et naguère à inaugurer ce système basé sur le fameux homo duplex. Les volumes « pécheurs » en question s’intituleront Parallèlement (telle ou telle série).

Verlaine n’est pas aussi noir que Cohl l’a fait diable. S’il a été malheureux, s’il l’est encore et doit toujours l’être, et qu’on s’en aperçoive quelquefois à des mutismes soudains, à des sauvageries, qui sont plutôt de la timidité de chat échaudé, dès qu’il a pu surmonter inquiétudes et regrets, nul homme plus avenant, plus gai, plus obligeant que ce rude. Il parle beaucoup, dit tout, parfois brutalement, presque toujours d’une façon amusante. Il rit de grand cœur et sans fiel. Cohl, méchant, lui a mis aux mains une lyre murale dont les cordes ressemblent fort à des barreaux. Les barreaux, Verlaine les assume. Ce furent les galons et les chevrons d’un poète errant, d’un philosophe honnête quand même, à travers toutes tentatives et en dépit de tel tempérament infernal.

« Féroce et doux, » Victor Hugo a baptisé Verlaine en Abd-el-Kader.

De bonne foi, est-ce un loup-garou sans relâche ni rémission, un vampire perpétuel ou quelque gobelin bien implacable, celui qui rimait, il y a peu d’années, ce qui va suivre, expression de ravissement presque adamique à propos d’un bonheur modeste qu’il s’était édifié et que la mort est venue démolir de fond en comble ?


Le petit coin, le petit nid
               Que j’ai trouvés,
Les grands espoirs que j’ai couvés,
               Dieu les bénit.
Les heures des fautes passées
               Sont effacées
Au pur cadran de mes pensées.

L’Innocence m’entoure, et toi,
               Simplicité.
Mon cœur, par Jésus visité,
               Manque de toi ?
Ma pauvreté, ma solitude,
               Pain dur, lit rude.
Quels soins jaloux ! L’exquise étude !

L’âme aimante au cœur faite exprès,
               Ce dévouement,
Viennent donner un dénouement
               Calme et si frais
À la détresse de ma vie
               Inassouvie
D’avoir satisfait toute envie.

Seigneur, ah merci ! N’est-ce pas
               La bonne mort ?
Aimez mon patient effort
               Et nos combats.
Les miens et moi, le ciel nous voie
               Par l’humble voie
Entrez, Seigneur, dans votre joie !


Quant à la queue, symbolique je suppose, dont l’artiste a orné le bas de son dos et qui porte inscrit le mot décadence, il se défend avec énergie de posséder, fût-ce au moral, un appendice aussi satanique, surtout avec un tel exergue autour. Il sait bien qu’on lui attribue une école. Une école, à lui Verlaine ! Une école qui se proclamerait elle-même décadente. D’abord qu’on dise qui a prononcé le mot le premier. D’abord ! Et, pour mon compte, je ne vois que plusieurs jeunes poètes, qui, tout en aimant Verlaine et ses vers, sont eux-mêmes originaux et en bel et bon train de se faire une place enviable, mieux que cela, haute et fière et personnelle, au soleil de la postérité.

Verlaine aime trop l’indépendance pour ne pas la saluer avec joie dans ses confrères.

Il n’a pas de suite, comme on dit aux Oiseaux[1].

Ces quelques lignes furent écrites il y a juste huit ans.


Longuam humanis spatium !


et, naturellement, le poète devait en voir encore, comme on dit, et des grises ! comme on dit aussi.

Mais, ça ne vous regarde pas. — L’intérêt de ceci est de vous faire savoir que Verlaine a réalisé toutes les promesses contenues au cours de ce petit travail :

Amour et Bonheur, ainsi que Parallèlement ont paru, plus un quatrième volume de vers catholiques, Liturgies intimes et quatre petits livres « galants » : Chansons pour Elle, Odes en son honneur, Élégies, Dans les Limbes, puis Dédicaces, livre amical. Le « Théâtre » de Verlaine consiste en deux piécettes, l’une en vers et l’autre en prose. Celle en vers fut jouée, le 20 mai 1891, au Vaudeville, en bénéfice[2]. L’autre, tout récemment, au café Procope : deux succès d’estime, — et j’ai lieu de penser que l’auteur ne voudra pas prendre sa revanche, à moins que...[3]. .

Tout de même et malgré tant de déboire, il vit encore en dépit de ces cinquante ans bien trop sonnés, et travaille comme un nègre. Il a sur le chantier cinq volumes pour Vanier : Invectives, Livre posthume, Histoires comme ça, Essais, Croquis de Belgique, en prose ces trois derniers. Il publie au Fin de siècle le premier volume de ses Confessions. Il a donné, ici même, en ces « Hommes d’Aujourd’hui » une trentaine de biographies de ses camarades de lettres. En 1893 il entreprit une série de conférences littéraires à Nancy, en Angleterre, en Belgique et en Hollande d’où il a rapporté un livre : 15 jours en Hollande. Ces conférences eurent du retentissement et un certain succès. Et il ne désespère pas si Dieu lui accorde la guérison qu’il mérite peut-être après huit années de mauvaise santé, d’encombrer la littérature française d’œuvres, alors impersonnelles, critique et historique.


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  1. Ici s’arrêtait la notice précédemment publiée. Ces lignes supplémentaires ont été écrites par Verlaine en octobre 1894. Il est mort environ un an après, à son domicile rue Descartes, à l’âge de 51 ans, le 8 janvier 1896. Il eut de belles funérailles grâce à ses deux amis, Coppée et Vanier et la presse unanime lui concéda du génie. Il repose au cimetière des Batignolles et aura l’an prochain son buste au jardin du Luxembourg au milieu des feuillages, des fleurs et des oiseaux en cet endroit appelé : le coin des poètes.
  2. Le Théâtre-Salon joue chaque soir (mai 96) Les uns et les autres, avec musique de Ch. de Sivry.
  3. La mort l’a surpris laissant inachevée une pièce en trois actes, en vers, plutôt littéraire que théâtrale, le premier acte est un long monologue de Louis XVII au Temple. Cette pièce dont nous n’avons qu’un acte et demi devait s’appeler Louis XVII, puis Vive le Roy.