Aller au contenu

Les Siècles morts/Persépolis

La bibliothèque libre.
(Redirigé depuis Persépolis)
Les Siècles mortsAlphonse Lemerre éd.I. L’Orient antique (p. 227-230).

 
Le Roi des Rois, Seigneur des Pays, Roi de Perse,
Grand Roi, Darayâvous, Akhéménide, a fui.
Le glaive grec s’acharne à ses flancs qu’il transperce,
Et dans les champs d’Issos le vent glacé disperse
La cendre des guerriers tombés autour de lui.

Près d’Arbèle, il a vu s’écrouler dans la fange
Ses défenseurs, foulés aux pieds des éléphants,
Et, toute hérissée ainsi qu’un monstre étrange,
Du fond de l’horizon s’ébranler la Phalange
Dans un cercle d’airain plein d’éclairs triomphants.


Il a vu s’accomplir le sinistre présage ;
Il a vu les chameaux éventrés par milliers,
Les chariots de guerre arrêtés au passage,
Les archers sans carquois détourner leur visage,
Fléchir les Immortels et fuir les Cavaliers ;

Il a vu ses trésors et ses fils et ses femmes
Et le sceptre royal, les colliers à trois rangs,
Et ses robes de pourpre aux éclatantes trames,
Et ses vases d’or pur, livrés aux mains infâmes,
Partagés, dans l’opprobre, entre les conquérants.

Hier encor, parmi les foules accroupies,
Il trônait, rayonnant comme un dieu sur l’autel.
Au bord de son chemin, des nations impies
Se tordaient sur des croix, et les Vingt Satrapies
Étaient le piédestal du Maître universel.

Il régnait sur Assour ; le Dadyce féroce,
Le rude Mycien, le Mède épouvanté,
L’Egypte et Saparda, Tyr et la Gappadoce,
Au cœur du Disque ailé, sentaient le Dieu colosse,
Auramazdâ, planant sur l’univers dompté.

Aux parois des palais, sur les rochers sauvages,
Partout, du sud au nord, où le guidait son Dieu,
Il gravait sa mémoire et sculptait ses images,
Tandis que, recueillant le bois séché, les Mages
Allumaient sur l’autel l’inextinguible feu.


Darayâvous a fui ; le Roi des Rois succombe.
Il traîne aux monts déserts ses pas agonisants ;
Ekbatane est conquise et Pasagardes tombe,
Et le triomphateur souille la haute tombe
Où Kyros oublié dort depuis deux cents ans.

Il vient, le Héros jeune et beau. L’Asie entière
Est le champ de victoire offert au nouveau Roi.
L’éclair dévastateur suit sa marche princière,
Et l’aquilon farouche emporte la poussière
Des empires déchus et des Dieux pleins d’effroi.

Bercé comme un amant aux bras des courtisanes,
La coupe en main, le front coiffé du casque d’or,
Au murmure adouci des musiques profanes,
Il voit le long troupeau des chameaux et des ânes
Hors de Persépolis traîner le grand Trésor.

Mais la torche a couru dans l’ombre des murailles ;
La flamme immense emplit l’obscurité du soir ;
Ainsi qu’une forêt de troncs criblés d’entailles,
L’Apadâna chancelle et, comme des écailles,
Les panneaux émaillés roulent sur le sol noir.

Hellas a tressailli dans ses cités lointaines,
Quand a monté la pourpre et jailli la rougeur ;
Et l’amer souvenir de ses antiques haines
Intarissablement saignant au cœur d’Athènes,
L’immortelle Pallas a béni son vengeur.


Et l'Orient barbare et les tribus errantes
Regardaient, dans le feu tourbillonnant et clair,
Sur l’amas consumé des villes expirantes,
Tel que le jeune Dieu des races conquérantes,
Grandir à l’horizon l’ombre d’Alexander.