Petit Traité de versification française (Quicherat)

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PETIT TRAITÉ

DE VERSIFICATION

FRANÇAISE


AUTORISATION UNIVERSITAIRE

&th’< de la lettre adre~ee à M. L. QutCMERAT, par M. le Ministre de l’Instruction pHMtgMe.

Paris, )e2aou)d839.

Monsieur,

Vous avez présenté au suffrage universitaire un Petit Traité de ~e ;’st~cait0 !t /e ? !peMe. Cet ouvrage a été examiné en séance du Conseil de l’Instrution publique, ]c 30 juillet dernier. D’après la délibération du Conseil, que j.’ai approuvée, l’usage de cet ouvrage est autorisé pour les classes d’humanités dans les collèges.

Recevez, Monsieur, l’assurance de ma considération très distinguée.

Le Ministre de <7)ts pMMt~Me,

VtLLEMAtN.

PARtS.–tMPK ;iiEmEE)HLE !fART)XET,RUEmG~OK,3 2

PETIT TRAITE

DE VERSIFICATION

FRANÇAISE

PAR L. QUICHERAT

HUIT)ÈME ÉDITION

PARIS

LIBHAHUË HACHETTE ETC~ 79,BOULEVARD SAINT-CMHAfN, 7J

1882

AVERTISSEMENT.

Les poëtes de la France forment une grande partie de sa gloire littéraire. Les ouvrages des plus illustres sont entre les mains de toutes les classes de la société ; des spectateurs de toutes les conditions écoutent avec admiration les beaux vers récités sur la scène. Dès l’âge de cinq ans, soit dans la famille, soit dans les pensions, soit même dans les petites écoles, les enfants apprennent par cœur les fables de la Fontaine et celles de Florian. Corneille, Boileau, les deux Racine, J. B. Rousseau, Voltaire, sont étudiés dans les colléges et dans toutes les maisons d’éducation.

Cependant les règles de notre versification sont généralement ignorées. On voit dans la poésie la même chose que dans la prose, les pensées et l’expression ; l’on néglige la partie technique. On sait que nos vers sont rimés, et l’on n’a aucune idée des règles de la rime. On croit, on sent même qu’ils ont une cadence, et l’on ne pourrait dire ce qui produit cette cadence. On se tromperait même sur le nombre de syllabes qu’il faut attribuer à une foule de mots. Or cette ignorance, honteuse dans celui qui a parcouru la carrière des études classiques, est encore regrettable dans celui qui n’a pu fréquenter les colléges. Comme la lecture des poëtes n’appartient pas exclusivement aux personnes qui ont reçu une instruction supérieure, il importe à des conditions plus modestes d’apprendre aussi comment se construisent nos vers, et nous ne voyons pas de développement à l’instruction primaire qui soit d’un intérêt plus général.

L’étude du mécanisme de notre versification convient à l’instituteur ; car l’instituteur est appelé à conquérir par son savoir une position élevée dans la commune. Et, en particulier, si quelque notable le consulte sur des vers dont il se sera avisé ; si une fête particulière ou publique a inspiré un quatrain qu’on vienne lui soumettre, il faut que l’instituteur soit capable de donner un conseil éclaire, et de remettre sur leurs pieds les vers qui braveraient la rime et la césure. Il doit surtout être en état de donner à ses élèves les plus avancés des explications, que même leur curiosité provoquera plus d’une fois. L’étude de notre métrique me paraît donc devoir être introduite dans toutes les écoles normales primaires.

Elle convient à plus forte raison aux institutions et pensions de jeunes demoiselles, où la société recrute ses femmes d’élite. J’ai fait pendant plusieurs années un cours dans une institution de demoiselles : c’est alors que furent recueillies les premières notes qui ont servi à la rédaction de ce livre. Je me rappelle avec plaisir combien les élèves trouvaient de charme dans cette analyse des procédés de notre versification et dans les exercices qui venaient à l’appui des préceptes.

Une chose a pu s’opposer jusqu’ici à une étude dont personne, je crois, ne contestera l’importance, c’est l’absence d’un ouvrage où les règles de nos vers fussent exposées d’une manière satisfaisante. J’ai longtemps médité ce sujet ; je me suis livré à de patientes recherches pour rédiger un code poétique à peu près complet : ce travail terminé, j’ai voulu en extraire ce que j’ai jugé d’une utilité plus générale. Sans doute il est glorieux d’ajouter quelque chose à la science ; mais il ne me paraît pas moins désirable, ni moins flatteur, d’en populariser les notions les plus essentielles.

P. S. Depuis que j’écrivais les lignes précédentes, cet ouvrage a été autorisé par le Conseil de l’instruction publique pour les classes d’humanités des colléges.



PETIT TRAITÉ

DE VERSIFICATION

FRANÇAISE.



PREMIÈRE PARTIE.




CHAPITRE I.
Notions préliminaires. — De la quantité syllabique ; manière de scander les vers ; vers de différentes mesures.

On appelle prose un discours qui n’est point assujetti à une certaine mesure, à un certain nombre de pieds ou de syllabes. La prose est la manière ordinaire de s’exprimer : le langage de la conversation et celui de l’éloquence sont également de la prose.

Un vers est un assemblage de mots arrangés suivant certaines règles fixes et déterminées.

Une composition écrite en vers appartient à la poésie, est un ouvrage de poésie, une œuvre poétique.

La versification enseigne les procédés particuliers à chaque langue pour construire les vers.

Les vers français diffèrent de la prose en trois points :

1o  Ils ont un nombre limité et régulier de syllabes ;

2o  Ils se terminent par la rime, c’est-à-dire par une consonnance pareille qui se trouve à la fin de deux vers au moins ;

3o  Ils n’admettent pas l’hiatus, c’est-à-dire la rencontre de deux voyelles dont l’une finit un mot et l’autre commence le suivant, comme tu es, j’ai en. L’e muet est seul excepté.

Une syllabe est proprement la réunion d’une ou de plusieurs consonnes avec une ou plusieurs voyelles, comme la, il, les, nous, jeu, prix, etc. ; mais, par extension, le mot syllabe est pris pour synonyme de voyelle : ainsi l’on dit que le mot haï a deux syllabes.

Puisque les vers français ont un nombre fixe de syllabes, il faut apprendre, avant tout, à compter les syllabes des mots qui y figurent ou qu’on veut y faire entrer. Scander un vers, c’est le subdiviser successivement en toutes les syllabes dont il se compose.

Toute syllabe compte dans le vers, même l’e muet final, à moins qu’il ne soit suivi immédiatement d’une voyelle ou d’une h non aspirée. Exemples : L’homme-vient ; les hom-me-heu-reux. Mais l’on scandera : L’homme-a-droit ; l’homme-heu-reux. Dans ce cas l’e muet final se perd, ou, suivant l’expression propre, il s’élide. On dit encore qu’il y a élision de l’e muet.

Il faut avoir bien soin de rétablir, en scandant, les syllabes muettes que la rapidité de la prononciation ne fait pas ressortir dans le langage familier : feu-ille-ter, u-ne pe-ti-te ru-se. Il faut aussi diviser deux voyelles qui se suivent, quand elles ne forment pas une diphthongue Vous avou-ez, un di-amant.

Dans les imparfaits et les conditionnels, les trois dernières lettres ent ne comptent pas dans la mesure : voulaient, voudraient. Il en est de même au pluriel du subjonctif dans les auxiliaires, qu’ils aient, qu’ils soient, lesquels sont monosyllabes [1].

Les mêmes lettres font une syllabe au présent de l’indicatif et du subjonctif dans les verbes suivants : pai-ent, voi-ent, emploi-ent, avou-ent, pri-ent, etc.

L’e muet compte également à la fin des mots : joi-e, impi-e, jou-e, etc. ; et lorsqu’il est suivi d’une s : joi-es, impi-es, tu jou-es, etc.

Quand deux voyelles se trouveront placées de suite, on sera souvent embarrassé sur la mesure qu’on doit leur attribuer. Tantôt il y aura diphthongue ou synérèse, c’est-à-dire réunion de deux voyelles en une seule syllabe ; tantôt il y aura diérèse, c’est-à-dire division des voyelles en deux syllabes. Nous allons passer en revue les principaux accouplements de voyelles dans notre langue, et nous en indiquerons la quantité syllabique.

Ia. 1° Monosyllabe. Dans fiacre, diacre, liard, diable.

2° Plus souvent disyllabe. Dans les temps des verbes en ier, comme pri-a, sacrifi-a, et dans mari-age, tiare, di-amant, di-adème, di-alogue, fili-al, nupti-al.

Iai. 1° Monosyllabe. Dans bré-viaire.

2° Ordinairement disyllabe. J’étudi-ais et j’étudi-ai, je confi-ais, ni-ais (adjectif), auxili-aire, plagi-aire.

3° Il est commun [2], mais plus souvent disyllabe, dans biais.

Ian, ien, iant,ient. — 1° Monosyllabe, dans viande.

2° Ordinairement disyllabe. Fi-ancée, confi-ant, souri-ant, cli-ent, pati-ent, audi-ence, expéri-ence, fri-and.

Iau. Disyllabe. Mi-auler, besti-aux.

Ié, ier, iez, ière. 1° Monosyllabe. Dans les noms et les adjectifs, quand la désinence n’est pas précédée de deux consonnes dont la seconde soit une liquide, l ou r. Ex. : Pal-mier, fu-mier, por-tier, priso-nnier ; pre-mier, der-nier, al-tier, pi-tié, ami-tié, pied, fier (adjectif), lu-mière, pou-ssière, lierre, ciel, cierge, tiers, tiède, miette, assiette, acquiers, siége.

Ajoutez la désinence iez dans les verbes, quand elle n’est pas précédée de deux consonnes dont la seconde soit une liquide : Vous ai-miez, vous croi-riez.

2° Disyllabe. Dans les noms et les adjectifs qui ont la désinence précédée de deux consonnes dont la seconde est une liquide : baudri-er, étri-er, ouvri-er, meurtri-er, sangli-er, peupli-er, pri-ère, quatri-ème.

A l’infinitif et à d’autres temps des verbes de la première conjugaison en ier, comme pri-er, mendi-er, défi-er, remédi-er, étudi-ez, pri-ez, all-i-é, initi-é.

Ajoutez la désinence iez dans les verbes, quand elle est précédée de deux consonnes dont la seconde est l ou r : Vous voudri-ez, vous entri-ez, vous mettri-ez, vous sembli-ez.

Enfin, l’adverbe hi-er, et les mots pi-été, impi-été, inqui-et et ses dérivés, hardi-esse, matéri-el, essenti-el, artifici-el.

Ien. 1° Monosyllabe. Dans les mots mien, tien, sien, rien, chien, viens, je tiens, chré-tien, main-tien, abs-tienne, appar-tienne.

2° Disyllabe. Dans le mot li-en (dérivé du verbe li-er), et dans les adjectifs d’état, de profession ou de pays, comme magici-en, histori-en, chirurgi-en, Phrygi-en, Indi-en, Assyri-en. Ajoutez aéri-en.

3° Commun dans le mot gardien [3].

Ient. Voyez Iant.

Ieu.- 1° Monosyllabe. Dans les mots lieu, mi-lieu, dieu, adieu, pieu, es-sieu, cieux, vieux, mieux, mon-sieur.

2° Disyllabe dans les adjectifs : Pi-eux, odi-eux, oubli-eux, envi-eux, injuri-eux, intéri-eur, extéri-eur.

Io. 1° Monosyllabe. Dans les deux mots fiole et pioche.

2° Ordinairement disyllabe. Vi-olence, vi-olet, vi-olon, péri-ode, médi-ocre, idi-ot, curi-osité, di-ocèse, mari-onnette.

Ion. 1° Monosyllabe. La désinence ions dans les verbes, quand elle n’est pas précédée de deux consonnes dont la seconde soit une liquide ; comme : Nous ai-mions, nous sor-tions, nous aime-rions.

2° Disyllabe. La désinence ions dans les verbes, quand elle est précédée de deux consonnes dont la seconde est une liquide : Nous entri-ons, nous voudri-ons, nous mettri-ons, nous sembli-ons.

A la première personne du pluriel des verbes en ier : Nous déli-ons, nous pri-ons, nous pari-ons. Ajoutez : Nous ri-ons.

Dans les substantifs : Acti-on, attenti-on, nati-on, missi-on, passi-on, religi-on, li-on, champi-on, espi-on, milli-on.

. 1° Monosyllabe. Dans poêle, moelle, moelleux.

2° Disyllabe. Dans po-ésie, po-ëme, po-ëte, po-étique.

Oin. Monosyllabe. Comme dans loin, soin, bé~om, moins, point.

Oua, oué, ouer, ouette. — 1° Monosyllabe. Dans fouet, fouetter [4].

2° Ordinairement disyllabe. Il avou-a, il lou-ait, ou-ailles, secou-ant, lou-er, dou-é, nou-eux, jou-et, alou-ette, pirou-ette, chou-ette, Rou-en [5].

Oui. — 1° Monosyllabe dans l’adverbe affirmatif oui.

2° Ordinairement, disyllabe. Ou-ïr, ou-ï, s’évanou-ir, jou-ir, éblou-ir, et le substantif Lou-is.

Ouin. — Monosyllabe : Ba-bouin, bara-gouin.

Ua, ué, uer. 1° Monosyllabe dans é-cuelle.

2° Ordinairement disyllabe. Il tu-a, persu-ader, immu-able, chat-hu-ant, tu-er, remu-er, attribu-er, hu-é, nu-ée, su-eur, lu-eur, cru-el, du-el, ru-elle, mu-et.

Ui. 1° Monosyllabe. Dans aujour-d’hui, lui, ce-lui, ap-pui, fruit, sui-vre, bruit, ré-duire, fuir, puits.

2° Disyllabe. Dans flu-ide, ru-ine, ru-iner, bruine, su-icide.

Y, I (tréma). 1° Y et ï ne comptent pas pour une syllabe dans payable, effrayant, payé, foyer, frayeur, moyen, citoyen, royaume, païen, aïeux ; ni les deux lettres y et i réunies au subjonctif, comme voyions, voyiez.

Y et ï font une syllabe distincte dans paysan (pai-isan), abbaye, ha-ï, sto-ïque.

L’e muet, placé dans le corps de certains mots après une voyelle, allonge cette voyelle, mais ne compte pas lui-même pour une syllabe : Je paie-rai, je loue-rai, nous avoue-rons, je me fie-rai, je remuerai, dénue-ment. Aujourd’hui cet e se remplace souvent par un accent circonflexe.

Dans les mots Saône, août, Aaron, les deux premières voyelles se contractent en une seule.

La quantité syllabique de quelques-unes des voyelles que nous avons passées en revue a varié ; mais elle est aujourd’hui fixée invariablement.

La connaissance exacte de la quantité syllabique des mots est nécessaire non-seulement pour construire un vers, mais encore pour bien lire une pièce de poésie et en faire sentir exactement la mesure.

Les vers français ne peuvent avoir plus de douze syllabes. Il y a aussi des vers de dix, de huit, de sept syllabes. Les vers qui ont moins de sept syllabes sont plus rares : nous les négligeons pour le moment.

L’e muet ou la syllabe muette placés à la fin d’un vers ne comptent pas dans la mesure.

VERS DE 12 SYLLABES.
Oui, je viens dans son temple adorer l’Éternel. Racine.
VERS DE 10 SYLLABES.
Rions, chantons, dit cette foule impie. Rac.
VERS DE 8 SYLLABES.
Quel astre à nos yeux vient de luire ? Rac.
VERS DE 7 SYLLABES.
Les pécheurs couvrent la terre. Rac.

On nomme pied la réunion de deux syllabes : ainsi le vers de douze syllabes a six pieds, celui de dix syllabes a cinq pieds [6].

Le vers de douze syllabes est le plus noble et celui qui nous fournira le plus souvent nos exemples. Il se nomme alexandrin [7], ou bien encore héroïque, ou simplement grand vers.

Quelques critiques, eu égard au nombre de pieds ou mètres [8], appellent hexamètre (de six pieds) le vers de douze syllabes, pentamètre (de cinq pieds) celui de dix syllabes, tétramètre (de quatre pieds) celui de huit syllabes.




CHAPITRE II.
De la Césure.

Le mot césure veut dire coupure. La césure d’un vers est l’endroit où il est coupé. Le mot hémistiche, dérivé du grec, signifie demi-vers. Dans l’alexandrin, il y a toujours une césure après la sixième syllabe : le vers se trouve ainsi partagé en deux hémistiches égaux :

Où suis-je ? qu’ai-je fait ? | que dois-je faire encore ?
Quel transport me saisit ? | quel chagrin medévore ? Rac.

Le mot hémistiche ne peut s’appliquer qu’au vers alexandrin.

Dans le vers de dix syllabes, il y a toujours une césure après la quatrième :

Rions, chantons, | dit cette foule impie. Rac.

Les autres vers n’ont pas de césure exigée.

Les règles que nous allons donner pour la césure [9] du grand vers seront applicables au vers de dix sylfabes.

I[ n’est pas nécessaire que le repos de la césure soit marqué par un signe de ponctuation. Boileau a donné le précepte et l’exemple dans ces deux vers Que toujours dans vos vers le sens, coupant tes mots, Suspende l’hémistiche,-en marque )e repos.

D’un autre côté, le cas se présente souvent où la césure serait insuffisante, bien que le troisième pied fût terminé par un mot complet. C’est là un des points tes plus difficiles de la versification française, et nous allons le traiter avec détail.

Pour l’éctaircir, il est nécessaire de parler de l’accent tonique. On appelle accent tonique, ou syllabe a’opput, la syllabe d’un mot polysyllabe sur laquelle la voix s’élève. L’accent tonique existe dans toutes les langues en français, il se trouve toujours sur la dernière syllabe quand elle n’est pas muette, et sur l’avant-dernière, ou pénultième, quand la dernière syllabe est muette soldat, drapeau, guerre, armes’.

Dans toutes tes langues, certains mots, surtout des monosyllabes, en particulier, les pronoms et les prépositions, perdent leur accent dans la suite du discours, parce qu’ils se lient à la prononciation au 1. Il faut bien distinguer, en français, l’accent tonique de l’accent écrit. Ces deux accents se trouvent quelquefois sur la même syllabe, comme dans bonté, accès. Mais ordinairement l’accent tonique ne se marque par aucun signe. Quelquefois même il n’est pas sur la syllabe surmontée d’un accent. Ainsi dans pdtKff, nous a~ottro~ï, l’accent tonique est sur la syllabe qui suit l’accentuation notée. mot suivant. Ainsi dans Nous sommes, il vient, la ville, par toi,les monosyllabes MOM~, par, n’ont pas d’accent, et l’on prononce comme si tes deux mots n’en faisaient qu’un.

Mais les mêmes mots pourront prendre un accent si on tes transpose Sommes-noMS ? vient-il ? voyezPareillement on dit, en faisant la première muette Tous les hommes ; et en accentuant cette muette Nous y serons tous. On dit encore, sans’accentuer la préposition Après ce jour elle est accentuée à la fin de la phrase Un jour après. RÈGLE GÉNÉRALE DE LA CÉSURE. La césure doit ’toujours tomber sur une syllabe accentuée. 1° L’e muet comptant pour une syllabe ne pourra jamais se trouver à la césure. Ainsi tes vers suivants seraient vicieux

L’ingrat, il me laisse cet embarras funeste.

Mais bientôt tes prêtres nous ont enveloppés. Ils deviennent réguliers si l’on met, en transposant Il me laisse, l’ingrat, cet embarras funeste. RAC. Mais tes prêtres &Mnt nous ont enveloppés. ID. La muette, placée à la césure, doit toujours être élidée, c’est-à-dire se perdre sur une voyelle placée immédiatement après, comme dans ce vers Oui, je viens dans son temple adorer l’Éternel. RAC.

1. On remarquera que le mot vient a perdu son accent, ainsi que la finale de t’ot/e~. Il semble que vient-il soit un disyllabe et t)Ot/M-<Œ un trisyllabe.

Quand le pronom je doit être transposé, il reste muet et ne prend pas d’accent, mais il en donne un à la syllabe précédente aimé-je, dusse-je.

Il faut bien prendre garde de supprimer dans la mesure la muette de l’hémistiche, quand elle est suivie d’une consonne. Ainsi le vers suivant est faux On peut encor vous rendre ce fils que vous pleurez. Il a une syllabe de trop. La faute disparaîtra si l’on met

On peut vous rendre encor ce fils que vous pleurez. RAC. Les terminaisons muettes du pluriel dans les noms et dans les verbes, comme livres, joies, viennent, em~oMH !, ne seront jamais admises à la césure, par la raison qu’elles ne peuvent s’élider. Il faut excepter les terminaisons en aient, comme venaient, viendraient, dans lesquelles les trois dernières lettres sont supprimées par la prononciation’, et par conséquent ne sont pas comptées dans la mesure. Les prêtres ne pouvaient suffire aux sacrifices. RAc. 2° On ne peut séparer.par la césure des mots qu~ la prononciation et la grammaire unissent, comme l’article ou le possessif d’avec le substantif, la préposition d’avec son complément, les auxiliaires d’avec les participes, plusieurs mots formant une expression composée comme rendre raison, por~T- om&ra~etc. Ainsi le vers suivant serait défectueux

Et redire avec tant de plaisir les exploits.

1. Le t final sonne à la vérité devant une voyelle, mais :) n’y a pas addition d’une syllabe.

La raison en est que le mot tant n’est pas accentue. Le vers deviendra correct de cette façon

Avec tant de plaisir redire les exploits. RAC.

Pareillement il n’est pas permis de mettre Vous pourrez bientôt lui prodiguer vos bontés. Mais on mettra bien

Vous lui pourrez 6teKhM prodiguer vos bontés. RAC. Poui- faire sentir la règle de l’hémistiche, Voltaire a fait à dessein ce mauvais vers

Adieu ; je m’en vais à Paris pour mes affaires. D’après ce qui précède, on trouvera la césure trop faiblement marquée dans les vers suivants Ma foi, le plaisir est de finir le sermon. BOIL.

Un tel mot, pour avoir réjoui le lecteur. ID.

Tout a fui tous se sont séparés sans retour. RAC. Eh bien ! mes soins vous ont rendu votre conquête. Io. 3° La césure est insuffisante quand une partie du second hémistiche est remplie par un de qui dépend ’du premier, ou par un adjectif se rapportant au nom qui précède. Elle l’est également quand le second hémistiche contient le substantif dépendant de l’adjectif qui précède

Ainsi que le vaisseau des Grecs tant renommé. REGNIER. Lorsque plus d’un désir de liberté me presse. TnEOPH. La pitié, qui fera révoquer son supplice,

N’est pas moins la vertu d’un roi que la justice. RoTROU.

Les quatre parts aussi des humainsse repentent. LAFoNT. Et je brùle qu’un nœud d’amitié nous unisse. MoL. Jupiter et le peuple tmmor(e< rit aussi. LA FONT. Ma foi, j’étais un franc portier de comédie. RAc. 4° La césure est bonne quand le sujet (autre qu’un pronom) est séparé du verbe, le verbe de son régime, l’adjectif ou le participe de son complément, pourvu que ce complément finisse le vers ’Je vois que l’injustice en secret vous irrite. RAC. Avant qu’on eût conclu ce fatal hyménée.

Où me cacher ? fuyons dans la nuit infernale. Dieux ! que ne suis-je assise à l’ombre des forêts 1 le. 5" Les auxiliaires peuvent être dans un autre hémistiche que le participe ou l’attribut, pourvu qu’ils ne se trouvent pas précisément à la césure Et le jour a trois’fois éhassé la nuit obscure. RAC. J’ai des savants devins entendu la réponse.

Oui, ce sont, cher ami, des monstres furieux. In. Et fut de ses sujets le vainqueur et le père. VOLT. 6° Si le complément de la préposition de, si un adjectif et son complément, ou si plusieurs adjectifs remplissent le second hémistiche, la césure est légitime

As-tu tranché le cours d’une si belle vie ? RAC. Commande au plus beau sang de la Grèce et des d~euiD. Goûte-t-il des plaisirs tranquilles et parfaits ? ID. S’établit dans un bois écarte, so LA FONT. 7° Nous avons vu combien était choquante la préposition à placée à la césure. Il en est de même des prépositions pour, dans, sur, par, etc. Mais les prépositions après, devant, malgré, et quelques autres également disyllabes, sont tolérées à cette place :

Si toutefois, après ce coup mortel du sort. ConN. Je me jette au-devant du coup qui t’assassine. le. Le feu sort à travers ses prunelles humides. BOIL. Souffrirez-vous qu’après l’avoir percé de coups,etc.RAC. J’y suis encor, malgré tes infidelités. ID.

Il en est de même des adverbes p~ut~, sit6t, ainsi,

loin, etc., séparés de leur complément, et aussi de quelques conjonctions

Ajoutez-y, p !u que d’en diminuer. CORN.

Aimer la gloire autant que je l’aimai moi-même. RAC. Embrase tout, sit6t qu’elle commencé à luire. Mourir en reine, ainsi que tu mourras en roi. Ils s’arrêtent non loin de ces tombeaux antiques. ID. 8° Des mots ordinairement privés d’accent, comme après, avec, ce, le, deviennent quelquefois accentues c’est lorsqu’ils sont employés sans complément. Ils peuvent alors se placer à la césure

Et n’employons après que nous à notre mort. CoRN. Il avait dans la terre une somme enfouie,

Son cœur avec, n’ayant autre déduit t

Que d’y ruminer jour et nuit. LA FONT. Maint d’entre vous souvent juge au hasard,

Sans que pour ce tire à la courte paille. h).

S’écrie Épargnez-le nous n’avons plus que lui. FLOR. ~6 ?Mar~M6 générale. Dans les genres soutenus, l’on est bien plus exigeant pour la césure que dans les t. Vieux mot qui signiSe plaisir, joie. genres simples. La comédie, le conte, l’épître familière, se contentent de césures que l’épopée, la tragédie, l’épître sérieuse, trouveraient insuffisantes.

Voici quelques exemples de césures assez faiblement marquées, mais que fait pardonner la nature des ouvrages où elles se trouvent :

Mais il n’importe : il faut suivre ma destinée. Mol.
Dieu me damne ! voilà son portrait véritable…
Mon frère, vous serez charmé de le connaître. Id.
Crois-tu qu’un juge n’ait qu’à faire bonne chère ? Rac.
Quand ma partie a-t-elle été réprimandée ?…
Lorsque je vois, parmi tant d’hommes différents…
Voyez cet autre, avec sa face de carême[10]. Id.
Elle et moi, n’avons eu garde de l’oublier. La Font.
Je me sens né pour être en butte aux méchants tours…
La,cief du coffre-fort et des cœurs, c’est la même. Id.




CHAPITRE III.
De la Rime.

On appelle rime l’uniformité de son dans la terminaison de deux mots : belle, rebelle ; loisir, plaisir. En poésie, c’est le retour de la même consonnance à la fin de deux ou de plusieurs vers.

On distingue deux sortes de rimes, la rime masculine et la rime féminine.

La rime masculine a lieu entre deux syllabes qui ne contiennent pas d’e muet : bonté, santé ; loisir, plaisir ; vertus, abattus.

La rime féminine a lieu entre deux syllabes qui contiennent un e muet : belle, rebelle ; infernale, fatale. La rime porte alors sur la syllabe qui précède l’e muet, c’est-à-dire sur la pénultième, au bien encore, ce qui estplus général, surla syllabeaccentuée. Ainsi l’on ne pourrait faire rimer audace avec espèce, légitimes avec diadèmes, jouissent avec repaissent’, bien que la syllabe muette de ces mots correspondants soit identique, parce que la syllabe accentuée diffère. Remarque. Nous avons déjà. fait observer que les troisièmes personnes du pluriel des imparfaits et des conditionnels en aient ne sont pas réellement une terminaison féminine, parce que l’e qu’e)Ies contiennent est absolument sourd. On les range .donc dans la classe des rimes masculines

De là sont nés ces.bruits reçus dans l’univers, Qu’aux accent dont Orphée emplit les monts de Thrace, Les tigres amollis dépouillaient leur audace ;

Qu’aux accords d’Amphion les pierres se mouvaient, Et sur les murs thébains en ordre s’élevaient. BoiL. Il n’en est pas de même des présents voient, croient, déploient, essaient, paient, dans lesquels l’e compte pour une syllabe. Les pluriels allient, oublient, fuient, appuient, etc., forment pareillement une rime féminine :

Ce choix me désespère, et tous le désavouent ; La partie est rompue, et les dieux la renouent ! ]. Ici nous voyons’six lettres pareilles, et cependant les deux mots ne riment pas. ~C’est en vain qu’on voudrait.bMer taTÈgJe de la rime sur la conformité d’un nombre quelconque de lettres.

Rome semble vaincue, et, seul des trois Albains, Curiace en mon sang n’a pas trempé ses mains. ConN. La rime est riche ou ~M//Msn !e. Elle est riche quand elle présente non-seulement une consonnance, mais encore toute une articulation pareille : père, propre ; vers, divers ; paisible, risible ; enfant, triomphant, etc. La rime suffisante offre une ressemblance de son, mais non d’articulation soupir, désir ; recevoir, espoir usage, partage ; sensible, visible doux, nous, vous, etc.

Quelquefois la rime a lieu non-seulement entre la derniëre syllabe, mais entre les deux syllabes finales, comme vaillant, assaillant ; insensée, pensée ; auteur, hauteur ; volontés, surmontés, etc. ’Ce serait un défaut de rechercher avec affectation cette double rime. RÈGLES DE LA RIME.

1’ La rime est essentiellement faite pour l’oreille. Elle exige des sons semblables, plutôt que les mêmes lettres. Ainsi les rimes suivantes seront légitimes Charmant, tourment ;-vanités, Mc~M ; –co :M’ discours ; consumé, allumai ; voyagea, déjà il faut, échafaud ; permets, jamais ; prix, apprM, esprits ; accomplisse, supplice ; terre, Mt~ere, M~tatre ; ils ont eu, abattu ; Pomone, automne ;- condamne, âne ; –~eMn, un ;–amène, peine ; ferai-je, abrége ; exige, dis-je (ou dije, par licence poétique), etc.

Cependant il ne serait pas exact de dire que toute rime qui satisfait l’oreille est permise. Nous verrons ’plus loin quelles restrictions il faut mettre à ceprincipe.

D’un autre côté, des rimes présentant les même !. lettres seront fausses, si la prononciation diffère. Ainsi briller ne rimera pas avec distiller, ni oser avec renverser, ni tranquille avec quille. Par là sont proscrites beaucoup de rimes pour t’œi), qui étaient encore tolérées dans )esièeie de LouisXIV, mais qui alors corn. mençaient à céder à une sage réforme, comme foyers et altiers avec fiers, enfer avec triompher, e~re avec paroître (paraître), francois (français) avec lois, etc.

2° Un mot ne peut rimer avec lui-même. Ainsi, l’exemple suivant, de Racine, est condamnable : Témoins trois procureurs, donticelui Citron

A déchiré la robe. On en verra les pièces.

Pour nous justifier voulez-vous d’autres pièces ? ? 3° Mais quand deux mots, s’écrivant de même, ont un sens tout différent, ils peuvent rimer ensemble. Tels sont pas, point, négations, avec pas, point, sub’ s[antifs ;preMK !,participe,avec~M~,substantif,etc. Notre malheur est grand ; il est au plus haut point ; Je l’envisage entier, mais je n’en frémis point. CORN. A mes justes désirs ne vous rendez-vous pas ? Ns peut-elle à l’autel marcher que sur vos pas ? RAC. Tel que vous me voyez, monsieur, ici présent, M’a d’un fort grand soufflet fait un petit présent. Ah ! la voici, seigneur prenez votre parti. t. Dans les Plaideurs. Ici le mot pièce est identiquement ]a même, quoique pris dans deux acceptions différentes. Racine me parait également repréhensible quand il dit

Vous voyez devant vous mon adverse partie.

Parbleu, je me veux mettre aussi de la partie.

Mais il ne faut.pas oublier que ces petites négligences sont dans une comédie.

Oh ciel ! –Eh quoi, seigneur ! vous n’êtes point parM ? RAC. Combien pour quelques mois ont vu fleurir leur livre, Dont les vers en paquets. se vendent à la livre 1 BOIL. L’un n’est point trop fardé, mais sa muse est trop nue ; L’autre a peur de ramper, il se perd dans la nue. In. On dit à cet égard que la rime des /MMtO)M/mM est reçue.

4° Un substantif ne peut rimer avec son verbe. Ainsi, les rimes suivantes seraient vicieuses une arme, il s’arme ; je soutiens, les soutiens. Roucher a eu tort de mettre

Par eux tout se ranime et par eux touts’en/Zomme L’oiseau de Jupiter, aux prunelles de flamme, elc. 5° Un mot ne peut rimer avec son composé, ni deux composés ensemble quand ils ont conservé une grande analogie dans leur acception, comme jeter, ~’c~ prudent, imprudent ; juste, M~’u~e ; ~on/MMr, malheur ; nom, surnom ; faire, défaire, ?’c/~M~, etc. Ainsi l’on condamnera les exemples suivants Que des prêtres menteurs, encor plus inhumains, Se vantaient d’épuiser par le sang des humains. VOLT. Détournez d’elle, ô Dieu, cette mort qui me suit. Non, peuple, ce n’est point un dieu, qui le poursut~lD. Conformément à cette règle, on évitera de faire rimer ami avec ennemi, bien qu’on en trouve quelques exemples dans de bons poëtes

Aht que dit-on de vous, Seigneur ? nos enncnMs Vous comptent hautement au rang de leurs amis. RAC. Il. y a quelque négligence dans les rimes jours et toujours, dieu et adieu.

6° Mais la rime est permise si le simple et le composé, ou deux composés, ontune signification éloignée, ou si deux mots présentent une ressemblance fortuite de lettres, sans que l’un soit dérivé de l’autre. Ainsi l’on pourra bien faire rimer ensemble ~af~er, regarder ; c secourir ; séparé, préparé ; fait, e~,p6[r/a~ ;pM’MeMre, pfomeMre~oMmettre, commettre ; fort, c~brt ;/ ?’on<,s~-oH< ; naissance, reconnaissance, etc.

Mais il me faut te perdre, après l’avoir perdu ; Et pour mieux tourmenter mon esprit éperdu, etc. CORN. Ne crains pas toutefois que j’éclate en injures ; Mais n’espère non plus m’éblouir de parjures. ID. La satire ne sert qu’à rendre un fat illustre ; C’est une ombre au tableau, qui lui donne du lustre. BOIL. Sur ses genoux tremblants il tombe à cet aspect, Et donne à la frayeur ce qu’il doit au respect. ID. Je vous’abuserais si j’osais vous promettre

Qu’entre vos mains, seigneur, il voulût la remettre. RAC. Sa colère, après tout, n’a rien qui me surprenne ; C’est à vous, c’est à’moi qu’U faut queje m’en prenne. ÎD. 7° Les finales en é, er, ée, doivent rimer de ta consonne qui les précède, c’est-à-dire de toute l’articulation. Bonté ne rime pas avec donné, mais rime avec chanté, charité’.

Les finales en ié, ier, iée, demandent une rime en ié ou yé, ier.ou yer, etc.

1. Racine a péché une fois contre cette règle c’est dansrsa première pièce, les Frères ennemis

Elle s’en est, seigneur, mortellement frappée,

Et dans son sang, hélas ! elle est soudain tombée.

La Fontaine a fait souvent cette faute.

La finale’en ller (avec mouillées) doit rimer avec elle-même. La rime contempler, briller, est insuffisante, quoiqu’on la trouve dans Iphigénie. 1" Remarque. Quand la finale en é, er ou ée, est précédée de deux consonnes dont la seconde est une liquide, ou r, comme blé, bré, plé, pré, on permet de ne faire entrer dans la rime que la seconde des deux consonnes. La même faculté est accordée pour la finale gner, qu’on peut faire rimer avec ner. Ma perte m’a surprise et ne m’a point troublée ; Mon noble désespoir ne m’a point aveuglée CoRN. Le sang à ces objets facile à s’ébranler,

Achille menaçant, tout prêt à t’accabler. RAC. Ce n’est plus un vain peuple en désordre assemblé ; C’est d’un zèle fatal tout.Ie camp aMu~M.

Au bout de l’univers va, cours te coH~ner,

Et fais place à des cœurs plus dignes de régner. In. 2° Remarque. L’é lui-même, quand il est détache et forme à lui seul un son,.peutrimeravecun é isolédela mêmemaniere. La rime alors n’est que d’unelettre’ Que si, sous Adam même, et loin avant Noé, Le vice audacieux, des hommes avoué,

A la triste innocence en tous lieux fit la guerre. BoiL. Depuis que sur ces bords les dieux ont envoyé La fille de Minos et de Pasiphaé RAC.

t. La versification sévère de Corneille use rarement de cetta facilité.

2. On trouve dans la plupart des Traités de Versification qu’il n’y a pas de rime d’une seule lettre. C’est une erreur outre les exemples donnés ici, on en verra encore d’autres ci-après. 3. Il faut remarquer que ces exemples roulent sur des noms

8" La finale en a, dans les verbes, doit rimer de toute l’articulation. Trouva rime avec cultiva, mais non avec donna. Du reste, ces rimes, assez peu heureuses, sont proscrites du style noble.

9° La finale eni doit rimer de l’articulation banni, fini ; sorti,parti, etc. Quand l’i n’est pas combiné avec une consonne, il peut rimer avec un i qui se détachera de la même manière trahi, obéi. Dans trahis et pays, qui forment une rime légitime, il n’y a de commun pour l’œil qu’une lettre muette*. 10°Les finales enu doivent rimerde l’articulation : abattu, vertu ; rendu, perdu, etc. Cependant, si l’un des deux mots est monosyllabe, la rime peut n’exister qu’entre les voyelles, et, par conséquent, n’être que d’une lettre

Dès que je prends la plume, Apollon éperdu

Semble me dire Arrête, insensé, que fais-tu ? BOIL. Cher enfant, que le ciel m’avait en vain rendu, Hé)as pour vous servir j’ai fait ce que j’ai pu. RAC. Mais cet enfant fatal, Abner, vous l’avez vu Quel est-il ? de quel sang ? et de quelle tribu ? tD. La finale ment veut pour rime une finale semblable <, clément, longuement, charmant. Comme les mots terminés par ant ou ent sont trèsnombreux dans notre langue, il est beaucoup mieux qu’ils riment de l’articulation & ?’M~an(, étincelant ; con/Ment, imprudent ; mourant, parent ; éclatant, propres, pour lesquels, ainsi que nous le verrons encore plus loin, tes poëtes ont plus de latitude.

1. La rime bruit, s’évanouit (de Rousseau) est une rime faible, quoiqu’elle offre à l’œil trois lettres semblables.

.instant. La Harpe blâme les rimes vent et brûlant, étincelants et vents, grands et temps, dans le style soutenu.

En général, les rimes doivent être d’autant plus soignées que les syllabes qui y figurent sont plus abondantes. Le même la Harpe relève la rime orageux et heureux.

12" La finaleion ne rime qu’avec elle-même. Passion rime bien avec action, mais rime mal avec raison. Je donne par devoir à son affection

Tout ce que l’autre avait par inclination. CORN. On chassa ces docteurs préchant sans mission ; On vit renaître Hector, Andromaque, Ilion. BOIL. Ceux même dont ma gloire aigrit l’ambition

.R.cvcil !eront leur brigue et leur prétention. RAC. Du reste, les rimes en ion ont une certaine lenteur qui en rend l’usage assez rare chez les bons poëtes. 13° La finale en ès rime bien avec elle-même. Elle .peut rimer aussi avec les pluriels ais, aits, e~ Le Tasse, dira-t-on l’a fait avec succès.

Je ne veux point ici lui faire son procès. BOIL. D’un courage naissant sont-ce là tes essais P ? 1. De même que succès ne rime pas avec tracés, parce que le premier e est ouvert et le second fermé, de même tu sais ne doit pas rimer avec essais, parce qu’il y a la même différence entre la prononciation de ces deux mots.

Allons. Si tu le vois, agis comme tu MM.

Ce n’est pas sur ce coup que je fais mes essais. CORN. i.a remarque de Voltaire mérite d’être transcrite « Tu sais ne rime pas avec essais ; c’est ce qu’on appelle des rimes provinciales. On prononce tu. sais comme s’il y avait tu sés, et essais est long et ouvert. Si l’on voulait ne rimer qu’aux yeux,

Mais, pour en juger mieux, voyez-les de plus près. BOIL. Quels triomphes suivront de si nobles succès ? Tous deux dans votre frère envisagez vos traits. RAC. 14° La rime riche peut avoir lieu entre deux syllabes ’dont l’orthographe diffère, comme aubère, M~M~M’c ; .anaMa ;, dévots ; répond, Hellespont ; content, attend ; pOMBMeMr, ~ŒMr. La rime suffisante oS’re une consonnance pareille, mais non l’articulation tout entière. Les finales en tf~ eux, eMf, riment plus généralement de toute l’articulation repentir, sortir ; Acur~M~ a~reua ;, payeur, douleur.

15° Les poëtes du siècle de Louis XIV présentent peu de rimes masculines qui ne soient que suffisantes. Cependant ils les admettent :

Lorsqu’une certaine désinence est peu abondante dans notre langue : égal, fatal ; crédit, proscrit ; discours, toujours ; attentats, ingrats ; remords, trésors; tributs, vertus.

Lorsque l’un des deux mots est un nom propre : Zénon, raison ; Martian, tyran ; Héraclius, confus ; Burrhus, vertus.

Quand l’un des deux mots est monosyllabe (appel de note 2). Finis

cuiller rimerait avec mouiller. Tous les mots qui se prononcent à peu près de même doivent rimer ensemble : il me paraît que c’est la règle générale concernant la rime. » La rime de sais avec essais est d’un usage fort ancien : on la trouve fréquemment dans Marot et dans les poëtes antérieurs. C’est ce qui lui a donné une sorte d’autorité.

1. La Harpe blâme dans Voltaire la rime de repentir avec souffrir. On trouve cependant plusieurs fois dans Corneille soupir rimant avec désir.

2. Toutefois, il y a une grande rigueur pour l’emploi des mots sang, rang, flanc. Voy. ci-après, p. 29. rimerait mal avec ennemis ; mais rime avec l’un et l’autre

Mes tiens sont trop forts pour être ainsi rompus ; Ma foi m’engage encor, si je n’espère plus. CoRN. Et, sans lasser le ciel par des vœux impuissants, Mettons-nous à l’abri des injures du temps. BOIL. Qui tous deux pleins de joie, en jetant un grand cri, Avec un rouge-bord acceptant le défi. ID.

Vous ne répondez point. Mon fils, mon propre fils, Est-il d’inteUigence avec nos ennemis ? RAc. Quelle importune main, en formant tous ces nœuds, A pris soin sur mon front d’assembler mes cheveux ? tD. Il faut bien se garder d’étendre à une rime formée

de deux mots polysyllabes la licence particulière au cas précédent.

16° La rime féminine suffisante se rencontre fréquemment. Ainsi l’on mettra bien ensemble courage, davantage ; ma ?’a~e, idolâtre ; célèbres, ténèbres ; maM/M~, /MnMf6 violence, présence ; sincère, élrangère ; stérile, distille ; sensible, M/at//t&~ M~ut~e, humide ; monarchique, pMt~’ estime. ; étonne, couronne ; nature, injure, etc.

Mais il faudra respecter les règles données précédemment. Comme on l’a vu, frappée ne peut absolument pas rimer avec tombée. Les grands poëtes ne se contentent pas d’une rime suffisante pour les finales en ie et en ue, du moins dans le style soutenu. 17° La ressemblance des consonnances ne suffit pas toujours pour autoriser la rime.

Lesinguliernerimepasavecle pluriel dansles noms, dans les adjectifs ou dans les verbes, ni la seconde personne des verbes avec un autre mot qui ne prend pas d’s à la fin.

RIMES VICIEUSES. ~f ?7M, larmes ; dard, étendards.

Tu charmes, alarme.

Ils charment, il arme ; ils charment, alarme ou alarmes ; pardon, cedotM.

En général, un mot sans s finale ne rime pas avec un mot terminé par une s, un z ou une x. RIMES VICIEUSES. Témoin, moins ; accord, corps, MeM,MtMM ;E ; vers, découvert.

Mais l’on fera bien rimer doua ; avec nous, ordonnés avec entraînez.

Le t,le d, lec, ouautres lettres finales, empêchent la rime avec un mot qui n’aurait pas une de ces lettres, bien qu’elles ne se prononcent absolument point. RIMES VICIEUSES. Or, sort ; toi, toit ; /’e ?’, souffert ; loin, point ; t)ŒM, veut ; BM~a~, étang ou étend an, enfant ; Apollon, long ; son, sont, etc.

Il est également défendu de faire rimer e avec er.’ changé avec berger.

Les mots rang, sang, riment bien ensemble ils riment encore avec flanc, franc, banc ; mais parent ne rime pas avec rang, ni reconnaissant avec sang. 18° Certains mots, qui offraient une rime défectueuse au singulier, riment bien au pluriel. Par exemple /ërj, soufferts ; tyrans, expirants ; rangs, parents. Je t’ai préféré même à ceux dont les parents Ont jadis dans mon camp tenu les premiers rangs. CoRN. Bientôt l’amour, fertile en tendres sentiments, S’empara du théâtre ainsi que des roMOKS. BoiL.

Mais jusque dans la nuit de mes sacrés déserts, Le bruit de mes malheurs fait retentir les airs. BoiL. Viens voir tous ses attraits, Phœnix, humiliés. Allons. Attez, seigneur, vous jeter à ses pieds 1. RAC. Mais nous, qui d’un autre oeil jugeons des conquérants’ Nous savons quêtes dieux ne sont pas des tyrans. Mais je veux à mon tour mérite ! les tributs Que je me vois forcé de rendre à ses oer ÏD. Mais cette liberté ne doit pas aller jusqu’à faire

rimer un mot terminé en ments avec un mot qui n’aurait pas d’m à sa finale. Ainsi Voltaire fait preuve d’une grande négligence quand il écrit Maîtres du monde entier, de Rome heureux enfants, Conservez à jamais ces nobles sentiments.

Il a beaucoup trop de semblables rimes. La rime vengés et bergers serait tout à fait incorrecte.

19° On trouve detemps en temps dans les meilleurs poëtes une voyelle simple rimant avec une diphthongue suivre, vivre ; suite, diable, table ; assiége, sacrilége, etc. Ces rimes ne satisfont pas complètement l’oreille ; elles sont cependant autorisées. 20° Deux syllabes, dont l’une est longue et l’autre brève, forment une rime qui affecte désagréablement l’oreille. Telles sont omeet/emme, ~ace et~scB, 1. Dans le genre simple on ,admet la rime de ptedou’pt~ c-vec un mot finissant en te

Sachez que pour céans j’en rabats de moitié,

Et qu’il fera beau temps quand j’y mettrai le pied. MOL. Pareillement, dans Nanine, Voltaire fait rimer amitié avec pied, qu’il écrit pié. et incertaine, accable et coupable, ~M6 et coMronne, etc. Il faut reconnaître que les grands poëtes ne se font guère scrupule d’employer cette consonnance, que j’oserais dire imparfaite. Il sera mieux de ne pas les imiter en ce point.

Remarque. Les défauts signalés dans les deux paragraphes précédents sont quelquefois réunis par exemple quand Racine fait rimer/MMM avec mienne, Mycène avec sienne ; et Molière, vienne avec peine. 21° Il n’est plus permis de faire rimer la finale er, ayant le son de é, avec la même finale se prononçant comme ère, ni avec air. Ainsi les rimes suivantes sont interdites aujourd’hui : triompher avec fer, mériter avec Jupiter, approcher avec cher, mêler avec l’air, etc.

22° Parla même raison, l’oreille n’admet pas volontiers deux terminaisons masculines, dont l’une présente une consonne sourde et l’autre une consonne que la prononciation fait sentir : Argos, repos ; Calchas, pas Brutus, vertus ; Iris, ris ours, discours, etc. Cependant ces rimes sont autorisées par l’usage des poëtes.

On admet aussi les rimes fils et remis, tous et ooM~ qui ne satisfont pas davantage l’oreille

Trop d’un HéracHus en mes mains est remis ; Je tiens mon ennemi, mais je n’ai plus de fils. CORN. Ce champ si glorieux, où vous aspirez tous,

Si mon sang ne l’arrose, est stérile pour vous. RAC. Le mot monsieur, qui se prononce autrement qu’il ne s’écrit, ne peut être mis en rime avec un mot en eur que dans le style familier. Ainsi Racine a écrit, mais dans les Plaideurs :’

En deux heures au plus.–On n’entre point, Monsieur. –C’est bien fait de fermer la porte à ce crieur. OBSERVATIONS GÉNÉRALES.

f La langue française ne fournit pas de rime pour tous les mots. Ainsi l’on ne trouverait pas de terminaison que l’on pût accoupler avec triomphe, perdre, etc.

2° It n’est pas même permis de faire usage de toutes les rimes qui existent. Elles ne doivent être ni recherchées ni triviales.

La Harpe relève dans la Motte les rimes suivantes, qu’il accuse avec raison d’être bizarres évoque, épo,que 7o, Clio ; strophe, opo~rop~e/ enthousiasme, pléonasme ; dans le Mierre, flèche et brèche ; dans Piron, boursoufle, souffle, maroufle.

3° n faut éviter également les rimes banales. Certains mots trouvent très-peu de terminaisons homophones qui leur correspondent, en sorte que la présence d’un de ces mots fait deviner celui qui viendra ensuite. Ce pressentiment presque infaillible de la seconde rime nuit beaucoup au charme des vers. Parmi les rimes qu’on doit éviter, comme trop communes, il faut compter les suivantes : famille, fille ; prince, province ; poudre, fôudre ; juste, auguste ; lustre, lustre ; marque, monarque ;, songe, mensonge ; sombre, ombre ; hommes, nous sommes ; dieuou adieu, lieu, etc.

4° Certains temps des verbes présentent des rimes désagréables. ~tous avons déjasignalé le prétérit défini il leva, il cultiva. On peut ajouter l’imparfait du subjonctif : atK~, atmsMe~ ; les troisièmes personnes du futur : altéra, aMKeromt. Il y a bien longtemps que Ménage, ayant trouvé dans Malherbe ~ero~t rimant avec étaleront, a fait cette remarque judicieuse : t Ces troisièmes personnes du futur finissent désagréablement les vers, et particulièrement les grands, et celles du singulier les unissent encore plus désagréablement que celles du pluriel. Ceux qui se mêlent de faire des vers ne les finiront donc jamais, s’ils m’en croient, par ces troisièmes personnes, si ce n’est dans les discours familiers.

On doit exclure aussi de la fin des vers les participes présents.

2° Un mot qui vient d’être placé à la rime n’y doit pas reparaître avant une quinzaine de vers. Ainsi le retour du même mot se trouve à une distance insuffisante dans ce passage de Voltaire :

S’il ose encor l’aimer, j’ai promis son trépas Je tiendrai ma parole, et tu n’en doutes pas. Mêleriez-vous du sang aux pleurs qu’on va répandre, Aux flammes du bûcher, à cette auguste cendre ? Frappés d’un saint respect, sachez que vos soldats Reculeront d’horreur et ne vous suivront pas. 6" Les genres simples, tels que la comédie, l’épître

badine, la fable, le conte, la chanson, ne demandent pas la même rigueur dans les rimes que les ouvrages d’un genre élevé. La tragédie, l’épitre sérieuse, surtout l’épopée et l’ode, exigent des rimes très-soignées. 7° La rime est le fondement et la condition de notre 3 poésie. Voltaire, qui l’a défendue, sans rencontrer toujours les arguments les plus solides, Voltaire établit l’impossibilité de faire en français des vers sans rimes, ou des vers blancs. Nous avons, dit-il, un besoin essentiel du retour des mêmes sons, pour que notre poésie ne soit pas confondue avec la prose. Tout le monde connaît ces vers Où me cacher ? Fuyons dans la nuit infernale. Mais que dis-je ? mon père y tient l’urne fatale Le sort, dit-on, l’a mise en ses sévères mains ; Minos juge aux enfers tous les pâles humains.. « Mettez à la place

Où me cacher ? Fuyons dans la nuit infernale. Mais que dis-je ? mon père y tient l’urne funeste Le sort, dit-on, l’a mise en ses sévères mains ; Minos juge aux enfers tous les pâles mortels.

Quelque poétique que soit ce morceau, fera-t-A le même plaisir, dépouillé de l’agrément de la rime ?* Ceux qui ont attaqué notre rime prouvaient qu’ils n’avaient aucun sentiment de l’harmonie. En effet, quelle cadence sera sensible dans la poésie française, si l’on retranche la rime ? Il est bien certain que ce retour obligé de consonnances pareilles rend notre versification très-difficile, si le poëte tient à ce que la pensée ne souffre point de ces entraves ; mais il est faux que le plaisir produit par de beaux vers soit celui de la dt/~CM~ë vaincue ; car beaucoup d’ouvrages de l’esprit qui ont coûté un bien long travail ne produisent aucun plaisir, et l’on ne fait souvent que déplorer le temps employé à un exercice futile’. ). racine te fils fait une réponse aussi péremptoire que simple

La facilité à trouver la rime s’acquiert par l’habitude

Lorsqu’à la bien chercher d’abord on s’évertue,
L’esprit à la trouver aisément s’habitue ;
Au joug de la raison sans peine elle fléchit,
Et, loin de la gêner, la sert et l’enrichit.
Mais, lorsqu’on la néglige, elle devient rebelle,
Et, pour la rattraper, le sens court après elle. Boil.

Nous compléterons ce que nous avons à dire sur le sujet qui nous a occupé dans ce chapitre, quand nous parlerons de la succession des rimes et de l’harmonie poétique.




CHAPITRE IV.
De l’Hiatus.

En poésie, l’e muet est la seule voyelle terminant un mot qui puisse être suivie d’une autre voyelle ou d’une h non aspirée. Hors ce cas, la rencontre de deux voyelles forme un hiatus, ou bâillement, qui est sévèrement défendu. Ainsi l’on ne peut dire dans un vers : tu es, tu auras, si elle vient, elle y est.

Boileau a consigné cette règle dans son Art poétique, et l’a rendue sensible par deux exemples qui imitent l’hiatus, sans toutefois être fautifs :

Gardez qu’une voyelle, à courir trop hâtée,
Ne soit d’une voyelle en son chemin heurtée.

à cet argument de la difficulté vaincue. Il rappelle que tous nos vieux genres de poésies, qui aux entraves de la rime en ajoutaient bien d’autres, et qui étaient de véritables tours de force, ont été abandonnés. On aurait pourtant dû y voir, suivant le système qu’il combat, le comble de la perfection. Tels sont le sonnet, le rondeau, la ballade, l’acrostiche, etc.

La conjonction et, suivie d’une voyelle, fait également hiatus. La raison en est que le t ne se prononce pas il semble que ce mot soit écrit par la seule lettre é fermé. Ainsi l’on ne peut dire en vers e ! il vient, sagf et ~eureM :r.

Si l’h est aspirée, on peut la. faire précéder de toutes tes voyelles et de la conjonction et. Exemple la haine, et hors de lui.

H n’a pas voulu vivre et mériter sa haine. CoRN. Jeune et vaillant héros, dont la haute sagesse. BOIL. L’innocente e~Mite honteusement bannie. tD.

Où courez-vous ainsi tout pâle e< hors d’hateine ? RAC. Ce seul dessein l’occupe ; et hâtant son voyage. ID. Puisque si hors du temps son voyage l’arrête. MOL. Remarques. La poésie admet l’hiatus

1° Dans le corps des mots, comme aMdact-eua ;,Mrtu-eux, nati-on, dou-é, vi-olence, Dana-é, Simo-ïs. 2° Entredeux vers, même quand le sens est continu : Deux fois de mon hymen le nœud mal assorti A chassé tous les dieux du plus juste parti. CORN. Ni serment, ni devoir ne l’avait engagé

A.courir dans l’aMme où Porus s’est plongé. RAc. 3° On peut placer une voyelle après ce qu’on appellemaintenant, avec raison, unevoyelle nasale, c’e&tà-dire an, in, on, un, oin, quoique souvent cette rencontre ait quelque chose de dur à l’oreille’ ~poHoM en connaît qui te peuvent louer. BOIL. Et transposant cent fois et le nom et le verbe. 1. Ces nasales sont douces quand la prononciation les unit à la voyelle qui commence le mot suivant un homme,

La faim aux animaux ne faisait point la guerre. BOIL. Le dessein en est pris, je le veux achever. RAC. Mais Rome veut un maître, et non une maîtresse. iD. 4" Quand un mot se termine par un e muet, précédé lui-mème d’une voyelle, et qu’on élide cet e muet, il reste effectivement un hiatus, qui est toutefois admis dans la versification

Rome entière noyée au sang de ses enfants. CORN. La plaintive Élégie, en longs habits de deuil. BOIL. Hector tomba sous lui, Troie expira sous vous. RAc. Il s’en fit, je l’avoue, une douce habitude. ID. Dans les deux cas précédents, quand les consonnances finales et initiales sont les mêmes, elles nous frappent plus désagréablement, et une oreille délicate craindra de les admettre

Consultez-en encore 1 Achillas et Septime. CORN. Immolant trente mets à leur faim indomptable. Bon. Pourquoi d’un an entier l’avons-nous diiîérée ?RAC. Cependant à Pompée élevez des aute)s. CORN. Roulât sur la pensée et non pas sur les mots. Bon.. Ou quelque longue pluie inondant les vaUons. fD. Ma place est occupée, et je ne suis plus rien. RAC. Trame une perfidie inouïe à la cour. In.

mun accord, on aime, en Allemagne ; elles deviennent dures quand cette fusion des deux mots n’a pas lieu J’en avais un encore, prenez-vous-em à vous, veut-on aussi ?

Une consonne muette qui termine le mot n’empêche pas ]e heurtement de la voyelle nasale

Dispersa tout son camp à l’aspect de Jéhu. RAC.

C’est ainsi qu’e. juge Voltaire.

1. Voltaire fait sur ce vers la remarque suivante Ett encore on doit éviter ce bâillement, ces hiatus de syllabes, désagréables à l’oreille. II voyait donc ici un véritable hiatus.

5" Les mots terminés en r peuvent être suivis d’une voyelle, même quand cette r ne se prononce pas Et fait le monde entier écrasé sous sa chute. CORN. Je reprends sur-le-champ le papier et la plume. Bon. Le quartier alarmé n’a plus d’yeux qui sommeillent. In. Rendre docile au frein un coursier indompté. RAC. L’étranger est en fuite, et le Juif est soumis. ID. Nous conseillerons cependant d’user très-sobrement de cette liberté. La rencontre de pareils mots met dans l’alternativeou d’altérer la prononciation’, ou de faire un hiatus réel et choquant.

La même remarque s’applique à toutes les consonnes muettes qui ne dissimuleraient que pour l’œil la présence de l’hiatus

Le manteau sur le nez, ou la main dans la poche. RAc. Enfermée à la c~ ou menée avec lui. MOL.

Le coup encore frais de ma chute passée. MALH. J’ai fait parler le loup et répondre l’agneau. LA FONT. L’an suivant, elle mit son nid en lieu plus haut. ID. 6° L’adverbe oui, répété deux fois de suite, est admis dans le dialogue

Oui, oui, cette vertu sera récompensée. RAC.

Oui, oui, vous nous contez une plaisante histoire. MOL. 7° Les interjections ah, eh, oh, peuvent être suivies 1. Il faut faire ici la même observation que sur les nasales quelquefois les deux mots s’unissent par la prononciation Le premier homme, un entier abandon, un léger effroi ; mais cette fusion n’a pas lieu dans ces phrases Le premier il a vu, vendre en <’ntt~ ~n domaine, ni dans les exemples cités. d’une voyelle l’h finale est considérée comme aspirée [11].

Mon père ! — Eh bien ? eh bien ? quoi ? qu’est-ce ? Ah ! ah ? quel homme Racine.
J’irais trouver mon juge. — Oh ! oui, monsieur, j’irai. Id.
Ah ! il faut modérer un peu ses passions. Mol.
Tant pis. — Eh oui, tant pis : c’est là ce qui m’afflige. Id.

Nous reviendrons sur l’hiatus quand nous parlerons de l’élision, et, plus tard, de l’harmonie.




CHAPITRE V.
De l’Élision, de la Synérèse.

1° Nous avons dit que l’e muet, terminant un mot et suivi d’une voyelle, ne compte pour rien dans la mesure du vers : il y a élision.

Ismène est auprès d’elle, Ismène, toute en pleurs,
La rappelle à la vie, ou plutôt aux douleurs. Rac.

On scande comme s’il y avait :

Ismèn’ est auprès d’ell’, Ismène tout’ en pleurs, etc.

La poésie ne fait en cela que se conformer à la prononciation de la prose.

L’élision de l’e muet final a lieu quand le mot suivant commence par une h non aspirée :

Laisse-moi prendre haleine, afin de te louer. Corn.
L’argent en honnête homme érige un scélérat. Boil.
Plus méchant qu’Athalie, à toute heure l’assiége. Rac.

Mais elle n’a point lieu quand l’h qui suit est aspirée :

Me montrer à la cour, je hasardais ma tête. Corn.
Et le teint plus jauni que de vingt ans de hâle. Boil.
Malheureux, j’ai servi de héraut à ta gloire. Rac.
Je jure hautement de ne la voir jamais. Mol.

2° L’élision de l’e muet est exigée dans le corps du vers, quand cet e est précédé d’une voyelle accentuée, comme vie, joie, risée, vue, etc.

Rome entière noyée au sang de ses enfants. Corn.
Hector tomba sous lui, Troie expira sous vous. Rac.

Par conséquent, les joies, les destinées, ils voient, ils prient, renfermant un e muet que les consonnes finales ne permettent pas d’élider, ne peuvent être placés qu’à la fin du vers.

3° L’e muet qui caractérise les rimes féminines ne compte pas dans la mesure, quoique le vers suivant commence par une consonne, et qu’il y ait continuité dans le sens :

Ciel ! à qui voulez-vous désormais que je fie
Les secrets de mon âme et le soin de ma vie ? Corn.
Que dans le Capitole elle voit attachées
Les dépouilles des Juifs par vos mains arrachées. Rac.

Le féminin grande peut perdre, par apocope, son e final devant quelques noms consacrés : grand’mère, grand’salle, la grand’chambre, à grand’peine, etc.

Dans un genre de poésie où l’on veut reproduire le langage populaire, on retranche l’e muet non-seulement devant une consonne, mais encore dans le corps des mots : Nous n’somm’s pas, d’la tête, p’tit.

4° L’e muet acquiert quelquefois plus de valeur dans la prononciation, et devient la syllabe d’appui. Ainsi, dans voyez-le, l’accent tonique porte sur la dernière. Dans ce cas, l’e muet se soumettra difficilement à l’élision. Si vous scandez : voyez-le en passant en cinq syllabes, voyez-l’ en passant, vous altérez la véritable prononciation, en déplaçant l’accent. On doit prononcer voyez-l’ à peu près comme voyezleu, et vous prononcez voyez-l’ peu près comme voyelle [12].

Cette élision était admise dans nos vieux poëtes, et elle se retrouve encore du temps de Louis XIV, mais seulement dans le genre familier :

Ou bien faites-le entrer. — Qu’est-ce donc qu’il vous plaît ? Molière.
Condamnez-le à l’amende, ou, s’il le casse, au fouet[13] Rac.
Du titre de clément rendez-le ambitieux. La Font.

Dans le genre soutenu, l’on évite entièrement la rencontre de cet e muet avec une voyelle ; car, si l’élision est choquante, d’un autre côté, le conflit d’une voyelle, accentuée avec une autre voyelle produirait un hiatus.

La Harpe a souligné la mauvaise élision de le, qu’il trouvait dans le poëme des Mois, par Roucher [14] :

Voyez-le en des traîneaux emportés par deux rennes.

5° Certains mots contiennent un e muet qui ne se prononce pas, et qui ne fait qu’allonger la syllabe précédente : Vous avouerez, il louera, je prierais, etc. L’e muet intérieur ne compte pas dans la mesure : on réunit les deux voyelles en une, par la figure qu’on nomme synérèse :

Je ne t’envierai pas ce beau titre d’honneur. Corn.
C’est là, tout haut du moins, ce qu’il n’avouera pas. Boil.
Notre style languit dans un remerciement. Id.
Avant la fin du jour vous me justifierez. Rac.
J’essaierai tour à tour la force et la douceur. Id.
Je ne remuerai point. — Votre partie est forte. Mol.
L’un effraiera les gens, nous servant de trompette. La Fontaine

L’orthographe moderne remplace ces e muets par un accent circonflexe : j’avoûrai, je prîrais.

Dans la règle précédente rentrent les mots paieront, vaierait, paiement, qui ne sont que de deux syllabes :

Un prix bien inégal nous en paiera la peine. Th. Corn.
Que tout autre que lui ne paierait de sa vie. Rac.
Tiens, voilà ton paiement. — Un soufflet ! écrivons. Id.

6° Nous avons déjà dit que l’e muet des terminaisons en aient ne compte pour rien dans la mesure.

Il en est de même de la troisième personne aient du verbe avoir :

Il était sur son char ; ses gardes affligés
Imitaient son silence, autour de lui rangés. Rac.
Sans que mille accidents ni votre indifférence
Aient pu me détacher de ma persévérance. Mol.

La même finale est également muette dans le subjonctif soient :

Les présents du tyran soient le prix de sa mort. Corn.
Tous les piliers ne soient enveloppés d’affiches. Boil.
Je consens que mes yeux soient toujours abusés. Rac.
Que de doutes fréquents ses vœux soient traversés. Mol.




CHAPITRE VI.
De l’Enjambement.

Lorsque le sens commence dans un vers et finit dans une partie du vers suivant, on dit que le premier vers enjambe, ou qu’il y a enjambement.

L’enjambement est interdit au vers alexandrin, surtout dans les genres soutenus. Boileau fait un mérite à Malherbe d’avoir établi cette règle :

Et le vers sur le vers n’osa plus enjamber.

Jusqu’alors elle avait été généralement ignorée :

Et le banc périlleux, qui se trouve parmi
Les eaux, ne t’enveloppe en son sable endormi. Ronsard.
Hélas ! prends donc mon cœur avecque cette paire
De ramiers que je t’offre ; ils sont venus de l’aire. Id.

Dans une de ses premières tragédies [15], Racine a laissé échapper un enjambement :

Le feu de ses regards, sa haute majesté

Font connaître Alexandre. Et certes son visage
Porte de sa grandeur l’ineffaçable image.

1re Remarque. L’enjambement est permis quand on a soin d’ajouter aux mots rejetés un développement qui complète le vers :

Oui, j’accorde qu’Auguste a droit de conserver
L’empire, où sa vertu l’a fait seule arriver. Corn.
Elle se croit déjà souveraine maîtresse
D’un sceptre partagé, que sa bonté lui laisse. Id.
Qui voit sous ses drapeaux marcher un camp nombreux
De hardis étrangers, d’infidèles Hébreux. Rac.
Enfin je me dérobe à la joie importune
De tant d’amis nouveaux que m’a faits ma fortune…
Il voit plus que jamais ses campagnes couvertes
De Romains que la guerre enrichit de nos pertes. Id.

2me Remarque. Il est encore permis lorsqu’il y a une suspension, réticence ou interruption :

N’y manquez pas du moins ; j’ai quatorze bouteilles
D’un vieux vin… Boucingot n’en a pas de pareilles. Boil.
Est-ce un frère ? est-ce vous dont la témérité
S’imagine ?… — Apaisez ce courroux emporté. Corn.

3me Remarque. L’enjambement n’est pas proscrit d’une manière aussi rigoureuse des genres simples, tels que la comédie, la fable, le conte, l’épître badine, etc.

4me Remarque. On tire quelquefois de l’enjambement d’heureux effets d’harmonie imitative. C’est ce que nous verrons dans un des chapitres suivants.

5me Remarque. Il est souvent admis dans les vers de dix syllabes. Nous reviendrons également sur ce point.

Observation générale. La règle de l’enjambement est une règle fondamentale, qui, avec la rime. tient à l’essence même de notre système de versification ; et ces deux règles sont intimement liées. Comme l’a bien senti la Harpe, nos vers ne peuvent enjamber parce qu’ils riment ; et la rime étant une des premières conditions de notre poésie, tout ce qui tend à la faire disparaître est un véritable contre-sens.




CHAPITRE VII.
De la succession des Rimes.

Règle générale. Une rime masculine ne doit pas être suivie immédiatement d’une rime masculine différente, ni une rime féminine d’une rime féminine différente.

On peut commencer une pièce de vers par une rime masculine ou par une rime féminine. La première rime une fois établie, voici les diverses combinaisons qui sont admises :

1° Les rimes plates ou suivies sont celles qui se succèdent par couples de deux, alternativement masculines et féminines :

Du zèle de ma loi que sert de vous parer ?
Par de stériles vœux pensez-vous m’honorer ?
Quel fruit me revient-il de tous vos sacrifices ?
Ai-je besoin du sang des boucs et des génisses ?
Le sang de vos rois crie et n’est point écouté.
Rompez, rompez tout pacte avec l’impiété ;
Du milieu de mon peuple exterminez les crimes :
Et vous viendrez alors m’immoler vos victimes. Rac.

2° Les rimes croisées présentent alternativement un vers masculin et un vers féminin. On donne encore ce nom à deux rimes masculines séparées par deux rimes féminines suivies, ou réciproquement Tel, fin un secret vallon,

Sur tes bords d’une onde pure,

Croît, à l’abri de l’aquilon,

Un jeune lis, l’amour de la nature. RAc.

Ainsi l’on vit l’aimable Samuel

Croitre à l’ombre du tabernacle

Il devint des Hébreux t’espérance et l’oracle. Puisses-tu, comme lui, consoler Israël lo. Rions, chantons, dit cette troupe impie ;

De fleurs en fleurs, de plaisirs en plaisirs

Promenons nos désirs

Sur l’avenir insensé qui se fie. ID.

3° Les rimes mêlées sont celles dont la succession

n’est soumise qu’à la règle générale donnée ci-dessus. Les choeurs d’Esther et d’Athaliesonten rimes ?n~cM. Quel astre à nos yeux vient de luire ?

Quel sera, quelque jour, cet enfant merveilleux ? Il brave le faste orgueilleux,

Et ne se laisse pas séduire

A tous ses attraits périlleux. RAC.

On voit par cet exemple, composé de cinq vers, que, dans ce système, les rimes masculines et féminines peuvent ne pas être en nombre égal. 4° Les rimes redoublées offrent le retour ou la continuation de la même rime

Que leur restera-t-il ? Ce qui reste d’un songe Dont on a reconnu l’erreur.

A leur réveil (ô réveil plein d’horreur !),

Pendant que le pauvre à ta table

Goûtera de ta paix l’ineffable douceur,

Ils boiront dans la coupe affreuse, inépuisable, Que tu présenteras au jour de ta fureur,

A toute la race coupable. RAC.

On trouve des pièces peu étendues dans lesquelles le poëte n’a employé que deux rimes

Un sot par unepuceeut l’épaule mordue.

Dans les plis de ses draps elle alla se loger.

< Hercule, ce dit-il, tu devrais bien purger

La terre de cette hydre au printemps revenue t Que fais-tu, Jupiter, que du haut de la nue

Tu n’en perdes la race, afin de me venger ? »

Pour tuer une puce, il voulait obliger

Les dieux à lui prêter leur foudre et leur massue. LA FONT. ’D’autres fois, c’est une difficulté que le poëte s’impose à dessein, pour remplir un cadre obligé. Il arrive assez souvent que l’une des deux rimes seulement est redoublée. On lit dans la Fontaine une dédicace de vingt-deux vers, dont toutes les rimes masculines sont en is. En voici deux stances ou couplets

Pour plaire au jeune prince’ à qui la Renommée Destine un temple en mes écrits,

Comment composerai-je une fable nommée Le Chat et la Souris ?

Dois-je représenter dans ces vers une belle Qui, bonne en apparence, et toutefois cruelle, Va se jouant des cœurs que ses charmes ont pris, Comme le chat de la souris ?

t. Le duc de Bourgogne.

5° On trouve même des pièces monorimes, c’est-àdire dans lesquelles il n’aétéfaitusagequed’une seule rime. Cette manière d’accumuler ainsi la même consonnance finale remonte à une époque très-reculée. Le Franc de Pompignan a inséré dans sou Voyage de Languedoc et de Provence une pièce sur le château d’If, dont tous les vers sont terminés en if. Elle commence ainsi

Nous fûmes donc au château d’If. C’est un lieu peu récréatif,

Défendu par le fer oisif

De plus d’un soldat maladif, Qui, de guerrier jadis actif,. Est devenu garde passif.

Voici une petite pièce de Collin d’Harleville, qu’on trouvera pleine de facilité, de correction et de grâce LA BONNE JOURNÉE.

Un pauvre clerc du parlement, Arraché du lit brusquement Comme il dormait profondément, Gagne l’étude tristement ;

Y griffonne un appointement, Qu’il ose interrompre un moment, Pour déjeuner sommairement ; En revanche, écrit longuement, Dîne à trois heures sobrement, Sort au dessert discrètement, Reprend la plume promptement Jusqu’à dix heures. seulement Lors va souper légèrement,

Grimpe, et se couche froidement

Dans un lit fait négligemment,
Dort, et n’est heureux qu’en dormant.
Ah ! pauvre clerc du paiement !

1re Remarque. On trouve quelquefois trois rimes pareilles placées de suite. Le genre lyrique et le genre léger autorisent également cet emploi.

Cieux, écoutez ma voix ; terre, prête l’oreille :
Ne dis plus, ô Jacob, que ton Seigneur sommeille ;
Pécheurs, disparaissez : le Seigneur se réveille. Racine.
    Et le mâtin était de taille
    A se défendre hardiment.
    Le loup donc l’aborde humblement
  Entre en propos, lui fait son compliment
    Sur son embonpoint qu’il admire. La Font.

2e Remarque. On voit très-rarement plusieurs rimes masculines ou féminines différentes qui se succèdent. Cela se rencontre dans quelques pièces de peu d’étendue, des épigrammes, des impromptus, des chansons :

Qu’on parle mal ou bien du fameux cardinal,
Ma prose ni mes vers n’en diront jamais rien :
Il m’a fait trop de bien pour en dire du mal ;
Il m’a fait trop de mal pour en dire du bien. Corn.




CHAPITRE VIII.
Des Licences poétiques.

« La licence poétique, dit Marmontel, est une incorrection, une irrégularité permise en faveur du nombre, de l’harmonie, de la rime ou de l’élégance des vers. »

Nous allons passer en revue les licences poétiques. Nous en distinguerons de trois espèces : celles qui ont rapport 1° à l’orthographe, 2° à l’arrangement des mots, 3° à la grammaire.


Des Licences d’Orthographe.


Les poëtes ont la liberté de supprimer l’s finale dans un certain nombre de mots.

1° Quand la première personne d’un verbe [16] finit par cette lettre s :

Elvire, où sommes-nous ? et qu’est-ce que je voi ?
Rodrigue en ma maison ? Rodrigue devant moi ? Corn.
En le blâmant enfin j’ai dit ce que j’en croi,
Et tel qui me reprend en pense comme moi. Boil.
Je vous donne un conseil qu’à peine je reçoi ;
Du coup qui vous attend vous mourrez moins que moi. Racine.
Vizir, songez à vous, je vous en averti ;
Et, sans compter sur moi, prenez votre parti. Id.

Remarque. Mais il n’est pas permis de retrancher l’s à la seconde personne de l’impératif, ainsi qu’on le faisait encore dans le dix-septième siècle [17] :

Fais donner le signal, cours, ordonne, et revien
Me délivrer bientôt d’un fâcheux entretien. Rac.
     Quitte ces bois, et redevien
     Au lieu de loup, homme de bien. La Font.


2° Crsce ou grâces à

Mais moi, grâce au destin, qui n’ai ni feu ni lieu. BOIL. Grâce aux dieux, mon malheur passe mon espérance. RAC Je le veux, je le dois, grâce à vos injustices. VoLT. Grâces à nos malheurs, le crime est inutile. CORN. G~cesauxdieux, mesmainsnesontpascriminehes.RAc. Ah ! l’effort n’est pas grand, grdces à vos caprices. VOLT. 3° Jusque et~’M~~MM

Pensez-vous avoir lu jusqu’au fond demon âme ? CoRN. Tout jusqu’à sa servante est prêt à déserter. BOIL. Mena victorieux jusqu’au bout de la terre. RAC. Dois-je me ravaler jusques à cet époux ? CopN. Que plus d’un grand m’aima jusques à la tendresse. BoiL. Veut me sacrifier jusques à son amour. RAC. 4° Guère et guères :

Ulysse en fit autant. On ne s’attendait guère De voir Ulysse en cette affaire. LA FONT.

Seigneur, tant de grandeurs ne nous touchentp)us~MM’e.Je les lui promettais tant qu’a vécu son père. RAC. Et l’on ne pouvait guère en un pareil effroi, etc. VOLT. Mais les monstres, hélas 1 ne t’épouvantent ~Meres : La race des LaYùs les a rendus vulgaires. RAC. Allons donc nous masquer avec quelques bons frères Pour prévenir nos gens, il ne faut tarder itères. MOL. 5° Certe et certes.

L’orthographe certe est maintenant la plus ordinaire. Mais, en poésie, ce mot peut prendre une s. Certes ou je me trompe, ou déjà la victoire, etc. MALH. Alors, certes, alors je me connais poëte. BOIL.

6° même et mêmes.

Quand ce mot est joint à un pluriel, les poëtes ont la faculté de le prendre comme adjectif et de le faire accorder, ou comme adverbe et de le laisser invariable Dompter des nations, gagner des diadèmes,

Sansqu’aucun les connût, sansles connaître eux-m~nes. [CORNEILLE.

Jusqu’ici la fortune et la victoire mêmes

Cachaient mes cheveux blancssous trente diadèmes. RAC. Nous parlons de nous même avec toute franchise. CORN. Je crois que votre front prête à mon diadème Un éclat qui le rend respectable aux dieux même. RAC. L’ingrate à vos yeux même étale sa valeur. tD. Sera par vos soins même exposée à vos coups. VOLT. 7° Sertains noms propres terminés par la lettre s peuvent la perdre en poésie. Ainsi l’on dit Athènes ou Athène, ~ceKM ou Mycène, Apelles ou Apelle, Charles ou Charle, Versailles ou Versaille, Londres ou Londre, etc.

Ces deux sièges fameux de Thèbes et de Troie. CORN. Athènes en gémit ; Trézène en est instruite. RAC. Il suivait tout pensif le chemin de Mycènes ; Sa main sur les chevaux laissait flotter les rênes. Jn. Et dans Valencienne est entré comme un foudre. BOIL. Au tumulte pompeux d’Athène et de la cour. RAC. Prends cette lettre, cours au-devant de la reine, Et suis sans t’arrêter le chemin de Afycene. lo. 1. Il s’agit des po6tes.

Dans un petit nombre de mots, la poésie peut à volonté conserver on supprimer l’e muet final. 1° Ainsi l’on écrit encore ou encor :

Que vous m’ayez séduit, et que je souffre encore D’être déshonoré par celle que j’adore. CORN. Étudions en6n, il en est temps encore ;

Et, pour ce grand projet, tantôt, dès que l’aurore, etc. [BOILEAU.

Et moi, ce souvenir me fait frémir encore,

On voulait m’arracher de tout ce que j’adore. RAc. Ce qu’il a fait pour elle, il’peut encor le faire B peut la garantir encor d’un sort contraire. CORN. Tandis que, libre encor, malgré les destinées. BoiL. Non, vous n’espérez plus de nous revoir encor, Sacrés murs, que n’a pu conserver mon. Hector RAC. 2° Zéphyre et ZcpAyr

Les plus aimables fleurs et le plus doux zéphyre Parfument t’air qu’on y respire. QUINAULT.

Les rayons d’un beau jour naissent de ton sourire ; De ton souffle téger s’exhale le zéphyre. DÈLiLLE. Et la troupe de Flore et celle des zéphyrs

De nos humbles pasteurs partagent les plaisirs. Rouss. Dont Flore et les zéphyrs embellissent les bords. VOLT. l" Remarque. Jusqu’au milieu du dix-septième siècle, les poëtes avaient la liberté d’écrire a~c~Me, 1. L’Académie établit une distinction arbitraire et subtile entre la signification de ces deux mots. Elle admet avec aussi peu de fondement une différence d’orthographe zéphyre et pour avec. Cette licence se trouve encore une fois dans une satire de Boileau, et une fois dans la seconde tragédie de Racine ; mais, avant la fin de ce siècle même, elle tomba entièrement en désuétude.

2e Remarque. Au chapitre de l’élision, nous avons parlé de la synérèse, par laquelle la poésie supprime l’e muet intérieur : essaiera (essaîra), avouera, justifiera, enjouement. Mais cette suppression est obligée : ce n’est plus une des ressources du versificateur.

3e Remarque. Pour la désinence des noms propres traduits du latin, il faut, en général, suivre l’usage. Cependant les poëtes ont quelquefois à leur disposition une double inflexions ; par exemple : Claude et Claudius, Mécène et Mécénas, Lélius et Lélie, Porsenne et Porsenna, etc.

Il faut éviter les mots qui aujourd’hui prêteraient au ridicule, comme Brute, Crasse, pour Brutus, Crassus, bien que Corneille s’en soit servi.




CHAPITRE IX.
Des Licences de construction. — De l’Inversion.

Notre prose construit les mots d’une manière fixe et uniforme, que l’on ne peut guère changer. Elle procède suivant l’ordre logique, et place successivement le sujet, le verbe, le régime ou le complément quelconque du verbe, le complément du régime, etc. Elle ne met que rarement le sujet après le verbe, presque jamais le régime avant le verbe, jamais le complément du régime avant le verbe. Telle est la rigueur de sa construction.

Une des facilités données à notre versification, et aussi un des eharmesdenotrepoësie,cohsistedans !a liberté qu’a celle-ci de modifier l’ordre dont nous venons de parler, en d’autres termes d’employer l’inversion. L’inversion est un des traits les plus frappants qui distinguent de la prose le langage poétique. 1° Il est permis de placer la préposition et son complément avant le substantif, ou l’adjectif, ou le verbe dont ils dépendent. Cette transposition est trèsfréquente.

Que les temps sont changés Sitôt que de ce jour La trompette sacrée annonçait le retour,

Du temple, orné partout de festons magnifiques, Le peuple saint en foule inondait les portiques ; Et tous, devant l’autel avec ordre introduits,

De leurs champs dans leurs mains portaientles premiers [fruits. RAC.

2° Lorsqu’un verbe en gouverne un autre à l’infinitif, le pronom qui est le régime du second se met élégamment avant les deux verbes, au lieu d’être intercalé au milieu. On dit en prose : je veux le voir ; en poésie on peut dire je le ~eua ; voir.

Si tu me veux aimer, aime-moi sans me craindre. CORN. Ce terme est équivoque il le faut éclaircir. BOIL. Une reine à mes pieds se vient humilier. RAC. Hermione, seigneur ? il la faut oublier. In.

Oui, je le vais trouver, je lui vais obéir. VoLT. 3° En prose, le pronom personnel joint à l’impératif se met toujours après cet impératif. En poésie on peut le placer avant, en remplaçant mot, toi, par Me, te. Il faut observer que cette construction n’a lieu que pour un second membre de phrase, et après une des conjonctions et, ou. Au lieu de et laisse-toi conduïre, on peut dire e< te laisse conduire. Sors du trône, et te laisse abuser comme moi. CORN. Polissez-le sans cesse, et le repolissez. BOIL.

Tu veux servir va, sers, et me laisse en repos. RAC. 4" Les adverbes pas, point, plus, construits avec un infinitif, et assez, joint à un adjectif, se transposent quelquefois en poésie, c’est-à-dire se placent après l’infinitif ou l’adjectif. Cette inversion a déjà un peu vieilli.

Car c’est ne régner pas qu’être deux à régner. Comt. D’un Romain lâche assez pour servir sous un roi. ID. Aux menaces du fourbe on ne doit dormir point. MoL. Et que tout l’univers apprenne avec terreur

A ne confondre plus mon fils et l’empereur. RAC. En m’arrachant mon fils, m’aurait punie assez. VoLT. 5° Nous avons dit que la prose met quelquefois le sujet après le verbe, comme dans les phrases suivantes Vienne le temps, les dépenses ~u’a occasionMeM votre luxe, le siècle où vivait César, etc. Ces inversions sont, bien entendu, admises dans la poésie. 6° Dans l’ancien tangage français, la transposition du sujet était fréquente. Jusqu’à Boileau, la poésie profita de cette liberté de construction, qu’elle a perdue aujourd’hui presque absolument.

Les exemples suivants, qui s’éloignent de l’ordre de la prose, ont déjà pour nous quelque chose d’étrange

Rome, à qui vient ton bras d’immoler mon amant. CoRN.. Pour qui tient Apollon tous ses trésors ouverts. BOIL. L’inversion de t’attributest généralement proscrite, comme celle du sujet’.

Le sujet et l’attribut peuvent se transposer dans le style marotique2.

7° Très-rarement aujourd’hui notre langue transpose le régime direct, c’est-à-dire le place avant lé verbe. Nous disons bien Le bruit que j’entends, je la vois, pour tout dire, sans rien omettre, à pierre /eH~6 mais la poésie n’a point, à cet égard, d’autres priviléges que la prose. On ne mettrait plus, avec Malherbe :

Un courage* élevé toute peine surmonte.

Cette inversion resta admise sous Louis XIIL Elle s’est conservée dans le genre marotique

8° Une épithète, simple ou complexe, régie par un verbe, peut en poésie se placer avant ce verbe, pourvu que cette transposition ne produise pas d’ambiguïté : Que, semblable à Vénus, on l’estime sa sœur. REGNIER. Du premier coup de vent il me conduit au port, Et, sortant du &apMme, il m’envoie à la mort. CORN. Pleurante après son char veux-tu que l’on me voie ? RAc. 1. Elle s’est conservée, même en prose, dans les anciennes locutions Bien {ou sera celui, homtCtde point ne seras. 2. Voyez ci-après, p. 67.

3. C’est-à-dire un casur.

4. Voyez ci-après, p. 67.

Raide mort étendu sur la terre il le couche. LA FONT. Que tout chargé de fers à mes yeux on t’entraîne. VOLT. DÉFAUTS DE L’INVERSION.

Le véritable génie, dit la Harpe en louant Malherbe, a été de débarrasser la langue des inversions qui ne sont pas naturelles. Il ne faut qu’ouvrir les poëtes antérieurs à Malherbe, pour voir combien une réforme sur ce point était nécessaire. Il la tenta et l’obtint. Cet auteur si sévère a pourtant laissé échapper le vers suivant :

Mais mon âme qu’à vous’ ne peut être asservie. Nous allons essayer de classer les principaux vices de l’inversion.

1° On a vu, par beaucoup d’exemples, que la poésie transpose fréquemment le complément précédé d’une préposition. Cependant il faut avoir soin que cette transposition ne rapproche pas immédiatement deux substantifs. Ainsi les exemples suivants, qui sont perpétuels dans les anciens poëtes, ne seraient plus admis aujourd’hui :

Le regret du passé, du présent la misère. RÉGNIER. Qu’il assemble en festin au renard la cigogne. ÎD. Elle prit de ses jours leprintemps pour l’automne. RACAN. Sa bonté qui transforme en merveille l’envie. MOTIN. La Harpe critique ce vers de Fbrian

Ceux q&i louaient le plus de son chant l’harmonie. t. Cette transposition, dit Ménage, n’est pas supportable. <’ Les règles de la construction poétique, senties par les oreilles délicates et exercées, exigeraient que l’on mît

Tous ceux qui de son chant admiraient l’harmonie. « De cette manière, l’inversion est bien placée ; au lieu que deux substantifs rapprochés forment un hémistiche d’une dureté choquante. »

Boileau a dit

Imitez de Marot l’élégant badinage.

L’inversion suivante serait défectueuse

Imitez avec soin de Marot le langage.

De même ce vers

H donnait de son art les charmantes leçons. BOIL. deviendrait mauvais si l’on mettait

Il donnait dans ses vers de son art les leçons. 2° Quand deux compléments, dépendants l’un de l’autre, sont précédés tous deux d’une préposition, ils doiventêtre placésala suiteet dansl’ordre logique. Voltaire a dit dans l’Orphelin de la Chine : Je n’ai pu de mon fils consentir à la mort.

Inversion dure et forcée, dit la Harpe, étrangère au génie de notre langue. Observez, comme principe général, que l’inversion, dont le but est de varier notre versification sans dénaturer les procédés du langage, est naturelle au notre avec un régime direct, et qu’elle y répugne avec un régime indirect, quand il y a concours des deux particules de et à. Ainsi l’on aura très-bien

Je n’ai pu de mon fils envisager la mort.

«Mais l’on aura tort de dire :

Je n’ai pu de mon fils consentir à la mort.

< Pourquoi ? C’est que l’inversion est en quelque sorte double. Non-seulement vous mettez la particule relative ~e avant la mort, qui doit la régir, mais vous la mettez avant une autre particule qui doit naturellement la précéder, avant à : l’oreille est trop déroutée. En voulez-vous la preuve ? c’est que vous diriez sans aucun embarras

la mort de mon fils je n’ai pu consentir.

Vous n’avez fait ici que mettre le régime avant le verbe, ce que notre poésie permet mais dans aucun cas vous ne diriez De mon à la mort, etc. Dans l’exemple suivant, Corneille a commis la même faute que Voltaire

On s’étonne de voir qu’un homme tel qu’Othon Daigne d’un Vinnius se réduire à la fille.

3° On ne peut rien mettre entre la préposition et un infinitif qui lui sert de complément’.II n’est pas permis de const.’uire, comme on le faisait autrefois sans de toi me plaindre, pour à toi plaire, etc. On voit ce défaut dans les vers suivants

1. Excepté dans quelques cas Pour le voir, sans rien dire, pour tout dire, etc.

Sansd’autres arguments son poëme aHon~er. DuBELLAY. C’est ce qui m’a contraint ~e librement écrire. RÉGNIER. Pour d’un peuple mutin l’audace foudroyer. TOUVANT. Quelques exemples decette construction se trouvent encore dans Corneille

Pour de ce grand dessein assurer le succès.

Il n’est pas moins choquant de séparer la préposition et le substantif qui en dépend

Malgré de nos destins la rigueur importune. CORN. 4° En général, il faut éviter les inversions qui produisent une amphibologie, comme dans ce vers A peine de la cour j’entrai dans la carrière. VoLT. Le poète veut dire A peine j’entrai dans la carrière de la cour. Mais qu’arrive-t-il ? c’est qu’il n’eût pas construit la phrase autrement, s’il eût voulu dire que, sortant de la cour, il était entré dans la carrière, etc. et, par le dérangement des deux particules, son vers présente en effet ce dernier sens, suivant les principes de notre construction Je jure à mon fetour" qu’ils périront tous deux. CoRN. La vertu d’uH coeMr noble est la marque certaine. BoiL. 5" Enfin, on évitera les inversions forcées, dans le genre de celle-ci

Tu n’as fait. le devoir que d’un homme de bien. CORN. 1. La Harpe.

2. « II faut, dit Voltaire je jure qu’à mon retour.

DE L’EMPLOI DE L’INVERSION.

En général, l’inversion n’est pas nécessaire ; son emploi sera déterminé par le besoin de la mesure et par les exigences de l’harmonie.

Nous ne la voyons pas dans les vers suivants : Me dit que ses bienfaits, dont j’ose me vanter. BOIL. C’estmaintenant, seigneur, qu’il fautme le prouver. RAc. Ai-je flatté ses vœux d’une /aMsse espérance ? lo. Le roi m’abuse-t-il d’une espérance vaine ? CRËBtL. Mais l’inversion est quelquefois obligée c’est lors que l’idée, distribuée d’une manière progressive, doit finir par le trait le plus fort. La poésie alors a un grand avantage sur la prose, laquelle ne pourrait emprunter cette heureuse gradation.

Ce vers de Racine

Et que méconnaîtrait t’OM7 m~mede son père deviendrait faible si l’on mettait que Fo~ même de son père méconnaîtrait.

L’inversion bien employée, dit la Harpe, est a’autant plus nécessaire que souvent elle est le seul trait qui différencie le vers de la prose, et qu’en général, elle soutient la phrase poétique, et lui donne une marche plus ferme et plus noble.

Du temple, orné partout de festons magnifiques, Le peuple saint en foule inondait les portiques. RAc. Changez l’ordre de ces deux vers

Le peuple saint en foule inondait les portiques Du temple, etc.

La phrase se traîne sur des béquilles [18].

Réciproquement, il faut s’abstenir de l’inversion, quand elle détruirait ou affaiblirait l’effet de la phrase :

Ils mettront la vengeance au rang des parricides. Rac.

La pensée est énervée si l’on met : Au rang des parricides ils mettront la vengeance.

Que dans cet autre vers du même poëte :

Je commence à voir clair dans cet avis des cieux.
on transpose ainsi :

Dans cet avis des cieux je commence à voir clair.
et au lieu d’un vers de style soutenu, on a un vers de comédie [19].




CHAPITRE X.
Des Licences de Grammaire.[20]

1° L’adverbe s’emploie souvent pour à qui, auquel, à laquelle, vers lequel, etc. Cette substitution donne au style de la concision et de la fermeté.

Saisissez-vous d’un trône le ciel vous dispose. Corn.
C’est là l’unique étude je veux m’attacher. Boil.


Et l’unique faveur, mon frère, où je prétends. RAc. Je renonce à l’empire où j’étais destiné.

Et cet aveu honteux où vous m’avez forcée. !D. 2* On peut employer les prépositions en, dans, au lieu de à, devant un nom de ville qui commence par une voyelle, afin d’éviter l’hiatus

Je serai marié, si l’on veut, en Alger. CORN.

Cassandre dans Argos a suivi votre père. RAC. Allez en Albion que votre renommée

Y parle en ma défense, et m’y donne une armée. VOLT. 3° La poésie admet un verbe au singulier avec plusieurs sujets du singulier

L’obstacle qu’ils y font peut. vous montrer sans peine Quelle est pour vous etmoi leurenvie et,leur haine. CORN. Une église, un prélat m’engage en sa querelle. BoiL. Que ma foi, mon amour, mon honneur y consente. RAC. D’où te bannit ton sexe et ton impiété. la.

Ane, cheval et mule aux forêts habitait. LA FONT. ELLIPSE. On appelle ellipse le retranchement d’un ou de plusieurs mots qui seraient nécessaires pour la régularité de la construction. Il y a des ellipses en prose nous ne nous occuperons que de celles de la poésie.

4° Les poëtes peuvent se dispenser de mettre un pronom en tête d’un second membre de phrase, quand bien même le sujet est déjà assez éloigné Mais je sais peu louer, et ma muse tremblante Fuit d’un si grand fardeau la charge trop pesante ;

Et, dans ce haut éclat où tu te viens offrir,

Touchant à tes lauriers, craindrait de les flétrir. BOIL. Je condamnai les dieux, et sans plus rien ouïr, Fis vœu sur les autels de leur désobéir. RAc. Je frémissais, Doris, et d’un vainqueur sauvage Craignais de rencontrer l’effroyable visage. la. 5° Ils offrent des ellipses encore plus hardies Ma cour fut ta prison, mes faveurs tes liens. CORN. Il fut votre tuteur et vous son assassin.

H passe pour tyran, quiconque s’y fait maître Qui le sert, pour esclave, et qui l’aime pour traître. la. Il y a dans Racine un exemple célèbre d’eHipse Je t’aimais inconstant, qu’aurais-je fait fidèle ? Au lieu de si tu avais été fidèle.

En voici encore un autre du même poète Amis,’partageons-nous. Qu’Ismaël en sa garde Prenne tout le côté que l’orient regarde ;

Vous, le côté de l’ourse et vous, de l’occident ; Vous, le midi. r

Voltaire a dit Peuple roi que je sers,

Commanàez à César, César à l’univers.

MOTS POÉTIQUES.

Notre langue a très-peu de mots particuliers à la poésie et qui ne puissent se rencontrer dans la prose 5 oratoire. Mais il en est un grand nombre dont les poëtes font un bien plus fréquent usage.

Voici quelques-uns des mots qui sont plus particulièrement.affectés à la poésie.

Au lieu de

Ville,

Cheval,

Ciel,

Colère,

Crime,

Hommes,

Mariage,

Épée,

Eau,

Vaisseau,

Bateau,

Matelot,

Enfers,

Soufûe (des vents),

Travail,

Côte,

Ventre,

Vent frais,

Vent violent,

Espace de cinq ans,

Terre ensemencée,

Ancien,

Aussitôt,

Hn’y a pas longtemps,

Elle dit

Cité..

Coursier.

L’Olympe.

Courroux.

Forfait.

Mortels, humains.

Hymen, hyménée.

Glaive, fer.

Onde.

Nef.

Esquif.

Nautonier.

Le Tartare, le Ténare, le Coeyte,l’Achéron,leStyx. Haleine.

Labeur.

Flanc.

Flanc, entrailles, sein. Zéphyr, zéphyre.

Aquilon,Borée,lesAutans. Lustre.

Guérets.

Antique.

Soudain.

Naguère.

Ajoutons quelques autres mots, que nous confirmerons par des exemples.

1° Alors que, cependant que, s’emploient pour dorsque, pendant que, surtout dans le style élevé Le ciel nous en absout alors qu’il nous te donne. Corn. Faut-il que l’on s’indigne alors qu’on vous admire ? Volt. Cependant que de l’autre il croit être le père. CoRN. Cependant que mon front, au Caucase pareil, Brave l’effort de la tempête. LA FONT.

2° Penser, au lieu de pensée

Aux fragiles pensers ayant ouv-t la porte. MALH. Mon cœur ne forme point dé pensers assez fermes. CORN. Vainement offusqué de ces pensers épais. BOIL. Votre âme, à ce penser, de colère murmure. la. Que j’ai toujours haï les pensers du vulgaire LA FONT. 3° DMcor~, discords,.pour différend, discussion, querelle

Puisque chacun, dit-il, s’échauffe en ce discord. CORN. De vos discords passés perdez le souvenir. RoTROu. Et que le ciel vous mtt, pour finir vos discords, L’un parmi les vivants, l’autre parmi les morts. RAC. 4’Zor~pour ~or~M[pourMiM,ne s’emploieraient aujourd’hui que dans te genre familier. DES LICENCES DU STYLE MAROTIQUE.

~Marot réunit toutes les’licences dont nous ! avons parlé jusqu’ici, ïl en présente d’autres encore, que ce n’est pas le lieu d’énumérer.

La Fontaine est peut-être l’auteur qui a le plus contribué à ressusciter la langue de Marot. JeanBaptiste Rousseau et Voltaire ont suivi ses traces. Voici quelques constructions empruntées à la langue du seizième siècle.

Inversion du sujet

A peine fut cette scène achevée. LA FONT Or est le cas allé d’autre façon. la. Vous à qui donnèrent les dieux

Tant de lumières naturelles. VOLT. Inversion de l’attribut

A sa Judith Boyer par aventure

Était assis près d’un riche caissier

Bien aise était. RAC.

Miennes je peux les dire ; et mon réseau En serait plein, sans ce maudit oiseau. LA FONT. Honni seras, ainsi que je prévoi. Rouss. Sacrés ils sont, car personne n’y touche. VOLT.

Inversion du régime

Puis en autant de parts le cerf il dépeça. LA FONT. Et ne pouvant son faible vous cacher,

Le t)dtre au moins it tâche d’éplucher. Rouss. D’un air galant leur figure étalaient. VOLT.

Pour se rapprocher de leur modèle, les imitateurs de Marot lui empruntent encore l’enjambement et des expressions surannées.

Nous terminerons par un exemple, qui montrera réunies les diverses licences du style marotique : Deux avocats, qui ne s’accordaient point,

Rendaient perplexe un juge de province.

Si ne put onc[21] découvrir le vrai point,
Tant lui semblait que fût obscur et mince.
Deux pailles prend[22] d’inégale grandeur ;
Des doigts les serre : il avait bonne pince.
La longue échut sans faute au défendeur ;
Dont[23] renvoyé s’en va gai comme un prince.
La cour s’en plaint, et le juge repart :
« Ne me blâmez, messieurs, pour cet égard[24] :
De nouveauté dans mon fait il n’est maille[25] ;
Maint d’entre vous souvent juge au hasard,
Sans que pour ce tire à la courte paille. » La Font.




CHAPITRE XI.
De l’Harmonie.

Si l’harmonie du style est nécessaire à l’éloquence, elle l’est bien plus encore à la poésie. Le poëte, en adoptant le rhythme cadencé du vers, s’est engagé à offrir à l’oreille un charme qu’elle ne trouvait pas dans la prose : à plus forte raison doit-il, à l’exemple de l’orateur, choisir, parmi les mots qui se présentent à lui, ceux qui sont les plus doux à prononcer, et faire en sorte que leur mélange produise encore une agréable impression. Il sera parlé plus tard de l’harmonie imitative ; nous verrons alors quelles restrictions il faut mettre à la règle générale de l’harmonie.

Boileau, dans ces vers de l’Art’ poétique, nous a donné à la fois le précepte et l’exemple

H est un heureux choix de mots harmonieux ; Fuyez des mauvais sons le concours odieux Le vers le mieux rempli, la plus noble pensée Ne peut plaire à l’esprit, quand l’oreille est blessée. Racine est peut-être, de tous nos poëtes, celui qui avait le sentiment le plus exquis de l’harmonie. Voyez, dans ces beaux vers, combien la mélodie des paroles ajoute à la grandeur des pensées

Que peuvent contre lui’ tous les rois de la terre ? En vain ils s’uniraient pour lui faire la guerre Pour dissiper leur ligue il n’a qu’à se montrer ; Il parle, et dans la poudre il les fait tous rentrer. Au seul son de sa voix la mer fuit, le ciel tremble ; II voit comme un néant tout l’univers ensemMe Et les faibles mortels ; vaints jouets du trépas, Sont tous devant ses yeux comme s’ils n’étaient pas. Boileau s’est souvent moqué des vers rocailleux de Chapelain. On verra par un échantillon combien cette critique était fondée

Un seul endroit y mène, et de ce seul endroit Droite et raide est la cdte, et le sentier étroit.

Quels vers’, ’juste ciel !’s’écriait-il ; je n’en pms entendre prononcer un que ma tête ne soit prête à se fendre.

La parodie suivante, que ce satirique a faite du style de Chapelain, est fort connue

1. Dieut t

Maudit soitl’auteur dur,.dont l’âpre et.rude.venve, Son cerveau tenaillant, rima malgré Minerve ;.

Et de son lourd marteau martelant le, bon. sens, A fait de méchants vers douze fois douze cents. Nous altons énumérer, en les classant, lësprinci "pales causes qui nuisent à l’harmonie du style.’ 1° Il faut ranger en premier Uea~ la ;succession~ de plusieurs consonnes rudes :, C’est,. di6.jVo !taire,Ie mélange heureux des voyelles et consonnes’qui’fait le charme de laversincation.

J’eus toujours pour’Sttspects !esd6 ? :sd’MM ennemi. ’< [CbRNB !BLE.

Jusqu’à ce çu’dvous-méme’it aitosese~prendre : CoEls donc qu’a pressé la soif’de la vengeance. ID. Un poëte peu connu’ commence un vers par cet hémistiche Arbre à ~rMa~e écorce.

La Motte fournit beaucoup d’exemples de ces cacophonies

Les rois qu’après leur mort on loue.

L’onde entre et fuit à flots égaux.

Cherche jusqu’en son advèrsaire.

Et du fond vif de ses pensées.

Les vers mosyllabiques sont en’gênerai’ peu harmonieux :

Je sais ce que j’ai fait, et ce qu’il vous faut faire. Co’RN. Ah 1 ce n’est pas ses soins que je veux qu’on me die. ID. Soitqu’eUe eùtméme en lui vu je ne saisquel charme. RAC. Un feu qui de mes sens est même encor le maître. VOLT.

1. Dulard.

Les mots tirés de langues étrangères qui ont leur désinence en am, us, as, ès, is, os, etc., et qui se prononcent comme s’ils étaient terminés par un c muet, tels que Jérusalem, Brutus, Cérès, Pâris, Minos, ont quelque dureté lorsqu’ils sont suivis d’une consonne Jérusalem sera, Brutus croit.

J’ai cru qu’Antiochus les tenait éloignés. CORN. Tout le peuple en murmure, et Félix s’en offense. ÎD. Jadis Priam soumis fut respecté d’Achille. RAC. Minos juge aux enfers tous les pâles humains, In. Quelquefois un seul mot est choquant à l’oreille Ne perds-je pas assez, sans doubler l’infortune ? CORNTout ce que je sens, je t’exprime ;

Ne sensée plus rien ? je finis. LA MOTTE.

Et jamais elle n’est plus pure

Qu’où le travail a moins de part. ID.

La Harpe Marne dans un endroit l’emploi des prétérits définis &7’M~M, remplîtes.

2° La répétition de la même lettre dans une suit& de mots

Que, quelque amour qu’elle ait et qu’elle ait pu donner. [CORNEILLE.

On n’a tous deux qu’un cœur qui sent mêmes traverses. Mon cœur te résistait, et tu l’as combattu. h). Qui changeant sur ce plat et d’état et de nom. BOIL. Gardez donc de donner, ainsi que dans Clélie. !D. De toutes parts pressé par un puissant voisin. RAC. Ingrat à tes bontés, ingrat à ton amour. VOLT. Tout art t’est étranger combattre est ton partage. le. 3° Une syllabe finale et une syllabe initiale qui sont pareilles :

Tranchez donc cette part par où l’ignominie

Pourrait souiller l’éclat d’une si belle vie. CORN. Qu’à son ambition ont immolé ses crimes. In. Barbin impatient chez moi frappe à la porte. Bon.. Que, prête à se glacer, traça sa main mourante. VoLT. Ils ont nommé ~erope, et j’ai rendu les armes. ID. 4" Deux mots ayant même consonnance qui se suivent immédiatement :

Et d’un oeil vigilant épiant ma conduite. VOLT. Tel d’un bras foudroyant fondant sur les rebelles. !D. Dans ses desseins toujours à mon père contraire. CRÉBIL. 5° La versification française n’admettant pas l’hiatus, il fautusersobrement des hiatus déguisés, mais réels, que nos règles autorisent. Nous reproduirons sommairement quelques points développés ci-dessus. On devra éviter devant un mot commençant par une voyelle

Er se prononçant é, comme papier innocent, guerrier intrépide.

Un mot terminé eifectivement par la même voyelle, après que l’élision aura été faite, comme armée étran~ere, nuée épaisse, perfidie tnoMïe, rue humide ; Les voyelles nasales, comme ~ra~ m/ ?ea ;t6~, maison élevée ;

Un mot terminé par une consonne qui ne peut se lier par la prononciation à la voyelle initiale du mot suivant, comme camp ennemi, champ ensemencé. Tels sont encore nid, loup, drop’, etc.

1. Cependant les différentes rencontres de lettres que nous

L’h aspirée est dure, dans certainscas.par exemple dans et /M~ être haï, la haïr.

6° Le poëte pèche encore contre l’harmonie, quand il fait rimer la césure avec la fin du’vers : Sortons ; qu’en sûreté j’examine avec vous,

Pour en venir à bout, les moyens les plus doux. CORN. Je t’ai préféré même à ’ceux dont les parents

Ont jadis dans mon camp tenu les premiers rangs. !o. De Corneille vieilli sais conso)er Paris. BoiL.’ Sur un de vos coursiers pompeusement orné. RAC. On doit condamner dans ce cas une simple ressemblance de sons, comme par exemple celle d’un masculin avec un féminin

Nos desseins avortés, notre haine trompée. CORN. Jusqu’au dernier soupir je veux bien te le dire. ID. Aux Saumaises futurs préparer des tortures. BOIL. 7° Les hémistiches de deux vers ne doivent pas rimer’entre eux. Cette consonnance trompe l’oreille, et lui fait croire qu’elle entend quatre vers de six syllaBes,’ au~Iieu de deux alexandrins :

D& votre dignité soutenez mieux t’éciat

Est-ce pour travailler que vous êtes prélat ? BoiL. Je prodiguai mon sang : tout fit place à mes armes ; Je revins triomphant. RAC.

Lorsqu’on des tourbillons de flamme et de fumée, conseillons ici d’éviter sont bien moins sensibles, et peuvent être admises, après un repos bien marque

Sauvez-nous de sa main, et redoutez les dieux. CORN. 1. « Roi hors est dur à l’oreille, dit Voltaire à propos d’un ’vers de’ Cinna.

Cent tonnerres d’airain, précédés des éclairs,

De leurs globes brûlants écrasent une armée

Quand de guerriers mowoMts tessiUons sontcouverts, etc. [VOLTAIRE.

8’ Il n’est pas bien qu’une césure offre uneconsonnance avec une rime voisine

Voilà jouer d’adresse et médire avec art, Et c’est avec respect enfoncer le poignard.

Un esprit né sans f~, sans basse complaisance. BOIL. Il a dans ces horreurs passé toute la nuit.

Enfin, las d’appeler un sommeil qui le fuit,

Pour écarter de lui ces images funèbres, etc. RAC. 90 Il faut encore éviter que des rîmes masculines et féminines qui se suivent aient le même son, soit dans des rimes suivies, soit dans des rimes croisées : Avant que tous les Grecs vous parlent par ma voix, Souffrez que j’ose ici me flatter de leur choix,

Et qu’à vos yeux, seigneur, je montre quelque joie De voir le fils d’Achille et le vainqueur de ÏY’0 !’e. RAC. Mal prend aux volereaux de faire les voleurs

L’exemple est un dangereux leurre.

Tous.les mangeurs de gens ne sont pas grands seigneurs Où ta guêpe a passé, le moucheron demeure. LA FONT. A plus forte raison,, une succession de plus de quatre consonnances pareilles est-elle réprëhensible. 10° Dans les rimes plates, la même consonnance ne doit pas reparaître deux fois de suite à une rime, soit masculine, soit féminine

Soudain, Potier’se’tëve, et’demandë’au~’ence Chacun, àsonaspect !gat’deuaprofonds~n !se.’

Dans ce temps malheureux, par te-crime :Mt~c~

Potier fut toujours juste, et pourtant respecté.
Souvent on l’avait vu, par sa mâle éloquence,
De leurs emportements réprimer la licence,
Et, conservant sur eux sa vieille autorité,
Leur montrer la justice avec impunité. Volt.

II° Certaines rimes sont désagréables à l’oreille. Telles sont les prétérits définis et les imparfaits du subjonctif : mîtes, reçûtes, vîmes, flattasse, reçusse.




CHAPITRE XII.
Du Nombre, de la Cadence, du Rhythme.

Le nombre est une succession de syllabes réunies dans un petit espace de temps distinct et limité. L’ensemble des nombres d’un vers en forme la cadence, le rhythme.

Il y a dans les nombres d’un vers, comme dans ceux de la prose, des syllabes sonores et des syllabes sourdes, accentuées et non accentuées, des temps forts et des temps faibles.

Les vers français, comme ceux de toutes les langues modernes, exigent certains temps forts, ou, ce qui est la même chose, certains accents.

Une oreille tant soit peu exercée sent le besoin de cette harmonie, bien qu’on en ignore généralement la source.

Nous avons déjà indiqué deux accents nécessaires au vers alexandrin, celui de l’hémistiche et celui de la rime. Il en a encore deux autres, dont la place varie.

Ces nouveaux accents se placent :

Dans le premier hémistiche, sur l’une des quatre premières syllabes ;

Dans le second, sur la septième, la huitième, la neuvième ou la dixième.

Les accents sur la seconde ou la troisième syllabe, sur la huitièmeoulaneuvième, senties plus fréquents : A peine nous sortions des portes deTrézene,

Il était sur son char ses gardes affligés. RAt. L’œit morne maintenant et la tête baissée.

S’éMue à gros bouillons une montagne humide. Ils ne connaissent plus ni le frein ni la voix. Portent de ses cheveux les dépouilles sanglantes. Où la vertu respire un air empoisonné.

Cieux, écoutez ma t)0t’a : ; terre, prête l’oreille. ID. Le rhythme est sensible dans tous ces vers. La mobilité des deux accents que nous pouvons appeler secondaires fait éviter la monotonie qui résulterait de nombres uniformes.

Dans un morceau suivi nous allons retrouver ces divers accidents :

Ce Dieu, maître absolu de la terre et des cieux, N’est point tel que l’erreur le figure à nos yeux L’Éternel est son nom ; le monde est son ouvrage : H entend les soupirs de l’humble qu’on outrage, Juge tous les mortels avec d’égales lois,

Et du haut de son trdne interroge les roM

Des plus fermes États la chute épouvantable,

Quand veut, n’estqu’unjeude samain redoutable. RAC. Un vers alexandrin est mal cadencé quand l’accent final (celui de la rime) ; ou l’accent médial (celui de l’hémistiche), sont trop peu marqués ; quan il a plus ou moins de quatre accents, quand deux accents se suivent immédiatement.

Nous avons fait sentir l’importance des accents de l’hémistiche et de la rime dans les chapitres de la césure et de l’enjambement. Nous ne nous occuperons ici que des accents secondaires.

l* L’accentest détruit et le vers mal cadencé quand il y a une suite d’e muets

Vous )e mieux révéler qu’il ne me révèle. CORN. Ce que je vais vous être et ce que je vous suis. h). 2° Un hémistichequi a plus de deux accents étonne l’oreille par sa marche saccadée

Moi-m~me, ArnaMH, ici qui te prêche en ces rimes. BoiL. Calchas, dit-on, prépare un pompeux sacrifice. RAC. Vous jure amitié, foi, zèle, estime, tendresse. MoL. En général, beaucoup de petits membres de phrase, une accumulation de verbes ou d’épithètes, produisent ce défaut.

3° Quand les accents mobiles sont immédiatement avant l’hémistiche ou avant la rime, en sorte que les deux accents se suivent, ce rapprochement nuit à l’harmonie

Ainsi que.la naissance,.ils.out les.espr~ts.Aas. CoRN. On lit dans la tragédie d’Horace :

Je suisRomaine,bélaslpuisqueHorace,est Romain. CoRN. Il y avait dans la première édition

Je suis Romaine, hélasi puisque mon époufc l’est. Voici encore quelques exemples analogues

Mais si que)que/o !’s,M de forcer les murailles. BonQue me sert, en effet, d’un admirateur fade ? In. Puis chaque canard,prend un bâton par le bout. LA Four. Ciel quel vaste concours ! Agraadissez-vous, temples. [GILBERT.

CADENCE DE LA PÉRIODE. La cadence se fait

sentir non-seulement dans un vers, mais encore dans .une suite de vers. Rien ne serait plus monotone que les alexandrins, si chacun isolément renfermait une idée, ou s’ils tombaient deux ,à deux. L’art consiste à faire disparaitre l’uniformité, en donnant plus ou moins d’étendue à la phrase poétique.

Notre poésie admet les périodes’riches et nombreuses. Racine est le meilleur modèle à suivre pour apprendre à les distribuer

Faut-il le transporter aux plus affreux déserts ? Je suis prête je sais une secrète issue

Par où, sans qu’on le voie, et sans être aperçue, De Cédron avec lui traversant le torrent,

J’irai dans ce désert où jadis en pleurant,

Et cherchant comme nous son salut dans la fuite, David d’un fils rebelle évita !a poursuite.

Voici un autre exemple, qui est également extrait d’~t/mHe

Jéhu, qu’avait choisi sa sagesse profonde,

Jéhu, sur qui je vois que votre espoir se fonde, D’un oubli trop ingrat a payé ses bienfaits

Jéhu laisse d’Achab l’affreuse SUe en paix,

Suit des rois d’Israël les profanes exemples,

Du vil dieu de l’Egypte a conservé les temples,

Jéhu sur les hauts lieux enfin osantoffrir

Un téméraire encens que Dieu ne peut souffrir,
N’a, pour servir sa cause et venger ses injures,
Ni le cœur assez droit, ni les mains assez pures.

Dans les vers à rimes mêlées, il y a un art particulier de prolonger la période d’une manière harmonieuse. On le reconnaît notamment dans Gresset.

Dans les vers entrelacés, dit Marmontel, la rime et la pensée doivent se clore ensemble, si l’on veut que la période poétique soit nombreuse et arrondie. Qui croirait, par exemple, que ces vers fussent d’une pièce rimée :

    Il faut encor que mon exemple,
    Mieux qu’une stoïque leçon,
T’apprenne à supporter le faix de la vieillesse,
    A braver l’injure des ans. Chaulieu.




CHAPITRE XIII.
De l’Harmonie imitative.

Quand la parole exprime un objet qui, comme elle, affecte l’oreille, elle peut imiter les sons par les sons, la vitesse par la vitesse et la lenteur par la lenteur, avec des nombres analogues. Des articulations molles, faciles et liantes, ou rudes, fermes et heurtées, des voyelles sonores, des voyelles muettes, des sons graves, des sons aigus, et un mélange de ces sons, plus lents ou plus rapides, forment des mots qui, en exprimant leur objet à l’oreille, en imitent le bruit ou le mouvement, ou l’un et l’autre à la fois, comme en français les mots hurlement, gazouiller, mugir, aboyer, miauler. C’est avec ces termes imitatifs que

l’écrivain forme une succession de sons qui, par une ressemblance physique, imitent l’objet qu’ils expriment’.

On appelle OMoma~o~e un mot ou une suite de mots qui peignent ainsi la nature.

Dans tous les exemples que nous donnerons de l’harmonie imitative, on verra que les préceptes généraux sont presque constamment violés. Nous subdiviserons les divers procédés par lèsquels on produit cette imitation de la chose par le son, bien qu’ils se trouvent assez souvent réunis. § 1. HARMONIE IMITATIVE RÉSULTANT DU CHOIX DE CERTAINES LETTRES, DE CERTAINES SYLLABES. 1° Certaines lettres dures à prononcer, comme r, t, a ;, une suite de monosyllabes, pourront imiter un bruit qui affecte désagréablement l’oreille, ou exprimeront l’effort, ladifËcuIté. Des syllabes peu sonores imiteront un bruit sourd.

Boileau est peut-être l’auteur qui a su le mieux tirer de notre poésie les effets qu’elle avoue. Délivre les vaisseaux, des Syrtes les arrache. Quoi 1 dit-elle d’un ton qui fit trembler les vitres. Du lugubre instrunient’font crier ies’ressôrts ; De t’antre’Mdouté les soupiraux remirent ;.BoiL.. Tout le monde aadmiré-cethémistichë’de’R’acine L’essieu crie et se rompt..

Et ces deux vers du même poète

t. Marmontel.

Indomptable taureau, dragon impétueux,

Sa croupe se recourbe en replis tortueux

L’harmonie imitative est encore sensible dans ces vers de la Henriade :

Tel que du haut d’un mont de frimas couronné, Au milieu des glaçons et des neiges fondues,

Tombe et roule un rocher qui menace les nues. VoLT. Dans de nombreux passages, l’auteur des Saisons, Saint-Lambert, prouve une connaissance approfondie de l’art de produire ces effets

Neptune a soulevé les plaines turbulentes ;

La mer tombe et bondit sur ses rives tremblantes ; Elle remonte, gronde, et ses coups redoublés

Font retentir l’abtme et les monts ébranlés.

La mer &ondtt.EMe remonte, gronde. Ces deux hémistiches ne font-ils pas entendre le bruit du flot qui heurte )e rivage, ou qui est refoulé vers la haute mer’ ?

Delille imite ainsi le bruit du canon

Et le bronze et l’airain tonnant dans les combats. Il rend par un vers heureux l’impression d’une saveur désagréable

D’un acide piquant aiguise encor l’aigreur.

2° L’emploi de la lettre s conviendra quand le poëte voudra exprimer un sifflement, un bruit aigre 1. Quand l’imitation demande de la rudesse dans les sons, nos bons poëtes savent appeler les consonnes à leur secours, et dire, pour dépeindre un monstre MtdontptoMe taureau, etc. (RACINE le fils.)

2. La Harpe.

La Discorde, à l’aspect d’un calme qui l’offenso, Fait siffler ses serpents, s’excite à la vengeance. BOIL. Pour qui sont ces serpents quisifflent sur vos têtes ? RACH marchait d’un pas relevé,

Et faisait sonner sa sonnette. LA FONT.

3° Nous avons dit’ qu’il faut éviter des rimes mas lines et féminines présentantsuccessivementtamême consonnance. Mais si le poëtë parvient à imiter un bruit par cette uniformité de désinences, ce qui serait en général un défaut devient un mérite. On a loué ce passage de Racine

0 mont de Sinaï, conserve la mémoire, etc. Dis-nous pourquoi ces feux et ces éclairs,

Ces torrents de fumée et ce bruit dans les airs, Ces trompettes et ce tonnerre

Venait-il renverser l’ordre des éléments ? ’t

Sur ses antiques fondements

Venait-il ébranler la

4° La répétition consécutive de la même conson nance, que nous avons blâmée en parlant de l’harmonie en général, est quelquefois d’un heureux effet. Elle peint une action réitérée ; eUe montre un à un tous les détails d’un événement ou d’un portrait Français, Anglais, Lorrains, que la fureur assemble, Avançaient, combattaient, frappaient, mouraient ensemble. VOLT.

La Fontaine a dit, dans sa fable du Vieillard et l’Àne :

). Voyez ci-dessus, p. 75.

2. Dieu.

Il y lâche sa bête ; et le grison se rue

Au travers de l’herbe menue,

Se vautrant, grattant et frottant,

Gambadant, chantant et broutant.

50 Quand on voudra peindre des objets riants, glacieux, on choisira des syllabes d’une prononciation coulante

Telle qu’une bergère, au plus beau jour de fête, De superbes rubis ne charge point sa tête,

Et, sans mêler à l’or l’éclat des diamants,

Cueille en un champ voisin ses plus beaux ornements. [BOILEAU.

Il donne aux fleurs leur aimable peinture ;

Il fait naltre et mûrir les fruits ;

H leur dispense avec mesure

Et la chaleur des jours et la fraîcheur des nuits ; Le champ qui les reçut les rend avec usure. RAC. Le poëte rapproche quelquefois dans le même cadre deux effets qui contrastent «

Fait des plus secs chardons des lauriers et des roses. BoiL. On remarquera avec quel art la douceur du second hémistiche est opposée à la dureté du premier. J’aime mieux un ruisseau qui sur la molle arène Dans un pré plein’de fleurs lentement.se promène, Qu’un torrent débordé qui, d’un cours orageux, Roule plein de gravier sur un terrain fangeux. BOIL. Racine le fils, qui a écrit sur l’Harmonie imitative, a prouvé qu’il savait joindre l’exemple au précepte. On lit dans son poëme de la Religion

La branche en,longs éclats cède au bras qui l’arrache ; Par le fer façonnée, elle allonge la hache.

L’homme, avec son secours, non sans un long effort, Ébranle et fait tomber l’arbre dont elle sort

Et, tandis qu’au fuseau la laine obéissante

Suit une main légère, une main plus pesante

Frappe,à. coups redoublés l’enclume qui gémit. La lime mort l’acier, et l’oreille en frémit.

Ces vers présentent aussi l’harmonie imitative du rhythme, dont nous parlerons bientôt.

~emar~MS. Cette analogie de l’harmonie avec l’idée est un besoin du style, et un mérite des grands écrivains. Il y a peu de goût à choisir une couleur repoussante pour représenter des objets gracieux, ou des tons brillants pour des objets hideux. La Harpe critique avec raison ce vers de’Fontenelle

De la voix.de Daphné que le doux son me touche ! t Un hémistiche aussi dur que doux son me touche, pour exprimer la douceur de la voix » 2. HARMONIE IMITATIVE RÉSULTANT DES HIATUS PERMIS ET DES ASPIRATIONS.

Nous avons vu’ que certaines rencontres effectives de voyelles, certains hiatus .réels, sont permis dans notre versification, comme aussi,l’h aspirée après une voyelle. S’D.estvrai quece conflit de voyelles a dans les cas ordinaires quelque chose de dur, il est également vrai que le poëte peut en tirer des ef !ets d’hart. Ci-dessus, p. 36 et suiv. monie imitative. Nous en trouvons un dans ces vers, déjà cités :

Gardez qu’une voye) !ë, à courir trop Mtée,

Ne soit qu’une voyelle en son chemin heurtée. BoiL. Voici des exemples anatogues

Là Xénophon dans l’air heurte contre un la Serre. BOIL. L’avocat au palais en hertsso son style. le.

L’essieu crie e< se rompt. HAC..

Des coursiers attentifs le crin s’est hérissé. ÏD. Après bien du travail’, le coche arrive au haut. LA FONT. Racine le fils signale avec raison une intention pareille dans ce vers de Boileau

Le chardon importun hérissa nos guérets.

§ 3. HARMONIE IMITATIVE RÉSULTANT DE LA CADENCE. On produit encore l’harmonie imitative par le choix des syllabes longues ou brèves, pesantes ou rapides, par la disposition des accents, la place d’un mot, l’emploi d’une inversion. 10 Pour peindre un mouvement prompt, une course agile, on choisit une cadence légère

Je m’en vais les pleurer. Va, cours, vole et me venge. [CORNEILLE

Sa servante Alison la rattrape et la suit. BOIL. Du passant qui le fuit semble suivre les yeux. Le chagrin monte en croupe, et galope avec lui. Tu me verras souvent, à te suivre empressé, Pour monter à cheval rappelant mon audace, Apprenti cavalier, galoper sur ta trace.

Marchez, courez, votez où l’honneur vous appelle. Où fuirai-je Y Elle vient, je la vois. je suis mort. In.

Fais donner le signal, cours, ordonne et reviens. RAc. Va, cours ; mais crains encor d’y trouver Hermione. ID. Compagnons, apportez et le fer et les feux Venez, volez, montez sur ces murs orgueilleux. VoLT. Les torrents bondissants précipitent leur onde. DELILLE. 2° La lenteur, l’effort, la difficulté, le calme, l’ac cablement, seront rendus par des syllabes lourdes, pénibles, par des cadences graves, pesantes Quatre bœufs attelés, d’un pas tranquille et lent, Promenaient dans Paris le monarque indolent. BOIL. Les vers, dit la Harpe, marchent aussi lentement que les bœufs qui tiraient le char.

Le blé, pour se donner, sans peine ouvrant la terre, N’attendait pas qu’un bœuf. pressé de l’aiguillon, Traçât à pas tardifs un pénible sillon. BOIL.

On est contraint, dit Racine le fils, de prononcer ces vers avec peine et lenteur ; au lieu qu’on est emporté malgré soi dans une prononciation douce et rapide par celui-ci

Le moment où je parle est déjà loin de moi. BoiL. Ajoutons un exemple de la Fontaine

Dans un chemin montant, sablonneux, malaisé, Et de tous les côtés au soleil exposé,

Six forts chevaux tiraient un coche

Femmes, moines, vieillards, tout était descendu ; L’équipage suait, soufflait, était rendu.

On ne peut, dit la Harpe, prononcer ces mots 1. Une diligence. suait, soufflait, sans être presque essoufflé on n’imite pas mieux avec les sons. »

30 Les poètes rendent encore la nature en plaçant à là césure ou à la,rime un mot qu’ils veulent faire ressortir ; ou bien ils le mettent en saillie a l’aide d.’une. inversion

Ses murs, dont le sommet se dérobe la vue,

Sur la cime d’un roc s’allongent dans la nue. Bo !L. Le monosyllabe-roc, ainsi placé à l’hémistiche, forcé les yeux et l’attention du lecteur de s’arrêter sur l’emplacement qu’occupe cette tour.

Sur son épaule il charge une lourde cognée. BOIL. Substituez au premier hémistiche

Il met sur Mn épaule une lourde cognée.

vous n’avez plus d’image, ni par conséquent de poésie. Un riche abbé.

Oppressé fut d’une indigestion. VOLT.

Si,le poëte eût mis fût o~fMM, remarque la Harpe, l’effet du vers était perdu.

4° Le rapprochement des deux accents d’un hémistiche appelle l’attention sur un monosyllabe’ : J’aime mieux lesvoirmorts quecouverts d’infamie. CORN. Faites que Joas meure avant qu’il vous oublie. RAc. Le sang de vos rois crie, et n’est point écouté. ID. En mettant plus de deux accents dans un hémistiche, on peut faire ressortir chacun des mots qui le composent, et rendre l’action ou l’idée plus frappante en la subdivisant dans ses détails

Soudain nous,entassons,.pour défenses nouvelles, Bancs ; tables, coffres, lits, et jusqu’aux escab.eltes. CoRN. Sa fierté l’abandonne it cedg.it.utt. BOIL. Et son corps entr’ouvert chancelle, éc~e et tombe. ID. Roi, prêtres, peuple, allons, pleins de reconnaissance, De Jacob avec Dieu confirmer l’alliance. RAC. Un soM/7 !e, une ombre, un rien, tout lui donnait la fièvre. [LA FONT.

§ 4. HARMONIE IMITATIVE RÉSULTANT

DES GRANDS MOTS.

L’emploi des grands mots servira pour’ rendre.un bruit qui se prolonge, un objet, grandiose, .une. action qui se continue, une tongue,durée. :

Et l’orgue même en pousse un long gémissement. BoiL. Le superbe animal, agité de tourments,

Exhale sa douleur en longs mu~tsset ?M~s..lD. Ses longs mugissements font trembler le rivage. RAC. Je te plains de tomber dans ses mains redoutables, Ma fille. En achevant ces mots épouvantables, etc.. ID. Et ce n’est qu’en suivant un dangereux exemple Que nous.pouvons, comme eux, arriver jusqu’au temple De l’immortalité. Rouss.

§ 5. HARMONIE IMITATIVE RÉSULTANT DE’LA CÉSURE, DES COUPES ET SUSPENSIONS.

1° Un mot placé à la césure, et habilement détaché du reste de la phrase, peut faire image

L’onde approche, se brise, et vomit à nos yeux Parmi des flots d’écume un monstre furieux. RAC. L’effet disparaîtrait si ces mots, : l’onde op~roc~ se brise, formaient le second hémistiche.

Le coursier, l’œi) éteint et l’oreille baissée,

Distillant lentement une sueur glacée,

Languit, chancelle, tombe, et se débat en vain. DmLLE. 2°Quoique, en général, une phrase se termine avec un vers, quelquefois un repos complet est placé à la césure, et le second hémistiche commence une idée nouvelle.

Cette coupe, assez rare, rend l’opposition plus sensible.

Pleurez ce sang, pleurez ou plutôt sans pâlir

Considérez l’honneur qui doit en rejaillir. RAC. Je prodiguai mon sang ; tout fit place à mes armes ; Je revins triomphant. Mais le sang et les larmes Ne me suffisaient pas pour mériter ses vœux. ID. La suspension de l’idée sur l’hémistiche exprime aussi la rapidité d’une action

Une église, un prélat m’engage en sa querelle 7 ! faut partir, j’y cours. Dissipe tes douleurs. BOIL. Tout s’empresse, tout part. La seule Iphigénie, Dans ce commun bonheur, pleure son ennemie. RAC. Il yvole, il est pris ce blé couvrait d’un lacs

Les menteurs et trattres appâts. LA FONT.

3° Une suspension, un repos dans l’un des deux hémistiches fixe l’esprit sur cette partie du vers ainsi isolée. Cette coupe est propre à peindre un objet physique suspendu, ou une chute soudaine, ou une action interrompue tout à coup, ou un fait consommé en un instant.

Coupes dans le premier hémistiche.

COUPE APRÈS DEUX SYLLABES.

Il est une autre voie et plus sûre et plus prompte,

Que dans l’éternité j’aurais lieu de bénir,

La Mort ; et c’est de vous que je puis l’obtenir. CORN. Tout fuit, et sans s’armer d’un courage inutile, Dans le temple voisin chacun cherche un asile. RAC. J’entre. Le peuple fuit, le sacrifice cesse. !D. Henri vole à leur tête et monte le premier : Il monte, il a déjà, de ses mains triomphantes, Arboré de ses lis les enseignes flottantes. VOLT. COUPE APRES TROIS SYLLABES.

Il la suit, et tous deux, d’un cours précipité, De Paris à l’instant abordent la cité. BOIL.

Tu te souviens du jour qu’en Auiide assemblés, Nos vaisseaux par les vents semblaient être appelés ; Nous partions, et déjà par mille cris de joie, etc. RAC. Tout se tatt et moi seul, trop prompt à me troubler, J’avance des malheurs que je puis reculer. In. La fortune a, dit-on, des temples à Surate ; Allons là. Ce fut un de dire et s’embarquer. LA FONT. Les ligueurs devant lui demeurent pleins d’effroi ; Ils semblaient respecter leur vainqueur e~ leur roi Ils c~d<. Mais Mayenne à l’instant les ranime. VoLT. COOPE APRÈS QUATRE SYLLABES.

As-tu vu quelle joie a paru dans ses yeux f

Combien il est sorti satisfait de ma haine ? p

Que de mépris ! Ts. CORN.

Eh bien, allez ; sous lui fléchissez les genoux. BOIL. Que les peuples entiers dans te sang soient noyés Je veux qu’on dise un jour aux peuples effrayés .Il fut des Juifs RAC.

Si ma fille une fois met le pied en Aulide.

Elle est morte Calchas, qui l’attend en ces lieux. Fera taire nos pleurs, fera parler les dieux. !D.

Coupes dans le second /tdmM~C/t6.

COUPE APRÈS LA HUITIÈME SYLLABE.

.Désarmé, je recule, et rentre ; alors Orphise,

De sa frayeur mortelle aucunement remise. CORN. L’Attique est votre bien. Je pars, et vais pour vous Réunir tous les vœux partagés entre nous. RAC. Et périssez du moins en roi, s’il faut périr. In. I ! prend à tous les mains ; il meurt, et les trois frères Trouvent un bien fort grand, mais fort mêlé d’affaires. [LA FONTAINE.

La Harpe citeavec étogete passage suivant deRoucher

Mais trop souvent la neige, arrachée à la cime, Roule en bloc bondissant, court d’abtme en aMme, Gronde comme un tonnerre, et grossissant toujours, .A traversles rochersfracassés de son cours,

Tombe dans les volcans, s’y brise, et des campagnes Remonte en brume épaisse au sommet des montagnes. COUPE APRÈS LA NEUVIÈME SYLLABE.

Pour m’en éclaircir donc, j’en demande ; et d’abord Un laquais effronté m’apporte un rouge-bord. BOIL. Cependant le prélat, l’oeil au ciel, la main nue, Bénit trois fois les noms, et trois fois les remue ; Il tourne le bonnet, l’enfant tire, et Brontin

Est le premier des noms qu’amène le destin. lo. Chacun peut à son choix disposer de son âme La vôtre était à vous, j’espérais : mais enfin

Vous l’avez pu donner sans me faire un larcin. RAc. Le ciel brille d’éetairs,s’cn et parmi nous Jette une sainte horreur qui nous rassure tous. Je l’ai trouvé couvert d’une affreuse poussière,

Revêtu de lambeaux, tout p<~c ; mais son œit

Conservait sous la cendre encor le même orgueil. RAC. Poules, poulets, chapons, tout dormait. Le fermier, Laissant ouvert son poutaitter, etc. LA FONT.

Ce genre d’effet convient particulièrement dans les narrations etles descriptions

Tantôt un vaste amas d’effroyables nuages

S’élève, s’épaissit, se déchire, et soudain

La pluie à flots pressés s’échappe de son sein. DELILLE. COUPE APRÈS LA. DIXIÈME SYLLABE.

Ce soupir redouMé. N’achevez point altcz ; Je vous obéirai plus que vous ne voulez. CoRN. Et puis, quand le chasseur croit que son chien la pille, Elle lui dit adieu, prend sa M)Me, et rit

De l’homme qui, confus, des yeux en vain la suit. LA FONT. ’Vos tombeaux se rouvraient, c’en était fait ; Tarquin Rentrait, dès cette nuit, la vengeance à la main. VOLT. Les animaux ont fui, l’homme éperdu frissonne ; L’univers ébranlé s’épouvante. Le dieu

D’un bras étincelant dardant un traitde feu, etc. DELILLE. § 6. HARMONIE IMITATIVE RESULTANT DES ENJAMBEMENTS, DES REJETS.

L’enjambement reporte d’ans un, vers un ou plusieurs mots qui sont le complément’grammatical du vers précédent. Employé avec art, il est’une des ressources de l’harmonie imitative. On remarquera qu’il ne convient guère qu’a la poésie descriptive. ENJAMBEMENT’D’UNE SYU.ABE.

Viens, descends, arme-toi ; que ta foudre enflammée Frappe, écrase à nos yeux leur sacrilége armée. VOLT

Quelquefois l’un d’entre eux, vaincu du poids des grains Qu’il traîne en haletant aux greniers souterrains, Tombe ; et tout épuisé de force et de constance, etc. [ROUCHEH.

Comme on le voit dans ces exemples, et comme on le verra dans les suivants, l’enjambement consiste dans un verbe ; il est ordinairement adouci par la conjonction et, qui le suit immédiatement.

ENJAMBEMENT DE DEUX SYLLABES.

Des chantres désormais la brigade timide

S’écarte, et du palais regagne )e chemin. BOIL. Le chanoine, surpris de la foudre mortelle,

Se dresse, et lève en vain une tête rebelle. la. Un flot au loin blanchit, s’allonge, s’enfle et gronde ; Soudain le mont liquide, élevé dans les airs, Retombe un noir limon bouillonne sur les mers. DELIL. Il marche, et près de lui le peuple entier des mers Bondit, et fait au loin jaillir les flots amers. ID. ENJAMBEMENT DE TROIS SYLLABES.

Horace, les voyant l’un de l’autre écartés,

Se retourne, et déjà les croit demi-domptés. CoRN. Quand Boirude, qui voit que le péril approche, Les arrête ; et, tirant un fusil de sa poche, etc. BOIL. Là-dessus, maître rat, plein de belle espérance, Approche de l’écaille, allonge un peu le cou, Se sent pris comme aux lacs ; car l’huttre tout d’un coup Se referme. Et voilà ce que fait l’ignorance. LA,FonT. Il n’estpersonne qui ne sentecombien cet enjambement se referme présente une vive image de la chose. Vers la source sacrée où le fleuve repose

Il arrive ; il s’arrête, et tout baigné de pleurs, etc. DEL.

ENJAMBEMENT DE QUATRE SYLLABES.

L’aimable Bérénice entendrait de ma bouche

Qu’on l’abandonne 1 Ah t reine, et qui l’aurait pensé ? RAC. Le monstre, déployant ses ailes ténébreuses,

Vole au Cathay, s’abat sur ses villes nombreuses. RoucH. Remarque. Commenousl’avons dit, l’enjambement et le rejet frappent l’esprit, en détachant une portion du vers, qui ordinairement n’est point ainsi isolée. Dans certains genres qui admettent le mélange des mètres,’les poëtes produisent un effet analogue En rejetant un petit vers à la fin de la phrase. Nous par lerons plus bas de ce moyeu*.

CONCLUSION.

Nous avons insisté sur ces effets de l’harmonie imitative pour montrer que notre versification, qu’on accuse d’être timide, monotone, et qu’on a essayé, dans ces derniers temps, de dénaturer nar des licences exagérées, est, entre les mains des grands poëtes, hardie et variée, sans sortir toutefois des limites du goût. En français, comme dans les autres langues, la poésie ne produit l’harmonie imitative qu’en s’éloignant de ses habitudes. Elle n’a pascoutume de s’imposer le choix de telles lettres, de telles consonnances, de violer les règles de l’hiatus, de la césure ; de se permettre l’enjambement : quand elle le fait, son intention est d’autant plus frappante. Semblable aux autres arts.c’est par des procédés plus rares, c’est en 1. Page n~t. quelque sorte par des heurtements qu’elle ébranle d’une manière plus énergique.

Toutefois il ne faut pas abuser, de ces moyens : une recherche inconsidérée de l’harmonie imitative trahit l’affectation. Employés à propos, que les effets aient encore le mérite de ne rien présenter de forcé. Nous avons cité dans ce chapitre plusieurs exemples dignes d’éloge empruntés à Roucher ; mais la lecture de son poëme fatigue, parce qu’on y voit la perpétuelle contention d’un esprit qui court après les effets. Le génie trouve les beautés ; le faux goût les dénature en les outrant.



DEUXIÈME PARTIE.



CHAPITRE XIV
Vers de différentes mesures. — Leurs règles ; leur emploi.

§ 1. VERS ALEXANDRIN.


Nous avons exposé fort au long les règles du vers de douze syllabes ; il nous reste à dire les genres auxquels il convient.

Le grand vers est consacré à l’épopée ou poëme épique, à la tragédie, à la comédie.

On l’emploie plus souvent que tout autre pour la satire, l’églogue, le poëme didactique, le discours en vers et l’ancien sonnet.

Il sert aussi pour les stances, l’épître morale, l’élégie, l’épigramme.

Tous les autres vers dont nous allons parler sont soumis aux règles générales de la rime, de l’hiatus, de la succession des rimes. Nous ajouterons les observations particulières qui les concernent.


§ 2. VERS DE DIX SYLLABES.


Le vers de dix syllabes est aussi nommé decasyllabe, pentamètre, ou de cinq pieds.

Césure. — Ainsi que nous l’avons dit, ce vers a une césure obligée après la quatrième syllabe ou le second pied

Que du Seigneur )a voix se fasse entendre. J’ai vu )’impie)adoré sur la terre.RAC

Toutes les règles que nous avons données pour la césure du vers de douze, syllabes, sont applicables à celui de dix.

La césure est insuffisante dans’ les vers suivants Les forêts sont-des grands princes aimées. MAROT. Pour être à tous tes humains épanduo.

Que tout autour de moi tu viens étendre. In. ENJAMBEMENT. Le vers de cinq pieds est celui que Marot a employé le plus souvent. Cepoëte a consacré l’enjambement de deux pieds, ou le rejet de quatre syllabes

D’autant. que plus plaisent les. blanches roses, Que ~aM&fpM, plus j.’aimais à sonner

De la musette, et la 6s résonner, etc.

Cet enjambement esb non-seulement : u.ne des licences, mais un des agréments du &tyle :maro~M6. ;

Auprës des rois il est de pareils’fous’ : A vos dépens its font rire le ma !tre. Pour réprimer leur babil, irez-vous. Les maMrat~t’ ? Vous n’êtes, pas. peut-être~ Assez puissant. Il faut les engager

A s’adresser à qui peut se venger : LAFon’r ;. J’ai peu !oué. J’eusse mieux fait encore De louer moins. Non que pincer sans rire Soit de mon ~ou< je tiens qu’en fait’d’écrire, Le meilleur est de’rire sans pincer. Rouss.

Voltaire a manié ce style avec agrément, et a su en eproduire les allures

Quelle est plus loin cette autre dëité ?..

Mais dont l’air noble et la sérénité

Me plait assez.. Je vois à son côté

Un sceptre d’or, une splière, une épée ;,

Une balance. Elle tient dans sa main

Des manuscrits dont’eHe est occupée.

Tout l’ornement qui pare son blanc sein

Est une égide.

Mais il ne faut pas prodiguer cet enjambement s’Use présentai’tt’ropsouvent, il deviendraitfastidieux. ~cma~Me. Excepté ce cas, tous les autres enjambements, qui seraient condamnés dans levers alexandrin, devront l’être dans celui de dix syllabes. ACCENTS. Comme le vers alexandrin, le vers de dix syllabes a deux accents principaux, celui de la césure et celui de’la rime.

Il a de plus un-aecent’moMe, qui se place dans la seconde partie, sur la sixième, la septième ou la huitième syllabe’

J’ai vu l’impie adoré sur la terre. RAC.

Ma vie à peine a commencé d’éclore.

Et nous-portons la peine de leurs crimes. la.

La première partie du vers a quelquefois deux accents, mais plus souvent un seul.

1. La seconde partie de ce vers étant exactement un hémi. stiche de l’alexandrin, ce qui a été dit sur les accents de ce dernier est applicable ici. Voyez ci-dessus, p. 76 et suiv.

SA NATURE, SON EMPLOI. -Levers de dix syllabes n’offre pas les mêmes ressources que le vers alexandrin pour les coupes, les suspensions, en général les effets qui tiennent au rhythme ;maisitestsauvédela monotonie par l’inégalité de ses deux hémistiches. Moins majestueuxquele versde douze syllabes, il asur luil’avantaged’un mouvement plus vif et plus pressé dans le passage d’un vers à l’autre, et par là il semble mieux convenir à la poésie familière et légère*. On peut l’employer dans les épîtres, les contes, les ballades,les rondeaux,les élégies, lesépigrammes. les stances, les odes, les chansons, les satires et les sonnets.

Quelques poëmes didactiques, du dix-huitième siècle sont écrits en cette mesure.

Voltaire en a aussi fait usage dans plusieurs comédies.

S 3. VERS DE NEUF SYLLABES.

Le vers de neuf syllabes est peu usité, quoiqu’il ne manque pas d’harmonie.

Il a une césure obligée après la troisième syllabe : Belle Iris, ( malgré votre courroux,

Si jamais vous revenez à vous,

Vous rirez ; et j’engage ma foi

Qu’aussitôt vous reviendrez à moi. CHARLEVAL. On ne se doute guère que Racine ait fait des vers de neuf syllabes. On en trouve cependant quelquesuns dans son Idylle ~nr Paix

De ces lieux l’éctat et les attraits,

Ces fleurs odorantes,

1. Marmontel.

Ces eaux bondissantes,

Ces ombrages frais,

Sont des dons de ses mains bienfaisantes. Deces)ieuxjt’éc)atet)esattraits

Sont les fruits de ses bienfaits.

Enfin on lit les vers suivants dans Voltaire

Des destins la chaîne redoutable Nous entraîne à d’éternels malheurs ; Mais l’espoir, à jamais secourable, De ses mains viendra sécher nos pleurs. Dans nos maux il sera des délices Nous aurons de charmantes erreurs ; Nous serons au bord des précipices, Mais l’Amour les couvrira de fleurs. § 4. VERS DE HUIT SYLLABES.

Le vers de huit syllabes, qu’on nomme quelque fois vers de quatre pieds, et tous ceux qui en ont un nombre moindre, ne sont pas soumis à la règle de la césure.

H est un de nos plus anciens mètres ; on le trouve dans la plupart des vieux romans, conteset fabliaux. Il se prête à tous les tons il sert l’ëpître (sérieuse ou badine), à la poésie descriptive, à l’ode, aux stances, à l’élégie, au conte, aiachanson, al’épigramme, au rondeau. Il semble moins convenir à la ballade et au sonnet.

Dans les genres qui n’ont pas de repos exigés après un certain nombre de vers, comme Us le sontdans les stances, les odes et les chansons, le vers de huit syllabes peut se construire en périodes longues et pleines de nombre.

On en jugera par cet exemple de Bernis

J’espérais que l’affreux Borée

Respecterait nos jeunes fleurs, Et que l’haleine tempérée

Du dieu qui prévient les chaleurs Rendrait à la terre épiorée

Et ses parfums et ses couleurs ; Mais les nymphes et leurs compagnes Cherchent les abris des buissons ; L’hiver, descendu des montagnes, Souffle de nouveau ses glaçons, Et ravage dans les campagnes

Les prémices de nos moissons. Rentrons dans notre solitude,

Puisque l’aquilon dëchatné

Menace Zéphyre étonné

D’une nouvelle servitude ;

Rentrons, et qu’une douce étude Déride mon front sérieux.

Vous, mes Pénates, vous mes dieu : Écartez ce qu’elle a de rude,

Et que les vents séditieux

N’emportent que l’inquiétude,

Et laissent ~a paix en ces lieux.

Gresset surtout possède l’art de soutenir d’une

manière harmonieuse et variée une phrase qui a de l’étendue :

Des mortels j’ai vu les chimères :

Surleurs fortunes mensongères

J’ai vu régner la folle erreur ;

J’ai vu mille peines’cruëHes

Sous un vain masque de-bonheur, Mille petitesses réelles

Sous une écorçe de’grm)3eu !

Mille tachetés irtEdetës

Sous un coloris de ca.n

Et j’ai dit au fond démon cœar : Heureux qui, dans la paix seerëto D’une libre et sûre retraite,

Vit ignoré,content de ,peu,

Et qui ne se voit point sans cesse ’Jouet’de Taveugte déesse,

Oudupedeitia~eugte’dMu !

S 5. VERS ’DE ’SEPT ’S’Y’I1LA’EES.

Le vers de sept syllabes se ’vers de trois pieds et demi. Ses .aMritNitMms sonit peu près les mêmes que celles .Aa préeéd&tit. )R convient surtout à l’épitre familière, !au ’cantë, :a l’câe, à la chanson.

La Fontaine a fait plns’i&urs TaMes en vers de sept syllabes. Voici le commencement de celle qui a pour titre, Jupiter et ~ToMMtya.

Jupiter, voyant nos fautes, Dit un jour du haut’des airs ; : « Remplissons de nouveaux ’hôtea Les cantons de l’univers

Habités par cette race

Qui m’importune et mBttasse. Va-t’en, Mercure, auxfan’fMS ; Amène-moi la Furie

La plus cruelle des trois.

Race que j’ai trop chérie, Tu périras cette fois. :D

Jupiter ne tarda guère

A modérer son transport. 0 vous, rois, qu’il voulut fait’3 Arbitres de notre sort,

Laissez, entre la colère

Et l’orage qui la suit,

L’intervalle d’une nuit.

Chaulieu a su mettre dans ce vers, comme dans celui de quatre pieds, l’élégance et l’harmonie :

Mais où suis-je ? quelle ivresse Hors de moi m’a transporté ? R Quel bruit ! quel cri d’a))égresse, Sur l’aile des vents porté, Vient de frapper mon oreille Je vois du port de Marseille Tout le pompeux appareil, Et nos galères parées

Faire briller au soleil

Leurs magnifiques livrées. J’entends ces reines des mers Des cris de mille coupables Et de ces voix misérables

Former de charmants concerts, Je le vois ; sur sa galère

Ce général est monté

Déjà son humanité

Dans le sein de la misère Fait renaître !a gaité.

Ce demi-dieu secourablo

]. Le duc de Vendôme.

Vient, dans un séjour affreux,

D’unarrêtirrévocabte

Consoler les malheureux,

Sûrs que son coeur pitoyable

De leurs maux se touchera,

Et que, sensible à leurs peines, Ne pouvant briser leurs chalnes, Sa main les relâchera.

6. VERS DE SIX SYLLABES.

Le vers de six syllabes, ou de trois pieds, se joint ordinairement à de plus grands vers.

Félicité passée

Qui ne peut revenir,

Tourment de ma pensée,

Que n’ai-je, en te perdant, perdu le souvenir ? BERTA ! !T Je tomberai comme une fleur

Qui n’a vu qu’une aurore.

Hélasl si jeune encore,

Par quel crime ai-je pu mériter mon malheur ? RAC. Dans les odes, on le voit fréquemment entremê ! avec de plus longs mètres

Mais elle était du monde où les plus belles choses Ont le pire destin ;

Et, rose, elle a vécu ce que vivent les roses, L’espace d’un matin. MALH.

On le trouve tout seul dans le genre lyrique : Suivons partout ses pas

On ne peut la connaitre

1. Les pas de la Vertu.

Sans aimer .ses appas.

Le bonheur ne peut .être

Où la Vertu n’est pas. ’.QuiNA~ur.

La poésie légère, qui dnpe souvent ~e vers de sept syllabes et celui de cinq, n’emploie guère .celui de six. La raison en est, je pense, que le vers de trois pieds forme un hémistiche del’-alexandrin~et trompe l’oreille par cette ressemblance.

§ ’7. ’VERS DE CINQ SYLLABES.

Le vers de ’CMt~ syllabes, on ’3’e ’deux ’pieds’et demi, est, comme nous bavons dît, ’ptus usité que celui de trois pieds.

On le joint à des mètres plus Jongs, ou bien on l’emploie seul. Dans les deux.cas, il souvent des-tiné à la musique.

Dieu descend, et revi~nt’ha’biter parmi TMus Terre, frémis d’aUégresse et de crainte. ; Et vous, sous sa majesté sainte,

Cieux, abaissez-vous 1 RAC.

On le-trouve fréquemment dans Quina[f !t’ ;

Chantons tour à tour

:Dans ’ces Heux aimables,

Les dieux favorables y font ieur séjour ;

Les seuls traits d’.Amour Y sont redoutables.

Chantons tour à tour Dans ces lieux aimables.

Rousseau l’a employé avec bonheur aans sa can tate de Circé

Sa voix redoutable Trouble les enfers ; Un bruit formidable Gronde dans les airs ; Un voile effroyable Couvre l’univers ; La terre tremblante Frémit de terreur ; L’onde turbulente Mugit de fureur ; La lune sanglante Recule d’horreur.

On s’en sert aussi dans des pièces de longue haleine, particulièrement du genre descriptif. Madame Deshoulières l’a choisi pour son idylle allégorique, que tout le monde connaît :

Dans ces prés fleuris Qu’arrose la Seine, Cherchez qui vous mène, Mes chères brebis. J’ai fait pour vous rendre Le destin plus doux, Ce qu’on peut attendre D’une amitié tendre ; Mais son long courroux Détruit, empoisonne Tous mes soins pour vous ; Et vous abandonne Aux fureurs des loups. Seriez-vous leur proie, Aimable troupeau, Vous de ce hameau L’honneur et la joie ? etc.

A mesure que nous avançons, les mètres vont devenir d’un usage de plus en plus rare.

Le vers de quatre syllabes, ou de deux pieds, s’emploie tantôt seul, et tantôt se mélange avec de plus grands vers. Il convient au genre lyrique et au genre familier :

Repassez les monts et tes mers. RAC.

La Fontaine, qui a employé toutes les mesures, offre quelques vers de deux pieds

En danger, et n’ayant qu’une plume nouvelle. La pièce de Bernard intitulée ~s hameau est en vers de quatre syllabes

Cél&bre peintre paysagisLo.

§ 8. VERS DE QUATRE SYLLABES.

Rompez vos fers,

Tribus captives ;

Troupes fugitives,

Quant !a perdrix

Voit ses petits

Rien n’est si beau Que mon hameau. 0 quelle image)

Quel paysage

Fait pour Watteau~ Mon ermitage

Est un berceau

Dont le treillage

Couvre un caveau. Au voisinage,

C’est un ormeau, Dont le feuillage

On le trouve d’ordinaire mélangé à de plus grands vers :

Même il m’est arrivé quelquefois de manger Le berger.ID.

Ce mètre se trouve très-rarement employé seul. On va le voir dans une petite pièce adressée par Bertaut à maître Adam :

(1) Ce sera à ton préjudice,tu perdras.

(2) C’est-à-dire les vers de maître Adam, qui était de Nevers.

Prête un ombrage

A mon.troupeau ;

C’est un ruisseau

Dont l’onde pure

Peint sa bordure

D’un vert nouveau.

S 9. VERS DE TROIS SYLLABES.

La cigale ayant chanté

Tout l’été. LA FONT.

Maitre Adam, A ton dam 1 Si bientôt

De Bertaut

Tu ne vois

Le minois.

Le prix fait

D’un buffet

Ne vaut pas Un repas

Tel qu’ici

Sans souci

Tu l’auras,

Et verras

Des garçons

Sans façons,

Qui des vers

De Nevers 1

Aiment bien

L’entretien.

Le rabot

N’est qu’un sot Près d’un vin Tout divin.

Laisse là

Tout cela ;

Hâte-toi,

Et crois-moi.

Maître Adam a fait lui-même une pièce de cette mesure, laquelle a plus de cent vers.

§ 10. Vers de deux syllabes.

Ce vers, plus rare encore que les précédents, s’entremêle avec de plus grands mètres :

    Nous pouvons nous rendre sans bruit
Au pied de ce château dès la petite pointe
                 Du jour.
    La surprise à l’ombre étant jointe,
Nous rendra sans hasard maîtres de ce séjour. La Font.
    Que les champs libres on leur laisse
                 Un peu,
                 Je gage
    Qu’on verra, s’ils sortent de cage,
                 Beau jeu. Id.

On le trouve quelquefois seul dans des couplets :

                 J’aimai
                 Fatmé ;
                 Zulma
                 M’aima ;
                 Mais j’ai
                 Changé
                 Vingt fois
                 De lois. Servière.

§ II. Vers d’une syllabe.

Le vers d’une syllabe ou monosyllabe ne se trouve guère qu’entremêlé avec de plus grands mètres, dans des chansons badines. Marmontel cite ces vers :

  Quand il est venu,
Comme un enfant inconnu,
       Nu…

  Mon crédule cœur
N’a point de ce dieu trompeur
       Peur…
  Depuis ce jour-là
Ce feu caché me brûla
       Là.

On est étonné de l’aisance avec laquelle Panard place des vers monosyllabes :

Et l’on voit des commis
       Mis
  Comme des princes,
Qui jadis sont venus
       Nus
  De leurs provinces.




CHAPITRE XV.
Du mélange de différents mètres. — Vers libres.

On peut mélanger des vers de mesure inégale tantôt symétriquement, comme dans les stances et les strophes, dont nous parlerons plus loin, tantôt sans cadre régulier.

On appelle vers libres, poésie libre, des vers dans lesquels le poëte entremêle à son gré différentes mesures, sous la condition expresse de produire un ensemble bien cadencé. Racine, Quinault, Rousseau, dans la poésie noble ; la Fontaine, Chaulieu, Voltaire, dans le genre familier, ont particulièrement eu l’entente de ce genre de versification.

Comme modèle le plus parfait de vers libres, nous

t itérons les chœurs d’j&Mr et d’Athalie. H suffira tl’en transcrire un fragment.

J’ai vu l’impie adoré sur la terre :

Pareil au cèdre, il cachait dans les cieux

Son front audacieux

1) semblait à son gré gouverner le tonnerre,

Foulait aux pieds ses ennemis vaincus

Je n’ai fait que passer, il n’était déjà p !us. RAC. Les opéras de Quinault sont en vers libres. Ils offrent beaucoup de morceaux pleins de douceur ou d’élévation.Voici de ce poëte une tirade admirée par Voltaire. C’est Médée qui parle :

Sortez, ombres, sortez de la’ nuit éterneUe ;

Voyez le jour pour le troubler ;

Que l’affreux Désespoir, que la Rage cruelle

Prennent soin de vous rassembler.

Avancez, malheureux coupables,

Soyez aujourd’huidechainés ;

Goûtez l’unique bien des cœurs infortunés,

Ne soyez pas seuls misérables.

Ma rivale m’expose à des maux effroyabtes

Qu’elle ait part aux tourments qui vous sont destinés, Non, les enfers impitoyables

No pourront inventer des horreurs comparables Aux tourments qu’elle m’a donnés.

Goûtons l’unique bien des coeurs infortunés,

Ne soyons pas seuls misérables.

Rousseau, dans ses Cantates, a employé avec succès le système des vers libres. Voici le début de la Cantate de Ctfce.’

Sur un rocher désert, l’effroi de la nature,

Dont l’aride sommet semble toucher les cieux,

Circé, pâte, interdite, et la mort dans les yeux, Pleuraitsa funeste aventure.

Là ses yeux, errant sur les flots,

D’Ulysse fugitif semblaient suivre la trace.

Elle croit voir encor son volage héros ;

Et, cette illusion sou !ageant sa disgrâce,

EUe le rappelle en ces mots,

Qu’interrompent cent fois ses pleurs et ses sanglots. Les fables de la Fontaine sont un modèle de vers libres dans le genre familier.

OBSERVATIONS. Dans les vers libres, les rimes sont croisées, quelquefois redoublées.

Il y a antre les différents mètres des concordances et des discordances naturelles, que l’oreille apprécie. Les vers qui s’entremêlent avec le plus de grâce sont les vers de douze syllabes et de huit, les vers de douze et de six.

La cadence des vers de sept brise celle des vers de huit, et n’est point analogue à l’harmonie du vers de douze.’ les vers de sept ont une marche sautillante qui leur est propre, et ils veulent être isolés. En général, deux mètres dont l’un a une syllabe de plus ou de moins que l’autre ne peuvent être placés à la suite.Leplus court semble boiter dësagréabtement. Le vers de syllabes se mêle quelquefois au vers de douze, mais en laissant une mesure vide, ’ce qui est pénible à l’oreille, et ce mëhmge ne doit jamais avoir lieu dans la stance.

Le vers de dix ’syllabes Tte s’allie pas volontiers avec celui de huit.

Racine a entremêlé d’une manière peu harmonieuse des vers de sept syllabes avec des vers de huit : Où sont les traits que tu lances,

Grand Dieu, dans ton juste courroux ?

N’es-tu plus le Dieu jaloux ?

N’es-tu plus le Dieu des vengeances ?

HARMONIE IMITATIVE. On peut, par un habile mélange de différents mètres, produire l’harmonie imitative.

La Harpe loue ce mérite dans le passage suivant, de Racine

Dieu, descends, et reviens habiter parmi nous. Terre, frémis d’allégresse et de crainte ;

Et vous, sous sa majesté sainte,

Cieux, abaissez-vous.

« Sans parler, dit-il, de toutes les autres sortes de beautés, remarquons au moins quelque chose de l’artifice de la phrase harmonique, qui va sans cesse en décroissant, du premier vers, qui est de six pieds, au second, qui est de cinq, au troisième, qui est de quatre, au dernier enfin, qui est de deux pieds et demi, celui où les cieux s’abaissent, sans que jamais l’oreille sente ni saccade, ni secousse, tant le rhythme est ménagé pour l’effet, et tant l’effet est sensible. H ne fallait rien moins que ces conditions pour que ces quatres mètres différents fussent entremêlés un à un sans être désagréables.

J’ai vu l’impie adoré sur la terre

Pareil au cèdre, il cachait dans les cieux

Son front audacieux. RAC.

Ce dernier vers fait image.

La Fontaine, qui avait fait une étude approfondie de tous les secrets de la versification, a connu aussi ce moyen de frapper plus fortement l’esprit en rejetant un petit vers :

C’est promettre beaucoup ; mais qu’en sort-il souvent ?
                    Du vent…
L’homme au trésor arrive, et trouve son argent
                    Absent.

La Harpe fait remarquer le même artifice dans ce passage de Rousseau :

Lachésis apprendrait à devenir sensible,
Et le double ciseau de sa sœur inflexible
       Tomberait devant moi.

Quel tableau du moment où les divinités de l’enfer s’attendrissent ! Quel heureux accord de l’image qu’ils expriment avec le mouvement de la phrase ! Et comme elle tombe d’une manière admirable par ce vers pittoresque : Tomberait devant mot ! On voit tomber le ciseau. »




CHAPITRE XVI.
Des Stances, des Strophes.

Stance vient d’un mot italien qui signifie repos. D’après son étymologie, la stance est donc une suite de vers formant un sens complet.

On donne en particulier le nom de stances à une pièce de poésie composée d’un certain nombre de stances.

Les stances sont irrégulières ou régulières. Les premières reçoivent plus ou moins de vers ayant des mesures différentes et les rimes diversement entremêlées. Elles rentrent dans les pc~M&rM ; non n’avons pas à nous en occuper.

Les stances régulières présentent un nombre déterminé de vers, et assujettis, pour le mètre et pour le mélange des rimes, à une règle qui s’observe dam toute la pièce.

Dans l’ode les stances se nomment strophes, et couplets dans la chanson.

Dans les pièces de poésie intitulées stances, chaque stance n’a ordinairement que quatre, cinq ou six vers.

Nous ne nous servirons que du mot stance, qui est le plus général. Il sera bien entendu que, s’il s’agit .d’une ode, stance sera synonyme de strophe. Une stance s’.appelle ~M~raw, si elle a quatre vers ~M :am, si elle en a six’ ; Au~sm ou octave, si elle en a huit ; dixain ou dizain, si elle en a dix. Les stances peuvent employer un mètre unique, ou combiner ensemble différentes mesures. Nous appellerons isomètres les stances qui n’auront qu’un seul genre de vers

Les mesures qui se trouvent le plus souvent réunies dans les stances sont l’alexandrin mélangé avec le vers de .huit syllabes ou avec celui de six.

RÈGLES GÉNÉRALES.

1" Le sens doit être complet àla fin de chaque stance. 1. Quelques auteurs appellent quintil une stance de cinq ~ers. a. &o~~e,.mot)gMC’qui’Mg)M6e d’agate mesure.

2° Une stance ne doit pas se terminer par une rime de même nature que celle qui commence la stance suivante ; ou, ce qui revient presque toujours au même, une stance ne doit pas commencer et finir par des rimes de même nature’.

3° Comme les stances se terminent ordinairement par une rime masculine, elles commencent par une rime /emty ! !ne.

4° Elles ont nécessairement les rimes croisées. Quelquefois deux rimes plates sont mêlées à des rimes croisées.

5° Si une stance n’est pas isomètre, on n’y emploie généralement que deux mesures différentes. 6° II faut éviter que la rime qui termine une stance offre une consonnance à peu près semblable à la rime du vers suivant, ; comme si une stance finissait par le mot imprévu, et que la suivante commençât par le mot vue.

Les stances, depuis celles de quatre vers jusqu’à celles de dix, peuvent être très-variées et par le mélange des rimes et par les différents mètres qu’elles reçoivent. On peut même dire qu’il n’y a pas de bornes, sous ces deux rapports, à la liberté du poëte, pourvu toutefois que les règles générales soient respectées. Malherbe et Rousseau ont sans doute employé les combinaisons les plus harmonieuses mais ils ne les ont pas toutes épuisées. C’est l’oreille qu’il faut consulter dans les essais de ce genre. 1. I) faut cependant excepter le cas où la rime change de nature au commencement de chaque stance, comme on le verra dans un modèle de quatrain.

§1. TERCETS.

Malgré quelques tentatives faites au seizième siècle pour introduire dans notre poésie des stances, proprement dites, composées de trois vers, le tercet n’a point été adopté par l’usage.

Mais si le tercet ne forme pas individuellement un modèle de stances, il est assez fréquent dans le genre lyrique’.

Nous le voyons dans l’Esther de Racine

TOUT LE CHŒOR.

Le Dieu que nous servons est le Dieu des combats Non, il ne souffrira pas

Qu’on égorge ainsi l’innocence.

UNE ISttAËUTE, Mu !e.

Eh quoi ! dirait l’impiété,

Où donc est-il ce Dieu si redouté,

Dont Israël nous vantait la puissance

Et dans une cantate de Rousseau

Quel bonheur 1 quelle victoire) 1 Quel triomphe ! quelle gloire 1 Les Amours sont désarmés.

Jeunes cœurs, rompez vos chatnes Cessons de craindre les peines Dont nous sommes alarmés.

§ 2. STANCE DE QUATRE VERS.

Dans cette stance, comme dans toutes les autres, 1. Nous le verrons plus loin admis dans la stance de six vers et dans celle de dix.

on peut n’employer que des vers de même mesure. Nous commencerons toujours par les types qui seront isomètres.

1" MMC~C.

Les vers de sept syllabes, de huit, de dix et de douze, servent fréquemment à cette stance

Ruisseau peu connu, dont l’eau coule Dans un lieu sauvage et couvert, Oui, comme toi, je crains la foule, Comme toi, j’aime le désert.

Ruisseau, sur ma peine passée

Fais rouler l’oubli des douleurs,

Et ne laisse dans ma pensée

Que ta paix, tes flots et tes fleurs. Ducis.

Telle autour d’Ilion la mort livide et blême Moissonnait les guerriers de Phrygie et d’Argos, Dans ces combats affreux où le dieu Mars lui-même De son sang immortel vit bouillonner les flots. D’un bruit pareil au bruit d’une armée invincible Qui s’avance au signal d’un combat furieux, H ébranla du ciel la voûte inaccessible,

Et vint porter sa plainte au monarque des dieux. Rouss. 2’ modèle.

Dans les stances précédentes, les consonnances

masculines et féminines se succèdent alternativement. On peut aussi mettre au deuxième et au troisième vers des rimes de même nature dans ce cas, si une siance commence par une rime masculine, la suivante commencera par une rime féminine, et ainsi de suite.

Quel plaisir de voir les troupeaux,

Quand le midi brute l’herbette,

Rangés autour de la houlette,

Chercher le frais sous les ormeaux 1 Puis, sur le soir, à nos musettes

Ouïr r.épondre. tes coteaux,

Et retentir taus nos hameaux

Du hautbois et des chansonnettes ! CsAULiEU. Vous qui parcourez cette plaine,

Ruisseaux, coûtez plus tentement ;

Oiseaux ; chantez plus doucement ;

Zéphyrs, retenez votre ha)eine.

Respectez un jeune chasseur’

Las d’une course violente,

Et du doux repos qui l’enchante

Laissez-lui goûter la douceur. Rouss. 3° Hicde/f.

Vers alexandrins et vers de huit syllabes :Trop heureux qui du champ par son père laissé Peut parcourir au loi’n les. t’imites antiques, Sans redouter les cris de t’orphetih’ chassa Du sein de ses dieux domestiques ! Rouss. 4* modèle.

Guide notre âme dans ta coûte ;

Rends notre corps docile à ta divine loi ;

Remplis-nous d’un espoir que n’ébranle aucun doute, Et que jamais rërreur n’altère notre foi. RACINE. 5’ modèle.

Peuples, étevez vo&eonce< ;ts ;

Poussez des cris de joie et des chants de victoire

Voici le roi de l’univers

Qui vient faire éclater sa puissance et sa gloire. Rouss. 6*’nM)~e..

Où courez-vous, cruels ! Quet démon parricide Arme vos sacriléges bras ?

Pour qui destinez-vous l’appareil homicide

De tant d’armes et de soldats ? Rôuss.

7~ modèle.

Vers alexandrins et vers de six sylfabes. Voici les deux types principaux

Les troupeaux ont quitté leurs cabanes rustiques ; Le laboureur commence à lever ses guérets ;

Les arbres vont bientôt de leurs têtes antiques Ombrager les forêts. Rouss.

8’ modèle..

Mais elle était du monde où les plus belles choses Ont le pire destin

Et, rose, elle a vécu ce que vivent les roses,

L’espace d’un matin. MAijH.

§ 3. STANCE DE CINQ VERS.

Dans la stance de cinq vers L’une des deux rimes

est triple, tandis que L’autre n’est que double. Dans toute stance qui a un nombre impair de vers, il faut ainsi trois rimes semblables ; mais on ne les. p)aee jamais consécutivement.

1"’ modèle.

Du poëte de Sicile t

Qu’est devenu le hautbois,

La flûte et la douce voix

Dont Moschus dans une idylle

Chantait les prés et les bois ? CHAULIEU.

2° modèle.

Le volage amant de Clytie 1

Ne caresse plus nos climats,

Et bientôt des monts de Scythie

Le fougueux époux d’OriLhye

Va nous ramener les frimas. Rouss.

3* modèle.

Vers alexandrins et vers de huit syllabes Comment tant de grandeur s’est-elle évanouie ? Qu’est devenu l’éclat de ce vaste appareil ? Quoi ! leur clarté s’éteint aux clartés du soleil 1 Dans un sommeil profond ils ont passé leur vie, Et la mort a fait leur réveil. Rouss.

4’ mode/6.

Vers alexandrins et vers de six syllabes Que d’un rang usurpé tombe enfin dans la poudre Tout mortel insolent d’un bonheur odieux (1) Théocrite.

(2) Phébus. L’époux d’Orithye, Borée.

Il est un jour vengeur, un jour qui vient absoudre Des lenteurs de la foudre

La justice des dieux. LE BRUN

§ 4. STANCE DE SIX VERS.

La stance de six vers, qu’on nomme sixain, est celle que nos poëtes ont le plus souvent employée. Elle a beaucoup d’harmonie et admet de nombreuses combinaisons. Voici sa coupe la plus ordinaire elle prend un repos après le troisième vers, en sortequ’elle est partagée en deux tercets ; le premier vers rime avec le second, le’quatrième avec le cinquième, et le troisième avec le sixième. Plus rarement on la divise en un quatrain et un distique (réunion de deux vers). 1" modèle.

Tircis, il faut penser à faire la retraite

La course de nos jours est plus qu’à demi faite ; L’âge insensiblement nous conduit à la mort ; Nous avons assez vu, sur la mer de ce monde, Errer au gré des flots notre nef vagabonde

H est temps de jouir des délices du port. RACAN. La stance composée de six alexandrins était fort usitée à la fin du seizième siècle et dans le dix-septième. Il y a des sixains en vers de dix syllabes, de huit, de sept, etc.

(l) M. de Lamartine a empbyé cette stance, qui est trèsgracieuse

Mais ton cœur endurci doute et murmure encore Ce jour ne suffit pas à tes yeux révoltés ;

Et, dans la nuit des sens, tu voudrais voir éclore. De l’éternelle aurore

Les célestes clartés.

Si j.e ne loge en ces maisons dorées

Au front superbe, aux voûtes peinturées D’azur, d’émail et de mille couleurs

Mon oeit se ptattaux trésors de la plaine Riche d’œH)et5, de lis, de marjolaine,

Et du. beau teint des printanières fleurs. DESPCATES.

Les )ois de la mort sont fatales

Aussi bien aux maisons royates

Omaux tandis couverts de roseaux, 1 Tous nos jours sont sujets.aux Parques. ; Ceux des bergers et des monarques Son.t coupés des mêmes ciseaux., RACAN. 2’’ modc~.

Versatexandrins et vers de huit syllabes. Voici les principales combinaisons

Le temps fuit, dites-vous ; c’est lui qui nous convie A saisir promptement les douceurs de la vie ; L’avenir est. douteux, le présent est certain. Dans la rapidité : d’une course bornée,

Sommes-nous assez sûrs de notre destinée,

Pour la remettre au lendemain ? Rouss 3*M !0~

Seigneur, dans ta gloire adbrab !o Quel mortel est digne d’entrer ? Qui pourra grand Dieu, pénétrer Ce sanctuaire impènét.rabte

Où tes saints inclinés, d’un œit respectueux. Contemplent de ton’ front l’éclat majestueux Rous3. (1) On voit ici le repos après le quatrième vers.

4’mo~e/e.

Vers alexandrins et vers de six syllabes Voilà que ! fut celui qui t’adresse sa plainte Victime abandonnée à l’envieuse feinte,

De sa seule innocence il fut accompagné

Toujours persécuté, mais toujours ca !me et ferme. Et, surchargé de jours, n’aspirant plus qu’au term3 A leur nombre assigné. Rouss.

5’ modèle.

A l’aspect des vaisseaux que vomit te~osphore, Sous un nouveau Xerxès Téthys croit voir encore Au travers de ses flots promener les forêts ; Et le nombreux amas de lances hérissées, Contre le tiet dressées,

Égale les épis qui dorent nos guérets. Rouss. 6° Mtodc~c.

Je n’irais point, des dieux profanant la retraite, Dérober au destin téméraire interprète,

Ses augustes secrets ;

Je n’irais point chercher une amante ravie, Et, la lyre à la main, redemander sa vie

Au gendre de Cérès. Rouss.

7’ modèle.

L’ambition guidait vos escadrons rapides ;

Vous dévoriez déjà, dans .vos ~courses avides, Toutes les régions qu’éclaire le soleil

Mais le Seigneur se lève, il parte, et sa menaça

Convertit votre audace

En un morne sommeil. Rouss.

§ 5.STANCE DE SEPT VERS.

La stance de sept vers est composée d’un quatrain et d’un tercet une des rimes du premier passe dans le second. Quelquefois le tercet précède le quatrain. 1" moeM/e.

C’est ainsi que du jeune Atrido

On vit L’éloquente douleur

Intéresser dans son malheur

Les Grecs assemblés en Aulide,

Et d’une noble ambition

Armer leur colère intrépide

Pour la conquête d’Dion. Rouss.

2’ntod~e.

Suspends tes flots, heureuse Loire,

Dans ce vallon délicieux. :

Quels bords t’offriront plus de gloire Et des coteaux plus gracieux ?

Pactole, Méandre, Pénée,

Jamais votre onde fortunée

Necoula sous de ptus beaux cieux. GRESSET. 3’mod~e.

Vers de huit syllabes et vers alexandrins Ainsi que la vague rapide

D’un torrent qui coule à gcand bruit

Se dissipe et s’évanouit

Dans le sein de la terre humide ;

Ou comme l’airain enflammé

Fait fondre la cire fluide

Qui bouillonne à l’aspect du brasier aUumé. Rouss4* modèle.

Paraissez, roi des rois venez, juge suprême, Faire éclater votre courroux

Contre l’orgueil et le blasphème

De l’impie armé contre vous.

t.e Dieu de l’univers est le Dieu des vengeances Le pouvoir et le droit de punir les offenses

N’appartient qu’à ce Dieu jaloux. Rouss.

5° modèle.

Alexandrins et vers de six syllabes.

La terre ne sait pas la loi qui la féconde ;

L’Océan, refoulé sous mon bras tout-puissant, Sa :t-i) comment, au gré du nocturne croissant, De sa prison féconde

La mer vomit son onde,

Et des bords qu’elle inonde

Recule en mugissant ? DE LAMARTINE.

Remarque. La stance de sept vers est plus ordinairement isomètre.

§ 6. STANCE DE HUIT VERS.

Cette stance est composée de deux quatrains. Par les ravages du tonnerre

Nous verrions les champs moissonnés,

Et des entrailles de la terre

Les plus hauts monts ’déracinés

Nos yeux verraient leur masse aride,

Transportée au milieu des airs,

Tomber d’une chute rapide

Dans le vaste gouffre des mers. Rouss.

La stance de huit vers isomètres était fort en usage au seizième siècle, surtout en vers de huift syttabes. Aujourd’hui on ne l’emploie guère que pour les couplets de chansons.

Quelquefois on la composait entièrement d’atexandrins mais, en général, les stances isomètres en vers de douze syMabes ne doivent pas dépasser six vers. § 7. STANCE DE NEUF VERS.’

Cette stance se divise ordinairement en un quatrain, un tercet et un distique.

1" modèle.

Dans ces jours destinés aux larmes, Où mes ennemis en fureur

Aiguisaient contre moi les armes -De l’imposture et de l’erreur ;

Lorsqu’une coupable licence

Empoisonnait mon innocence,

Le Seigneur fut mon seul recours J’implorai sa toute-puissance’,

Et sa m~in vint à mon secours. Rouss.

(1) Cette stance est une stance de dix syllabes écourtée. Il manque ici une rim" en ance : à cela près, c’est la même coupe et la même harmonie.

2* modèle.

A vous’, l’Anacréon du temple, A vous, le sage si vanté,

Qui nous prêchez la volupté

Par vos vers et par votre exemple ; Vous dont le luth délicieux,

Quand la goutte au lit vous condamne, Rend des sons aussi gracieux

Que quand vous chantez la tocane’, Assis à la table des dieux VoLT. 3° modèle.

Vers de huit syllabes et vers alexandrin

Quand pourrai-je dire à l’impie Tremble, lâche, frémis d’effroi ; De ton Dieu la haine assoupie’ Est prête à s’éveiller sur toi. Dans ta criminelle carrière, Tu ne mis jamais de barrière Entre sa crainte et tes fureurs ; Puisse mon heureuse prière

D’un châtiment trop dû t’épargner les horreurs Rouss. § 8. STANCE DE DIX VERS.

La stance de dix vers, ou le dizain, a un repos bien marqué après le quatrième vers, et un autre, plus faible, après le septième, en sorte qu’elle est partagée en un quatrain et en deux tercets.

La stance isomètre de dix vers de sept ou de huit (1) A Chaulieu.

(2) Vin nouveau fait de la mère goutte. syllabes est la plus familière à nos odes et la plus majestueuse.

l"’ ?nod~e.

J’ai vu mes tristes journées

Décliner vers leur penchant Au midi de mes années

Je touchais à mon couchant.

La Mort, déployant ses ailes, Couvrait d’ombres éternelles

La clarté dont je jouis ;

Et, dans cette nuit funeste,

Je cherchais en vain le reste

De mes jours évanouis. Rouss. Fortune dont la main couronne Ces forfaits les plus inouïs,

Du faux éclat qui t’environne Serons-nous toujours éMouis ? Jusques à quand, trompeuse idole, D’un culte honteux et frivole

Honorerons-nous tes autels ?

Verra-t-on toujours tes caprices Consacrés par les sacrifices

Et par l’hommage des mortels ? ID. 2’ modèle.

Vers de huit syllabes et vers alexandrins Flambeau dont la clarté féconde

Fait vivre et mouvoir tous les corps ; i Qui, sans épuiser tes trésors,

Ne cesses d’enrichir le monde ; i

Doux père des fruits et des fleurs, ’Qui par tes fertiles chaleurs

Achèves leur vive peinture,

Éternel arbitre des jours,

Brillant époux de la nature,

SeM), adore Dieu qui gouverne ton cours. GODEAU. 3" modèle.

Ils chantent l’effroyable foudre

Qui, d’un mouvement si soudain,

Partit de ta puissante main

Pour mettre Pignerol en poudre ;

Ils disent que tes bataillons,

Comme autant d’épais tourbiHons,

Ebranlèrent le roc jusques dans ses racines ; Que même le vaincu t’eut pour libérateur, Et que tu lui bâtis sur ses propres ruines

Un rempart éternel contre l’usurpateur. CHAPELAIN. 4’ modèle.

\ers alexandrins et vers de sept syllabes Lorsqu’en des tourbillons de flamme et de fumée, Cent tonnerres d’airain, précédés des éclairs, De leurs globes brûlants renversent une armée ; Quand de guerriers mourants les sillons sont couverts

Tous ceux qu’épargne la foudre, Voyant rouler dans la poudre Leurs compagnons massacrés, Sourds à la pitié timide,

Marchent d’un pas intrépide Sur leurs membres déchirés. VoLT 5° modéle.

Trois mètres sont mélangés d’une manière très harmonieuse dans cette belle strophe de Le Brun

Tel qu’aux cris de l’oiseau ministre du tonnerre, Plus léger que les vents et plus prompt que l’éclair, Un aigle, jeuno encore, é)ance_ de la terre,

S’essaie à l’empire de l’air

En vain d’oiseaux jaloux une foule rivale

Veut le suivre, l’atteindre et voler son égate ; Vainqueur il disparaît, et plane au haut des cieux Tel, au cri d’Apollon, soudain brûlant de gloire, J’irais, j’irais saisir le prix de la victoire

Loin des profanes yeux.

Remarque. Les repos que nous avons indiqués pour la stance isomètre de sept ou de huit syllabes, et que l’on voit dans presque tous les exemples précédents, sont de rigueur aujourd’hui. Racan, un des élèves de Malherbe, passe pour l’avoir soumise à cette régie. Son maître n’adopta pas la réforme, et l’on continua encore dans ce siècle à partager la stance de dix vers en deux quatrains suivis d’un distique, ou en un quatrain, un distique et un quatrain, rhythmes moins variés et moins harmonieux

Les Parques d’une même soie Ne dévidèrent pas nos jours, Ni toujours par semblable voie Ne font les planètes leur cours. Quoi que promette la Fortune, A la fin, quand on l’importune, Ce qu’ette avait fait prospérer Tombe du faite au précipice, Et, pour l’avoir toujours propice, Il la faut toujours révérer. MALH.

Du temps de Louis XIII et de Louis XIV, on partageait assez souvent la stance de dix vers en un sixain et un quatrain. Cette méthode, plus heureuse que celle qui joint un distique à deux quatrains, aurait pu être consacrée mais la méthode usitée est encore préférable.

Racine n’avait pas dans l’oreille la véritable harmonie de ces strophes dans la même ode, il les coupe tantôtaprès le sixième vers, tantôt après le septième.

OBSERVATIONS GÉNÉRALES.

1° Nous aurions pu trouver dans les poëtes antérieurs au siècle de Louis XIV bien d’autres modèles de stances ; mais nous avons négligé toutes celles qui violaient la règle que nous avons donnée au commencement de ce chapitre, savoir que deux rimes de même nature ne doivent pas commencer et finir une stance. Cette règle, fondée sur un principe général, a été longtemps ignorée. Malherbe y a manqué dans les stances suivantes

Tel qu’au soir on voit le soleil

Se jeter aux bras du Sommeil,

Tel au matin il sort de l’onde.

Les affaires de l’homme ont un autre destin Après qu’ est parti du monde,

La nuit qui lui survient n’a jamais de matin. Jupiter, ami des mortels,

Ne rejette de tes autels, etc.

Cependant les couplets qui sont chantés sur une même mélodie doivent avoir tous au même vers des rimes de même nature, et dans ce cas l’on tolère que le poète s’écarte du précepte général.

Racine a mis, dans un chœur d’JT~/ter.

Rois, chassez la Calomnie Ses criminels attentats

Des plus paisibles États

Troublent l’heureuse harmonie. Sa fureur, de sang avide, Poursuit partout l’innocent. Rois, prenez soin de l’absent Contre sa langue homicide.

2° Nous avons dit que tes stances doivent être en

rimes croisées. Jusque Malherbe, cette nécessité ne fut pas bien reconnue.

Ce petit enfant Amour

Cueillait des fleurs à l’entour

D’une ruche où les avettes t

Font leurs petites logettes. RONSARD.

Cette ode gracieuse du même poète offre également des rimes plates :

Gentil rossignol passager, Qui t’es encor venu loger, Dedans cette fraîche ramée, Sur ta branchette accoutumée, Et qui nuit et jour de ta voix Assourdis les monts et les bois, Redoublant" la vieille querelle De Térée et de Phi)omè)e.

3° Les stances ne sont pas toujours terminées par un repos complet, marqué parun point. Quelquefois il (1) Abeilles.

(2) Répétant, redisant. n’y a qu’une simple suspension ; ce qui,a lieu lorsqu’on annonce un discours, lorsqu’on fait une énumération, lorsqu’on introduit une longue phrase secondaire, commençant ordinairement par si ou ~or~ue.

Ainsi nous voyons dans Rousseau

Déesse des héros’, qu’adorent en idée

Tant d’illustres amants, dont l’ardeur hasardée Ne consacre qu’à toi ses vœux et ses efforts Toi qu’ils ne verront point, que nul n’a jamais vue, Et dont pour les vivants la faveur suspendue Ne s’accorde qu’aux morts

Vierge non encor née, en qui tout doit renaître, etc. Voici encore un exemple du même poëte

Si du tranquille Parnasse

Les habitants renommés

Y gardent encorleur place,

.Lorsque leurs yeux sont fermés ; Et si, contre l’apparence,

Notre farouche ignorance

Et nos insolents propos,

Dans ces demeures sacrées,

De leurs âmes épurées

Troublent encor le repos ;

Que dis-tu, sase Malherbe,

De voir tes mattres proscrits, etc.

4° DE L’EMPLOI DES DIFFÉRENTES STANCES. Le

poëte peut n’être guidé dans le choix des stances que par le sentiment de l’harmonie. Mais d’autres fois (1) La Postérité. son dessein est plus déterminé il doit choisir son rhythme non pas seulement pour flatter l’oreille, mais d’après le caractère des idées qu’il veut exprimer. En général, les stances dont les vers sont courts et peu nombreux conviennent aux sujets légers, aux peintures riantes ; au contraire, les stances qui ont beaucoup de vers, ou des vers d’une longue mesure, offrent une gravité plus propre à rendre des pensées élevées, des tableaux magnifiques.

La Harpe loue Rousseau d’avoir ainsi approprié ses stances à l’objet qu’il traitait. H cite la suivante Seigneur, dans ta gloire adorable

Quel mortel est digne d’entrer ? p

Qui pourra, grand Dieu, pénétrer

Ce sanctuaire impénétrable,

Où tes saints inclinés, d’un oeil respectueux, Contemplent de ton front l’éclat majestueux ? ’t Ces deux alexandrins, dit-il, où l’oreille se repose après quatre petits vers, ont une dignité conforme au sujet.

Dans la stance suivante, trois hexamètres se traînent lentement et se laissent tomber pour ainsi dire sur un vers qui n’estque la moitié d’un alexandrin I[ n’est plus, et les dieux, en des temps si funestes, N’ont fait que le montrer aux regards des mortels. Soumettons-nous allons porter ces tristes restes Au pied de leurs autels. Rouss.

La Harpe approuve encore le choix des mètres dans les stances célèbres que Malherbe adresse à Du Perrier, pour le consoler de !a perte de sa jeune fille

Ta douleur, Du Perrier, sera donc éternelle, Et les tristes discours

Que te met dans l’esprit l’amitié paternelle

L’augmenteronttoujoure ?

Ce petit vers qui tombe régulièrement après le premier, peint bien l’abattement de la douleur. 5° Du MÉLANGE DES STANCES. Quelquefois le poëte lyrique emploie alternativement diverses stances.

Ainsi nous lisons dans Le Franc de Pompignan

Inspire-moi de saints cantiques, Mon âme, bénis le Seigneur.

Quels concerts assez magnifiques, Quels hymnes lui rendront honneur q L’éclat pompeux de ses ouvrages, Depuis la naissance des âges,

Fait l’étonnement des mortels ; Les feux célestes le couronnent, Et les flammes qui l’environnent Sont ses vêtements éternels.

Ainsi qu’un pavillon tissu d’or et de soie,

Le vaste azur descieux sous sa main se déploie ; Il peuple leurs déserts d’astres étincelants. Les eaux autour de lui demeurent suspendues ; Il foule aux pieds les nues,

Et marche sur les vents.

D’autres fois, à certaines stances on fait succéder,

dans la même pièce, des stances d’un autre système. Ce changement a lieu quand le poëte entre dans un nouvel ordre d’idées, et qu’il juge un autre rhythme plus propre à les exprimer.

eift.

TABLE DES MATIÈRES.

PREMIÈRE PARTIE.

Chapitres. Pages.

I. De la Quantité syllabique ; manière de scander les vers ; vers de différentes mesures 1

II. De la Césure 11

III. De la Rime [18]

IV. De l’Hiatus [35]

V. De l’Élision, de la Synérèse 39

VI. De l’Enjambement 43

VII. De la succession des Rimes 45

VIII. Des Licences poétiques 49

Licences d’orthographe 50

IX. Licences de construction ; — Inversion 54

X. Licences de grammaire 63

XI. De l’Harmonie 69

XII. Du Nombre, de la Cadence, du Rhythme 76

XIII. De l’Harmonie imitative 80

DEUXIÈME PARTIE.

XIV. Vers de différentes mesures. — Leurs règles ; leur emploi 97

XV. Du Mélange de différents mètres. — Vers libres 111

XVI. Des Stances, des Strophes 115

FIN DE LA TABLE DES MATIÈRES.



PARIS. IMPRIMERIE EMILE MARTINET, RUE MIGNON, 2
  1. Monosyllabe, d’une seule syllabe ; disyllabe, de deux syllabes ; trisyllabe, de trois syllabes ; polysyllabe, de plusieurs syllabes. En écrivant disyllabe, trisyllabe, et non dissyllabe, trissyllabe, comme on le fait ordinairement, nous avons égard à l’étymologie.
  2. C’est-à-dire monosyllabe ou disyllabe.
  3. Le mot ancien n’a pas la mesure bien fixée, et les grands poëtes ont évité d’en faire usage. Primitivement ce mot était trisyllabe : le siècle de Louis XIV n’osa ni suivre cet exemple, ni le réformer.
        Voltaire fait une remarque judicieuse sur ce vers de Corneille :
    J’ai su tout le détail d’un anci-en valet.
        « Ancien de trois syllabes rend le vers languissant ; ancien de deux syllabes devient dur. On est réduit à éviter ce mot, quand on veut faire des vers où rien ne rebute l’oreille. Néanmoins l’on fait généralement aujourd’hui ce mot de deux syllabes.
  4. L’interjection ouais est aussi monosyllabe :
        Ouais ! quel est donc ce trouble où je le vois paraître ? Mol.
  5. Ajoutez le mot souhait et ses composés.
  6. On dit qu’un vers n’est pas sur ses pieds quand il n’a pas le nombre exigé de syllabes.
  7. Ce vers a pris son nom d’un ancien poëme dont Alexandre est le héros.
  8. On nomme aussi mètre la mesure totale d’un vers. On dit : écrire dans tel mètre, c’est-à-dire adopter telle mesure de vers.
  9. Quoique le vers alexandrin puisse se couper en différents endroits et par conséquent avoir différentes césures, nous entendrons par ce mot la césure par excellence, c’est-à-dire celle de l’hémistiche ; de même, dans le vers de dix syllabes, la césure sera toujours le repos placé après le quatrième pied.
  10. Tous ces exemples sont pris dans les Plaideurs.
  11. A la fin des mots, l’h n’est aspirée que dans les trois interjections ah ! eh ! oh ! suivant la grammaire de M. l’abbé Régnier.(D’Olivet.)
        Du reste, elles sont souvent confondues avec ha, hé, ho, qui ont l’h aspirée :

    Ho, ho, monsieur. — Tais-toi, sur les yeux de ta tête. Rac.
    Ho, ho, le grand talent que votre esprit possède ! Mol.
        Ho ! ho ! dit-il, voilà bonne cuisine. La Font.

  12. D’ailleurs, l’orthographe même nous montre que l’élision n’est point ici praticable ; car elle ne permet pas d’écrire : voyez-l’en passant, comme elle ordonne d’écrire l’homme.
  13. Dans les Plaideurs.
  14. L’abbé d’Olivet, blâmant la même élision, produit l’autorité de Racine, qui, dans la Thébaïde, avait dit :
           Accordez-le à mes vœux, accordez-le à mes crimes.
    et qui substitua dans une seconde édition :
           Ne le refusez pas à mes vœux, à mes crimes.
  15. Alexandre.
  16. Cependant on ne trouve pas je sui, je fui.
  17. Cela avait lieu même pour la prose. On lit dans tous les imprimés de cette époque : croy, voy, vien, etc.
  18. Cours de Littérature, t. VIII, p. 188 (éd. in-18).
  19. Marmontel.
  20. L’inversion, dont nous venons de parler, est bien déjà une licence relative à la grammaire ; mais son importance exigeait un chapitre à part.
  21. 1. Aussi ne put-il jamais.
  22. Il prend deux pailles.
  23. D’où, en conséquence.
  24. A l’égard de cela, pour cela.
  25. Il n’y a pas du tout de nouveauté, il n’y a rien de nouveau.