Petit cours d’histoire de Belgique/p06/ch2

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Maison d'édition Albert De Boeck (p. 112-119).



CHAPITRE II

Charles-Quint.

(1515-1555)

§ 1. — Ses États.


Charles-Quint, fils de Philippe le Beau et de Jeanne d’Espagne, vit le jour à Gand, le 25 février de l’an 1500. « Il naquit sur un trône, dit un historien, au pied de deux trônes. » Prince des Pays-Bas à sa majorité (1515)[1], — souverain d’Espagne, de Naples et du nouveau monde, comme héritier de Ferdinand d’Aragon et d’Isabelle de Castille (1516), — archiduc d’Autriche à la mort de son aïeul Maximilien (1519), Charles ceignit bientôt, la couronne impériale d’Allemagne, et le prince belge put dire avec orgueil : « Le soleil luit toujours sur mes états. »

§ 2. — Affaires extérieures.


1. Quatre guerres contre François Ier.1o François Ier avait aussi ambitionné le diadème impérial. Il avait, comme son heureux rival, dépensé des sommes folles Pour s’assurer les suffrages des électeurs allemands[2]. Irrité de son insuccès, il revendiqua le royaume de Naples, et déclara la guerre à Charles-Quint. Celui-ci trouva un puissant allié dans le roi d’Angleterre, Henri VIII, dont le roi de France avait blessé la vanité, dans la célèbre entrevue du Camp du Drap d’or : une criante injustice de François Ier amena aussi la trahison de son plus illustre capitaine, le connétable de Bourbon, qui passa au service de l’empereur. Bourbon remporta la victoire de Biagrasse, où périt Bayard « le chevalier sans peur et sans reproche », et chassa les Français de l’Italie. François Ier y étant bientôt rentré avec une armée, subit une sanglante défaite à Pavie, en 1525 : il dut remettre son épée au chevalier belge, Charles de Lannoy, après s’être vaillamment défendu. Le soir, il écrivit à sa mère cette phrase célèbre : « Tout est perdu fors l’honneur. »

Le roi de France fut retenu un an captif ; il ne recouvra sa liberté qu’en signant le traité de Madrid, dont les clauses étaient très onéreuses (1526).

2° À peine libre, le roi chevalier refusa d’exécuter des engagements qu’il avait jurés par les serments les plus solennels. Il se vantait pourtant « d’estimer plus sa parole que l’empire de l’univers ». Il s’empressa de conclure une alliance avec l’inconstant et frivole Henri VIII et le pape, et la guerre fut reprise. L’empereur triompha de la ligue. Bourbon pénétra en Italie et fit le siège de Rome. Comme il montait à l’assaut, il tomba frappé d’une balle, mais ses soldats prirent la ville et la pillèrent affreusement. De nouveaux revers contraignirent François Ier à solliciter la paix. Charles-Quint la désirait de son côté, car les Turcs en ce moment même envahissaient l’Autriche. Elle fut conclue à Cambrai par Louise de Savoie, mère du roi de France, et Marguerite d’Autriche, tante de l’empereur. La paix des Dames fixait la rançon de François Ier à 2.000.000 d’écus d’or.

3° En 1536, François Ier étonna l’Europe par une alliance qui, à cette époque, parut criminelle. Fils aîné de l’Église, en sa qualité de roi de France[3], il s’unit contre l’empereur à Soliman II le Magnifique, le plus redoutable et le plus illustre sultan des Turcs. Charles avec 60. 000 hommes envahit aussitôt la Provence ; les Français, incapables de lui tenir tête, ravagèrent eux-mêmes cette belle province, détruisant les habitations et les récoltes, faisant partout le désert devant l’armée de Charles-Quint. Celui-ci, privé de vivres, dut rentrer en Italie au bout de deux mois. Pendant ce temps, les Turcs, suivant le plan convenu avec François Ier, dévastaient toutes les côtes d’Italie. Le pape intervint auprès du prince Français, et sa médiation mit fin à la guerre.

4o Le roi de France rouvrit pourtant une quatrième fois les hostilités. Ce fut en 1542, après le désastre de Charles-Quint devant Alger. Deux agents secrets de la France avaient été assassinés en Italie : ce fait lui servit de prétexte pour justifier sa nouvelle agression. Mais Charles-Quint avait reconquis l’alliance de Henri VIII. Il s’avança par la Champagne jusqu’à Crespy, à deux journées de marche de Paris. Le roi de France vaincu implora la paix. Par le traité de Crespy, en 1544, il renonça à toute suzeraineté sur la Flandre et l’Artois.

1. Guerres contre François Ier.1o François Ier, qui avait en vain sollicité le diadème impérial, déclara la guerre à Charles-Quint. Vaincu et fait prisonnier à Pavie, en 1525, le roi de France fut retenu un an captif, et dut signer l’onéreux traité de Madrid en 1526.

2o Libre, le roi chevalier méconnut ses engagements bien qu’il « estimât plus sa parole que l’empire de l’univers ». La guerre fut reprise ; mais les succès de l’empereur amenèrent la paix des Dames ou de Cambrai, en 1529.

3o François Ier, fils aîné de l’Église, conclut alors une alliance avec le sultan Soliman II le Magnifique. La guerre, qui recommença en 1536, fut bientôt terminée grâce à l’intervention du pape.

4o Enfin, en 1542, après l’échec de l’Empereur devant Alger, le roi de France rouvrit une dernière fois les hostilités. Mais il fut réduit à merci, par la coalition de Charles avec le roi d’Angleterre, Henri VIII. Par la paix de Crespy. en 1544, il renonça à toute suzeraineté sur la Flandre et l’Artois.

2. Guerres contre les Turcs. — Soliman II le Magnifique, vainqueur de la Hongrie, était venu camper sous les murs de Vienne en 1529. Après vingt assauts inutiles, il dut se retirer devant les forces imposantes de Charles-Quint.

En 1535, celui-ci se couvrit de gloire par la prise de Tunis, où il délivra 20.000 chrétiens captifs.

Mais son expédition de 1541, contre les pirates d’Alger, finit par un désastre.

§ 3. — Affaires intérieures.


1. Révolte à Gand. — Marie de Hongrie, sœur de Charle-Quint, était devenue gouvernante des Pays-Ras, à la mort de Marguerite d’Autriche, en 1530. Lors de la troisième guerre avec la France, elle demanda des subsides, que les Gantois seuls refusèrent, en alléguant le mauvais état de leurs finances. Ils offraient d’ailleurs, suivant l’ancienne coutume, un contingent de milices pour la défense du pays. La gouvernante s’opposant à cet arrangement, la ville en appela à l’empereur lui-même. Celui-ci fit déférer l’affaire an Grand Conseil de Malines, qui donna tord aux Gantois. Alors, des troubles agitèrent la cité. La haute bourgeoisie voulait s’incliner devant l’arrêt du Grand Conseil ; mais les petites gens des métiers s’y refusèrent. Ces creissers ou braillards en arrivèrent à de déplorables excès : ils se saisirent de plusieurs magistrats, et le grand doyen Liévin Piin, bien qu’âgé de 75 ans, fut cruellement torturé, puis décapité. L’empereur s’empressa d’accourir de l’Espagne, et, sur l’invitation pressante de François Ier, il traversa la France et s’arrêta sept jours à Paris, où de grandes fêtes furent célébrées en son honneur. De nobles seigneurs français engageaient vivement le roi à violer sa parole, et à retenir Charles-Quint prisonnier. — L’empereur est plus fou que moi ! s’écriait de son côté le fameux Triboulet, bouffon du roi. — Et si je le laisse passer que diras-tu ? lui demande François Ier. — À la place de son nom, je mettrai le vôtre ! répond le fou. Le roi cependant fut loyal, et Charles arriva à Bruxelles, d’où il se diriggea sur Gand avec 10.000 hommes.

La ville ne se défendit pas. L’empereur y entra « le glaive d’une main et l’épée de l’autre ». Aussitôt il rassembla le conseil de la Toison d’or, pour délibérer sur le sort de la cité rebelle. Le duc d’Albe, dit-on, opina pour une destruction complète, mais Charles-Quint le conduisit sur le haut du beffroi et, lui montrant de là cette ville superbe et glorieuse : « Combien faudrait-il de peaux d’Espagne, dit-il, pour faire un Gand comme celui-ci ? La sentence de l’empereur fut dure néanmoins : seize bourgeois périrent par la hache ; les chartes de la ville furent anéanties et remplacées par une constitution nouvelle, la Caroline, qui restreignait considérablement ses privilèges ; enfin l’empereur frappa la ville d’une amende de 150.000 florins, qui servit à l’érection d’une citadelle. Il en posa solennellement, la première pierre avant son départ, sur l’emplacement de l’ancienne abbaye de Saint Bavon. — Ce fut le dernier épisode du long combat livré aux libertés communales, par le pouvoir despotique désormais triomphant.

1. Révolte à Gand. — La gouvernante des Pays-Bas, Marie de Hongrie, avait demandé en 1536 un lourd subside pour la troisième guerre avec la France. Les Gantois en refusèrent le payement, mais ils offrirent toutefois un contingent de milice pour la défense du pays. La gouvernante ayant rejeté leur proposition des troubles sanglants se produisirent dans la ville. Charles-Quint arriva aussitôt d’Espagne par Paris, et se rendit à Gand, où il entra sans lutte, « l’épée d’une main et le glaive de l’autre ». Il restreignit les privilèges de la ville : une amende de 150.000 florins servit à l’érection d’une citadelle, et seize bourgeois périrent par la hache.

2. Lutte contre les protestants. — En 1518, le moine allemand Martin Luther, professeur à l’université de Wittenberg, émit des propositions contraires aux dogmes de l’Église catholique. Ce hardi novateur niait la valeur des indulgences, et déclarait qu’il fallait supprimer la confession, la messe et les vœux monastiques. Ses idées, répandues partout grâce à l’imprimerie, trouvèrent de nombreux partisans, et bientôt l’Allemagne presque entière les adopta. Le pape Léon X excommunia Luther, en 1520, mais celui-ci brûla solennellement la bulle pontificale sur la place publique de Wittenberg.

Cependant l’empereur voulait maintenir l’unité religieuse dans ses États, car il craignait que ceux qui se soulevaient contre l’autorité de l’église, ne devinssent aussi rebelles à son pouvoir. C’est pourquoi à la diète[4] de Worms, en 1521, Luther fut mis au ban de l’empire[5], et l’empereur publia des édits d’une sévérité extrême contre les partisans de la religion nouvelle. Ces placards, qui devinrent de plus en plus rigoureux, portaient la peine de mort contre les coupables : les hommes devaient périr par le glaive ou par le feu, et les femmes être enterrées vives. Le redoutable tribunal de l’Inquisition recherchait les hérétiques et instruisait leur procès. Les dénonciateurs n’étaient pas connus, ils recevaient une partie des biens des condamnés. Un historien affirme que, sous Charles-Quint, ce tribunal envoya 50.000 personnes au supplice dans les Pays-Bas.

Mais en Allemagne, les placards ne purent être appliqués : les réformés ou protestants[6] avaient constitué la puissante ligue de Smalkalde, tandis que l’empereur devait combattre pendant vingt ans les Français et les Turcs. Après la paix de Crespy, en 1544, Charles-Quint fit secrètement des préparatifs formidables pour soumettre les luthériens. Ceux-ci levèrent aussitôt quatre vingt mille hommes. Néanmoins l’empereur les vainquit à Mühlberg, en 1547. Mais ensuite, grâce à la trahison de Maurice de Saxe, grâce à l’appui de Henri II, successeur de François Ier, les réformés contraignirent l’empereur à leur concéder la liberté religieuse par la Transaction de Passau, en 1552. Pendant ce temps la religion nouvelle, plus ou moins modifiée, avait gagné la Suisse, la Scandinavie, le Danemark et l’Angleterre. Tous ces pays refusèrent désormais de reconnaître l’autorité du pape. Cette fameuse révolution religieuse s’appelle la Réforme.

2. Luttes contre les protestants. — En 1517, le moine allemand Luther enseigna des doctrines contraires aux dogmes de l’Église catholique. Excommunié par le Pape, il vit l’Allemagne presque entière adopter ses idées. L’empereur publia vainement les édits plus rigoureux contre les luthériens ou protestants. Aussi, en 1546, il rassembla des troupes pour les soumettre par la force. Il les vainquit d’abord ; mais ensuite, grâce à la trahison de Maurice de Saxe, grâce à l’appui du roi de France Henri II, les réformés contraignirent l’empereur à leur concéder la liberté religieuse.

§ 4. — Abdication de Charles-Quint.


À cette époque, Charles-Quint, frappé d’une caducité précoce, n’était plus qu’un vieillard débile. Son corps était ruiné par le travail et les fatigues, et aussi, il faut bien le dire, par une intempérance indigne de lui. Il résolut de céder à de plus jeunes épaules, le lourd fardeau des affaires. Le 25 octobre 1555, en présence de la reine Marie de Hongrie, en présence des chevaliers de la Toison d’or et des états généraux assemblés au palais de Bruxelles, Charles-Quint légua solennellement à son fils Philippe II, la souveraineté des Pays-Bas. Ce fut un spectacle inoubliable que cette renonciation volontaire d’un homme qui avait régi le monde, et qui, par une fortune merveilleuse, avait pu concevoir un instant le projet grandiose d’une monarchie universelle.

L’année suivante, il lui céda l’Espagne, et transmit la couronne impériale à son frère Ferdinand.

S’embarquant alors à Flessingue, il se rendit au couvent de Yuste, en Estramadure, où il voulut finir dans la solitude son orageuse carrière. « C’était un délicieux asile et bien fait pour les méditations d’une grande âme, que ce monastère caché, comme un nid dans un buisson de figuiers, d’orangers et de plantes aromatiques, et protégé par d’épaisses forêts de marronniers contre la bise du nord ou les trop vives ardeurs du soleil[7] ». Les moines, prévenus depuis longtemps des intentions de l’empereur, avaient construit pour son usage un pavillon spécial, meublé avec un luxe royal.

Charles-Quint, devenu l’hôte du couvent, suivait exactement les offices religieux, mais n’observait en rien les règles de la vie monastique. Passionné pour la mécanique, il fabriquait des horloges et réglait les pendules du couvent, plaisantant sur la difficulté qu’éprouvait à les faire marcher d’accord, celui qui si longtemps avait présidé aux destinées du monde. Parfois il admettait de grands personnages à l’entretenir des affaires politiques, surtout de celles des Pays-Bas.

Il conçut, dit-on, dans ses derniers jours, l’idée bizarre d’assister à ses propres funérailles. « Dans la chapelle tendue de noir, à la lueur funèbre des cierges, on dressa son catafalque. Tout autour pleuraient ses serviteurs en deuil ; le prêtre récitait l’office des morts au milieu des larmes de l’assistance ; et Charles, enveloppé d’un grand manteau, vint contempler cette douleur fictive. »

Le 21 septembre 1558, l’empereur sentit venir l’heure suprême ; il s’assit sur son lit, disant : « Voici le moment ! » Un instant plus tard, Charles-Quint n’était plus.

Le 25 septembre 1555. Charles-Quint céda, solennellement à son fils, la souveraineté des Pays-Bas.

En 1556, il lui légua l’Espagne et transmit la couronne d’Allemagne à son frère Ferdinand.

Ce prince illustre alla finir dans le repos du cloître une vie si prodigieusement tourmentée ; il se retira au couvent de Yuste, solitude pittoresque et paisible de l’Estramadure et y mourut en 1558.

  1. Ce fut sous le règne de Charles Quint que s’acheva la concentration des XVII provinces des Pays-Bas.
  2. Le Collège des Electeurs, qui décernait la couronne Impériale, comprenait sept membres : les archevêques de Cologne, de Mayence et de Trêves, le roi de Bohême, le comte palatin du Rhin, le duc de Saxe et le margrave de Brandebourg.
  3. Depuis Clovis.
  4. La diète germanique comprenait trois chambres ou colèges : 1er le collège des électeurs ; 2e le collège des princes ; 3e le collège des députés des villes impériales ou villes libres.
  5. C’est-à-dire déclaré déchu de tous ses droits et banni de l’empire.
  6. Le nom de protestants fut donné aux luthériens, en 1529, à la suite de leurs protestations contre les arrêts de la diète de Spire.
  7. Hymans.