Plaidoyer pour Q. Roscius le comédien (trad. Paret)

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Plaidoyer pour Q. Roscius le comédien (trad. Paret), Texte établi par NisardGarnier2 (p. 63-77).


PLAIDOYER POUR Q. ROSCIUS LE COMÉDIEN.

DISCOURS TROISIÈME.


ARGUMENT.

C. Fannius Chéréa, Grec d’origine, affranchi d’un certain C. Fannius, dont il avait pris le nom, suivant l’usage, avait confié au célèbre comédien Roscius un esclave nommé Panurge. Roscius devait l’instruire dans son art, et partager avec Chéréa le fruit du talent de son esclave. Panurge avait fait des progrès, et son titre d’élève de Roscius lui attirait la faveur du public, lorsqu’il fut tué par Flavius de Tarquinies. Roscius, voulant intenter un procès à Flavius, chargea Fannius de poursuivre l’affaire commune. Pendant l’instruction, Roscius transigea avec Flavius pour une indemnité de cent mille sesterces (vingt mille cinq cents francs). La somme ne lui fut pas comptée, mais il reçut en payement une terre qui avait peu de valeur à cette époque, où la domination de Sylla ne permettait à personne de compter sur la jouissance durable de ses biens. Ensuite, à la sollicitation de Pison, que Fannius avait choisi pour arbitre, Roscius fit à son associé l’abandon d’une somme pour les peines qu’il s’était données a l’occasion du procès, à la condition cependant que s’il obtenait lui-même une indemnité de Flavius, il la partagerait avec Roscius. Fannius accepta et promit. Il poursuivit Flavius, prit pour juge, dans cette affaire particulière, C. Cluvius, chevalier romain, et obtint de son adversaire une somme de cent mille sesterces qu’il garda pour lui seul. Non content de n’avoir pas rempli la convention, il imagina, quatre ans après, d’attaquer Roscius en justice, et de réclamer moitié de la valeur que la terre se trouvait avoir alors acquise. Flavius était mort dans l’intervalle. Fannius prétendait que Roscius avait transigé au nom de la société, avec l’intention de le priver de la part d’indemnité qui lui revenait légitimement. Le préteur renvoya l’affaire devant C. Calpurnius Pison, à qui l’arbitrage en avait été soumis trois ans auparavant (Pison fut élu consul neuf ans après ce procès, l’an 686, et fit alors passer la sévère loi Calpurnia, sur la brigue). Il avait pour assesseur M. Perpenna, qui avait été censeur et consul, et qui, en mourant à quatre-vingt-dix-huit ans, ne laissa après lui dans le sénat que sept des sénateurs qu’il avait choisis pendant sa censure. Plin. VII, 48. Val. Max. VIII, 13, 4.

L’affaire fut plaidée l’an de Rome 677, sous le consulat de Cn. Octavius et de M. Scribonius Curion. Quatre ans auparavant, Cicéron avait défendu Sextus Roscius Amérinus : il avait employé l’intervalle à voyager en Grèce et en Asie, et demandait alors la questure, dans la trente et unième année de son âge.

Les prétentions de Fannius furent soutenues par Saturius dont Cicéron a vanté ailleurs l’esprit, l’activité et la vertu.

Cicéron gagna sa cause. Il démontra aux juges que Fannius avait été, comme Roscius, indemnisé par Flavius de la perte qu’il avait faite.

À peine la sixième partie de ce discours est-elle parvenue en entier jusqu’à nous : il manque l’exorde, la narration, la plus grande partie de l’exposé des preuves et la péroraison.

Sur le comédien Q. Roscius Gallus, le seul qui parût digne, par son talent, de monter sur la scène, et, par sa vertu, de n’y monter jamais (pro Quint. II, c. 25), on peut consulter avec fruit, outre de nombreux passages de Cicéron, Horace, Epist. II, 1, 81 ; Pline, VII, 39 ; Quint., XI, 3 ; Macrobe, Saturn., III, 14 ; Athénée, liv. XIV ; Plutarque, Vie de Cicéron ; et, parmi les modernes, Desjardins, Addend. V ; mais surtout le savant abbé Fraguier, Recherches sur la vie de Roscius, lues le 23 février 1717, à l’Académie des inscriptions.


Lacune considérable.

I. Sa perfidie est connue, et on le croirait ? … C’est assurément un homme d’une haute vertu et d’une bonne foi sans égale, qui veut, dans sa propre cause, s’appuyer du témoignage de ses propres registres. Quand on présente les livres d’un homme de bien pour prouver la réalité d’une dépense, on a coutume de dire : Aurais-je pu corrompre un tel homme, et lui faire inscrire, dans mon intérêt, un faux sur son journal ? Je m’attends à voir bientôt Chéréa nous tenir ce langage : Comment cette main perfide, comment ces doigts auraient-ils pu se prêter à inscrire une fausse dette ? Si Chéréa produit son registre, Roscius aussi produira le sien. La dette sera sur l’un, mais elle ne sera pas sur l’autre. Pourquoi croira-t-on le premier plutôt que le second ? Chéréa, direz-vous, aurait-il inscrit la dette sur son livre sans l’autorisation de Roscius ? Mais Roscius, s’il l’avait permis, n’aurait-il pas écrit l’article sur le sien ? En effet, s’il est déshonorant de porter sur son registre ce qui n’est pas dû, il est déloyal de ne pas y consigner sa dette, et l’on condamne également les livres où le vrai ne se trouve pas, et ceux où se trouve le faux. Mais dans la confiance que m’inspirent les puissants moyens de ma cause, voyez jusqu’où je m’avance : Si C. Fannius produit un registre de recette et de dépense tenu par lui, pour lui et à son gré, je consens à ce qu’il ait gain de cause. Quel est le frère ou le père dont la déférence pour son frère ou son fils irait jusqu’à reconnaître tout ce qu’il aurait porté sur son registre ? Eh bien ! Roscius le reconnaîtra ; produisez vos livres. Ce que vous croyez, il le croira lui-même ; ce qui vous semblera prouvé, il le regardera comme tel. Tout à l’heure, nous demandions à M. Perpenua les registres de P. Saturius ; maintenant, L. Fannius Chéréa, nous ne demandons que les vôtres, nous les demandons avec instances, et nous consentons à être jugés sur cette preuve. Mais pourquoi ne pas les produire ? Est-ce que Chéréa ne tient pas de journal ? Au contraire, il y met un grand soin. Peut-être n’y inscrit-il pas les faibles créances ? Toutes les sommes y sont portées. Est-ce là une dette si insignifiante et si légère ? Mais il s’agit de cent mille sesterces. Comment une somme aussi forte n’est-elle pas inscrite à son rang ? Comment cent mille sesterces ne sont-ils pas portés sur un livre de recette et de dépense ? Dieux immortels ! se peut-il qu’il y ait au monde un homme assez hardi pour oser réclamer une créance qu’il n’a pas osé inscrire sur son registre ? Pour demander avec serment en justice ce qu’il n’a pas voulu porter sur son livre, quand il n’avait aucun serment à prêter ? Pour vouloir persuader à autrui ce qu’il ne peut se prouver à lui-même ?

II. Il dit que je suis trop prompt à m’indigner, à l’occasion de ses registres ; il avoue qu’il n’a point porté cette créance sur son livre de recette et de dépense, mais il assure que ses brouillons font foi. Êtes-vous donc assez épris de vous-même et assez présomptueux pour réclamer de l’argent en vertu, non de vos registres, mais de quelques notes éphémères ? Invoquer comme un titre le témoignage de son journal, est une prétention ridicule ; mais produire des brouillons confus et chargés de ratures, n’est-ce pas de la folie ? Si ces feuilles supposent le même soin, ont la même valeur et la même autorité que des registres, pourquoi prendre la peine de tenir des livres, d’y tout inscrire en observant le plus grand ordre, de faire enfin que le souvenir en soit durable ? Mais si c’est en raison du peu de confiance accordé au journal que nous tenons des livres, regardera-t-on devant le juge comme authentique et sacré ce qui est partout ailleurs sans valeur et sans poids ? Pourquoi donc alors écrivons-nous ces feuilles avec négligence, et pourquoi rédigeons-nous nos registres avec un soin minutieux ? Pourquoi ? c’est que les premières ne sont que pour le mois, et les autres pour toujours. On déchire le journal, on conserve religieusement le registre ; l’un représente le souvenir d’un moment, l’autre est un dépôt sacré qui assure fidèlement et à jamais la réputation d’un homme de bien. Dans l’un tout est confus, dans l’autre tout est dans un ordre parfait. Aussi n’a-t-on jamais présenté à des juges un simple journal, mais bien des livres et des registres.

III. Vous-même, Pison, avec la probité, la vertu, la sagesse et l’autorité qui vous distinguent, vous n’oseriez réclamer de l’argent, de simples notes à la main. Quant à moi, je ne dois pas insister plus longtemps sur un point démontré par l’usage. Mais je demande, et cela est essentiel dans la cause : Depuis quand, Fannius, avez-vous porté cette créance sur vos brouillons ? Il rougit, il ne sait que répondre : un mensonge ne lui vient pas assez vite. Il y a deux mois, direz-vous. Mais encore fallait-il, depuis ce temps, l’inscrire sur votre registre. Il y a six mois passés. Pourquoi alors la laisser si longtemps confiée à de simples feuilles ? Mais s’il y avait plus de trois ans ? Comment, quand tous ceux qui tiennent des registres y reportent, presque chaque mois, le compte de leur recette et de leur dépense, vous laissiez cette créance plus de trois ans sur votre journal ? Vos autres créances ont-elles été portées sur votre registre, oui ou non ? Si vous ne l’avez pas fait, comment rédigez-vous vos livres ? Si vous l’avez fait, pourquoi, en inscrivant par ordre les autres dettes, laissiez-vous celle-ci qui était particulièrement importante, plus de trois ans sur des feuilles volantes ? Vous ne vouliez pas qu’on sût que Roscius avait des dettes : pourquoi l’écriviez-vous ? Roscius vous avait prié de ne pas l’enregistrer : pourquoi gardiez-vous les notes sur lesquelles vous aviez inscrit la dette ? Quoique ces raisons soient sans réplique, je ne suis point encore satisfait que je ne prouve, par le témoignage de L. Fannius, que Roscius ne lui doit rien. C’est une grande tâche ; c’est une promesse difficile à remplir. Eh bien ! si Fannius n’est pas à la fois l’adversaire et le témoin de Roscius, je veux que Roscius soit condamné.

IV. On vous devait une somme fixe, que vous demandez maintenant devant un juge, en consignant un tiers de la somme suivant la loi. Si donc vous avez demandé un sesterce de plus qu’il ne vous était dû, vous avez perdu votre cause : car un jugement et un arbitrage sont deux choses fort différentes : le juge prononce sur une somme fixe ; l’arbitre, sur une somme incertaine. Dans un jugement, il s’agit de la somme totale à gagner ou à perdre ; dans un arbitrage, il ne s’agit ni de perdre tout, ni d’obtenir autant que l’on a demandé. Les termes mêmes de la formule en sont la preuve : celle du jugement est précise sévère et simple : S’il est prouvé gué cinquante mille sesterces sont dus. Si le demandeur n’établit pas clairement que la dette est exactement de cette somme, il perd sa cause. La formule de l’arbitrage est douce et modérée : Il faut donner ce qui est le plus juste et le plus raisonnable. Ici le demandeur avoue qu’il réclame plus que la somme due, mais il se déclare pleinement satisfait de ce qui lui sera alloué par l’arbitre. Ainsi, l’un a confiance dans sa cause, l’autre ne l’a pas. Dans cet état de choses, dites-moi, Fannius, pourquoi, demandeur de cette créance, de ces cinquante mille sesterces, et sur la foi de vos registres, vous vous êtes engagé dans un compromis et un arbitrage dont le but était d’apprécier ce qu’il serait plus juste et plus raisonnable de vous faire donner ou promettre de nouveau ? Qui avez-vous eu pour arbitre ? Que n’est-il à Rome ! Il y est. Que n’est-il présent à la cause ! Il est présent. Que n’est-il un des assesseurs de Pison ! C’est Pison lui-même. Comment avez-vous pris le même homme pour arbitre et pour juge ? Après lui avoir donné, comme arbitre, un pouvoir sans bornes, vous l’avez enfermé dans l’étroite formule d’un jugement prononcé sur une consignation ? Qui jamais a obtenu d’un arbitre autant qu’il demandait ? Personne. En effet, on ne pouvait espérer de lui que ce qu’il était raisonnable d’accorder. Cette créance que vous avez soumise à l’arbitre, vous venez la soumettre au juge. Ordinairement, quand on voit sa cause compromise devant le juge, on a recours à l’arbitrage ; Fannius a osé venir de l’arbitre au juge, lui qui en prenant un arbitre, pour décider, d’après l’authenticité de ses registres, de la somme contestée, a jugé lui-même qu’on ne la lui devait pas. Voilà deux points suffisamment éclaircis : Fannius avoue qu’il n’a pas compté la somme ; il ne dit pas l’avoir portée en dépense, puisqu’il ne le prouve par aucun livre. Reste à dire que c’est une condition stipulée. Car je ne vois pas d’ailleurs à quel titre il peut réclamer une somme déterminée. Vous avez stipulé ? Où ? Quel jour ? Dans quel temps ? Devant qui ? Quel témoin déclare que j’en ai pris l’engagement ? Personne.

V. Quand je m’arrêterais ici, je croirais avoir fidèlement rempli mon devoir, assez débattu et fixé la cause, avoir expliqué la formule, la consignation, et éclairé le juge sur les motifs qui l’obligent à prononcer en faveur de Roscius. Ou demande une somme déterminée, on a consigné le tiers. Cette somme a été nécessairement ou comptée, ou portée en dépense, ou promise par stipulation. Fannius convient qu’il ne l’a point comptée ; ses registres prouvent qu’elle n’a pas été portée en dépense ; le silence des témoins ne permet pas d’admettre qu’elle ait été stipulée. Que pouvons-nous donc vouloir de plus ? Le voici : Le défendeur est un homme qui a toujours regardé l’argent comme peu de chose, et sa réputation, comme un bien sacré ; nous avons un juge dont nous sommes aussi jaloux de posséder l’estime que d’obtenir un jugement favorable ; la réunion des hommes distingués qui daignent nous appuyer ici de leur présence, mérite d’être respectée par nous à l’égal d’un autre juge ; pour ces motifs, nous traiterons un dernier point avec autant de scrupule que si tous les intérêts de la justice légale, tous ceux d’un arbitrage, tous les devoirs de la société, étaient compris et renfermés dans cette question. Ce que j’ai dit jusqu’à présent était de nécessité ; ce que je vais dire sera volontaire. Je parlais au juge ; maintenant je parle à Pison. J’ai plaidé pour le défendeur, je plaiderai pour Roscius. J’ai soutenu sa cause, à présent je soutiens son honneur.

VI. Fannius, vous demandez de l’argent à Roscius : quel argent ? Parlez hautement et sans feinte. Cet argent vous le doit-il en vertu de l’association ? ou bien sa générosité vous l’a-t-elle promis, et fait espérer d’avance ? Il y aurait d’un côté quelque chose de plus grave et de plus odieux ; de l’autre, moins d’importance et de difficulté. Une somme due en vertu de l’association ? Que dites-vous ? C’est une imputation sur laquelle il ne faut point passer légèrement, et dont on doit se justifier avec soin. S’il existe des causes privées qui intéressent essentiellement l’honneur, je dirais presque l’existence, ce sont les causes où il s’agit d’abus de confiance, de tutelle, de société. Car c’est également une perfidie abominable de violer la foi promise, lien de la vie civile, de frustrer l’orphelin dont on a reçu la tutelle, et de tromper l’associé avec lequel on s’est uni d’intérêt. Dans cette situation, voyez quel est homme qui a frustré, qui a trompé son associé : sa vie passée va nous fournir un témoignage muet, mais sûr et authentique, pour ou contre lui. Q. Roscius, que dites-vous ? comme des charbons ardents qui s’éteignent et se refroidissent dès qu’on les a plongés dans l’eau, les traits les plus ardents de la calomnie, lancés sur la vie la plus pure et la plus innocente, ne tombent-ils pas, ne s’éteignent-ils pas à l’instant ? Roscius a trompé son associé ? un tel homme peut-il être soupçonné d’un tel crime ? Un homme qui, je le dis avec confiance, réunit dans sa personne encore plus de vertus que de talents, plus de vérité que de savoir, lui en qui le peuple romain admire l’homme plus que l’acteur ; qui honore le théâtre par son talent, autant qu’il honorerait le sénat par ses mœurs irréprochables. Mais qu’ai-je besoin de parler ainsi de Roscius devant Pison ? Il semble que je fasse l’éloge d’un inconnu. Est-il un homme au monde pour qui vous ayez plus d’estime ? En est-il un en qui vous reconnaissiez plus de pureté, plus de réserve, plus d’humanité, plus de dévouement pour ses amis, une âme plus généreuse ? Et vous, Saturius, qui parlez ici contre lui, avez-vous de lui une autre opinion ? Toutes les fois que son nom vous est venu à la bouche, dans cette cause, n’avez-vous pas dit que c’était un homme de bien ? Ne l’avez-vous pas nommé avec les marques de respect réservées aux personnages les plus honorables, ou à nos amis les plus chers ? Je vous ai trouvé alors d’une étrange inconséquence, de louer ainsi le même homme, en lui disant des injures ; de le traiter à la fois d’homme de bien et de scélérat ; de le nommer avec les égards et les éloges dus au vrai mérite, et de l’accuser d’avoir volé son associé. Mais, je le vois, cet hommage vous était dicté par la vérité, et l’accusation, par la complaisance. Vous faisiez l’éloge de Roscius d’après vous-même, et vous plaidiez la cause sous l’influence de Chéréa.

VII. Roscius a volé son associé : absurde imputation qui blesse à la fois les oreilles et les idées de tout le monde ! Quand même cet associé eût été quelque riche, timide, imbécile, inactif, incapable de soutenir un procès, la chose serait encore incroyable. Mais voyons, quel est l’homme victime de la fraude. Roscius a volé L. Fannius Chéréa. Je vous en prie et vous en conjure, vous qui les connaissez tous deux, comparez leur vie passée ; vous qui ne les connaissez pas, regardez-les en face l’un et l’autre : voyez Chéréa la tête et les sourcils rasés : cet extérieur ne sent-il pas la malice raffinée, et ne proclame-t-il pas la perfidie ? Depuis les pieds jusqu’à la tête (s’il est permis de juger les hommes sur leur extérieur muet), cet homme tout entier ne semble-t-il pas un composé de fraude, de supercherie et de mensonge ? Il a toujours la tête et les sourcils rasés, pour qu’on ne dise pas qu’il ait la moindre apparence d’un homme de bien. Roscius le représente souvent sur la scène, d’une manière admirable, et il était en droit d’en attendre plus de reconnaissance. Quand il joue le rôle de Ballion, cet infâme et parjure marchand d’esclaves, c’est Chéréa qu’il joue. Ce personnage ignoble, impur, odieux, c’est Chéréa, ce sont ses mœurs, c’est son caractère, c’est sa conduite ; et il ne peut avoir d’autre raison de croire que Roscius lui ressemble en fraude et en malice, que de s’être vu si fidèlement imité par lui dans le rôle du marchand esclaves. Aussi, Pison, considérez, je vous prie, considérez l’accusateur et l’accusé : Roscius a volé Fannius : qu’est-ce à dire ? C’est l’homme probe, honnête, irréprochable, sans malice et plein de généreux sentiments, qui aura volé le malhonnête homme, le vicieux, le parjure, le fripon, l’homme avide d’argent : c’est chose impossible à croire. Si l’on disait que Fannius a volé Roscius, on penserait aisément, d’après l’idée qu’on a du caractère de chacun d’eux, que Fannius a fait la chose par méchanceté, et que Roscius s’est laissé tromper par imprudence. Mais aussi, par la même raison, lorsqu’on accuse Roscius d’avoir trompé Fannius, on ne pourra croire que Roscius ait rien convoité par avarice, ni que Fannius ait rien perdu par un excès de facilité.

VIII. Voilà le point de départ : examinons le reste. Roscius a volé à Fannius cinquante mille sesterces : par quel motif ? Je vois sourire Saturius, qui se croit un habile homme. C’est, dit-il, pour avoir ses cinquante mille sesterces. J’entends ; mais cependant je demande pourquoi Roscius en avait une si grande envie ? car assurément, ni vous Perpenna, ni vous L. Pison, ne vous seriez déterminés, pour pareille somme, à tromper votre associé. Je puis donc demander pourquoi elle aurait séduit Roscius. Était-il dans le besoin ? Non, il était riche. Avait-il des dettes ? Au contraire, il possédait des fonds considérables. Était-il avare ? Nullement ; car avant même de devenir riche, il fut toujours le plus libéral et le plus généreux des hommes. Dieux immortels, lui qui refusait dans une autre occasion de gagner trois cent mille sesterces (et il pouvait et devait obtenir cette somme, puisque Dionysia s’est bien engagée pour deux cent mille), il aura voulu s’en approprier cinquante mille au prix d’une fraude coupable, par méchanceté, par perfidie ! Le premier gain était immense, honorable, flatteur, hors de toute contestation ; celui-ci est minime, sordide, désagréable, litigieux, et dépendant d’un jugement. Dans les dix années qui viennent de s’écouler, Roscius aurait pu très-honorablement se faire six millions de sesterces. Il ne l’a pas voulu. Il a accepté la fatigue, il a refusé le salaire. Il n’a point cessé de travailler aux plaisirs du peuple romain, et il a cessé depuis longtemps de travailler à sa fortune. Feriez-vous jamais cela, vous, Fannius ? Et si vous pouviez espérer de pareils profits, ne seriez-vous pas infatigable, sauf à rendre l’âme, en jouant votre rôle ? Venez dire maintenant que Roscius vous a volé cinquante mille sesterces, lui qui a refusé des sommes immenses, non par aversion pour le travail, mais par une noble générosité.

Ai-je besoin maintenant, Perpenna et Pison, d’ajouter les réflexions que vous faites sans doute vous-mêmes ? Roscius vous trompait dans une affaire de société : il est des lois, des formules de procédure qui ont prévu tous les cas. On ne peut se tromper ni sur la nature du fait, ni sur la manière de se pourvoir. On trouve dans l’édit du préteur les formules générales qui doivent diriger chaque particulier dans sa poursuite, suivant le dommage, la douleur, l’incommodité, le malheur où l’injustice dont il a eu à souffrir.

IX. Puisqu’il en est ainsi, pourquoi, je vous le demande, n’avez-vous pas appelé Q. Boscius en arbitrage, comme votre associé ? Vous ignoriez la formule ? Elle est cependant bien connue. Vous ne vouliez pas exposer Roscius à un jugement grave pour son honneur ? Pourquoi ? À cause de votre ancienne liaison ? Pourquoi donc l’insultez-vous ? À cause de sa probité sans tache ? Mais pourquoi le calomniez-vous ? L’accusation vous paraissait grave ? En vérité ? Vous n’auriez pu le faire condamner par un arbitre à qui il appartenait de prononcer sur cette affaire, et maintenant vous le feriez condamner par le juge qui n’a point les pouvoirs d’un arbitre ? Fannius, portez votre plainte où elle peut être reçue, ou du moins ne la présentez pas ici mal à propos. Mais au surplus, cette plainte est anéantie par votre propre témoignage. Car du moment que vous n’avez pas voulu profiter de la formule dont je parle, vous avez laissé voir que Roscius ne pouvait être accusé comme associé. Il a fait un accord, dites-vous : avez-vous des registres, oui ou non ? Si vous n’en avez point, où est l’accord ? Si vous en avez, que ne les produisez-vous ? Dites maintenant que Roscius vous a prié de choisir un de ses amis pour arbitre : il ne vous en a pas prié. Dites qu’il a fait un accord pour se délivrer du procès : il n’a point fait d’accord. Demandez pourquoi il n’a pas eu à subir de jugement ? Parce qu’il était innocent et irréprochable. En effet, que s’est-il passé ? Vous venez de vous-même chez Roscius, vous lui faites satisfaction pour votre imprudente conduite ; vous le priez d’informer le juge de votre désaveu, et de vous pardonner ; vous déclarez que vous ferez défaut ; vous criez bien haut qu’il ne vous doit rien de la société : Roscius informe le juge ; il est délivré de toute poursuite. Et vous osez parler encore de vol et de fraude ? Il persiste dans son effronterie. C’est, répète-t-il, qu’il avait fait un accord avec moi. Apparemment pour n’être pas condamné. Mais pourquoi aurait-il craint d’être condamné ? La chose était manifeste, le vol était prouvé.

X. Et quel était ce vol ? Ici Saturius, d’un ton solennel entame le récit de la société formée au sujet du fameux histrion. Fannius, dit-il, avait un esclave nommé Panurge. Il le mit en communauté avec Roscius. Déjà Saturius se plaint bien fort que Roscius partage gratuitement la possession d’un esclave que Fannius seul avait payé de ses deniers. En effet, cet homme libéral, qui ne sait pas compter, cet homme d’une bonté prodigue, a fait présent de son esclave à Roscius. Je le crois. Mais puisque Saturius a un peu insisté sur ce point, je dois aussi m’y arrêter un instant. Vous dites, Saturius, que Panurge était la propriété de Fannius. Eh bien ! moi, je prétends qu’il était la propriété de Roscius seul. Qu’est-ce qui appartenait à Fannius ? son corps. À Roscius ? son talent. Sa figure n’était rien, le talent seul avait son prix. Ce qui appartenait de lui à Fannius ne valait pas cinquante mille sesterces, ce qui appartenait à Roscius en valait plus de cent mille. Car ce n’était pas son extérieur que l’on considérait ; on ne l’appréciait que par son mérite d’acteur. L’homme ne pouvait par lui-même gagner plus de douze as ; l’art que Roscius lui avait enseigné ne se payait pas moins de cent mille sesterces. Société frauduleuse et inique, où l’un ne met que cinquante mille, quand l’autre met cent mille ! À moins cependant que votre regret ne soit d’avoir tiré cinquante mille sesterces de votre caisse, tandis que Hoscius en offrait cent mille du fruit de ses leçons et du talent qu’il avait créé. Qu’attendait-on, qu’espérait-on de Panurge ? Quel motif d’intérêt ou de faveur apportait-il au théâtre ? Il était élève de Roscius. Ceux qui chérissaient le maître s’intéressaient à l’élève ; ceux qui admiraient le premier, applaudissaient le second ; en entendant le nom de Roscius, on ne doutait pas du talent et de l’habileté de Panurge. Tel est le vulgaire ; il juge rarement d’après la vérité, et souvent d’après l’opinion. Fort peu de gens remarquaient ce que savait Panurge ; tous demandaient où il avait appris : on pensait que rien de mauvais ou de faible ne pouvait sortir de l’école de Roscius. S’il lut venu de celle de Statilius, eût-il mieux joué que Roscius lui-même, il n’aurait pas obtenu un regard. En effet, s’il est possible qu’un père sans probité ait un fils honnête homme, on ne croit pas qu’un méchant bouffon puisse former un bon comédien. Panurge paraissait meilleur encore qu’il ne l’était, parce qu’il avait eu Roscius pour maître.

XI. La même chose est arrivée dernièrement au sujet du comédien Ëros. Cet acteur, chassé du théâtre par les sifflets et les cris des spectateurs, se réfugia chez Roscius, comme au pied d’un autel, se mit sous sa discipline, sous son patronage et la protection de son nom. Ëros, qui n’était pas même un bouffon du dernier ordre, s’est trouvé bientôt un de nos premiers acteurs comiques. D’où est venue cette métamorphose ? de l’appui seul de Roscius. Mais ce que Roscius a fait pour Panurge n’a pas été seulement de le recevoir chez lui pour qu’il fût nommé son disciple ; ce n’est qu’au prix de longs efforts, après avoir essuyé bien des dégoûts et des peines, qu’il est parvenu à le former. En effet, plus un maître est habile et intelligent, plus il est sujet à l’impatience et à la fatigue en donnant ses leçons. C’est un supplice pour lui de voir qu’on est si lent à comprendre ce qu’il a lui-même saisi si promptement.

Je me suis peut-être un peu trop étendu sur ce point, pour vous faire parfaitement connaître la nature de l’association. Qu’est-il arrivé ensuite ? Ce Panurge, continue-t-il, cet esclave en commun, a été tué par un certain Q. Flavius de Tarquinies, et vous m’avez chargé de suivre l’affaire. Le procès engagé, l’indemnité du dommage fixée par le préteur, vous avez sans moi transigé avec Flavius. Mais est-ce pour la moitié ou pour la société entière que j’ai transigé ? Pour parler plus clairement, est-ce pour moi seul ou bien pour vous et pour moi ? Pour moi seul, j’en avais le droit : de nombreux exemples m’y autorisent. Bien d’autres l’ont fait de plein droit. En cela, je ne vous ai fait aucun tort. Demandez ce qui vous appartient ; exigez et prenez ce qui vous est dû ; que chacun ait sa part de droit et la fasse valoir. — Mais vous avez tiré de la vôtre un excellent parti. — Faites comme moi. — Vous avez transigé avantageusement pour votre moitié. — Transigez de même pour la vôtre. — Vous avez obtenu cent mille sesterces. — Si cela est vrai, obtenez la même somme.

XII. Il est facile d’exagérer dans le discours et dans l’opinion cette transaction de Roscius ; mais, en réalité, elle n’offrait qu’un mince et médiocre avantage. Il reçut en payement une terre dans le temps où les biens de campagne étaient sans valeur. Cette terre n’avait pas d’habitation, elle était inculte. Elle est aujourd’hui d’une bien plus grande valeur qu’elle ne l’était alors. Et cela n’a rien d’étonnant : à cette époque, les malheurs de la république rendaient toutes les propriétés incertaines ; aujourd’hui, grâce à la bonté des dieux, toutes les fortunes sont assurées. C’était alors une terre en friche et sans habitation. Aujourd’hui elle est bien cultivée et possède une excellente métairie. Mais comme vous êtes naturellement envieux, je me garderai bien de vous délivrer de ce motif de chagrin et de jalousie. Roscius a fait une très-bonne affaire. Il a obtenu un bien d’un très-grand produit : que vous importe ? Faites pour votre moitié la transaction qui vous plaira. Ici l’adversaire change de tactique, et suppose ce qu’il ne saurait prouver. Vous avez, dit-il, transigé pour le tout. Ainsi toute la cause se réduit maintenant à savoir si Roscius a traité avec Flavius, pour sa part seulement, ou au nom des deux associés. Et je conviens que si Roscius a touché quelque chose au nom de tous les deux, il en doit compte à la société. Vous dites qu’en recevant la terre de Flavius, Roscius a fait l’abandon, non pas seulement de ses droits, mais de ceux de la société. Et pourquoi cela ? Il n’a pas donné à Flavius de garantie d’après laquelle personne ne lui demanderait plus rien dans la suite. Quand on transige pour soi, on laisse entiers les droits des autres ; quand on transige pour une société, on stipule qu’aucun de ses membres ne réclamera rien plus tard. Comment n’est-il pas venu à l’esprit de Flavius de demander cette garantie ? Il ignorait peut-être que Panurge n’appartenait pas à un seul maître ? Il le savait. Il ignorait que Fannius fût l’associé de Roscius ? Il le savait fort bien, car Fannius était en procès avec lui. Pourquoi donc transige-t-il sans stipuler que personne n’aura de recours contre lui ? Pourquoi abandonne-t-il sa terre, sans se faire libérer entièrement ? Pourquoi cette maladresse de ne pas obliger Roscius à une garantie, et de ne pas se mettre à l’abri des poursuites de Fannius ? Premier moyen que je tire des règles du droit et de l’usage ordinaire relativement aux garanties ; moyen grave et puissant sur lequel je m’étendrais davantage, si ma cause ne me fournissait d’autres preuves plus sûres encore et plus évidentes.

XIII. Et pour que vous ne disiez pas à tout le monde que je fais de vaines promesses, c’est vous, oui, vous, Fannius, que je vais faire lever du banc où vous êtes assis, pour venir déposer contre vous-même. De quoi accusez-vous Roscius ? D’avoir transigé avec Flavius au nom de la société. À quelle époque ? Il y a quatre ans. Quelle est ma réponse ? Que Roscius a transigé pour sa part seulement. Vous-même, il y a trois ans, vous faites de nouveau une stipulation mutuelle avec Roscius. Comment ? Greffier, lisez distinctement cette stipulation. Je vous en conjure, Pison, soyez attentif à cette lecture. Je vais forcer Fannius, malgré ses détours, à déposer contre lui-même. Que déclare en effet cette stipulation ? Je m’engage à payer à Roscius lu moitié de ce que j’aurai obtenu de Flavius. Ce sont vos propres paroles, Fannius. Que pouvez-vous obtenir de Flavius, si Flavius ne doit rien ? Comment Roscius stipule-t-il ici de nouveau pour ce qu’il a fait payer lui-même depuis longtemps ? que vous donnera Flavius, puisqu’il a payé à Roscius tout ce qu’il devait ? Pourquoi, pour un fait si ancien, quand l’affaire est terminée et la société dissoute, intervient-il une stipulation nouvelle ? quel fut le rédacteur, le témoin, l’arbitre de cette stipulation ? Qui ? vous-même, Pison. C’est vous, en effet, qui avez prié Roscius de donner à Fannius une somme de quinze mille sesterces pour la peine et les soins que lui avait coûtés la poursuite de cette affaire devant les juges, à condition que, s’il tirait quelque chose de Flavius, il en donnerait la moitié à Roscius. Cette stipulation vous semble-t-elle dire assez clairement que Roscius avait transigé pour lui seul ? Mais peut-être vous viendra-t-il à l’esprit que Fannius a promis de donner à Roscius la moitié de ce qu’il aurait retiré de Flavius, mais qu’il n’en a rien retiré. Qu’importe ? Ce n’est pas le succès de la poursuite que vous devez considérer, mais la cause et le principe de la stipulation ; et si Fannius n’a pas voulu poursuivre, il n’en a pas moins déclaré, autant qu’il était en lui, que Roscius avait traité pour lui-même et non pour la société. Eh bien ! si je démontre clairement que depuis l’ancienne transaction de Roscius, et l’engagement récent pris par Fannius, ce dernier a reçu de Flavius, pour l’affaire de Panurge, cent mille sesterces, osera-t-il outrager plus longtemps dans son honneur le plus probe des hommes, Q. Roscius ?

XIV. Je demandais tout à l’heure, et c’était bien naturel, pourquoi Flavius transigeait sur toute l’affaire, sans recevoir de Roscius aucune garantie, ni aucun désistement de Fannius. Mais maintenant, ce qui est étrange et incroyable, je demande pour quel motif, après avoir transigé pour le tout avec Roscius, il a payé séparément à Fannius cent mille sesterces ? Je suis curieux, Saturius, de savoir ce que vous allez répondre : direz-vous que Fannius n’a rien reçu de ces cent mille sesterces, ou qu’il les a reçus de Flavius à un autre titre et pour un autre objet ? Si c’est pour une autre créance, quel rapport d’intérêts aviez-vous avec lui ? Aucun. Aviez-vous prise de corps contre lui ? Non. Je perds mon temps en vaines suppositions ; Fannius, dit-on, n’a rien reçu de Flavius, ni pour l’affaire de Panurge, ni pour aucune autre. Mais si je démontre que depuis cette dernière stipulation avec Roscius, vous avez reçu de Flavius cent mille sesterces, est-il possible que vous ne sortiez pas du tribunal condamné ignominieusement ? Quel sera pour cela mon témoin ? La justice, à ce qu’il me semble, était saisie de cette affaire : assurément. Qui était le demandeur ? Fannius. Et le défendeur ? Flavius. Et le juge ? Cluvius. J’ai besoin que l’un des trois vienne témoigner qu’il a été donné de l’argent. Quel est le plus digne de foi ? Sans contredit, celui qui, étant juge, a mérité le suffrage de tous. Qui donc des trois prendrai-je pour témoin ? Le demandeur ? C’est Fannius : jamais il ne déposera contre lui-même. Le défendeur ? C’est Flavius : il est mort depuis longtemps. S’il vivait, vous l’entendriez. Le juge ? C’est Cluvius. Que dit-il ? Que Flavius a payé à Fannius cent mille sesterces pour indemnité du meurtre de Panurge. Si vous jugez de ce témoin d’après sa fortune, c’est un chevalier romain ; d’après ses mœurs et sa vie, sa vertu est connue ; d’après vous-même, vous l’avez choisi pour juge ; d’après la vérité, il a dit ce qu’if pouvait, ce qu’il devait savoir. Dites maintenant, osez dire qu’il ne faut pas s’en rapporter au témoignage d’un chevalier romain, homme d’honneur et votre juge. Il regarde autour de lui, il s’agite ; il prétend que nous ne lirons pas le témoignage de Cluvius. Nous le lirons ; vous êtes dans l’erreur ; vous vous flattez d’une vaine et frivole espérance. Lisez la déposition de T. Manilius et de G. Luscius Ocréa, tous deux sénateurs, tous deux personnages d’une haute considération, qui ont appris les faits de la bouche de Cluvius. Déposition de T. Manilius et de C. Luscius Ocréa.

XV. Eh bien ! Qui faut-il refuser de croire, Luscius et Manilius, ou Cluvius ? Parlons plus clairement. Prétendez-vous que Cluvius n’a rien dit des cent mille sesterces à Luscius et à Manilius, ou bien qu’il leur a fait un mensonge ? Ici je me sens parfaitement à l’aise et en toute tranquillité ; je m’inquiète peu de votre réponse. La cause de Roscius a pour appui le témoignage irréfragable et sacré des hommes les plus vertueux. Si déjà vous avez décidé quels sont ceux dont vous refusez de croire le serment, répondez. Est-ce Manilius et Luscius qu’il ne faut pas croire ? Répondez, osez dire le mot, il est digne de votre effronterie, de votre arrogance, de votre vie tout entière. Eh bien ! vous attendez que je vous dise que Manilius et Luscius sont deux sénateurs vénérables par leur âge et par leur rang ; d’un caractère antique et pur ; d’une fortune considérable ? Je n’en ferai rien. Je ne me nuirai point à moi-même en voulant leur payer ici le tribut des éloges qu’ils ont mérités par une vie consacrée à la vertu la plus sévère ; ma jeunesse a bien plus besoin de leur estime que leur vieillesse irréprochable n’a besoin de mes éloges. Mais vous,

Pison, c’est à vous à réfléchir mûrement et à délibérer si vous devez ajouter foi, plutôt à Chéréa témoignant librement dans sa propre, cause, qu’à Manilius et à Luscius déposant sur serment dans un procès qui leur est étranger. Reste à soutenir que Cluvius a dit à Manilius et à Luscius une chose qui n’est pas vraie. S’il le fait avec l’effronterie qui le distingue, réprouvera-t-il un témoin qu’il a lui-même choisi pour juge ? Dira-t-il qu’il faut refuser sa confiance à l’homme qui a obtenu la sienne ? Récusera-t-il devant Pison, le témoin dont la religion et la vertu, quand il était son juge, l’engageaient à recourir à des témoins ? Un homme qu’il devrait accepter pour juge, quand je l’aurais choisi moi-même, osera-t-il le récuser quand je le produirai comme témoin ?

XVI. Mais, répond-il, Cluvius a raconté le fait à Luscius et à Manilius, sans l’attester par serment. S’il avait fait serment, le croiriez-vous ? Quelle différence y a-t-il donc entre un parjure et un menteur ? Un homme accoutumé à mentir se parjure aisément. Celui que je puis engager à mentir, je le déterminerai sans peine à se parjurer. Quiconque s’est une fois écarté de la vérité, ne se fait pas plus de scrupule d’un parjure que d’un mensonge. Craindra-t-on la vengeance du ciel si l’on est sourd à la voix de sa conscience ? Aussi les dieux immortels n’ont-ils fait, pour le châtiment, aucune distinction entre le parjure et le menteur. Ce ne sont point, en effet les paroles dont se compose la formule du serment, mais bien la perfidie et la méchanceté par lesquelles on tend des pièges à autrui, qui allument et provoquent la colère des dieux. Eh bien ! moi, je soutiens tout le contraire de ce que vous dites : si Cluvius avait assuré la chose avec serment, ses paroles auraient moins d’autorité qu’elles n’en ont aujourd’hui, qu’il l’affirme sans avoir prêté serment ; car alors peut-être des gens sans honneur l’accuseraient d’une partialité passionnée, en le voyant se présenter comme témoin dans une affaire où il aurait paru comme juge. Maintenant aucun de ses amis ne pourra soupçonner ni corruption ni légèreté dans l’homme qui dit à ses amis ce qu’il sait. Prétendez encore, si vous y êtes autorisé par le moindre prétexte, que Cluvius a menti. Cluvius a menti ? Ici la vérité elle-même me retient et m’oblige à m’y arrêter un instant. Par qui a été conduite cette œuvre de mensonge ? Roscius est sans doute un homme fin et rusé ? Voici le raisonnement qu’il a fait dès le commencement. Puisque Fannius me demande cinquante mille sesterces, je prierai C. Cluvius, chevalier romain, homme d’une haute considération, de faire un mensonge pour moi ; de dire qu’il y a eu une transaction, bien qu’il n’y en ait pas eu ; que Flavius a donné cent mille sesterces à Fannius, quoiqu’il ne lui ait rien donné. Voilà le premier dessein d’un mauvais cœur, d’un mince génie et d’un esprit assez borné. Que fait-il ensuite ? Après s’être bien affermi dans sa résolution, il arrive chez Cluvius. Qu’est-ce que Cluvius ? Une tête légère ? Non, c’est la sagesse même. Un homme inconstant et mobile ? Il est d’une constance à toute épreuve. Un de ses amis ? À peine s’il le connaît. Après le premier salut, il lui expose d’un ton doux et gracieux l’objet de sa visite. Soyez assez bon pour mentir en ma faveur devant quelques hommes de bien, vos intimes amis. Dites que Flavius a transigé avec Fannius au sujet de Panurge, quoiqu’il n’ait pas transigé. Dites qu’il lui a compté cent mille sesterces, quoiqu’il ne lui ait pas donné un seul as. Que répond Cluvius ? Je ferai bien volontiers, et avec bien de l’empressement, ce que vous me demandez ; et si quelquefois un parjure peut vous être utile, n’oubliez pas que je suis à votre disposition. Vous n’aviez pas besoin de prendre tant de peine et de venir vous-même chez moi. Pour une semblable bagatelle, il suffisait de m’envoyer un messager.

XVII. J’en atteste les dieux et les hommes ! Roscius aurait-il jamais réclamé de Cluvius une telle complaisance, quand il se serait agi d’un million de sesterces ? Cluvius aurait-il consenti à une pareille infamie, au prix de la moitié du butin ? Vous-même, Fannius, de bonne foi, à peine oseriez-vous exiger d’un Ballion, ou de quelqu’un de son espèce, un semblable service, et vous ne sauriez l’obtenir de lui, tant votre demande serait contraire à toute justice et même à toute vraisemblance ! J’oublie en effet que Roscius et Cluvius sont des hommes de la première considération ; je les suppose un instant malhonnêtes par intérêt. Roscius a suborné Cluvius comme faux témoin : pourquoi si tard ? Pourquoi au moment de payer le second terme, et non avant d’acquitter le premier ? Car il avait déjà payé cinquante mille sesterces. Ensuite, si Roscius avait une fois persuadé Cluvius de mentir, pourquoi ne lui a-t-il pas fait dire que Fannius avait reçu de Flavius trois cent mille sesterces plutôt que cent mille, puisqu’il devait en revenir la moitié à Roscius, en vertu du nouveau contrat ?

Vous comprenez maintenant, Pison, que Roscius a demandé pour lui seul et non pour la société. Saturius, qui voit que rien n’est plus évident, n’ose pas insister et lutter de front contre la vérité ; mais il trouve à l’instant un nouveau biais et imagine un nouveau piège à nous tendre. J’accorde, dit-il, que Roscius a demandé sa part à Flavius, qu’il a laissé celle de Fannius libre et intacte ; mais je soutiens que ce qu’il a perçu pour lui-même est devenu la propriété commune de la société. C’est ce qu’on peut dire de plus insidieux et de plus inique. En effet, je vous le demande, Roscius a-t-il pu ou non réclamer sa part de la société ? S’il ne l’a pu, comment l'a-t-il retirée ? S’il l’a pu, comment n’aurait-ce pas été pour lui-même ? Car ce qu’on demande pour soi, à coup sûr ou ne le reçoit pas pour un autre. Quoi donc ? Si Roscius eût demandé tout ce qui revenait à la société, elle ferait des parts égales de ce qu’il aurait reçu ; et lorsqu’il n’a demandé que sa part, ce qu’il a reçu ne lui appartiendrait pas ?

XVIII. Quelle différence y a-t-il entre celui qui plaide pour lui-même et celui qui plaide par procuration ? Quand on plaide pour soi-même, on ne demande que pour soi. On ne peut demander pour un autre, sans avoir été chargé de plaider en son nom. Est-ce la vérité ? Si Roscius, avait plaidé en votre nom, vous auriez pris pour vous ce qui lui aurait été adjugé. C’est en son propre, nom qu’il a demandé, et s’il a obtenu quelque chose, ce n’est pas pour vous, c’est pour lui. S’il est vrai qu’on puisse demander pour un autre, sans en avoir la procuration, je vous demanderai pourquoi, après la mort de Panurge, lorsque la procédure était commencée contre Flavius, en réparation du dommage, vous avez eu pour cette affaire la procuration de Roscius ? Et cependant de votre propre aveu, ce que vous demandiez pour vous, vous le demandiez pour lui ; et tout ce que vous deviez recevoir pour vous-même retombait dans la communauté. S’il ne devait rien revenir à Roscius de ce que vous auriez obtenu, dans le cas où vous n’auriez pas eu sa procuration, il ne doit vous rien revenir de ce qui a été obtenu par lui, puisqu’il n’avait pas la vôtre. Que pouvez-vous répondre à cela, Fannius ? Lorsque Roscius a transigé avec Flavius, vous a-t-il laissé ou non votre action contre lui ? S’il ne vous l’a pas laissée, comment avez-vous depuis obtenu de Flavius cent mille sesterces ? S’il vous l’a laissée, pourquoi demandez-vous à Roscius ce que vous devez demander pour vous-même en vertu de votre droit ? En effet, une association se régit absolument de la même manière qu’un héritage commun. Un associé a sa part dans la société ; un héritier a sa part dans la succession. L’héritier demande pour lui seul, et non pour ses cohéritiers ; l’associé demande pour lui seul, et non pour ses coassociés ; et comme l’un et l’autre demande chacun pour soi, il paye aussi pour soi seul : l’héritier, proportionnellement à la part qu’il a reçue dans l’héritage ; l’associé, suivant la valeur de sa mise dans la société. De même que Roscius pouvait, en son nom, remettre sa part à Flavius, sans que vous eussiez le droit de la réclamer ; ainsi, lorsqu’il s’est fait payer en vous laissant tous vos droits, il n’a rien à partager avec vous, à moins que, par un renversement de toute justice, on ne vous permette de prendre à Roscius ce que vous ne pouvez arracher à un autre. Saturius persiste, et veut que tout ce qu’un associé se fait payer appartienne dès lors à la société. S’il en est ainsi, quelle était donc l’étrange folie de Roscius, qui, sur l’avis et l’autorité des jurisconsultes, a pris le soin de faire promettre à Fannius, par une nouvelle stipulation, de lui tenir compte de la moitié de ce qu’il aurait tiré de Flavius, puisque sans cette précaution, sans cette nouvelle promesse, Fannius n’était pas moins redevable de cette moitié à la communauté, c’est-à-dire à Roscius !…


NOTES
SUR LE PLAIDOYER POUR Q. ROSCIUS.

I. Tabulis. On voit par tout cet endroit du discours et par d’autres du même orateur, que les pères de famille à Rome tenaient des livres de dépense et de recette avec la même exactitude que chez nous les commerçants et les marchands. Ils écrivaient d’abord sur un journal qu’ils nommaient adversaria, espèce de brouillon ou livre de notes, les dépenses et recettes de chaque jour, et les reportaient ensuite sur leur registre, tabulæ. C’est d’après ces registres que le censeur appréciait, tous les cinq ans, la fortune de chaque particulier.

Homines …. cili. On a proposé diverses conjectures : Ernestius, « hominis certi ; » P. Manutius « honesti ; » P. Ursinus, « acciti ; » Aut. August., « scili ; » etc. etc. etc.

H-S CCCIכככ. Cent mille sesterces (vingt mille cinq cents francs ). Le sesterce était à la fois une monnaie réelle et une monnaie de compte. Comme monnaie réelle, il valait dans l’origine deux as et demi (sestertius, sesquitertius, le troisième et demi, ou deux plus la demie du troisième) ; puis, quand on donna au denier la valeur de seize as, le sesterce valut toujours quatre as ou un quart du denier, et par conséquent le denier valut toujours quatre sesterces.

Jusqu’à mille, on comptait les sesterces en énonçant simplement la somme devant le mot sestertii ou nummi ; centum sestertii, cent sesterces. Arrivé à mille, au lieu de mille sesterces on écrivait seulement le nom neutre sestertium. On pouvait dire aussi mille sestertii. Quand le nombre passait mille, on mettait devant sestertia le nom quelconque de mille : ainsi centena sestertia équivaut à cent mille sesterces. Au-dessus de cent mille, on changeait encore : on se servait de l’adverbe numéral en sous-entendant centena milla : decies sestertium ou simplement decies, équivaut à dix fois cent mille sesterces, ou un million.

Jurare in litem. Le juge permettait au demandeur d’apprécier la valeur de la perte dont il se plaignait, après avoir prêté serment de le faire avec bonne foi.

II. Literarum vetustatem. Literæ est employé ici pour tabula, comme dans la quatrième Verr., 12.

Dejecta. On propose diverses corrections : Conjecta, disjecta, defecta. Au reste, le mot peut fort bien s’entendre de feuilles mal en ordre, mal rangées, éparses.

III. Codicem acceptum et expensum. Ernest rejette ces mots et les regarde comme une glose absurde. Peut-être est-ce la forme ancienne pour "acceptorum et expensorum.

IV. Legitimæ partis sponsio. Partie fixée par la loi ou par l’édit du préteur. On déposait le tiers de la somme contestée, et si l’on perdait sa cause, on perdait à la fois ce dépôt du tiers de la somme et la somme en litige.

Arbitrium. L’arbitrage est lati juris. Le préteur en soumettant à un arbitre une cause de celles dites de bonne foi, bonæ fidei, lui donnait un pouvoir illimité : l’arbitre pouvait accorder au demandeur tout ou partie de la chose réclamée. Le judicium au contraire est stricti juris ; le juge prononce que la cause est entièrement perdue ou gagnée, sans pouvoir accorder, comme dans l’arbitrage, une partie de la demande.

Compromissum. C’est l’engagement que prennent les deux parties d’obéir à la sentence de l’arbitre, sous peine de payer une certaine somme. Digest. de receptis, qui arbitrium receperunt, IV, 8.

Stipulatum. La stipulation est le contrat verbal, qui résulte de la demande faite par l’une des parties en présence de témoins et de la réponse affirmative de l’autre d’où nait l’obligation appelée verborum, obligation stricti juris. Instit, III, 16.

V. Hic ego. Il y a évidemment ici une lacune assez considérable.

Formulæ et sponsioni. En donnant action, le préteur marquait ce qu’on devait demander et prouver : c’est ce qu’on appelait la formule du préteur.

Aut data, aut expensa lata, etc. etc. L’orateur indique trois obligations qui permettent de demander en justice : re, nominibus, stipulatione.

Advocatio, Advocati. — Nom donné aux personnes qui, dans les jugements, assistaient de leur présence et de leur crédit un accusé qui les en avait priées. Ils différaient entièrement de nos avocats, en ce qu’ils ne plaidaient pas eux-mêmes et ne faisaient que fournir des moyens de droit et de défense aux orateurs ; mais peu à peu ils se substituèrent aux orateurs plaidants, qui prirent d’eux le nom d’avocats.

Honoraria. — Qui sont un honneur pour les personnes auxquelles on les défère. Les arbitres désignés par le préteur étaient appelés honorarii.

VI. Quæ ex societate debeatur ? Schütz lit : quæ ex societate debetur, en supprimant le point d’interrogation, comme si c’était la réponse même de Fannius.

Qui contra hunc venis. s. entendu in judicium.

VII. Chaream Roscius. Il y a une grande force dans ce rapprochement des noms : M. Scaurus, accusé par un certain Varius, répondit : « L’Espagnol Q. Varius prétend que M. Scaurus, prince du sénat, a poussé les alliés à « la révolte : M. Scaurus, prince du sénat, le nie formellement. Lequel de ces deux hommes, Romains, voudrez-vous croire ? »

Caput et supercilia. Les Romains commencèrent à se faire couper la barbe et les cheveux, l’an 454. Plin., VII, 59. On se faisait raser les sourcils en signe de deuil : autrement, c’était une marque de mollesse.

Ullum pilum. Pour ne pas avoir la moindre chose d’un homme de bien. Les Grecs disent aussi ἄξιος τριχός.

Ballionem. Ballion est un marchand d’esclaves dans le Pseudolus de Plaute, une des comédies que ce poète estimait le plus.

VIII. M. Perpenna, etc. Schûtz croit qu’il faut ici changer l’ordre des noms et mettre Pison le premier, parce qu’il était le juge, et Perpenna, l’assesseur : peut-être Cicéron nomme-t-il Perpenna le premier, parce qu’il avait été consul l’an de Rome 661, et censeur, l’an 607.

H-S. cccIכככ. Trois cent mille sesterces (soixante et un mille francs), deux cent mille sesterces (quarante et un mille francs).

Dionysia. Danseuse très connue : Torquatus appelait Hortensius une Dionysia, parce qu’il était trop curieux de son geste. Aulu-Gelle, I, 5.

Il y avait des jeux de deux sortes, les Mégalésiens et les Plébéiens. Roscius avait donc pu gagner par an six cent mille sesterces, et en dix ans, les six millions de sesterces dont Cicéron parle un peu plus bas.

H-S. Sexagies. Il faut sous-entendre centies milites (environ un million deux cent trente mille francs).

Formulæ. Formule indiquée par le préteur, et dont le demandeur ne pouvait changer une seule syllabe, sans courir le risque de perdre sa cause.

IX. Absolveretur. Ce mot signifiait quelquefois : « Solvi ac liberari lite et judicio. » C’est dans ce sens qu’il se prend ici.

Idcirco. Ironie de Cicéron, suivant les uns ; réponse du Fannius, suivant les autres. Nous préférons le premier sens.

X. Fuit Fannii. (s. ent. servus). Plaute, dans Ampli. : « Ego sum Amphilruonis, Sosia. » I, 2.

Æris s. ent. nummos.

Rem. Graevius et Ernesti proposent spem.

Ex improbo patre. D’où l’adage : « Mali corvi malum ovum. »

XI Stomacho. Dégoût et colère.

Cognitorem. Diffère du procurator, en ce qu’il ne peut être substitué au demandeur qu’après certaines formalités prescrites par la loi ; le procurator n’a besoin que du mandat, et peut agir en l’absence et même à l’insu de l’adversaire. Gaius, IV, 83, 84.

XII. Jacerent étaient sans valeur, à cause des proscriptions de Sylla.

Liberabo. Plusieurs anciennes éditions et plusieurs manuscrits portent liberabis.

Satis non dedit. Il n’a donné ni caution, ni garants que personne ne réclamerait plus rien de Flavius pour la même objet.

XIII. Abhinc annis quatuor. On écrivait autrefois duodecim ; faute évidente qui est dans tous les manuscrits.

H-S. cccIכככ. On fait observer avec raison que la somme de cent mille sesterces est exorbitante, puisque c’est tout ce que Roscius avait reçu de Flavius ; que cette somme devait être moindre, et que le texte est fautif en cet endroit, comme dans plusieurs des notes numérales de ce discours. Paul Manuce et Freigius proposent ccIככ ; Ernesti, Iכככ. Nous avons suivi, dans la traduction, la conjecture de Lambin, approuvée par Desjardins, par M. Schûtz etc. etc. Peut-être faut-il faire la même correction dans cette phrase du chap. 17 : « Nam jam antea H-S. Iכככ dissolverat. »

XIV. Addictus erat tibi ? Paul Manuce explique ainsi ces mots : « Traditus a judice, qui eum condemnaverat H-S. cccIכככ. Addicti enim dicebantur, quos prætor damnatos creditori domum ducendos tradebat. ••

Eques romanus. Les sénateurs, par la loi de Sylla, occupaient les tribunaux ; et cependant Cluvius, nommé juge, n’était que chevalier romain : c’est que, dans les causes particulières, le préteur pouvait prendre les juges parmi les chevaliers romains et même parmi le peuple.

XV. Deliberandum et concoquendum. Grévius préfère à tort coquendum. Concoquendum signifie peser avec soin, faire arriver une résolution à maturité par une longue digestion, par analogie avec les fonctions de l’estomac in quo cibi non coqui, sed concoqui dicuntur.

XVI. Injuratus. Un témoin devait prêter serment.

Deprecatione. C’est l’imprécation par laquelle nous provoquons contre nous-mêmes la colère des dieux, s’il n’est pas vrai que nous disions la vérité.

Improbi animi. Parce qu’il forme un coupable dessein ; miseri ingenii, parce que la ruse est malhabile ; nullius consilii, parce qu’il était facile de la deviner.

XVII. H-S. milites, s. ent. centies millies (vingt millions, cinq cent mille francs).

In judicium. Sic in Divinat. « in amicitiam esse. » XV ad Attic. : « In Tusculanum futurus. »

H-S. Iכככ Il y a erreur dans les chiffres.

In codem vestigio. En restant sur place, sans bouger ; à l’instant, aussitôt.

Vacuam. Libre et non occupée. Vacuus signifie d’ordinaire ce qui n’est possédé, occupé par personne.

Simillima. Les associations et les héritages étaient régis par les mêmes principes. Du reste, l’orateur cherche plutôt des arguments, pour sa cause qu’il ne s’inquiète ici des règles du droit et de l’équité. L’association résulte d’un consentement, et les héritages ne dépendent pas de notre volonté. Quoi qu’il en soit, dans l’ignorance où nous sommes des lois des anciens sur la matière, et en présence des fragments incomplets de ce plaidoyer, il faut s’abstenir de tout jugement trop sévère.

Roscius gagna son procès : les juges reconnurent sans doute que Flavius avait payé des dommages à Fannius Chéréa.