Poésies (Edmond Rostand)

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POÉSIES


LES RUCHES BRÛLÉES

1914


J’aime que tout de suite ils aient brûlé des ruches.
Abeille, or bourdonnant qui dans l’azur trébuches,
Ils ne sont pas vainqueurs si tu flottes encor,
Dernier petit vestige ailé de l’âge d’or !

« Pourquoi me brûlez-vous mes abeilles ? » demande
Le curé de Fraimbois à la brute allemande.
« C’est la guerre ! » répond le général Danner.
— Oui, celle de la horde à l’essaim libre et fier.
Pourquoi de cette ruche ils ont brûlé le chaume ?
Parce que son travail faisait le bruit d’un psaume
Et que son œuvre avait la forme des rayons.
D’ailleurs, souvenez-vous, à Bruxelles, voyons,
Les Chefs n’avaient-ils pas donné l’ordre à leurs bandes
D’écraser en entrant les fleurs des plates-bandes ?
Et, janissaires gais d’obéir au vizir,
Les soldats sur les fleurs marchaient avec plaisir.
Qu’ils brûlent maintenant les ruches avec joie,
C’est logique : il n’y a qu’un pas, — le pas de l’oie, —
De la fleur écrasée aux abeilles en feu.
Comme elles crépitaient brusquement dans l’air bleu,
Et tombaient ! C’était beau. La cire parfumée
Coulait en ruisseaux noirs ! Et puis, dans la fumée,

Lorsqu’on brûle une ruche, ils sont là quatre ou cinq,
La Fontaine et Platon, Virgile et Maeterlinck,
Qui semblent avec vous, abeilles, disparaître,
Comme si, complétant la victoire du Reitre,
Un peu plus d’humanisme encor disparaissait !

L’abeille, c’est l’esprit dans la lumière, c’est
Une goutte de miel qui monte entre deux ailes !
Comment ces Pesanteurs lui pardonneraient-elles ?
C’est le goût, c’est le choix rapide, c’est le tact,
D’abord le vague essor, et puis l’effort exact ;
C’est l’équilibre et c’est la sagesse, l’abeille !
Et quand l’intelligence humaine s’émerveille
De la ruche profonde, et d’y voir son destin
Mystérieusement ébauché par l’instinct,
A servir les Teutons elle n’est pas encline !
Cet ordre libre et doux n’est pas leur discipline.
Oui, la ruche murmure. Et par l’autodafé
Tout murmure doit être à l’instant étouffé !
L’abeille, qui jamais n’a pesé sur la rose,
Et qui n’entasse pas lourdement, mais compose,
Fine et bonne, et qui croit qu’un être sous le ciel
N’a droit à l’aiguillon que pour défendre un miel,
L’abeille est importune aux barbares ; leur haine
Egale leur mépris pour cette citoyenne
Qui n’arme que de frêle et tendre propolis,
Une cité construite avec le suc des lys !
Il faut des mouches d’or brûler la hutte blonde,
Afin qu’il n’y ait plus désormais sur le monde
Que des guêpes de fer dans des nids de béton !
Ce qu’ils veulent, — enfin le voit-on ? le sait-on ? —
C’est, pour qu’à tout jamais la matière nous ronge,
Qu’il n’y ait plus, au fond d’aucun homme, aucun songe,
Et plus aucune ruche au fond d’aucun jardin !
Le vaincu n’aurait plus dans sa treille, soudain,
— A quoi lui servirait d’avoir gardé sa treille ? —
Aucune abeille ! Et quand je dis aucune abeille,
Je veux dire plus rien d’harmonieux, plus rien
De noble, de léger, de pur, d’aérien,

Plus rien de ce qui fait qu’un cœur latin peut vivre !
Pas un refuge au monde alors !… pas même un livre !
Car leur pied sur la rose abîmerait Ronsard,
Et si nous ouvrions un Chénier, par hasard,
Nous en ferions tomber des abeilles brûlées !

Fruits des siècles ! douceurs dans l’ombre accumulées !
Humble miel de Fraimbois, ou grand miel de Louvain !…
Plus de ruches ! plus d’avenir ! plus de couvain
Secrètement nourri de la fleur des lambruches !
— « Ah ! dit le pauvre abbé, pourquoi brûler mes ruches ? »
Et j’aime qu’au Pasteur d’abeilles le Brûleur
De miel ait répondu : « C’est la guerre ! » — Oui, la leur !
Quant à la nôtre…

Aux premiers jours du choc tragique,
Lorsque nos cavaliers montaient vers la Belgique,
On raconte qu’un soir les cuirassiers français
Traversaient un hameau des Flandres, je ne sais
Plus lequel ; et sur leurs chevaux couverts de roses,
Tous ils chantaient, entre leurs dents, à bouches closes,
La Marseillaise. Ils la bourdonnaient seulement ;
Et c’était magnifique. Et ce bourdonnement
De colère latine au-dessus des corolles,
C’était l’âme grondant sans geste et sans paroles,
C’était la conscience, et c’était la raison ;
Cela faisait un bruit d’orage et d’oraison,
Pieux et menaçant, doré, quoique farouche,
Calme. On ne voyait pas remuer une bouche,
Et ce bourdonnement semblait sortir des fleurs.
Et ceux qui l’entendaient croyaient, les yeux en pleurs,
Entendre, dans le soir aux poussières vermeilles,
Comme une Marseillaise étrange des abeilles…
Et c’est ainsi que, purs, ayant fait à dessein
De leur hymne de guerre un murmure d’essaim,
Nos hommes s’en allaient vers le Nord plein d’embûches
Sauver le miel du monde et mourir pour les ruches !


L’ANNÉE DOULOUREUSE

1916


Donc, mon pays est en danger. Mon père est mort.
Ma mère est morte.
J’ai murmuré : « C’est trop ! » car le cœur n’est pas fort.
— Mais l’âme est forte.

J’ai compris. J’ai cessé de demander pourquoi
Ceux que je pleure
Avaient, pour s’enfoncer dans le sol devant moi,
Choisi cette heure ;

Car plus farouchement, comme le pin léger
De ces collines,
Je tiens à cette terre où je viens de plonger
Mes deux racines.


L’ÉTOILE ENTRE LES PEUPLIERS

1917


Un catéchisme en moi se dialogue à voix basse.
J’écoute.

Qu’est-ce que la France ? — C’est la Grâce.
Dans quel sens prenez-nous ce mot ? — Je prends ce mot
Dans son sens le plus doux comme dans le plus haut.
La Grâce, c’est le charme ; et la Grâce est encore
Un don du Ciel par quoi l’âme se corrobore.
Le monde, n’ayant pas la France, aurait-il eu
La possibilité de faire son salut ?
— Non ; puisqu’elle est la Grâce, il ne peut rien sans elle.
Qu’entend-on lorsqu’on dit qu’elle est spirituelle ?
— Qu’elle est le Souffle, au sens où l’Apôtre le prit.
Elle est tous les esprits, d’ailleurs, étant l’Esprit :
Le plus farouche, et le plus fin. C’est le mystère
De mon pays que seul son peuple, sur la terre,
Sache à la fois sourire et s’enthousiasmer.
Comment faut-il servir la France ? — Il faut l’aimer.

La Douce France est-elle encor douce ? — Elle est dure,
Chaque fois qu’il le faut, pour que sa douceur dure.
Et jamais son épée injustement n’a lui ?
— Non.

Qu’est-ce qu’un Français ? — Un Français est celui
Qui, né libre, voudrait délivrer tous les hommes.
Est-il dupe en cela ? — Dupes, nous ne le sommes
Que lorsque nous craignons la générosité.
Où donc en serions-nous si nous n’avions été
Combattre follement pour des indépendances ?
Nous ne fûmes profonds que dans nos imprudences.
Rien ne nous a jamais servi que notre cœur.
L’amour du genre humain n’aura plus un moqueur.
Faut-il que cet amour se concentre ou s’épanche ?
Et comment aimez-vous l’Humanité ? — La branche
N’aime le sol qu’à travers l’arbre, et je ne puis
Aimer l’Humanité qu’à travers mon pays.
Vous dites mon pays toujours ; mais, je vous prie,
Est-ce pour éviter de dire ma Patrie ?
— Il est vrai que je veille à prononcer très peu
Le plus beau nom qui soit après celui de Dieu.
Puisque dans ce seul nom c’est tous les morts qu’on nomme,
D’une telle parole il faut être économe,
Car l’oreille et les yeux l’usent en l’adorant.
Pas plus que le drapeau ne passe à chaque rang,
Ce mot-là ne peut être écrit à chaque ligne.
Et pour graver ce mot d’une pudeur insigne,
On a toujours choisi l’envers des croix d’honneur,
Parce qu’il doit rester tourné contre le cœur.

Ce pays se bat-il, comme au vieux temps des princes,
Pour des provinces ? — Il se bat pour deux provinces,
Sans cesser, un instant, derrière elles, de voir
Tous les fronts sur lesquels le sort mit un nœud noir.
Qu’est-ce que doit le monde à la France immortelle ?
— Le monde lui doit tout, et le sait. — Pouvait-elle
Mourir ? — Oui, cette fois elle aurait pu mourir,
Car pour donner le temps au monde d’accourir
Entre ses bras mordus elle tenait la Bête.
Quelle auréole a-t-elle à présent sur sa tête ?

— La plus belle : celle qui tremble autour des feux
Quand nous les regardons des larmes dans les yeux.

Quelle est la Preuve de ce peuple, et son Miracle ?
— Un chant mystérieux. — Que fut ce chant ? — L’oracle,
Puisqu’il nous annonça le Jour de Gloire. Il fut
La chanson de la Vierge assise sur l’affût ;
Il fut, dans nos clairons, l’espoir humain qui gronde ;
Notre chant. — Maintenant, qu’est-il ? — Le chant du monde,
Le Cantique des Nations. — Que sera-t-il ?
— Né sur un violon dans une nuit d’avril,
Quand il n’y aura plus de tyrans ni de hordes,
Il sortira du cuivre, et, rentrant dans les cordes,
Il ne chantera plus, en accents purs et longs,
Que dans les nuits d’avril et sur des violons.

Puisque tout son destin maintenant se dévoile,
Quel est le Signe de la France ? — C’est l’Étoile
Entre les Peupliers. — Pourquoi les Peupliers
Plutôt que les Lauriers ? — Parce que les Lauriers
Sont, aux jardins d’orgueil, un groupe noir qui reste ;
Mais Eux, d’essor sublime et d’essence modeste,
Préfèrent, chuchotant l’espoir aux pas humains,
Accompagner la marche en longeant les chemins.
Avez-vous de ce choix une raison plus forte ?
Jadis, le Peuplier s’appelait Peuple. Morte,
Sa branche sait revivre et se multiplier.
Plantez au bord d’un champ des pieux de peuplier,
Et la barrière deviendra, sans qu’on y pense,
Un rideau frémissant et vert. Telle est la France.
Quelle est l’histoire des peupliers de Saint-Prix ?
— Les Allemands, fuyant et craignant d’être pris,
Les coupaient, espérant nous arrêter sans doute ;
Mais au lieu de tomber en travers de la route,
Les peupliers français qui sont intelligents
Tombaient sur les côtés, laissant passer nos gens.
Que murmure au marcheur cet arbre avec sa feuille ?
— L’éternel mot français, le seul que l’homme veuille ;
C’est celui qui fut dit par Monsieur Lestoquoi
Avant l’assaut de Mondement ; et c’est pourquoi
L’arbre le redira sans cesse aux marcheurs graves :

« Plus qu’un coup de collier, et ça y est, mes braves ! »
Et ça y est ! Jamais ça n’y est qu’à peu près,
Mais à recommencer nous sommes toujours prêts.
On croit qu’on ne peut plus : on peut. Telle est la France.
Qui sera le vainqueur ? — Celui qui recommence.
Celui qui se dénigre afin de faire mieux.
Le modeste mettra le pied sur l’orgueilleux.
Le beau peuple toujours mécontent de lui-même
Battra le peuple affreux qui s’admire et qui s’aime.
Car grâce à cette guerre enfin on s’aperçoit
Que c’est être vaincu que d’être sûr de soi.
N’en pas être content, n’est-ce donc pas le doute ?
— Non, c’est la foi dans tout ce que l’effort ajoute.)
Versailles ne devint un chef-d’œuvre éclatant
Que parce que le Roi n’en fut jamais content.

Quelle est la Sainte de la France ? Est-ce encor Jeanne ?
— C’est elle. C’est toujours la même paysanne
Qui laissait la quenouille autrefois pour l’estoc :
Elle quitte aujourd’hui le fuseau pour le soc.
Et l’Archange est-il là ? — Toujours. Mais son nom change.
Comment appelait-on autrefois cet Archange ?
— Monseigneur Saint-Michel-du-Péril-de-la-Mer.
Comment s’appelle-t-il aujourd’hui ? — Guynemer.
Quels sont ceux qui nous ont sauvés ? — Toujours les mêmes.
Qu’entendez-vous par-là ? — J’entends, maigres et blêmes,
Toujours les mêmes qui, de la même façon,
Marchant, creusant la terre et combattant, se sont
Habitués à nous sauver depuis Bouvines.
Sur leur front, aujourd’hui plein de sueurs divines,
La couronne de ronce est en fils barbelés.
Comment s’appellent-ils ? — Ils se sont appelés
De tous les noms que jette aux sans-nom la Bataille :
Enfants Perdus d’abord ; puis Gens de Pied, Piétaille,
Pédaille, Pionniers, Pions ; groupés au son du cor,
Ils se sont appelés Enfants Perdus encor,
Compagnons et Routiers, Ménadiers et Maheutres,
Piquichins ; ils se sont, sous les bérets, les feutres,
Les casques, les malheurs, les coups et les fardeaux,
Appelés les Wétaux, les Pitaux, les Bidaux,

Les Goujats ; c’est le vil troupeau, le tas vulgaire
Des tristes paysans que l’on traîne à la guerre
Contre des cavaliers venus on ne sait d’où.
Ils portent l’arbalète et le sac d’amadou ;
Et sous l’œil du baron montant sa jument brune
L’Enfant Perdu devient l’Enfant de la Commune.
Il s’appelle le Franc-Archer. Le Franc-Archer,
A force de lancer sa flèche, et de marcher,
Et de creuser sa taupinière avec sa pelle,
Devient le Franc-Taupin. Et puis, on les appelle
Les Brigands, les Piquiers, enfants toujours perdus !
Et ces enfants perdus qui nous ont défendus
A coups de faulx, à coups de serpe, à coups de vouge,
A force de porter du drap brun, du drap rouge,
Du drap bleu, de laisser de leur chair aux buissons
D’acier, de se meurtrir sur les caparaçons
Des chevaux, d’opposer au poitrail la poitrine,
De s’accouder, rêveurs, sur une couleuvrine
Pour écouter la Sainte à qui parlent des Voix,
Epurés par Bayard, ordonnés par Louvois,
Le cœur grossi de tout le pays qu’on s’ajoute
En chantant des chansons ensemble sur la route,
Se redressent. La bande au sourd piétinement
Commence à cadencer le pas du régiment :
Champagne, Picardie, Artois… Sous l’œil du prince
L’Enfant Perdu devient l’Enfant de la Province ;
Puis, racolé de force, il prend goût au métier,
Mais, de sang jardinier toujours, ou forestier,
S’appelle La Ramée encore, ou La Tulipe,
S’assied sur un tambour pour fumer une pipe,
Poudrer son catogan ou recoudre un bouton,
Et, relevé soudain par la voix de Danton,
Bondit ! L’Enfant Perdu se perd dans les fumées,
Devient le Fantassin de nos quatorze armées,
— Fantassin, ce mot-là vient d’enfant ! — et voilà
Que, sous l’Hymne enflammé qui tout d’un coup vola,
L’Enfant Perdu devient l’Enfant de la Patrie !
Enfant, c’est de ce mot que vient Infanterie !
C’est elle. Ce sont eux. Guêtres, pieds nus, sabots,
Ils marchent. Sans-Culotte ou Grognard, ils sont beaux.

Bonnet rouge ou bonnet à poil, têtes pareilles,
Gardant du paysan l’anneau d’or aux oreilles.
Et du Grognard sort le Brisquard. Et du Brisquard
Sort le Lignard. Le bidon tinte sur le quart.
Et chaque section, de pointes hérissée,
Semble, sur les labours, la herse renversée !
Et la colonne marche et ne s’arrête pas ;
Le cœur s’ajoute au cœur, le pas s’ajoute au pas ;
Et cette magnifique addition marchante
De souffrance qui rit, de fatigue qui chante,
Finit par faire le Troupier ; et le Troupier
Fait l’humble Tourlourou, triste et traînant le pied,
Qui, grossi du Moblot dans un hiver atroce,
Fait le Pousse-Cailloux, qui fait le Fantabosse,
Qui fait le Marche-à-terre et qui fait le Biffin,
Lequel, dans la sueur et dans la boue, enfin,
Fait la somme de tous ces hommes. — Et la somme.
De tous ces hommes, quelle est-elle ? — Le Bonhomme.
Et que fait le Bonhomme une fois résolu
A devenir mauvais par bonté ? — Le Poilu.
Qu’est-ce que le Poilu ? — L’homme total en marche.
Vers quoi ? — Vers ce qui luit sur la Crèche ou sur l’Arche.
D’où vient que le Poilu porte, en plus d’un fusil,
Un gros bâton noueux dans la forêt choisi
Et, sous le sac de cuir, des besaces de toile ?
— C’est afin qu’à travers les peupliers l’Etoile
Sache bien que vois elle il veut se diriger
Et dans chaque soldat reconnaisse un berger.
Ce mot Poilu peut-il nous plaire ? — Il doit nous plaire.
Pourquoi ? — Parce qu’il est grondant et populaire
Et qu’il sent à la fois le pauvre et le lion
Que devons-nous à ceux qui, sans rébellion
Ni de chair ni d’esprit, furent pour nous se battre ?
— Nos devoirs envers eux sont au nombre de quatre :
Les envier, en nous rongeant pour inventer
Des moyens de souffrir aussi ; les assister
Sans mesure ; les admirer avec tendresse,
En racontant, dès qu’ils ne sont pas là, sans cesse,
Les choses dont jamais aucun d’eux ne parla ;
Les respecter en nous taisant quand ils sont là.

Que devons-nous aux morts ? / — Rendre leur mort féconde,
Et, pour qu’il n’en soit pas d’oubliés en ce monde,
Grouper, chacun, les noms dont nous nous souvenons,
Et ne pas vivre un jour sans réciter ces noms.
Comment sera tissé l’avenir de justice ?
— Entre les Peupliers l’Etoile blanche tisse
Le songe des marcheurs douloureux et plies.
« Plus qu’un coup de collier ! » disent les Peupliers,
« Et vous y êtes ! » — Plus qu’un seul, et nous y sommes,
Soupirent, plus humains à chaque pas, les hommes.
Mais, dans leurs poings trop durs et sur leurs fronts trop lourds,
N’est-ce donc plus le Casque, et n’est-ce pas toujours
La Baïonnette ? — C’est la Baïonnette encore.
Mais qui sert, cette fois, à tisonner l’aurore.
Et c’est le Casque. Mais il est bleu. — De quel bleu ?
— D’un bleu que je me dis dans mon cœur. — Dites-le.


— Où fleurit le Droit ?
Où luit la Raison ?
C’est dans un endroit
Nommé l’Horizon.

Le présent ? Pesant.
Le passé ? Glacé.
Laisse le présent.
Quitte le passé.

Bleu de l’avenir !
Seul bleu dans lequel
On croit voir s’unir
La terre et le ciel !

Ce bleu violet,
C’est celui je crois,
Que Jésus voulait
Derrière sa croix !

Brise ton amour,
Brûle ta maison,
S’ils t’ont un seul jour
Caché l’Horizon !

Qu’un peuple d’hier
Meure pour demain,
C’est à rendre fier
Tout le genre humain !


EDMOND ROSTAND.