Poésie - L’Annonciade

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Poésie - L’Annonciade
Revue des Deux Mondes4e période, tome 153 (p. 158-162).
POÉSIE

L’ANNONCIADE
(29 AVRIL 1429)


Le peuple d’Orléans, pressé le long des rues,
La regardait venir, de loin, sous les flambeaux ;
Les femmes se signaient, aux balcons accourues;

On hissait les enfans sur les grands escabeaux;
Et tous criaient : « Jésus et Maria, c’est elle ! »
Son cheval blanc avait du sang rouge aux sabots,

Mais elle souriait, la divine Pucelle,
Et pâle, sous l’azur froissé de l’étendard,
Lentement, chevauchait, ferme en sa haute selle,

Entre le dur La Hire et le noble Bâtard.
Boucher, le trésorier, s’approcha, tête nue,
Et, la voyant si lasse et qu’il était si tard :

« Fille du ciel, dit-il, sois-tu la bienvenue!
Le salut vient toujours à qui gardait l’espoir:
Nous t’avions appelée et t’avons reconnue.

Tous, ici, sont à toi ; tous feront leur devoir ;
Demain nous chasserons l’Anglais de sa Tournelle.
Ce soir, tu n’en peux plus, repose-toi ce soir.

Mon modeste logis te désire et t’appelle,
Et ma femme, humblement, déliera, près d’ici,
La cuirasse poudreuse où ta sueur ruisselle. »

Jeanne vers le vieillard se pencha: « Grand merci,
Mon père ! Il est bien vrai que ce harnais me broie
Depuis trois nuits qu’on dort sur le guéret durci ;

Mais le corps peut gémir lorsque l’âme est en joie.
Messire Dieu, d’abord, veut être visité,
Puisque c’est lui qui mène et qui m’ouvre la voie :

À Sainte-Croix! » Le cri s’est vite répété,
Et, comme un fleuve plein dont la digue se brise,
La cohue, à travers les plis de la cité,

S’écoule et s’en va battre aux marches de l’église.
Ah! lorsqu’elle apparut, droite, sous le portail,
Dans le nimbe enflammé des torches qu’on attise,

De mine douce, ainsi qu’une agnelle au bercail,
Fièrement appuyée à sa bannière peinte,
Tous reconnurent bien l’Archange du vitrail,

Le beau guerrier avec son visage de sainte :
La Foi se réveilla dans les cœurs raffermis.
Lorsqu’elle descendit, gravement, de l’enceinte,

Cheminant à grand’peine entre les fronts soumis,
Pas un œil qui ne soit humide, et ne la suive
Vers le repos tardif à son labeur promis.




Au-dessus de la porte à serrure massive
Où se tient, l’attendant, son hôte, l’argentier,
Quelque imagier pieux a taillé, dans l’ogive,

L’Ange annonciateur avec son lys altier,
Les yeux baissés, ployant son genou gauche en terre
Devant Marie assise à l’ombre d’un dattier.

Jeanne, en entrant, crut voir frémir la vieille pierre
Et, dans la nuit, s’ouvrir avec un doux « Bonsoir! »
Les lèvres sans péché de la Vierge en prière.

À la table où Boucher bientôt la fit asseoir,
Après cinq mois de siège aux atroces détresses,
Le pain blanc, cette fois, remplaçait le pain noir,

Et trois enfans offraient leur front rose aux caresses
De la Dame du ciel qui rapporte à manger :
Elle attarda ses mains à jouer dans leurs tresses.

Puis, lorsqu’on la mena, dans le fond du verger,
Vers sa chambre, elle prit, suivant l’antique usage,
Dont s’honore une hôtesse autant que l’étranger,

Pour compagne de nuit, l’aînée et la plus sage.
Bientôt, dans le lit vaste aux rideaux entr’ouverts,
La lune, souriante ainsi qu’un bon présage,

S’échappant de la nue ou luisant au travers,
Caressa le sommeil chaste des vierges blanches.
Au dehors, le Printemps montait aux arbres verts.





Dès que l’aube pointa, claire, parmi les branches,
Ce fut, dans le jardin plein des souffles d’avril,
Un tel concert d’oiseaux saluant les pervenches

Qu’Heaumette s’éveilla d’abord à ce babil,
Et tandis que dormait Jeanne, encore brisée,
Descendit l’escalier, pieds nus, vers le courtil,

Pour lui faire un bouquet marchant dans la rosée.
merveille! Durant la nuit, un lys joyeux,
Tout emperlé, comme une robe d’épousée,

Un lys précoce, avec son cœur d’or radieux,
S’était dressé, superbe, au détour d’une allée,
Et son parfum montait, comme une gloire, aux cieux !

Heaumette le cueillit, frémissante et troublée,
Remonta vite, et quand la Lorraine, en sursaut,
Se dressa sur sa couche, au devoir rappelée

Par tous les cliquetis précurseurs de l’assaut,
Fers aiguisés, canons traînés, chevaux qu’on ferre,
Honteuse d’être prise une fois en défaut,

Elle aperçut, pareille, en la fraîche lumière,
À l’Ange du salut sur la porte gravé,
La fillette, à genoux, achevant sa prière,

Qui lui tendait aussi, de son bras haut levé,
La fleur de la Victoire et de la Délivrance,
En répétant tout bas : « Ave, Marie, Ave ! »

La guerrière, d’un bond, sur ses armes s’élance,
Et relevant l’enfant douce, d’un geste prompt,
Haletante, le sein tout battant d’espérance :

« Je ne suis pas Marie, et c’est lui faire affront
De s’incliner devant sa chambrière indigne!
Pourtant la même fleur de vierge est à mon front,

Et, comme elle, c’est Dieu qui m’appelle et désigne
Pour une œuvre plus humble, au prix de tout mon sang :
J’en accepte la peine, et l’honneur et le signe ! »

Et se penchant par la fenêtre, et brandissant,
Vers les gens d’armes dont la foule s’amoncelle,
Ainsi qu’un ostensoir, le lys éblouissant :

« Jurez tous de mourir pour la fleur immortelle.
La fleur de France ! » Un grand cri lui répond d’en bas :
« Sus aux Anglais! » — Et l’on partit pour la Tournelle.





Vierge des paysans, des humbles, des soldats,
Vierge du peuple, non, tu n’étais pas Marie,
Un Dieu ne devait pas sourire entre tes bras;

Mais dans ton simple cœur tu portais la Patrie
Avec sa liberté si dure à conquérir,
Et c’est pour l’enfanter, par nos maux attendrie,

Que tu voulus combattre et pleurer et mourir !
L’innocente eut raison qui te sut reconnaître,
Saluant, dans ton sein, le Messie à venir :

Car, dès ce matin-là, la France allait renaître!


GEORGES LAFENESTRE.