Le Vigneron dans sa vigne/Promenade

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Le Vigneron dans sa vigneMercure de France. (p. 119-120).



PROMENADE


Sur la route, je croisai d’abord un garçon et une fille qui marchaient côte à côte, sans se donner le bras, car la fille avait besoin des deux siens pour gesticuler. Elle parlait avec vivacité, presque bien, sauf qu’elle mettait trop souvent des o à la place des a et des e.

— Elle m’onnuie, ma momon, disait-elle ; voilà qu’elle ne veut plus que je donse avec toi, le dimonche. Je ne suis pas une gamine, tu ponses !

Puis deux femmes passèrent, l’une jeune, l’autre vieille. Habillées de noir neuf, elles portaient à la main des sacs gonflés. Elles se hâtaient, et prenaient la parole, chacune à son tour, uniquement préoccupées d’être du même avis.

— Si au moins, disait la plus vieille, ça leur profitait en quelque chose. Mais non, ils chicanent exprès, pour rien, pour le plaisir.

— Oui, répondait la plus jeune, ils sont comme ça, ils ne veulent point, ils ne veulent point, et voilà. Enfin on s’expliquera chez le notaire.

À peine avaient-elles disparu que je rencontrai deux messieurs âgés, bourgeoisement vêtus et qui marchaient sans fièvre, en tenant toujours leur droite. Le plus grave s’arrêta, leva une main, et dit syllabe par syllabe :

— Vous comprenez mon cher ami, que si je reste calme, c’est que je tiens à lui laisser tous les torts. Mais attendez et vous verrez.

Il s’efforçait de sourire, tandis que son ami remuait la tête, en homme qui verra parce qu’il vivra.

Ainsi, me dis-je, ce n’est, tout le long de la route, que gens qu’on embête, qui s’embêtent et qui embêtent les autres. L’embêtement est général et il n’y en a pas que pour moi.