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Quand j'étais photographe/Préface

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Flammarion Voir et modifier les données sur Wikidata (p. i-iv).

PRÉSENTATION



Le nom de Nadar est célèbre : il serait présomptueux et inutile d’expliquer au public, qui le sait, ce qu’il représente en franchise, esprit et pittoresque. — Ce roi des photographes ne recueillit pas seulement sur ses clichés des figures de princes, d’hommes politiques et d’artistes, pour léguer à l’avenir une collection de « silhouettes fixées » incomparables : il sut aussi, dans les intervalles de la besogne, alors que Se reposait la technique, classer, ordonner en son cerveau ces instantanés fulgurants que la vie accumule chez qui l’observe, l’étudie et l’aime.

Aimer la vie, c’est le don des poètes, le don suprême, et Nadar l’eut comme personne. Ses amis, ils furent et ils sont innombrables, car de ce bon géant la sympathie émane telle que d’un bloc ardent qui jamais ne se refroidirait ; ses camarades, du plus petit au plus grand, admirent le don perpétuel qu’il fait de soi-même par le geste, la parole, l’enthousiasme. En ce lyrisme lucide, et qui colore sans altérer les événements historiques auxquels il fut mêlé, les hommes de génie, de talent, les baroques, les sublimes, les ratés qu’il fréquenta, tout cet appareil de mémoire fonctionne d’une merveilleuse ordonnance, telle qu’aucune machine ne pourrait la réaliser, par faute de savoir choisir et induire.

C’est à ce spectacle aimable et sans effort que vous convie un témoin des cinquante dernières années du siècle, témoin dont les désillusions n’ont pu épuiser la bienveillance. Parmi tous les bons laboureurs de la vie que j’ai connus, aucun, jusqu’au bout du sillon, n’a gardé la taille aussi droite, l’œil aussi clair, le cœur aussi chaud. Il est pour nous le représentant d’une génération admirable, où l’on menait sa route sans envie ni traitrise, où la verve romantique se doublait d’une humanité large et cordiale, où l’on n’avait pas honte d’être loyal et gai.

La gaîté, on la retrouvera au long de ces pages. Elle fut, comme l’auteur nous l’a dit souvent, son viatique ; ajoutons : l’ornement d’une âme sans taches. Nadar a vu mourir bien des hommes, il a vu s’écrouler bien des rêves, mais il a su faire une telle part à ce qu’il y a d’éternel en nous qu’il a gardé le droit de sourire.

Les pages qu’on va lire sont d’une extrême variété. Ce Quand j’étais photographe fait comme une suite au Quand j’étais étudiant, recueil célèbre du même auteur. Daguerréotypie, premiers essais de photographie aérostatique, souvenirs du Siège et de la Commune, silhouettes de clients, de clientes, de peintres, d’écrivains, on trouve de tout dans ses souvenirs et c’est ce qui fait leur charme si vif. Mais ces tableaux épars et brillants sont reliés en faisceaux par une personnalité puissante, débordante de santé et d’entrain. Il y a, dans cette continuité de verve et d’intérêt, un bel exemple et un réconfort.

Léon DAUDET.