Réflexions critiques sur la poésie et la peinture/II/18

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qu’il faut attribuer la difference qui est entre l’air de differens païs, à la nature des émanations de la terre qui sont differentes en diverses regions.

les émanations de la terre sont la seule cause apparente à laquelle on puisse attribuer la difference sensible entre les qualitez de l’air en diverses regions également distantes de la ligne. Cette opinion s’accommode très-bien avec l’expérience. Les émanations dont dépendent les qualitez de l’air, dépendent elles-mêmes de la nature des corps dont elles s’échappent. Or, quand on vient à examiner quelle est la composition du globe terrestre dans deux païs dont l’air est different, on trouve cette composition differente. Il y a plus d’eau, par exemple, en Hollande dans un quarré donné, qu’il n’y en a dans la comté de Kent. Le sein de la terre ne renferme pas les mêmes corps en France qu’il renferme communément en Italie. Dans plusieurs endroits de l’Italie la terre est pleine d’alun, de souffre, de bitume et d’autres mineraux. Ces corps dans les lieux de France où on en trouve n’y sont pas en même quantité par proportion aux autres corps qu’en Italie. On trouve presque par toute la France que le tuf est de marne ou d’une espece de pierre grasse, blanchâtre et tendre, et dans laquelle il y a beaucoup de sels volatils. Le sel domine dans la terre de la Pologne, et l’on en trouve des mines toutes formées dans plusieurs endroits de ce roïaume. Elles suffisent à la consommation du païs et même à celle de plusieurs provinces voisines. C’est à ce sel dominant dans la terre de Pologne que les philosophes attribuent la fertilité prodigieuse de la plûpart de ses contrées, aussi-bien que la grosseur extraordinaire des fruits, et s’il est permis de s’expliquer ainsi, le grand volume du corps des hommes nez et nourris dans ce païs-là. En Angleterre le tuf est composé principalement de plomb, d’étain, de charbon de mine, et d’autres mineraux qui vegetent et qui se perfectionnent sans cesse. On peut même dire que la difference de ces émanations tombe en quelque maniere sous nos sens. La couleur du vague de l’air, celles des nuages qui font un horrison colorié au coucher comme au lever du soleil, dépendent de la nature des exhalaisons qui remplissent l’air et qui se mêlent avec les vapeurs dont ces nuages sont formez. Or tout le monde peut observer que le vague de l’air et les nuages qui brillent à l’horison ne sont pas de la même couleur dans tous les païs. En Italie, par exemple, le vague de l’air est d’un bleu verdâtre, et les nuages de l’horison y sont d’un jaune et d’un rouge très-foncez. Dans les Païs-Bas le vague de l’air est d’un bleu pâle, et les nuages de l’horison n’y sont teints que de couleurs blanchâtres. On peut même remarquer cette difference dans les ciels

des tableaux du Titien et des tableaux de Rubens, ces deux peintres aïant representé la nature telle qu’elle se voit en Italie et dans les Païs-Bas où ils la copioient. Je conclus de ce que j’ai exposé, qu’ainsi que les qualitez de la terre décident de la saveur particuliere aux fruits dans plusieurs contrées, de même ces qualitez de la terre décident de la nature de l’air de chaque païs. Les qualitez et les proprietez de la terre sont également la cause de la difference qui est entre l’air de deux contrées, ainsi qu’elle est la cause de la differente saveur des vins qui sont crus dans deux contrées limitrophes. Or, cette cause est sujette par sa nature à bien des vicissitudes comme à une infinité d’altérations. Dès que la terre est un mixte composé de solides et de liquides de divers genres et de differentes especes, il faut qu’ils agissent sans cesse l’un et l’autre, et qu’il s’y fasse ainsi des fermentations continuelles, d’autant plus que l’air et le feu central mettent encore les matieres en mouvement. Comme les levains, comme le mélange et la proportion de ces levains ne sont pas toujours les mêmes, les fermentations ne sçauroient aboutir toujours à une même production. Ainsi les émanations de la même terre ne sçauroient être toujours les mêmes dans la même contrée. Elles y doivent être sujettes à divers changemens. L’expérience donne un grand poids à ce raisonnement. La même terre envoïe-t-elle toutes les années dans l’air la même quantité de ces exhalaisons qui sont la matiere des foudres et des éclairs ? Comme il est des païs plus sujets au tonnerre que d’autres, il est aussi des années où il tonne dix fois plus souvent dans le même païs qu’en d’autres années. à peine entendit-on deux coups de tonnerre à Paris l’été de 1716. Il y a tonné trente fois et plus l’été de 1717. La même chose est vraïe des tremblemens de terre. Les années sont-elles également pluvieuses dans le même païs ? Qu’on voïe dans les almanachs de l’observatoire la difference qui se trouve entre la quantité de pluïe qui tombe à Paris dans le cours d’une année, et la quantité qui en tombe dans une autre année. Cette difference va quelquefois à près des deux tiers. On ne sçauroit encore attribuer l’inégalité qui se remarque dans les éruptions des volcans à une autre cause qu’à la varieté des fermentations qui se font continuellement dans le sein de la terre. On sçait que ces montagnes redoutables jettent plus de feu en certaines années que dans d’autres, et qu’elles sont quelquefois un temps considerable sans en vomir. Toutes les années sont-elles enfin également saines et également pluvieuses, venteuses, froides et chaudes dans la même contrée ? Le soleil et les émanations de la terre décident en France, comme ailleurs, de la temperature des années, et l’on n’y sçauroit faire intervenir aucune autre cause, à moins que de vouloir faire agir les influences des astres. Or, de ces deux causes il y en a une qui ne varie pas dans son action, je veux dire le soleil. Il faut donc attribuer la difference immense qui s’observe en France entre la temperature de deux années à la variation survenuë dans les émanations de la terre. Je dis que l’action du soleil ne varie point. Il monte et il descend à Paris toutes les années à une même hauteur. S’il y a quelque difference dans son élevation, elle n’est sensible qu’aux astronomes modernes, et elle ne pourroit mettre d’autre difference entre l’été de deux années que celle qui se trouve entre un été de Senlis et un été de Paris. La distance qui est entre Paris et Senlis du sud au nord, revient à la hauteur que le soleil peut avoir de plus à Paris en une année que dans une autre année. La difference qui est entre la temperature des années est bien une autre variation. Il est à Paris des étez d’une chaleur insupportable. D’autres à peine ne sont pas un temps froid. Souvent il fait plus froid le jour du solstice d’été qu’il ne faisoit six semaines auparavant. L’hyver y est quelquefois très-rigoureux, et la gelée y dure quarante jours de suite. En d’autres années l’hyver se passe sans trois jours de gelée consécutive. Il est des années durant lesquelles il tombe à Paris vingt-deux pouces d’eau de pluïe. En d’autres années il n’en tombe pas huit. Il est aussi des années où les vents sont plus fréquens et plus furieux qu’en d’autres. On peut dire la même chose de tous les païs. La temperature des années y varie toujours. Il est seulement vrai que dans les païs meridionaux, le temps de la pluïe et des chaleurs n’est pas aussi déreglé que dans notre païs. Ces chaleurs et ces pluïes, plus ou moins grandes, y viennent à peu près dans les mêmes jours. La cause y varie bien, mais elle n’y est pas aussi capricieuse qu’en France. Mais, dira-t-on, quoique le soleil monte toutes les années à la même hauteur, ne peut-il point arriver quelque obstacle, comme seroit une macule, qui rallentisse son action en certaines années, plus que dans d’autres années. Il auroit ainsi la plus grande part aux variations dont vous allez chercher la cause dans le sein de la terre. Je répons que l’expérience ne souffre point qu’on impute au soleil cette variation. Il y auroit une espece de regle dans ce dérangement s’il venoit du rallentissement de l’action du soleil, je veux dire que tous les pays sentiroient ce dérangement à proportion de la distance où ils sont de la ligne, et que l’élevation du soleil décideroit toujours du dégré de chaleur, quelle que fut cette chaleur en une certaine année. Le même été plus chaud à Paris qu’à l’ordinaire, supposeroit un été plus chaud à Madrid que les étez ordinaires. Un hyver très doux à Paris supposeroit qu’il seroit encore plus doux à Madrid que les hyvers ordinaires. C’est ce qui n’est point. L’hyver de 1699 à 1700 fut très-doux à Paris et très-rude à Madrid. Il gela quinze jours de suite à Madrid, et il ne gela pas deux jours de suite à Paris. L’été de 1714 fut assez sec et très-chaud à Paris. Il fut très pluvieux et assez froid en Lombardie. Le jour du solstice est quelquefois plus froid que le jour de l’équinoxe. La variation de la temperature des années est telle qu’on ne sçauroit l’attribuer au soleil, à une cause generale. Il faut l’imputer à une cause particuliere à chaque païs, c’est-à-dire, à la difference qui survient dans les émanations de la terre. C’est elle qui rend encore certaines années plus sujettes aux maladies que d’autres. Il est des maladies épidemiques qui sortent de la terre insensiblement, mais il en est qu’on en voit sortir, pour ainsi dire. Telles sont les maladies qui surviennent dans les lieux où l’on a fait de grands remuemens de terre, et qui étoient très-sains avant ces remuemens. La premiere enveloppe de la terre est composée de terres communes, de pierres, de cailloux et de sables. La nature prudente s’en est servie pour couvrir la seconde enveloppe composée de mineraux et de terres grasses dont les sucs contribuent à la fertilité du sol extérieur. Ou ces sucs montent dans les tuyaux des plantes, ou bien ils s’élevent dans l’air après s’être exténuez et filtrez à travers la premiere enveloppe de la terre, et ils y forment ce nître aërien qui retombant ensuite sur la terre dont il est sorti, aide tant à sa fertilité. Or quand on fait de grands remuemens de terre, on met à découvert plusieurs endroits de cette seconde enveloppe, et l’on les expose à l’action immediate de l’air et du soleil, laquelle ne trouvant plus rien d’interposé, en détache des molecules en trop grande quantité. D’ailleurs, ces molecules encore trop grossieres n’auroient dû s’élever dans l’air qu’après s’être extenuées en passant à travers de la premiere enveloppe comme à travers un tamis. Ainsi l’air de la contrée se corrompt, et il demeure corrompu jusqu’à ce que la terre découverte soit épuisée d’une partie de ces sucs, ou jusqu’à ce que la poussiere chariée sans cesse par les vents l’ait enduite d’une nouvelle croute. Mais, comme nous l’avons dit, il est des maladies épidemiques qui, pour parler ainsi, sortent du sein de la terre insensiblement et sans qu’il y soit arrivé aucun changement dont on s’apperçoive. Telles sont encore les pestes qui s’allument quelquefois dans un pays où elles n’ont point été apportées d’ailleurs, et qu’on ne sçauroit imputer qu’aux altérations arrivées dans les émanations de la terre même.