Rational (Durand de Mende)/Volume 1/Premier livre/Chapitre 02

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Traduction par Charles Barthélemy.
Louis Vivès (volume 1p. 33-41).


CHAPITRE II.
DE L’AUTEL.[1].


I. On élève un autel dans l’église pour trois raisons, comme on le dira en parlant de sa consécration. Mais il faut d’abord savoir que Noé, le premier, ensuite Isaac, Abraham et Jacob, ont élevé et bâti des autels, ainsi qu’on le lit, et l’on n’entend par ce nom rien autre chose que des pierres dressées, sur lesquelles on égorgeait et on tuait les victimes du sacrifice, que l’on brûlait ensuite avec du feu qu’on allumait dessous. Moïse fit aussi un autel de bois de Sethin et un autel dit des parfums qu’il revêtit d’un or très-pur, comme on le lit dans l’Exode, où l’on voit même quelle était la forme de cet autel. Salomon aussi, ainsi qu’on le lit vers la fin du Livre des Rois, fit un autel d’or. Or, c’est de ces anciens Pères que les autels des modernes ont tiré leur origine, et qu’on les élève à quatre faces ; les uns sont d’une seule pierre, et les autres sont composés de plusieurs pierres.

II. Or, on trouve quelquefois indifféremment altaria et arœ, pour désigner un autel ; cependant il y a une différence entre ces deux mots. Car altare (autel), c’est comme si l’on disait alta res (une chose haute) ou alta ara (bûcher élevé), sur lequel les prêtres brûlaient l’encens. Ara (autel), en quelque sorte area (une aire), ou surface plane ; ou bien on l’appelle ainsi, de ardore (chaleur du feu), parce qu’on y brûlait les victimes offertes à Dieu en sacrifice.

III. Et remarque qu’on lit dans les Écritures que l’autel (altare) avait beaucoup de parties, à savoir : la haute et la basse (superius et interius) ; l’intérieure et l’extérieure (interius et exterius). Ces parties elles-mêmes sont doubles dans leur usage et dans leur sens. Le haut de l’autel, c’est Dieu-Trinité, dont on lit : « Tu ne monteras pas à mon autel par des degrés. » C’est encore l’Église triomphante dont il est dit : « Alors on sacrifiera des veaux sur ton autel. » Et le bas de l’autel c’est l’Église militante, dont on lit : « Si tu me fais un autel de pierre, tu ne le bâtiras pas de pierres séparées et fendues » (sectis lapidibus). Et le bas de l’autel est encore la table du temple, dont il est dit : « Passez les jours de fêtes dans de saints repas, assis et pressés à ma table près du coin de l’autel. » Et au livre III des Rois, il est dit que Salomon fit un autel d’or. L’intérieur de l’autel c’est la pureté du cœur, comme on le dira plus bas. C’est encore la foi que nous devons avoir à l’Incarnation ; et c’est à ce sujet qu’on lit cet ordre du Seigneur dans l’Exode : « Vous me ferez un autel de terre. » Enfîn, l’extérieur de l’autel c’est le bûcher ou l’autel même de la croix, c’est-à-dire l’autel de l’holocauste sur lequel on brûlait le sacrifice du soir. Voilà pourquoi on dit dans le canon de la messe : a Ordonne, Seigneur, que ces choses soient portées « sur ton sublime autel par les mains de ton saint ange. » L’extérieur de l’autel représente encore les sacrements de l’Église dont il est dit : « Tes autels, Dieu des vertus, sont ma demeure. » L’autel signifie aussi la mortification de nos sens, ou notre cœur, dans lequel les mouvements de la chair sont consumés par l’ardeur de l’Esprit-Saint.

IV. En second lieu, l’autel signifie aussi l’Église spirituelle ; et ses quatre coins, les quatre parties du monde sur lesquelles l’Église étend son empire. Troisièmement, il est l’image du Christ, sans lequel aucun don ne peut être offert d’une manière agréable au Père. C’est pourquoi l’Église a coutume d’adresser ses prières au Père par l’entremise du Christ. Quatrièmement, il est la figure du corps du Seigneur, comme on le dira dans la sixième partie, et au chapitre de la Parascève ou Vendredi saint. Cinquièmement, il représente la table sur laquelle le Christ but et mangea avec ses disciples.

V. Or, on lit dans l’Exode que l’on déposa dans l’arche du Testament ou du Témoignage la déclaration, c’est-à-dire les tables sur lesquelles était écrit le témoignage, on peut même dire les témoignages du Seigneur à son peuple ; et cela fut fait pour montrer que Dieu avait fait revivre par l’écriture des tables la loi naturelle gravée dans les cœurs des hommes. On y mit encore une urne d’or pleine de manne pour attester que Dieu avait donné du ciel du pain aux fils d’Israël, et la verge d’Aaron pour montrer que toute puissance vient du Seigneur-Dieu, et le Deutéronome en signe du pacte par lequel le peuple avait dit : « Nous ferons tout ce que le Seigneur nous dira. » Et à cause de cela, l’arche fut appelée l’Arche du Témoignage ou du Testament, et, à cause de cela encore, le tabernacle fut appelé le Tabernacle du Témoignage. Or, on fit un propitiatoire ou couverture sur l’Arche ; on en parlera dans la préface de la quatrième partie. C’est à l’imitation de cela que dans certaines églises on place sur l’autel une arche ou un tabernacle dans lequel on dépose le corps du Seigneur et les reliques des saints. Le Seigneur commanda aussi de faire un chandelier à branches d’une seule pièce, et il était d’un or très-pur. On lit dans le III° livre des Rois, que dans l’Arche d’alliance il n’y a rien autre chose que les deux tables de pierre qu’y avait déposées Moïse, quand, sur l’Oreb, le Seigneur fit un traité d’alliance avec les fils d’Israël, lorsqu’ils sortaient de la terre d’Egypte.

VI. Il est à remarquer que, du temps du pape Sylvestre, l’empereur Constantin construisit la basilique de Latran, dans laquelle il mit l’Arche du Testament que l’empereur Titus avait emportée de Jérusalem, et il y joignit le chandelier d’or avec les sept lampes suspendues à ses branches[2]. Dans cette arche, il y a les choses suivantes : les anneaux et les bâtons dorés, les tables du témoignage et la verge d’Aaron, la manne, les pains d’orge, l’urne d’or, la robe sans couture et le roseau, le vêtement de saint Jean-Baptiste et les tenailles avec lesquelles fut tenaillé saint Jean l'évangéliste.

VII. Or, un homme est certainement le temple de Dieu, s’il possède au dedans de lui-même un autel, une table, un chandelier et l’arche du Seigneur. Car il faut qu’il ait un autel où il offre avec une ame droite et où il partage avec justice. L’autel, c’est notre cœur, dans lequel nous devons offrir et sacrifier à Dieu ; et voilà pourquoi (Exode, xx) le Seigneur commanda d’offrir les holocaustes sur l’autel, parce que c’est du cœur que doivent s’élever et sortir les œuvres enflammées du feu de la charité. Les holocaustes sont ainsi appelés de olon, qui veut dire tout entier, et de kausis, c’est-à-dire embrasement ou chaleur du feu. Voilà pourquoi le mot holocauste signifie, en quelque sorte, des choses embrasées et brûlées entièrement. Donc, nous devons offrir des sacrifices sur cet autel avec pureté et en partager les victimes avec justice. Nous sacrifions bien, quand nous menons à sa perfection, le bien dont nous avons l’idée ; mais nous ne partageons pas bien, si nous ne faisons pas le bien avec discernement. Car l’homme pense souvent faire le bien, et il fait le mal ; et, souvent, d’un côté il pratique le bien, et de l’autre il commet le mal ; et c’est ainsi que le même homme édifie et renverse. Mais nous partageons bien, alors que nous n’attribuons pas à nous, mais à Dieu seul, le bien que nous faisons.

VIII. Il faut aussi que l’homme ait une table pour y prendre les pains de la parole de Dieu ; et par la table nous entendons la sainte Ecriture, dont le Psalmiste dit : « Tu as préparé devant moi une table, afin que je résiste à ceux qui m’assiègent, » c’est-à-dire : « Tu m’as donné l’Écriture contre les tentations du démon. » Il faut que nous ayons cette table, c’est-à-dire que nous la placions dans notre ame, afin que nous y mangions les pains de la parole de Dieu. C’est en parlant de la disette de ce pain que Jérémie dit : « Les petits enfants ont demandé du pain, et il n’y avait personne qui pût le leur « rompre. » Il faut encore à l’homme un chandelier, afin qu’il luise par ses bonnes œuvres.

IX. Le chandelier qui brille au dehors, c’est la bonne œuvre dont la flamme allume le flambeau des autres par le bon exemple ; il est dit : « Personne n’allume une lampe et ne la place sous le muids, mais sur le chandelier. » La lampe, selon la parole du Seigneur, c’est la bonne intention, car le Christ dit : « La lampe, c’est ton œil, » et l’œil, c’est l’intention. Nous ne devons donc pas placer la lampe sous le muids, mais sur le chandelier, parce que, si nous avons une bonne intention, nous ne devons pas la cacher, mais la produire à la lumière, et donner en exemple la bonne œuvre aux autres hommes.

X. Il faut encore que l’homme ait une arche (arca), qui est ainsi appelée de arcendo (repousser et chasser). Donc, l’Arche peut être nommée la discipline ou la vie régulière par laquelle nous chassons les péchés loin de nous. Or, dans l’arche, il y a la verge, la table et la manne, pour montrer que dans la vie régulière il doit y avoir la verge de la correction, pour châtier la chair, et la table de l’amour, pour chérir Dieu. Or, sur les tables sont écrits les commandements qui se rapportent à l’amour de Dieu ; on doit y trouver aussi la manne de l’ineffable et première douceur de Dieu, afin que nous goûtions et que nous voyions combien Dieu est suave au goût, et combien son commerce est bon, selon ce proverbe de la femme forte : « Son époux a goûté et a vu qu’elle était bonne. » Afin donc que nous soyons le temple de Dieu, ayons en nous un autel pour nos offrandes, afin de ne pas paraître en la présence de Dieu les mains vides, selon cette parole de l’Ecclésiaste : « Tu ne paraîtras pas en la présence de ton Dieu les mains vides. » Ayons aussi une table pour notre réfection, afin de ne pas tomber en défaillance dans le chemin, comme des hommes à jeun, selon cette parole de l’Evangile : « Si je les laisse aller à jeun, ils tomberont en défaillance dans le chemin. » Il nous faut encore un chandelier, que nous posséderons en faisant le bien et en ne demeurant pas dans l'oisiveté, selon cette parole de l’Ecclésiaste : « L’oisiveté a enseigné aux hommes une grande malice. » Ayons une arche, afin de ne pas être comme les fils de Bélial, c’est-à-dire indisciplinés et sans joug ; car la discipline est nécessaire, selon cette parole du psaume : « Embrassez la discipline, de peur qu’un jour le Seigneur ne se mette en colère, et que vous ne vous écartiez du chemin de la justice. » On parlera encore de tout cela, et des autres ornements de l’autel, dans le chapitre suivant.

XI. Il édifie cet autel dont nous avons parlé, celui qui orne entièrement son cœur d’une vraie humilité et des autres vertus ; ce qui a fait dire à Grégoire : « Celui qui amasse les vertus sans l’humilité ressemble à celui qui, par un grand vent, porte de la poussière dans sa main ouverte. »

XII. Donc, par l’autel, il faut entendre notre cœur, comme on le dira lorsque l’on traitera de la consécration de l’autel ; et le cœur est au milieu du corps comme l’autel est au milieu de l’église. C’est au sujet de cet autel que le Seigneur donne cet ordre dans le Lévitique : « Le feu brûlera toujours sur mon autel. » Le feu, c’est la charité ; l’autel, c’est un cœur pur. Le feu brûlera toujours sur l’autel, parce la charité sera toujours ardente dans notre cœur. Et voilà pourquoi Salomon dit, dans le Cantique des cantiques : « Les grandes eaux ne peuvent éteindre la charité (c’est-à-dire l’amour) ; car elle brûle toujours, et sa flamme est inextinguible. » Vous donc, selon la parole du prophète, « Passez le jour de la joie dans les réunions et les repas, près de l’autel ; car les souvenirs, même les plus faibles, que vous en aurez plus tard, feront de toute votre vie un jour de fête. »

XIII. Touchant cela, l’apôtre nous dit et nous montre que la plus excellente voie pour arriver à la perfection, c’est la charité, parce qu’elle est au-dessus de toutes les vertus, et que quiconque la possède les a toutes ; c’est, en abrégé, ce qu’a dit le Seigneur ; et ce mot est si court, que je le rapporte ici : « Aie la charité, et fais tout ce que tu veux. » Car c’est dans ces deux commandements que toute la loi et les prophètes sont contenus ; et par l’autel nous entendons Famé de chaque homme, élevée au Seigneur de pierres vivantes, c’est-à-dire de diverses vertus.

XIV. Les linges blancs dont on couvre l’autel représentent la chair ou l’humanité du Sauveur ; on les blanchit avec une grande peine et un grand travail ; de même la chair du Christ sortie de la terre, c’est-à-dire de Marie, est parvenue immortelle, à travers un grand nombre de souffrances, à la résurrection, à la splendeur et à l’allégresse. Cette chair du Christ est la figure des sacrements de l’Église, dont il est dit : ce Tes oc autels, Seigneur, Dieu des vertus, sont ma demeure. »

XV. L’autel, c’est encore la mortification de nous-même, ou notre cœur, dans lequel les mouvements de la chair sont consumés par l’ardeur de l’Esprit saint. En second lieu, l’autel signifie aussi l’Église spirituelle ; et ses quatre coins, les quatre parties du monde sur lesquelles l’Église étend son empire. Troisièmement, il est l’image du Christ, sans lequel aucun don ne peut être offert d’une manière agréable au Père. C’est pourquoi l’Église a coutume d’adresser ses prières au Père par l’entremise du Christ. Quatrièmement, il est la figure du corps du Seigneur, comme on le dira dans la sixième partie, et au chapitre de la Parascève, ou Vendredi saint. Cinquièmement, il représente la table sur laquelle le Christ but et mangea avec ses disciples.

XVI. Or, on lit dans l’Exode que l’on déposa, dans l’arche du Testament ou du Témoignage, la déclaration, c’est-à-dire les tables sur lesquelles était écrit le témoignage, on peut même dire les témoignages du Seigneur à son peuple ; et cela fut fait pour montrer que Dieu avait fait revivre, par l’écriture des tables, la loi naturelle gravée dans les cœurs des hommes ; on y mit encore une urne d’or pleine de manne pour attester que Dieu avait donné du ciel du pain aux fils d’Israël ; et la verge d’Aaron, pour montrer que toute puissance vient du Seigneur-Dieu ; et le Deutéronome, en signe du pacte par lequel le peuple avait dit : « Nous ferons tout ce que le Seigneur ce nous dira. » Et, à cause de cela, l'arche fut appelée l’Arche du Témoignage ou du Testament ; et, à cause de cela encore, le tabernacle fut appelé le Tabernacle du Témoignage. Or, on fît un propitiatoire ou couverture sur l’Arche ; on en parlera dans la Préface de la quatrième partie. C’est à l’imitation de cela que, dans certaines églises, on place sur l’autel une arche ou un tabernacle, comme dans le temple de Salomon ; et le prophète nous montre continuellement, dans quinze psaumes, les degrés que l’homme saint a élevés dans son cœur.

XVII. Jacob vit cette échelle dont le haut touchait les cieux. Par ces degrés sont entendus, d’une manière convenable et claire, les degrés des vertus par lequels on monte à l’autel, c’est-à-dire au Christ, selon cette parole du Psalmiste : « Et ils marcheront et s’élèveront de vertu en vertu. » Et Job : « J’annoncerai le Seigneur dans quelque rang que Dieu me place et à quelque degré qu’il me fasse asseoir. » On lit dans l’Exode : « Tu ne monteras pas à mon autel par des degrés, afin de ne pas révéler ta honte ; » car, peut-être, les anciens ne se servaient pas encore de haut-de-chausses. On lit dans le Concile de Tolède (xxvi, q.VI, Quicumque) : « S’il arrive qu’un clerc, à cause de la douleur qu’il éprouvera de la mort d’un de ses frères, dépouille un autel ou une statue de ses habits, ou les ceigne d’un vêtement lugubre ou d’épines, ou éteigne les lampes de l’église, qu’il soit déposé ! » Mais si son église est dépouillée injustement de ses droits, il lui est permis de faire cela à cause de sa douleur ; et, selon quelques-uns, c’est aussi pour cette raison qu’au jour de la Passion du Seigneur on dépouille les autels en signe de tristesse ; ce que, cependant, réprouve aujourd’hui (hodie) le Concile de Lyon (Extrà, de offic. cord., cap. Si canonici). Enfin, on réprouve entièrement les autels qui sont élevés à la suite des songes, ou, en quelque sorte, des révélations mensongères des hommes (De consecr., dist. Placet).

  1. Note 8 page 317.
  2. Note 9 page 336.