Rational (Durand de Mende)/Volume 1/Premier livre/Chapitre 07

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Traduction par Charles Barthélemy.
Louis Vivès (volume 1p. 105-121).


CHAPITRE VII.
DE LA CONSÉCRATION DE L’AUTEL.


I. On consacre non-seulement l’église, mais aussi l’autel ; et cela pour trois raisons. Premièrement, pour y offrir des sacrifices (sacramentum) à Dieu (Genèse, viii). Noë éleva un autel au Seigneur, et prenant de tous les oiseaux et de toutes les bêtes pures, il les offrit sur l'autel. Et le sacrifice (sacramentum) que nous offrons sur cet autel, c’est le corps et le sang du Christ, que l’on immole en mémoire de la passion du Seigneur, selon cette parole : « Faites ceci en commémoration de moi. »

II. Secondement, pour y invoquer le nom de Dieu ; voilà pourquoi il est dit (Genèse, xii) qu’Abraham éleva un autel à Dieu qui lui était apparu, et il y invoqua le nom du Seigneur, Or, cette invocation qui a lieu sur l’autel, est proprement appelée la messe (missa).

III. Troisièmement, pour chanter (Ecclés., xivii) : « Dieu lui donna alors la patience contre ses ennemis ; et il établit des chantres pour être devant l’autel, et il accompagna leurs chants de doux concerts de musique »[1].

IV. Or, voici la manière et l’ordre dont a lieu la consécration de l’autel : premièrement, le pontife commence en ces termes : « Seigneur, viens à mon aide. » Après, il bénit l’eau, puis il fait quatre croix avec l’eau bénite aux quatre cornes de l’autel. Ensuite, il fait sept fois le tour de l’autel et asperge en même temps (sept fois) la table de l’autel, avec de l’hysope en guise de goupillon, et avec de l’eau bénite. Il asperge encore de nouveau l’église et répand le reste de l’eau au pied de l’autel ; ensuite, on fait quatre croix avec le chrême aux quatre angles du tombeau dans lequel les reliques doivent être renfermées, et on les met dans un petit coffre ou une petite châsse (capsella), avec trois grains d’encens, et on les enferme en cet état dans le sépulcre. Ensuite, on met dessus ce tombeau sa tablette revêtue du signe de la croix qu’on a tracé au milieu ; après cela, on adapte à l’autel la pierre (qu’on appelle sa table) ; et quand cela est fait, on l’arrose d’huile en cinq endroits et on l’oint ensuite du chrême, de la même manière qu’on a dit pour l’huile. On confirme aussi l’autel sur le devant où est la croix avec le chrême, et on l’encense en cinq endroits. Après cela, on couvre l’autel et on le revêt de linges blancs, et enfin on célèbre dessus le sacrifice de la messe. Maintenant, parlons par ordre de chacune des choses en particulier qui ont été dites plus haut.

V. Premièrement donc, il est à remarquer que l’on consacre l’autel par le moyen de l’onction avec le chrême et par la bénédiction, et qu’il est seulement de pierre tout entier. Or, le pontife, se tenant debout, commence en ces termes : « Dieu, viens à mon aide, » parce que le Seigneur lui-même, dit : « Sans moi, vous ne pouvez rien faire. »

VI. Et comme la dédicace représente ceux qu’on doit baptiser, et qui, après avoir reçu la foi, se préparent au combat, et sont encore au milieu des soupirs et des escarmouches de ce propos, voilà pourquoi on ne dit pas allelu-ia. Car ceux qui ne sont pas baptisés ne méritent pas les éloges des anges ; ce qui a fait dire à [saint] Thomas : On chantera allelu-ia dans les places de sa cité. » Mais, après qu’on a accompli la consécration de l’église ou de l’autel, on chante allelu-ia, parce qu’après qu’on en aura chassé les spectres des démons, Dieu y sera loué. Car le Christ, en s’avancant vers l’autel de la croix, déchaîna la mort afin qu’elle manifestât la gloire de son éternité ; mais il chanta seulement allelu-ia après sa résurrection.

VII. Secondement, en ce qui concerne la bénédiction de l’autel, il est à remarquer que l’exorcisme de l’eau se fait pour en chasser l’ennemi. Pour cette bénédiction, quatre choses sont nécessaires, à savoir : l’eau, le vin, le sel et la cendre ; et cela pour trois raisons.

VIII. Premièrement, parce qu’il y a quatre choses qui chassent l’ennemi. La première, c’est l’effusion des larmes que représente l’eau ; la seconde, c’est le transport de l’allégresse spirituelle que le vin figure. La troisième, le discernement (discretio) naturel que représente le sel. La quatrième, c’est la profonde humilité que marque la cendre. Donc, l’eau c’est la pénitence ; le vin, la joie de l’ame ; le sel, la sagesse, comme on l’a prouvé dans le précédent chapitre ; la cendre, l’humilité de la pénitence. Voilà pourquoi il est dit des Ninivites, que le roi lui-même se leva de son trône et se revêtit d’un sac, et s’assit dans la cendre. Ensuite, David a dit : « Je mangeais la cendre comme un pain, etc. » Et Abraham : « Je parlerai, dit-il, à mon Seigneur, malgré que je ne sois que poussière et cendre. »

IX. Secondement, l’eau est en quelque sorte le peuple ou l’humanité, parce que les grandes eaux sont la multitude des peuples ; le vin est la divinité ; le sel la doctrine de la divine loi, qui est le sel de l’alliance ; la cendre, parce qu’elle consigne la mémoire de la passion du Seigneur. Le vin mêlé à l’eau, c’est le Christ Dieu et homme ; et cela a lieu par la foi de la passion du Seigneur, que l’on a par la doctrine de la divine loi. Le peuple, représenté par l’eau, est joint par l’union de la foi à son chef (capiti suo), Dieu et homme.

X. Troisièmement, on peut dire que cette eau bénite signifie l’Esprit saint, sans le souffle et sans l’inspiration duquel rien n’est jamais sanctifié, et sans la grâce duquel n’a pas lieu la rémission des péchés. Or, la vérité même montre que l’Esprit saint est appelé eau, quand elle dit : « Des fleuves d’eaux vive couleront de la poitrine (de ventre) de celui qui croit en moi. » Ce que l’évangéliste explique, lorsqu’il dit : « Or (Dieu) a dit cela de l’Esprit saint, que devaient recevoir ceui qui croient en lui. »

XI. Et l’Église ne consacre pas l'ordre du sacrement extérieurement par l’eau, intérieurement par l’Esprit ; car voici que le Seigneur dit : « A moins que quelqu’un ne renaisse de l’eau et de l’Esprit saint… » Voici l’eau, voilà l’esprit. Donc dans le sacrement du baptême, l’eau n’est pas sans l’esprit ni l’esprit sans l’eau, élément que ce même esprit sanctifiait, lui qui, dans la première partie de la création du monde, était porté sur les eaux. Or, on asperge de cette eau et l’autel lui-même et tout le temple à l’extérieur, quand le temple et l’autel sont dédiés en même temps.

XII. Et, bien que l’esprit et l’eau fussent suffisants pour la perfection du baptême et de la consécration de l’église, cependant les saints Pères, qui ont établi cela, ont voulu nous satisfaire, non-seulement dans ce qui se rapporte à la vertu, mais aussi à la sanctification du sacrement ; voilà pourquoi ils ont ajouté le sel, le vin, l’huile, la cendre et le chrême. Cependant Philippe n’avait pas le chrême et l’huile quand il baptisa l’eunuque (Act. viii, cap.). Or, l’une de ces deux choses ne doit pas manquer (le chrême et l’huile), et l’on doit les mêler ensemble, parce que, sans leur union et leur concours, le peuple de Dieu (qui est l’Église) n’est ni sanctifié ni délivré de ses péchés. On touchera un mot de cela au chapitre des Consécrations et des Onctions. Quant à l’eau, sa nécessité est, certes ! manifeste, car il est dit : « A moins que l’on ne renaisse de l’eau, etc. »

XIII. Le sel, parce que sans le condiment de la foi qu’il représente, personne ne pourra jamais être sauvé, quand même on l’aspergerait de l’eau du baptême autant qu’il serait possible. Le vin désigne l’intelligence spirituelle de la divine loi. Voilà pourquoi le Seigneur, aux noces de Cana, changea l’eau en vin. Et si quelqu’un n’est pas aspergé de ce vin, c’est-à-dire quiconque ne boit pas de ce vin ou n’a pas confiance à ceux qui le lui offrent, il ne parviendra pas au bonheur de la vie éternelle. Et l’aspersion de la cendre, par laquelle on entend l’humilité de la pénitence, est si nécessaire, que sans elle la rémission des péchés n’a pas lieu dans les adultes ; car c’est par elle qu’on se prépare au baptême, et elle est l’unique refuge ouvert aux pécheurs après le baptême. Voilà pourquoi ce n’est pas sans raison que le Seigneur, parlant de Jean dans l’Évangile, appelle du nom de baptême ce qu’il fit : « Il vint, dit-il, dans tout le pays de Galilée, prêchant le baptême de la pénitence pour obtenir la rémission des péchés. » Et remarque qu’il y a quatre genres d’eau bénite, dont il sera parlé dans la quatrième partie, au chapitre de l’Aspersion de l’eau bénite.

XIV. Toutes ces choses étant achevées, le pontife fait quatre croix avec la même eau, aux quatre cornes de l’autel, et une au milieu. Les quatre croix représentent les quatre sortes de charité que doivent avoir ceux qui approchent de l’autel, à savoir : de chérir Dieu, eux-mêmes, leurs amis et leurs ennemis (inimicos). Il est dit touchant ces quatre cornes de la charité (Genèse, xxvii) : « Tu t’étendras à l’orient et à l’occident, au septentrion et au midi. » Et c’est pourquoi on fait quatre croix aux quatre cornes de l’autel, pour marquer que le Christ a sauvé les quatre parties du monde par la croix. Secondement, elles sont faites pour marquer que nous devons porter la croix du Seigneur de quatre manières, à savoir : dans le cœur, par la méditation ; dans la bouche, par la confession ; dans le corps, par la mortification ; sur le front, par l’impression assidue de son signe. La croix faite au milieu de l’autel signifie la passion que le Christ a subie au milieu de la terre, et par laquelle il a opéré le salut au milieu de la terre, c’est-à-dire dans Jérusalem.

XV. Ensuite, le pontife tourne sept fois autour de l’autel. Premièrement, pour marquer qu’il doit, lui, avoir soin de tout pour tous, et posséder la vigilance qui est désignée par le circuit. Voilà pourquoi on chante alors : « Les gardes de nuit (vigiles) m’ont trouvée, lorsqu’elles faisaient le tour de la ville » (Cant.). Il doit, en effet, veiller avec sollicitude sur les troupeaux qui lui sont confiés ; « car, comme dit Gilbert, c’est une chose ridicule qu’une vedette aveugle, qu’un coureur boiteux, qu’un prélat négligent, qu’un docteur sans science (insipidus) et qu’un crieur public muet. »

XVI. Secondement, les sept circuits autour de l’autel signifient les sept degrés de la vertu d’humilité du Christ que nous devons avoir, et que nous devons parcourir fréquemment. La première vertu du Christ, c’est que, de riche il s’est fait pauvre ; la seconde, qu’il a été mis dans une crèche ; la troisième, qu’il a été soumis à ses parents ; la quatrième, qu’il a incliné la tête sous la main d’un valet ; la cinquième, qu’il a supporté et souffert un disciple larron et traître ; la sixième, que, plein de mansuétude, il a paru debout devant un juge inique ; la septième, qu’il a prié avec clémence pour ceux qui le crucifiaient.

XVII. Troisièmement, les sept circuits autour de l’autel représentent les sept voyages du Christ. Le premier fut du ciel dans le sein (in uterum) de Marie. Le second, du sein (de utero) de sa mère dans la crèche. Le troisième, du berceau dans le monde. Le quatrième, du monde au gibet. Le cinquième, du, gibet dans le sépulcre. Le sixième, du sépulcre dans les lymbes. Le septième, des lymbes dans le ciel. Ensuite l’évêque asperge l’autel.

XVIII. Or, l’Apôtre dit ce que signifie l’autel dans le temple : « Le temple de Dieu est saint, et c’est vous qui êtes ce temple. » Si donc nous sommes le temple de Dieu, nous avons un autel. Notre autel, c’est notre cœur. Car le cœur est dans l’homme ce que l’autel est dans le temple. Sur cet autel, on offre un sacrifice de louange et de jubilation, selon cette parole du Psalmiste : « Le sacrifice à offrir à Dieu, c’est notre esprit, etc. » Sur cet autel se fait la commémoration du corps et du sang du Christ. De l’autel les prières montent au ciel, « parce que Dieu abaisse ses regards sur nos cœurs. » Donc, on asperge d’eau, cet autel, quand on purifie les cœurs des hommes de leurs péchés par la prédication de l’Évangile. Car la prédication c’est l’eau, selon cette parole : « Vous tous qui avez soif, venez aux eaux. » Donc, c’est par cette eau, c’est-à-dire par la prédication de l’Évangile et par la sanctification du Saint-Esprit, que l’autel du cœur et l’homme tout entier sont à la fois purifiés et rendus saints. Or, on consacre l’autel du cœur par la pensée de la crainte, afin qu’il soit invité au bien, et que, par l’effet de Famour, il y soit confirmé ; car « le commencement de la sagesse, c’est la crainte du Seigneur. »

XIX. Or, on asperge sept fois l’autel d’eau, pour marquer que dans le baptême les sept dons de l’Esprit-Saint nous sont accordés. Cela signifie encore que nous devons nous rappeler la passion du Seigneur et l’avoir toujours présente à la mémoire. Car les sept aspersions de l’eau, ce sont les sept effusions du sang du Christ. La première eut lieu lors de la circoncision. La seconde, pendant qu’il priait au jardin des Oliviers et quand sa sueur se changea en gouttes de sang. La troisième, lors de la flagellation de son corps. La quatrième, quand on couronna sa tête d’épines. La cinquième, quand on perça de part en part ses mains. La sixième, quand on cloua ses pieds à la croix. La septième, lors de l’ouverture de son côté. Et il y en a certains (quidam) qui font trois aspersions, parce que c’est au nom de la sainte Trinité qu’on baptise, ou parce que l’Église est purifiée de ses péchés de pensée, de parole et d’action ; voilà pourquoi on dit alors : « Miserere mei… »

XX. Les aspersions ci-dessus mentionnées se font avec un aspersoir fait d’hysope, et cette herbe, qui est vile (humilis) et croît dans la terre, désigne convenablement l’humilité du Christ ; parce que les effusions de sang dont nous avons parlé plus haut furent faites avec l’hysope de l’humilité du Christ et son inextinguible charité, par laquelle l’Église catholique qui en a été aspergée est purifiée de ses péchés. Cette même herbe croît naturellement dans la pierre, et l’humilité de la nature crût dans le Christ, pierre vivante. Car, selon l’Apôtre : « La pierre était le Christ. » L’hysope est encore d’une nature chaude, et l’humilité du Christ a enflammé les cœurs froids à l’exercice des œuvres de la charité. Ses racines pénètrent les rochers, et l’humilité brise les obstacles qui arrêtent l’homme qui ne pratique pas la charité. Elle est bonne pour la poitrine et contre l’enflure, et Jésus-Christ guérit l’enflure de l’orgueil. Celle-ci naît et prend racine dans la terre ; voilà pourquoi on peut entendre par elle toute la multitude des fidèles ; et, certes ! ils sont bien représentés par l’hysope, ceux qui, enracinés et fondés dans la foi du Christ, ne peuvent être déracinés et séparés de son amour. Et par ces hommes, qui pouvons-nous mieux entendre que les évêques et les prêtres, qui, plus ils sont élevés en dignité dans l’Église, plus ils doivent s’attacher avec force à la foi du Christ ? Certes ! c’est par eux que se fait l’aspersion de l’eau, c’est par eux aussi et par leurs mains que sont baptisés les fidèles du Christ ; c’est à eux, enfin, qu’il a été donné de parfaire (perficere) les cérémonies (sacramenta) du baptême.

XXI. Et, pendant qu’on asperge d’eau l’autel, l’évêque chante : « Ma maison est une maison de prière, etc. » Et encore : « Je dirai ton nom à mes frères. » Et, parce que nul ouvrage n’arrive à sa consommation sans Dieu, il prie, afin que ceux qui entrent en ce lieu pour y demander des grâces soient exaucés. Par conséquent, lorsque l’église et l’autel sont consacrés ensemble, on asperge d’eau toute l’église, comme il en a été touché un mot dans le chapitre précédent. Et, cela étant fait, le pontife s’approche de l’autel avec le Psalmiste, et il verse le reste de l’eau au pied de l’autel ; de même que dans l’ancien Testament on répandait le restant du sang dans la rigole, qui est la même chose que la base ou le pied de l’autel. Ce qui signifie que l’on remet aux mains de Dieu ce qui reste (quod residuum) et ce qui surpasse les forces humaines dans un si grand sacrement, et qu’on le confie à lui qui est le souverain prêtre, et dont le devoir des autres prêtres est de suppléer le défaut. Le sépulcre, ou le trou dans lequel on doit enfermer les reliques, représente l’urne d’or pleine de manne qui avait été placée dans l’arche du Témoignage, comme on l’a dit au chapitre de l’Autel. Or, ce genre de sépulcre, que quelques-uns appellent confession (confessio), c’est notre cœur, et on le consacre avec quatre croix faites de chrême,

XXII. Parce qu’il y a quatre vertus de décrites dans le livre de la Sagesse ; ce sont la prudence, la force, la tempérance et la justice, qui sont en quelque sorte quatre onctions que reçoit notre cœur lorsque, par le don du Saint-Esprit, il est préparé à recevoir les mystères des secrets du ciel. Et l’on fait ce sépulcre parfois à la partie supérieure de l’autel, et parfois au côté antérieur.

XXIII. Assurément, la consécration d’un autel stable, mais encore d’un hôtel de voyage ou portatif, n’a pas lieu sans qu’on y mette les reliques des saints, ou, lorsqu’on ne peut en avoir dans l’endroit où l’on se trouve, sans le corps du Christ. Car les reliques (reliquiœ), ce sont les exemples des deux Testaments, les auteurs qui traitent de la passion des martyrs et la vie des confesseurs qui nous ont été laissés (relicta) pour que nous les imitions. Nous les renfermons dans un coffre ou dans une châsse (capsa), lorsque nous les retenons dans notre cœur pour les imiter. Que si nous les entendons et les comprenons, et que nous ne les mettions pas en pratique, cela sert plus à notre condamnation (ad damnationem) qu’à notre salut, parce que ce ne sont pas ceux qui écoutent la loi qui sont justes devant Dieu, mais seulement ceux qui la remplissent. Voilà pourquoi l’Apôtre dit : « Soyez mes imitateurs, comme moi je le suis du Christ. » Et le portement solennel des reliques a lieu à l’imitation de ce qu’on lit dans l’Exode (xxv).

XXIV. A l’arche du Testament, il y avait deux anneaux d’or qui pénétraient tout le bois, et l’on y faisait entrer des bâtons de bois de Sethin dorés, et ils servaient à porter l’arche. Et, avant que le pontife entre dans son église, il en fait le tour avec les reliques, afin qu’elles soient les protectrices de cette église. On lit aussi dans le troisième livre des Rois, chapitre vii, que, lors de la dédicace du temple, on rassembla tous les anciens d’Israël, avec les princes ou chefs des tribus, et les ducs (duces) des familles, et ils vinrent trouver le roi Salomon à Jérusalem, afin d’assister à la translation de l’arche de l’Alliance du Seigneur, et tous les vieillards d’Israël y vinrent aussi. Et les prêtres portèrent l’arche de l’Alliance du Seigneur dans sa maison et dans l’oracle du temple, dans le Saint des saints, sous les ailes des chérubins. Car les chérubins étendaient leurs ailes sur le lieu qu’occupait l’arche, et ils couvraient l’arche et les bâtons qui y tenaient. Et le roi Salomon, et toute la multitude du peuple d’Israël qui s’était réunie à lui, s’avançait avec lui devant l’arche. En mémoire de quoi, les prélats, les grands et les juges de la province (apostoli provinciœ, ou de la Provence ?) se rendent aujourd’hui à la dédicace des églises, et suivent processionnellement l’évêque consécrateur, et les prêtres portent solennellement les reliques sous un pavillon ou un parasol (sub papilione seu umbraculo, usage en vigueur encore en Italie). Ensuite le pontife, avant d’entrer avec sa suite dans l’église, fait un sermon au peuple. Car Salomon, après qu’on eut apporté l’arche au temple, se tourna vers le peuple et bénit toute l’assemblée (ecclesia) d’Israël, et pria pour ceux qui prient dans l’église (in ecclesia). Or, toute la foule d’Israël (ecclesia) se tenait debout, et Salomon dit : « Béni soit le Seigneur, Dieu d’Israël, etc. » comme on le lit au même endroit.

XXV. Et on renferme les reliques des saints avec trois grains d’encens dans un coffret, parce que nous devons retenir dans notre mémoire les exemples des saints avec la foi de la Trinité, c’est-à-dire du Père, du Fils et de l’Esprit saint. Car nous devons croire un seul Dieu, une seule foi et un seul baptême ; parce que le juste vit de la foi, sans laquelle, comme l’a dit l’Apôtre, il est impossible de plaire à Dieu. On met sur ce sépulcre et on y adapte une tablette munie avec le chrême du signe de la croix. Car, par le chrême on entend le don de l’Esprit saint, par lequel on oint sur sa surface la tablette, c’est-à-dire la charité, parce que notre cœur est affermi par la grâce de l’Esprit saint, afin qu’il puisse observer les secrets du ciel. Donc la tablette, munie de ce signe, est posée sur les reliques, parce que, par les exemples des saints, la charité s’enflamme ; cette charité qui couvre la multitude des péchés, de même que la tablette couvre les reliques, ce qui a fait dire à l’Apôtre : « La charité de Dieu a été répandue dans nos cœurs par l’Esprit saint qui nous a été donné. » Et cette tablette ou pierre contient ou est appelée le sceau du sépulcre, comme dit le pape Alexandre III. Ensuite, on pose sur l’autel la pierre qu’on appelle la table de l’autel, et par elle nous pouvons entendre la perfection et la solidité de la connaissance de Dieu, qui doit être de pierre, non à cause de la dureté mais de la solidité de la foi, selon ce que le Seigneur dit à Pierre : « Tu es Pierre, et sur cette pierre, c’est-à-dire sur cette fermeté inébranlable de la foi, je bâtirai mon Église. »

XXVI. Ainsi donc, de même que la table est la confirmation et la perfection de l’autel, ainsi la connaissance de Dieu est la confirmation et la perfection de toutes les bonnes œuvres. Voilà pourquoi il est dit à Dieu dans la Sagesse : « Révèle-toi, car la justice a été confirmée ; et enseigne ta justice et ta vertu, car cette connaissance est la racine de l’immortalité. » Et le Seigneur dit, par la bouche de Jérémie : « Celui qui se glorifie de me savoir et de me connaître, trouvera sa glorification dans cette connaissance même. »

XXVII. Et, par la même pierre, on entend le Christ, dont l’Apôtre dit : « La pierre du sommet de l’angle, c’est le Christ Jésus. » Or, la pierre désigne l’humanité du Christ, et on lit de lui dans Daniel que « la pierre a été coupée de la montagne sans la main des hommes, » parce que le Christ est né d’une manière admirable, sine virili semine, de la bienheureuse Vierge (qui, à cause de l’éminence de ses vertus, est appelée une montagne), et, devenu une grande montagne, il a rempli tout l’orbe de la terre ; et le Psalmiste dit encore touchant sa personne : « La pierre qu’avaient rejetée les architectes est devenue la tête (caput) de l’angle ; » parce que le Christ, que les architectes, c’est-à-dire les Juifs, avaient rejeté, en disant : « Nous ne voulons pas qu’il règne sur nous, » est devenu la tête (caput) de l’angle, parce que, comme dit l’Apôtre : « Le Seigneur l’a exalté, etc. » Ou bien encore, par la pierre on entend la charité, comme on l’a dit plus haut ; la charité, en effet, c’est la pierre qui doit être grande et large, car le précepte de la charité est étendu, puisqu’il s’étend jusqu’aux ennemis particuliers (inimicos), selon ce précepte du Seigneur : « Chérissez, dit-il, vos ennemis. »

XXVIII. On n’oint donc que les autels de pierre, parce que l’autel représente le Christ, qui est une pierre croissant sur une montagne, comme il a été dit. Il est lui-même le mont oint de l’huile d’une allégresse fertile par-dessus tous ceux qui l’entourent. Cependant on lit dans l’Exode que le Seigneur commanda de faire des autels de bois de Sethin, qui ne peut pas se pourrir ; voilà pourquoi les autels latéraux de l’église sont de bois. Salomon fit aussi un autel d’or, comme on le lit dans le IIIe livre des Rois, chapitre viii ; mais ces autels étaient des figures. Et, dans le comté de Provence, au village (castrum) de Sainte-Marie-de-la-Mer (Sancta-Maria-de-Mari), il y a un autel de terre que firent en ce lieu Marie-Madeleine et Marthe, et Marie Jacobi, et Marie Salomé. Après cela, et quand on a aspergé l’autel et qu’on l’a baptisé avec de l’eau, il reste à l’oindre de l’huile et du chrême. Or, l’évêque verse dessus l’huile et le chrême, et il chante : « Jacob érigea une pierre en monument, en répandant de l’huile dessus. » Car cette église fut le type des autres, parce que « de Sion sortit la loi, et de Jérusalem la parole du Seigneur. »

XXIX. L’évêque fait d’abord sur l’autel cinq croix avec l’huile des infirmes, selon l’ordre romain ; mais, selon certaines autres églises, il fait de l’une et de l’autre huile une croix au milieu de l’autel, et quatre aux quatre coins ; ensuite il fait de même et autant de fois avec le chrême. Assurément, par l’huile il faut comprendre la grâce de l’Esprit saint ; et le prophète Isaïe dit, en parlant de cette huile : « Le joug pourira devant l’huile, » parce que, de même que l’évêque verse l’huile sur l’autel, ainsi le Christ, qui est le souverain pontife, verse la grâce sur notre autel, qui est notre cœur. Car il distribue toutes les grâces par l’Esprit saint, comme dit l’Apôtre : « A l’un est donnée la parole de la sagesse, à l’autre la foi, à l’autre la grâce de guérir les maladies, etc. » Et, de même que par l’huile l’évêque purifie la table de l’autel, ainsi l’Esprit saint purifie notre cœur de tous ses vices et de tous ses péchés.

XXX. Le Christ fut aussi oint d’huile, non visible à la vérité, mais invisible, c’est-à-dire de la grâce de l’Esprit saint. Ce qui a fait dire à David : « Dieu, ton Dieu, t’a oint de l’huile de l’allégresse par-dessus tes compagnons ; » c’est-à-dire plus que tous les saints qui ont participé à sa grâce, qui est celle du Christ. Voilà pourquoi l’onction convient plus expressément au Christ qu’aux autres ; car, par-dessus tous les autres, Dieu l’a oint afin qu’il eût la plénitude des biens, et c’est pour cela que l’on dit qu’il a été oint. L’onction faite avec l’huile signifie aussi la miséricorde, selon cette parole de l’Évangile : « Oins d’huile ta tête, et lave ton visage. » Car, de même que l’huile dans les liquides, ainsi la miséricorde dans les bonnes œuvres monte toujours au-dessus (superior) ; et quelque liquide que tu verses sur l’huile, elle nage toujours au-dessus. Et, touchant la miséricorde, il est écrit : « Le Seigneur est suave pour tous, et la pitié est sur toutes ses œuvres, et sa miséricorde l’emporte sur la sévérité de sa justice. » Que l’autel de notre cœur soit donc oint de cette huile, afin que, gardant toujours le souvenir de la miséricorde, nous ne perdions pas la grâce de l’aspersion de l’eau, de la régénération et du baptême.

XXXI. Les cinq croix d’huile signifient que nous devons toujours avoir présent à la mémoire le souvenir des cinq plaies du Christ, qu’il a souffert pour nous sur la croix. Car il reçut cinq blessures, à savoir : aux mains, aux pieds et au côté. Elles désignent encore les cinq genres de souffrances de miséricorde qui nous sont nécessaires.

XXXII. Car il est nécessaire que l’homme ait pitié du Christ en compatissant à sa passion, ce qui a fait dire à Job dans la personne du Christ : « Ayez pitié de moi, ayez pitié de moi, vous, du moins, qui êtes mes amis, etc. » Il faut aussi que l’homme ait pitié de son prochain, dont il voit les maux, sur quoi on lit dans l’Ecclésiastique : « Compassion de l’homme à l’égard de son prochain et pour lui-même. » Et cela de trois manières, à savoir : pour les fautes commises, en les pleurant, ce qui a fait dire à Jérémie : « Il n’y a aucun homme qui fasse pénitence pour son péché, en disant : Qu’ai-je fait ? » Pour les omissions, sur quoi Isaïe dit : « Malheur à moi qui me suis tu, c’est-à-dire parce que je n’ai pas parlé ; » comme s’il disait : « Parce que j’ai omis le bien que j’ai pu faire, et pour les bonnes œuvres faites dans un esprit moins pur qu’il faudrait. » Voilà pourquoi saint Luc dit : « Lorsque nous aurons fait toutes les bonnes œuvres, disons que nous sommes des serviteurs inutiles, etc. ; » comme s’il disait : « Nous avons fait de bonnes œuvres, mais pas bien, pas purement, et voilà pourquoi nous les avons faites inutilement ; » comme celui qui, faisant l’aumône pour la seule gloire, fait le bien, mais pas bien, pas purement. L’Ecclésiastique, parlant de cette triple pitié, dit : « Aie pitié de ton ame, pour plaire à Dieu. » Et l’on fait deux croix pour marquer que la vraie pitié de l’ame doit accompagner l’accomplissement de la bonne œuvre. La première croix se fait avec l’huile, et la seconde avec le chrême ; d’où le psaume : « Bienheureux celui qui a pitié et qui donne, qui a pitié dans son ame et donne par ses œuvres. » Et, comme il ne suffit pas d’avoir la compassion dans l’ame avec la pratique de la bonne œuvre sans l’odeur de la bonne renommée, selon cette parole de l’Évangile : « Que votre bonne œuvre luise de telle sorte que Dieu soit glorifié, » voilà pourquoi on fait des croix avec le chrême, qui se compose de baume et d’huile.

XXXIII. Or, le baume, à cause de sa bonne odeur, signifie la bonne renommée ; l’huile, à cause de sa clarté, l’éclat de la conscience que nous devons avoir, selon cette parole de l’Apôtre : « Notre gloire, c’est le témoignage de notre conscience. » Le baume est bien uni à l’huile, quand la bonne odeur [de la renommée] est unie à la miséricorde.

XXXIV. On entend encore, par les cinq croix d’huile et de chrême, les cinq sens de notre corps, qui sont doublés et s’élèvent à la valeur de dix, parce que, parfois, en bien usant des sens de notre corps, nous nous gardons à la fois nous-mêmes, et, par notre exemple et notre enseignement, nous confirmons les autres dans la pratique des bonnes œuvres. C’est pourquoi le bon intendant se glorifiait, en disant : « Voici que j’en ai gagné cinq autres de plus. » Et, pendant qu’on fait ces onctions dont nous avons parlé plus haut, on chante : « Dieu, ton Dieu t’a oint, etc. ; » ce qui se dit du Christ. On oint donc l’autel trois fois : deux fois d’huile, et la troisième fois de chrême, parce l’Église s’illustre par la foi, l’espérance et la charité, qui est plus grande que les autres vertus ; et, tandis qu’on verse le chrême, on chante : « Voici que l’odeur de mon fils est comme celle d’un champ fertile » (agri pleni). Ce champ est l’Église, qui s’embellit de fleurs, resplendit de vertus, embaume par le parfum de ses bonnes œuvres ; et là sont les roses des martyrs, les lys des vierges, les violettes des confesseurs et le gazon (viror) de ceux qui commencent. Après l’onction, on fait brûler l’encens, qui signifie la dévotion de la prière. Or, celui qui a les sept dons de l’Esprit saint s’est rendu semblable à Dieu ; il peut donc offrir une prière dévote à celui dont il est l’image.

XXXV. On brûle l’encens en cinq endroits, à savoir : aux quatre angles et au milieu de l’autel, parce que nous devons exercer les cinq sens du corps, de telle manière que la renommée de notre bonne œuvre s’étende jusqu’à notre prochain ; sur quoi l’Apôtre dit : « Nous sommes la bonne odeur du Christ en tout lieu. » Et dans l’Évangile : « Que votre lumière luise, etc. » Ce fréquent usage de l’encens, c’est encore la continuelle prière que le Christ, prêtre et pontife, adresse pour nous à Dieu le Père.

XXXVI. Faire la croix avec l’encens, c’est montrer ses souffrances au Père et le supplier pour nous. Brûler copieusement l’encens au milieu et dans les angles de l’autel, c’est multiplier les prières dans Jérusalem et dans l’Église universelle.

XXXVII. Or donc, on munit l’autel du bois de la croix, en disant : « Confirma hoc Deus, etc. » Cette confirmation faite du chrême par le pontife, à la surface et en quelque sorte sur le front (in fronte) de la pierre, marque la confirmation que chaque jour l’Esprit saint produit par la charité sur l’autel du cœur, afin qu’aucune tribulation ne puisse séparer notre ame de la charité de Dieu ; c’est pourquoi l’Apôtre dit : « Qui nous séparera de la charité du Christ ? La tribulation ou l’angoisse, etc. » Et il ajoute : « Que l’on chante gloire au Père et louange à la Trinité. »

XXXVIII. La dernière bénédiction de l’autel représente cette bénédiction finale qui aura lieu quand il sera dit : « Venez, les bénis de mon Père, etc. » Ensuite, on essuie l’autel avec un linge blanc, pour marquer que nous devons purifier notre cœur par une vie chaste. Puis on bénit les vases, les habits sacrés et les linges consacrés au culte divin ; car Moïse apprit du Seigneur, pendant quarante jours, comment il fallait faire les linges et les ornements nécessaires au temple.

XXXIX. Or, bénir les ustensiles de l’église (utensilia), c’est rapporter nos œuvres à Dieu. Après cela, on revêt l’autel de linges blancs et propres. Il a été parlé de cela au chapitre de l’Autel. Enfin, on orne l’église et on allume les lampes et les cierges, parce qu’enfin, alors, les œuvres des justes resplendiront, alors les justes brilleront et ils courront çà et là comme des étincelles dans un lieu planté de roseaux (tanquam scintillœ in arundineto). Et puis, l’autel étant consacré de cette manière, on célèbre la messe et on offre le sacrifice au Très-Haut. C’est ce sacrifice dont le Prophète dit : ce Le sacrifice à offrir à Dieu, c’est un esprit affligé, un cœur contrit, etc., » comme on le dira dans la Préface de la quatrième partie. Or, la consécration ne doit pas avoir lieu sans la messe, selon le pape Gélase (De consec., dist. i, Omnes), parce qu’alors se révèle le sacrement qui fut même caché aux anges dès le commencement ; et remarque que, pendant l’aspersion de la basilique, le pontife se sert seulement d’habits de lin et des plus communs ; mais que, pour la messe, il est orné de vêtements pontificaux et précieux, te rappelant que le pontife de la loi purifiait le sanctuaire en habits de lin, et qu’après l’avoir lavé, il offrait, revêtu du vêtement pontifical, l’holocauste des béliers. Mais comme, après la purification, il était revêtu des mêmes habits de lin pour renvoyer le bouc [émissaire], voilà pourquoi encore aujourd’hui, pour la consécration des fonts et l’immersion des catéchumènes, où leurs péchés sont chassés du dehors, il y en a (quidam) qui se servent d’habits communs et de vêtements de lin.

  1. [Etstare fecit cantores contra altare, et in sono eorum dulces fecit modos.] Ecclésiastique, cap. xlvii, vers. 11. « Cela peut signifier, dit Le Maistre de Sacy, ou que David a composé lui-même ou fait composer par ses musiciens les airs des cantiques, ou qu’il a ordonné que les chantres joindraient au son des voix divers instruments de musique. » (V. la sainte Bible, édition de 1742, t. XI, p. 307, note 2.)