Rational (Durand de Mende)/Volume 1/Troisième livre/Chapitre 03

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Traduction par Charles Barthélemy.
Louis Vivès (volume 1p. 225-228).
Livre troisième


CHAPITRE III.
DE L’AUBE (36).[1]


I. Après l’amict, le prêtre revêt la chemise ou aube, qui, convenablement adhérente aux membres du corps, montre qu’il ne doit y avoir rien de superflu ou de dissolu dans la vie du prêtre ou dans ses membres. Elle figure aussi, à cause de sa blancheur, la pureté de la vie, selon ce qu’on lit : « Qu’en tout temps tes vêtements soient blancs. » Et elle est de bysse ou de lin, à cause de ce qu’on lit : « La justice des saints est comme un vêtement de lin. »

II. Or, le bysse est un lin qui croît en Égypte. Et, de même que le lin ou le bysse acquiert par l’art, et après avoir été fortement battu et peigné, la blancheur qu’il n’a pas de sa nature, ainsi la chair de l’homme obtient par l’exercice des bonnes œuvres, après s’être macéré par beaucoup de pénitences et par un don gratuit de la grâce, la pureté que la nature ne lui a pas donné en partage. Donc, que le prêtre, selon l’Apôtre, châtie son corps et le réduise en servitude, de peur que, par hasard, après avoir prêché aux autres il ne vienne lui-même à être réprouvé.

III. Or, l’aube a un capuce, qui est la profession ou la pratique de la chasteté. Elle a aussi un cordon, qui signifie la langue du prêtre, qui lie ceux qui résistent à Dieu (contumaces), et délie ceux qui font pénitence. Ce vêtement, qui, dans l’ancien sacerdoce, s’appelait linea, ou podèrnès en grec, ou tunica talaris en latin, était étroit, selon les descriptions que l’on en lit, à cause de l’esprit de servitude et d’esclavage dans lequel vivaient les Juifs pleins de crainte. Mais dans le nouveau sacerdoce il est large, à cause de l’esprit d’adoption dans la liberté, par laquelle le Christ nous a délivrés. Quant à ce qui est de l’orfroi et des franges ou festons[2], qu’en divers lieux et d’ouvrages divers elle a pour ornement, cela fait entendre ce que le Prophète dit dans le psaume : « La reine se tient à ta droite, avec un vêtement doré et garni de diverses broderies. »

IV. L’aube est encore serrée par la ceinture, afin que l’on sache que toute volupté charnelle doit être réprimée, selon cette parole du Seigneur : ce Que vos reins soient fortement ceints. »

V. Les manches aussi, tant celles de l’aube que de la tunicelle, doivent être raisonnablement étroites et pas trop larges, de manière à tomber et à laisser les bras nus. Elles auront à leurs extrémités des orfrois, pour marquer les bracelets d’or qui couvrirent miraculeusement et décemment les bras nus du bienheureux Martin pendant qu’il célébrait la messe, comme on le dira dans la septième partie, à l’article de sa fête.

VI. Par l'aube qui couvre le corps du haut en bas, on figure aussi l’espérance, qui, par la grâce, vient à l’Église d’en haut, et ses mérites, qui montent d’en bas. Sur quoi l’Apôtre dit aux Romains (cap. viii) : « Nous avons été sauvés par l’espérance. » Et parce qu’elle descend jusqu’aux talons, elle désigne la persévérance, comme il en a été touché un mot vers la fin de la préface de cette partie. Enfin, en ce qui se rapporte au chef (capiti) du prêtre, à savoir au Christ, l’aube, qui est un vêtement de lin très-peu semblable aux tuniques de peaux, qui sont faites de la fourrure des animaux morts, et dont Adam fut vêtu après le péché, signifie la nouvelle vie ou son renouvellement, que le Christ eut, enseigna et conféra dans le baptême, dont l’Apôtre dit : « Dépouillez le vieil homme avec ses actes, et revêtez le nouveau, qui a été créé selon Dieu. » Car sa face resplendit comme le soleil dans la transfiguration, et ses vêtements devinrent blancs comme la neige ; et ses vêtements furent toujours purs et blancs, parce qu’il ne commit pas de péché et que la ruse n’habita pas sur ses lèvres. Cet habit représente encore la robe blanche dont Hérode fit revêtir le Christ par manière de raillerie.

  1. Voir la note 36, page 431.
  2. Aurifrisium et grammata ; on dit aussi aurifrasium, auinfrigia et aurifres. [Dalmatica cum safre sive aurifres ante et retro] dans l’inventaire des ornements de la sacristie de Saint-Victor de Marseille, tiré des archives de ce monastère. En français, frange d’or ou ouvrage phrygien. La Chronique de Laurisham, p. 93 : [Capae très cum aurifrigiis, palla altaris cum aurifrigio, etc.]. Nous disons : « Orfroi, bordure, » et les Anglais : « Orfrey of à vestiment ; » mot à mot : De l’or frisé. Le Roman de la Rose parle de l'orfroi comme d’une parure du siècle :

    « Et un chapeau d’orfrays eut neuf,
    Le plus beau fut de dix-neuf,
    Jamais nul jour vu je n’avoye
    Chapeau si bien ouvré de soye.
    . . . . . .
    Pourtraites y furent d’orfroys
    Histoire d’empereurs et roys. »

    Par où l’on voit qu' aurifrigium ou auriphrygium ne signifie pas toujours une frange ou une bande d’or, mais tout genre d’ouvrage brodé à l’aiguille,
      Gramata s’écrit encore grammata, gramasia et gramicia. Dans une charte de 1197, rapportée par Ughelli (*), t. 7, p. 1275, on lit : [Duos amictus cum gramatis] ; plus haut : [Unam camisiam cum gramatis et frisis, unam stolam de catasfittulo]. Grama a le sens de feston en français ; exemple : [Item unam dalmaticam nobilissimam de opere Cyprensi, cum gramicis ad figuras cum perlis… Item, 4 camisas de cortina, cum pectoralibus et gramicis de opere Cyprensi]. V. liber Anniversariorum Basilic. Vatic, ap. J. Rub., in Vit, Bonifacii VIII, PP., p. 345.
    I (*) Italia sacra, etc.