Raynouard, sa vie et ses ouvrages

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M.  RAYNOUARD,
SA VIE ET SES OUVRAGES.

De 1800 à 1805 il n’y eut pas un seul grand succès dramatique au Théâtre-Français ; le public pourtant n’avait jamais été plus assidu aux représentations, plus épris du brillant ensemble qu’offrait alors cette scène si complète en acteurs, si riche de tout l’ancien répertoire, retrouvé avec bonheur après l’invasion révolutionnaire. Les tragédies de Marie-Joseph Chénier se rattachaient trop à cette époque orageuse, pour ne pas être un peu rejetées en arrière, sans parler même des défenses plus positives que leur opposait un gouvernement ombrageux. Pour trouver un grand triomphe à la scène, un triomphe dû tout entier aux émotions dramatiques, sans préoccupation d’intérêt et de passions étrangères, il fallait remonter à l’Agamemnon de M. Lemercier, à ce drame ressaisi encore une fois d’Eschyle et d’Homère. Mais, le 14 mai 1805, devant ces spectateurs si difficiles et si bien rétablis dans les habitudes classiques, se représenta et retentit avec des bravos inconnus depuis Voltaire la dernière vraie tragédie cornélienne, une tragédie nationale par le sujet, continuant avec sévérité cette inspiration moderne de Tancrède, d’Adélaïde Duguesclin, que De Belloy avait autrefois usurpée, et dont l’auteur nouveau semblait hériter légitimement. Elle avait de plus le mérite de reposer non sur un fait admiré de tous, mais sur une réhabilitation historique, qui n’était peut-être pas néanmoins sans exciter quelque intérêt de retour au sortir d’une révolution qui avait aboli et dépouillé les ordres religieux. Cette tragédie, c’était les Templiers.

L’auteur des Templiers, M. François-Just-Marie Raynouard, naquit à Brignolles, le 8 septembre 1761. Après avoir fait ses humanités au petit séminaire d’Aix avec grand succès, il alla prendre ses grades à l’école de droit d’Aix. Sans doute il revenait souvent à cette époque au sein de sa famille, qu’il aima toujours d’une affection austère et profonde ; nous savons que la veille de sa thèse il était à Brignolles, et que, parti le matin à pied, selon une habitude toujours conservée, il arriva à temps pour soutenir d’une manière brillante cet acte public. Ceci se passait en 1784, et ce fut aussi à cette époque que M. Raynouard vint à Paris avec des projets littéraires arrêtés, et (ce qui valait beaucoup mieux, non pour sa fortune peut-être, mais pour sa conscience) avec une grande obstination à la probité et une horreur pour l’injustice, qu’avait soulevée et comme mise au vif en lui une mesure arbitraire dont il avait été victime au collége. Au moment où M. Raynouard arriva à Paris, les idées politiques commençaient déjà à fermenter. La littérature pourtant et la philosophie recouvraient toute la surface de leur vernis le plus brillant ; les grands hommes du xviiie siècle avaient disparu ou achevaient de mourir. Mais une génération nombreuse et vive ne laissait pas voir les pertes. L’auteur des Études de la Nature était près de succéder à Rousseau, et l’auteur de Figaro s’emparait bruyamment de la moquerie puissante de Voltaire. La poésie, qu’ornait et qu’enjolivait l’abbé Delille, offrait, comme accompagnement d’un style plus sévère, les belles odes de Lebrun, et aussi les premières élégies de Parny. M. Raynouard ne paraît pas avoir eu accès dans cette société et cette littérature si agréables et si raffinées. L’insinuation qu’il aurait fallu pour réussir, la grace flatteuse qui aurait pu gagner la faveur d’un patron puissant ou d’une grande dame à la mode, l’obséquiosité même auprès d’un homme de lettres en crédit, c’étaient des rôles qui ne convenaient guère au caractère ferme, abrupt, un peu sauvage en ses abords, loyal et noblement fier, qui dominait chez M. Raynouard. Il demeura cependant à Paris pour perfectionner ses études. C’est sans doute à cette époque qu’il suivit exactement, au Collége de France, un cours de littérature grecque dont il fut long-temps l’unique auditeur.

Nous ne sommes pas éloigné de croire que M. Raynouard fit alors quelques tentatives littéraires dont les difficultés le rebutèrent momentanément, et que, peu facile aux dégoûts des commencemens et aux obstacles sourds et obscurs des débuts, il prit la résolution de se créer avant tout l’indépendance de fortune, pour ne devoir plus qu’à lui-même ses succès, et pour écrire, famà non fame, comme disait le président de Thou. Il nous semble qu’on trouverait peu d’exemples d’une pareille résolution dans la vie des écrivains et des artistes, pour qui, en définitive, la science et l’art sont plutôt un moyen qu’une fin arrêtée et prévue. M. Raynouard, l’aîné d’une famille où les mœurs patriarcales s’étaient conservées comme par tradition des premiers temps, et à laquelle il voulait laisser son honorable aisance, alla se fixer au barreau de Draguignan. Sa science profonde du droit et la lucidité d’un jugement toujours sain ne tardèrent pas à lui attirer une clientelle si nombreuse, qu’il donnait ses consultations même au bain. Comment l’écrivain ne disparut-il pas sous la robe du légiste, au milieu des cliens et des dossiers ? Comment l’idée fixe et secrète d’une carrière littéraire, ainsi reculée dans l’avenir, ne s’effaça-t-elle pas peu à peu sous les intérêts réels de chaque instant, sous les préoccupations positives et sans cesse renaissantes d’une vie d’avocat en province ? Les projets les plus sincères de l’homme, ses désirs les plus ardens, s’usent et disparaissent si vite au milieu d’une existence entièrement vouée à un seul but, qu’on ne peut expliquer cette persévérance constante, cette volonté toujours debout au milieu des influences contraires de la vie de chaque jour, que par la rare fermeté qui caractérisait M. Raynouard. On conçoit très bien que le malheur soit un aiguillon de plus pour le poète décidé à atteindre sa fin ; mais qu’on prélève quinze ans d’existence laborieuse et positive au commencement de la vie d’un écrivain, et que, ces années révolues, on le voie abandonner sa position sociale et recommencer, avec une nouvelle vigueur et sans fatigue, une carrière où les plus enthousiastes et les plus ardens se lassent, c’est chose au moins peu ordinaire, et qui indique une vocation, sinon immédiate et d’élan, au moins réfléchie intérieurement et dès long-temps décidée.

En 1791, l’occasion s’offrit pour M. Raynouard, avocat au parlement d’Aix, de se produire et d’être utile à son pays ; il l’accepta volontiers, et fut nommé suppléant à l’assemblée législative. Mais la révolution marchait vite, et après les évènemens du 31 mai 1793, M. Raynouard, qui s’était retiré en Provence, fut arrêté par le parti de la Montagne, et amené à Paris en charrette, puis jeté dans les prisons de l’Abbaye, où on l’oublia heureusement, pour l’en tirer au 9 thermidor. C’est au sortir des cachots de la terreur, dans un petit logement de la rue Pavée-Saint-André-des-Arts, no 12, et peut-être, comme nous inclinerions assez à le croire, sous les verrous même de l’Abbaye, que l’auteur des Templiers écrivit, à trente ans, sa première tragédie, Caton d’Utique, imprimée bientôt à quarante exemplaires, détruits en partie plus tard. Bien peu des amis de M. Raynouard connaissent cette œuvre, et ceux-là seuls qui l’entouraient de plus près, et qui avaient une plus large part à ses confidences littéraires si réservées au dehors, ont lu ce premier essai, où sa muse, inexpérimentée encore, bien que tardive, célébrait avec un noble et sobre enthousiasme la liberté, au nom de laquelle on venait de le jeter dans les charniers révolutionnaires. Caton d’Utique, qui peut servir de prologue à la Mort de César de Voltaire, manque absolument d’action, et il n’y a pas lieu, malgré une ou deux belles situations, à un développement tragique. Il nous semble d’ailleurs, malgré l’œuvre d’Addison, que le caractère de Caton ne peut être développé sur la scène. Avec qui mettre en rapport un pareil personnage, à moins de tomber dans la prédication politique ou dans des déclamations sentimentales ? Rien en lui n’est assez humain pour prêter à une combinaison dramatique, et nous ne le concevons que dans une grande et unique scène isolée, comme celle de Pygmalion, ou comme l’Agar et Ismaël, de M. Lemercier. Quoi qu’il en soit de la possibilité de dramatiser le sujet de Caton, l’œuvre de M. Raynouard, remarquable par une tendance prononcée à tout tourner à la maxime, est surtout curieuse par la hardiesse du poète qui, pendant la terreur, ose dire du peuple :


Ah ! qu’il soit de César la proie et la conquête ;
Un peuple qui se vend mérite qu’on l’achète.
..................
Une victoire passe, et la liberté reste…


M. Raynouard, quand la révolution se fut calmée et qu’il eut acquis une honorable indépendance, vint se fixer définitivement à Paris, bien décidé à ne s’adonner désormais qu’à ses penchans littéraires. Son premier succès fut un succès académique. Le 6 nivôse an xii, l’Institut couronna le poème de Socrate au temple d’Aglaure, que M. Raynouard avait envoyé au concours, avec une autre pièce parvenue trop tard et restée inédite. Tout le monde sait qu’à Athènes les jeunes gens se faisaient, à vingt ans, inscrire au rang des citoyens, et prêtaient, dans le temple d’Aglaure, un serment dont la formule a été conservée par Stobée et Pollux. Le serment de Socrate est le sujet du poème de M. Raynouard, où l’on rencontre déjà quelques-uns de ces accens mâles et austères, qui retentirent plus tard avec éclat dans les Templiers. Si Bernardin de Saint-Pierre trouvait ce tableau « ordonné comme ceux du Poussin, » Bonaparte ne devait pas être du même avis, et on conçoit qu’il n’ait guère aimé l’homme qui, en 1803, faisait dire à Socrate :


Forts contre l’injustice, ardens à la punir,
Vous frappez les tyrans, mais sans le devenir, etc.
..................


Ce triomphe académique ouvrit à M. Raynouard le Théâtre-Français. Il y fit bientôt recevoir Éléonore de Bavière (restée inédite) et les Templiers. L’idée de donner à la France ce que Madrid et l’Allemagne possédaient depuis long-temps, ce qui avait retenti de longue date sur la scène de Covent-Garden et de Drury-Lane, la tragédie nationale, préoccupait surtout M. Raynouard. Cependant la police ombrageuse du consulat, qui allait devenir la police plus ombrageuse encore de l’empire, apporta tant d’entraves à la mise en scène des Templiers, qu’ils ne furent joués qu’en 1805. Le succès passa toutes les espérances, et la pièce eut trente-cinq représentations continues, ce qui était quelque chose à une époque où les théâtres ne subventionnaient pas encore une armée de claqueurs. Le feuilleton du Publiciste, rédigé alors, avec tant de supériorité, par Mlle de Meulan, commençait le lendemain par ce cri de noble joie : « Enfin le charme est rompu ! Après six ans de revers multipliés, la muse tragique vient de remporter un grand et beau triomphe. » Des éloges et des critiques de toute sorte furent prodigués à l’auteur. Geoffroy écrivit successivement trois feuilletons qui sont trop curieux en histoire littéraire, et qui firent trop de bruit à l’époque de leur publication, pour qu’il n’en soit pas question dans cet essai sur M. Raynouard. On y lit entre autres choses :

« Les premiers actes des Templiers ne se soutiennent que par des sentences communes pour le fond, martelées pour la forme, par des vers à prétention, dont la facture est d’une mauvaise école… L’héroïsme monacal de Marigny est forcé et romanesque ; le personnage, d’ailleurs, est absolument inutile et extravagant… La reine n’est qu’un remplissage ; Molay, un héros factice et boursouflé, arrogant et sec ; le chancelier froid et plat… La manière de l’auteur est pénible, tendue… Cet ouvrage tant applaudi, tant prôné au théâtre, n’est, à la lecture, quoi qu’en dise le libraire, qui en a vendu six mille exemplaires, qu’une tragédie fort médiocre avec quelques belles scènes, quelques tirades ; mais dans son ensemble inférieure à la plupart des productions de De Belloy et autres poètes, qui ne sont que du troisième ou quatrième ordre[1]. »

Faut-il conclure de ce jugement aigre et morose, où tous les coups sont lancés avec tant d’amertume, mais aussi avec tant d’adresse, et quelquefois (il faut l’avouer) au défaut même de l’armure, faut-il en conclure, comme on le fait trop souvent de notre temps, que c’est l’éternelle tactique de la critique contre le génie, et que l’habitude de juger et de contredire finit par vicier le sens admiratif, le tact littéraire chez l’écrivain qui se consacre à ces sortes d’examens ? Nullement. La critique, on peut le dire, a aussi son inspiration, et elle fait même plus que la psychologie ne fait en philosophie ; elle ne se contente pas d’observer, de décrire ; son rôle n’est pas seulement d’un cicérone banal, bien qu’on en dise, car la critique doit, avant tout, sentir et comprendre, et l’intelligence, poussée à ce point, est presque de l’inspiration. Que la critique se fourvoie souvent, nous ne le nions pas, quoique cela lui arrive moins fréquemment qu’à l’inspiration proprement dite ; mais la critique n’implique nullement la sécheresse chez l’écrivain et l’inutilité pour l’art. Malgré les diatribes de Geoffroy, M. Raynouard en sentait la nécessité mieux que personne ; et, après un des plus éclatans succès qu’il y ait jamais eu au théâtre, il n’hésita pas à refondre entièrement les Templiers, qui furent applaudis, sous cette nouvelle forme, en 1819 et en 1823. Il semble pourtant qu’une œuvre dramatique doive naître avec toutes ses combinaisons et toutes ses formes, dans une primitive et indestructible unité ; modifier l’action, toucher à ce merveilleux édifice qui ne paraît vivre que par l’ensemble, n’est-ce pas risquer de l’ébranler jusqu’en ses bases ? Nous l’eussions cru, si M. Raynouard n’eût refait entièrement et avec bonheur sa tragédie, et ne lui eût donné plus d’énergie encore par cette dernière forme, à laquelle il est convenable de se tenir. Nous insistons d’autant plus volontiers sur ce point, que tant de condescendance pour la critique, tant de défiance envers l’approbation générale, et un retour si inquiet et si laborieux après le succès, doivent paraître plus étranges à une époque où l’on a l’habitude de se contenter de sa propre admiration, pour se dispenser de retoucher à l’œuvre faite.

L’appui de la critique judicieuse et éclairée ne manqua point non plus à M. Raynouard pour l’encourager dans sa conscience de poète. Le Publiciste, contradicteur habituel de Geoffroy, soutint et discuta longuement la pièce. De nombreux articles, dans lesquels intervinrent des initiales diverses, comme il était possible en ces temps d’heureux loisirs littéraires, témoignent assez de l’importance extrême qu’on attachait à l’œuvre ; ce fut tout un tournoi où les chevaliers du poète triomphèrent.

Joseph Chénier avoue que c’était une heureuse idée que celle de Marigny, de ce jeune homme ardent, associé secrètement aux templiers, dont son père a juré la ruine, osant prendre leur défense au fort du péril, révélant son secret quand il ne peut plus que partager leur infortune, se dévouant pour eux, mourant avec eux, et commençant, par cet héroïque sacrifice, le châtiment de son père coupable. Mais ce que nous admirons le plus, pour notre part, dans les Templiers, ce n’est pas cette vigueur de style inconnue depuis Corneille, cette fermeté sans raideur, cette énergique simplicité d’action, qui ont attiré les applaudissemens ; c’est plutôt encore la magnanimité sublime, le caractère grandiose et résigné du grand-maître. Geoffroy dit que c’est un homme pétri d’héroïsme depuis les pieds jusqu’à la tête, et qu’il fatigue l’admiration. On n’avait pas besoin de Geoffroy pour connaître ce lieu commun de toutes les rhétoriques de collége, à savoir qu’un héros parfait ne peut intéresser. Mais c’est là justement ce qui rend admirable l’œuvre de M. Raynouard ; c’est cette émotion, inconnue et nouvelle au théâtre, pour le sublime martyr, qui ne faiblit pas un instant. Comme le dit encore Joseph Chénier (et on verra que ce jugement n’est pas sans quelque prix dans sa bouche), il n’y a point, en cette tragédie, de confidens, d’usurpateurs, de tyrans, de conjurations, de rivalité d’ambition, pas plus les malheurs de l’amour que les fureurs de la jalousie. Cependant on a beaucoup reproché à M. Raynouard d’avoir donné au grand-maître des proportions plus qu’humaines. Il était sur un théâtre sévère et classique, pourquoi n’aurait-il pas mis de cothurnes à son héros ?

M. de Féletz l’a dit avec raison, la tragédie des Templiers s’est embellie en vieillissant. En effet, la suppression du rôle de Guillaume de Nogaret, le caractère plus ferme de Laigneville, la prolongation de l’attente du sort des victimes au cinquième acte, et surtout le changement du rôle de Marigny, prouvent que l’inspiration sévère, réfléchie, non subite et d’un seul jet, peut, avec fruit, revenir sur elle-même. La scène entre Jeanne de Navarre et Marigny, le troisième acte tout entier avec sa grandeur solennelle et son noble développement tragique, l’entrevue de Jacques Molay et de Philippe-le-Bel, où le fils d’Enguerrand avoue qu’il est templier, et où le grand-maître répond ce : Je le savais ! tant de fois applaudi, sont presque irréprochables ; il faut en dire autant du récit qui termine la pièce par ces vers si connus :


On ne les voyait plus ; mais leurs voix héroïques
Chantaient de l’Éternel les sublimes cantiques ;
Plus la flamme montait, plus ce concert pieux
S’élevait avec elle et montait vers les cieux.
Votre envoyé paraît, s’écrie… Un peuple immense,
Proclamant avec lui votre auguste clémence,
Au pied de l’échafaud soudain s’est élancé…
Mais il n’était plus temps… les chants avaient cessé !


M. Raynouard a été souvent accusé d’avoir donné à Philippe-le-Bel un rôle indigne de son caractère historique. Nous ferions volontiers le contraire, et nous eussions mieux aimé le roi de France de 1307 moins arrêté et plus franchement cruel. Quels scrupules ont pu retenir M. Raynouard ? Si l’égoïsme étroit et la perversité despotique ont jamais monté sur le trône, n’est-ce pas dans la personne de Philippe-le-Bel, qui a fait succéder le despotisme royal au despotisme féodal, qui a donné tant de développement aux impôts arbitraires, à la falsification des monnaies, aux tribunaux exceptionnels ? Le reproche qu’on a fait à l’auteur des Templiers, d’avoir visé trop souvent au trait, nous paraît plus raisonnable, bien que ce fût chez M. Raynouard un système réfléchi et arrêté[2]. Cependant il a été si souvent heureux, qu’il y aurait de la mauvaise volonté à regarder comme une faute ce qui lui a attiré le plus d’applaudissemens. Ce vers :


On les égorgea tous ; sire, ils étaient trois mille…


qui produit tant d’effet au théâtre, bien que Geoffroy ait dit : « C’est plutôt une épigramme sur les trois mille qui se rendirent que sur les ennemis qui les égorgèrent ; » le mourant avec eux de Marigny, le je le savais du grand-maître, les chants avaient cessé du connétable, peuvent être rapprochés du qu’il mourût du vieil Horace et du moi de Médée. Ce qu’il y a d’assez singulier, c’est que le vers :


La torture interroge, et la douleur répond.


dont on se moqua beaucoup autrefois, comme d’un dialogue ridicule entre madame la torture et madame la douleur, c’est que ce vers si connu a été ajouté pour la représentation, en remplacement d’un vers supprimé par la censure. Cela est fort heureux pour la censure, car elle aura, au moins une fois, été utile au poète et à l’art.

Si l’intérêt faiblit quelquefois dans les Templiers, et s’il paraît peu probable qu’un pareil procès soit instruit, achevé et exécuté en vingt-quatre heures, bien que les jugemens du tribunal révolutionnaire offrissent alors de récens exemples, il ne faut pas pour cela donner à la pièce le titre de Procès-Impromptu, comme le fait Geoffroy ; le fond une fois accepté, M. Raynouard, en homme d’esprit et de tact, en a tiré tout le parti possible.

Un critique, dans les Archives littéraires de 1805, a parfaitement résumé, en l’exagérant peut-être, la conclusion finale à laquelle nous voulons venir sur les Templiers : « Cette tragédie est une et la même pendant les cinq actes, et elle ne fatigue pas. C’est, si l’on peut s’exprimer ainsi, une admiration pure et entière pour la vertu, une joie généreuse et attendrissante de la voir triompher par sa seule force des tortures et de la mort, sentiment que rien ne trouble et ne contrarie. Voilà ce qui donne à l’ouvrage de M. Raynouard un caractère nouveau et qui lui est propre. » Les Templiers honorent donc l’art de l’empire, à l’égal d’un tableau de Gérard, et ils méritaient en effet de se détacher dans cette année d’Austerlitz. Si on peut, à notre point de vue littéraire, contester raisonnablement la valeur absolue de cette œuvre, il est au moins impossible de nier sa supériorité relative, au milieu de cette poésie faible, décolorée et sans souffle, qui dépérissait à l’ombre des glorieux trophées de Napoléon.

Le succès de la tragédie fut si grand, que deux ans après, en 1807, les portes de l’Académie française s’ouvrirent devant M. Raynouard. Les candidats de nos jours, si empressés aux visites, ignorent peut-être que M. Raynouard ne céda pas à cette règle d’étiquette, et que son frère s’acquitta pour lui de cette formalité d’usage, qui occasionna des méprises assez singulières chez Legouvé et chez Suard. Le lendemain de son élection, M. Raynouard, qui succédait à Lebrun, fit, pour la première fois de sa vie peut-être, des visites de remerciement aux membres de l’Académie, et il songea aussitôt à écrire son discours de réception ; car c’était un des côtés caractéristiques de son esprit de ne jamais remettre au jour d’après ce qu’il pouvait exécuter immédiatement. Il n’était donc point de ceux dont Leibnitz disait : « La temporisation est un des sept péchés capitaux des savans hommes. » Dans le courant de sa longue et laborieuse carrière, il n’a jamais manqué une fois à cette exactitude ponctuelle, à cet accomplissement instantané du devoir. — Joseph Chénier craignait que M. Raynouard ne maltraitât Lebrun, avec lequel il avait été long-temps lié.

— Eh bien ! où en est votre discours, lui demanda-t-il en le rencontrant très peu de jours après l’élection.

— Il est terminé, répondit M. Raynouard. À ce mot, Joseph Chénier ne put s’empêcher de dire : — Mais vous l’aviez donc fait d’avance ?

On a trop exagéré en général la froideur des rapports entre l’auteur des Templiers et l’auteur de Tibère. Chénier, que le premier et patriotique élan de Caton d’Utique avait séduit, se montra favorable à l’entrée de M. Raynouard à l’Académie française. Il est vrai que plus tard, tout en le traitant avec la justice convenable dans le Tableau de la littérature, il ne fut pas, dit-on, très favorable aux Templiers pour le prix décennal. Cependant Chénier, malgré son caractère ombrageux, avait une idée trop haute de son talent pour craindre qu’on l’éclipsât ; il n’eût peut-être pas aimé un rival tragique capable de trop d’essor, mais il ne regardait pas M. Raynouard comme suffisamment dangereux.

L’auteur des Templiers fut reçu à l’Académie française le 24 novembre 1807, le même jour que Picard et Laujon. Il traita dans son discours de la tragédie et de son influence sur l’esprit national. Une vive admiration pour Corneille, un éloge modéré de Lebrun, et un vif désir de voir la scène emprunter enfin des sujets aux annales de la France, firent applaudir le morceau. Bernardin de Saint-Pierre répondit, et loua M.   Raynouard de n’avoir jamais été sensible aux épigrammes et aux satires. Il faut lui en savoir d’autant plus de gré qu’il eût été fort apte à ce genre de poésie mordante et incisive, et qu’il eût répondu à Geoffroy, par exemple, avec autant d’esprit au moins que Luce de Lancival. On sait aussi qu’il excellait dans la repartie vive et subite, et nous tenons de bonne source qu’il s’est plus d’une fois exercé dans la poésie de trait dégagé et même leste. C’est là une de ces échappées, de ces replis de caractère, qu’on n’eût guère devinés chez M. Raynouard, mais qu’il semblait tenir des vieux temps.

Il y a quelques lignes que nous eussions mieux aimé ne pas voir dans son discours de réception. Ce sont, à vrai dire, des éloges de convenance ; mais la conduite ferme qu’il montra plus tard dans la route politique, vint démentir ces vaines formules de politesse louangeuse. On assure pourtant que l’empereur fut sourdement blessé de cette phrase : « Dans les temps qui suivirent le règne d’Auguste, les poètes n’avaient plus eu la liberté de traiter des sujets nationaux. Émilius Scaurus, dans la tragédie d’Atrée, avait imité quelques vers d’Euripide, qui fournirent le prétexte d’une dénonciation. Scaurus reçut l’ordre de mourir et s’y soumit avec courage. Tibère régnait. » — C’était l’année même, je crois, du fameux article du MercureM. de Châteaubriand disait : « …… Tacite est déjà né dans l’empire ! »

Cependant, sur la présentation du département du Var, M. Raynouard avait été nommé par le sénat membre du corps législatif. Quand il eut été élu l’un des cinq candidats pour la présidence, Napoléon se le fit présenter par un de ses ministres, sous prétexte, dit M. Roger, de lui parler de son théâtre, mais dans l’unique but de le toiser et de s’assurer s’il convenait à ses vues. La conversation roula d’abord sur les Templiers, qui avaient été représentés un certain nombre de fois, soit à Saint-Cloud, soit aux Tuileries. On blâma surtout M. Raynouard d’avoir voulu intéresser à une corporation trop célèbre par ses richesses et son luxe. « Vos Templiers, lui dit le prince, cela mangeait le diable, au lieu que moi, empereur, qu’est-ce que je coûte au peuple ? qu’est-ce qu’il me faut par jour ? un verre d’eau et de sucre. » On trouve dans un article de M. Raynouard, au Journal des Savans[3], le fragment suivant qui semble contenir la suite de cette conversation avec Bonaparte : « Cet homme qui, voyant si haut et si loin, voulait tout ramener à lui-même, l’empereur Napoléon me disait : « Dans votre tragédie des Templiers, vous auriez dû représenter ces oligarques menaçant le trône et l’état, et Philippe-le-Bel arrêtant leurs complots et sauvant le royaume. — Sire, répondis-je, je n’aurais pas eu pour moi la vérité historique. » Un mouvement de tête, un geste d’impatience me révélant sa pensée, j’ajoutai : — « D’ailleurs, il m’aurait fallu un parterre de rois. » — Il lui échappa un demi-sourire. » On parla ensuite des États de Blois, tragédie composée en avril et mai 1804, et retardée jusque-là par la censure et la police. Bonaparte s’en fit lire quelques scènes. On assure que parmi beaucoup de conseils donnés par l’empereur au poète, il s’en est trouvé d’assez bons pour être adoptés librement par celui-ci. De ce nombre est la suppression du personnage de Henri III. Il fut aussi question d’échafaud, et l’empereur dit à cette occasion : « Les rois se servent de la chose ; le mot, ils ne le prononcent jamais. »

Nous supposons qu’après cette entrevue Napoléon ne fut pas tenté de donner la présidence du corps législatif à M. Raynouard. Déjà, avant cette visite, comme il demandait à Fontanes ce qu’était l’auteur des Templiers, le grand-maître de l’Université répondit : « C’est un Provençal original et surtout indépendant. » Sur quoi l’empereur reprit : « Tant pis, je n’aime pas les gens à qui on ne peut rien donner. » Malgré tout ceci, les États de Blois furent joués pour la première fois à Saint-Cloud, le 22 juin 1810, lors du mariage de Marie-Louise.

Cette pièce que M. Raynouard fit précéder, en la publiant en 1814, d’une dissertation consciencieuse et savante sur le duc de Guise (comme il avait fait pour les Templiers) ; cette pièce, dans la pensée de l’auteur, était destinée à être la réalisation poétique de ce que le président Hénault avait tenté en prose dans son drame de François II. Si l’auteur s’en est tenu à la sévère austérité de l’histoire, c’est qu’il l’a bien voulu, et il ne faut en accuser ni son imagination, ni son esprit. Il lui eût été facile, à coup sûr, de mêler à son plan une intrigue d’amour, et la maîtresse du duc de Guise, la duchesse de Noirmoutiers, était là un sujet tout naturel de combinaison dramatique. Mais le poète voulait se tenir dans les limites de la vérité historique, et il s’y est enfermé, au risque d’éloigner l’émotion et le drame. Les caractères de Bussy et de Mayenne sont mis en relief avec vigueur ; mais il nous semble que l’intérêt a quelque peine à se reporter sur Henri IV, type d’héroïsme et de perfection. Bien qu’on voie sur la tête du jeune prince le panache qui triomphera à Ivry, il semble sur la scène un peu trop privé de cette bouillante ardeur qui aurait dû le caractériser. Plus Guise est hardi et entraînant, plus Henri IV aurait besoin de montrer moins de sentimens résignés et pacifiques. Il n’y a que le théâtre où la paix soit chose fatigante et sans gloire. Cependant, malgré le manque presque absolu d’action, la scène du troisième acte, où Henri provoque le duc de Guise, était dramatique et neuve au théâtre. On en a beaucoup abusé depuis, sans dire où on l’avait copiée.

La pièce fut donc jouée à Saint-Cloud devant Napoléon, et les murmures flatteurs qu’excitèrent les paroles de Henri IV lui semblèrent autant d’épigrammes contre sa passion pour les conquêtes. Il dut être blessé de vers comme ceux-ci :


Souvent par un rapide et terrible retour,
Le héros de la veille est le tyran du jour.
..................
Qui parle est factieux et qui se tait conspire.


L’empereur, dit quelqu’un présent à la représentation, parut, malgré l’immobilité apparente qu’il conserva long-temps, avoir peine à se contenir pendant la scène où le brave Grillon refuse d’assassiner Guise. Selon son usage, dans ses mouvemens de colère concentrée, il prit du tabac huit ou dix fois avec une espèce de contraction nerveuse, et depuis ce moment il ne parut plus écouter la pièce. — L’auteur avait assisté à la représentation, confondu dans cette foule où plusieurs personnes connaissaient déjà la tragédie par des lectures particulières.

L’empereur fut si mécontent, qu’en sortant il fit défendre à ses comédiens de jouer la pièce à Paris. Cette mauvaise humeur contre les États de Blois ne le quitta jamais, même à Sainte-Hélène, où il disait avec esprit : « M. Raynouard a fait de Henri IV un vrai Philinte, et du duc de Guise un Figaro. » On dit aussi que la rancune de Napoléon contre l’auteur des Templiers a été un des motifs secrets qui l’ont empêché de payer les prix décennaux. La seconde nomination de M. Raynouard au corps législatif, en 1811, ne tarda pas à lui fournir l’occasion, non plus d’exciter l’humeur de Bonaparte, mais de soulever toute sa colère. Choisi, le premier, à la fin de 1813, pour faire partie de la commission de l’adresse, M. Raynouard fut chargé de la rédaction par ses collègues, Gallois, Lainé, Maine de Biran et Flaugergues. Un mal de gorge assez violent, qui n’était pourtant pas analogue à celui de Démosthènes, l’empêcha de prononcer le discours, et il se remit de ce soin à M. Laine, qui s’en acquitta avec fermeté. L’adresse, pleine d’une vigueur inconnue sous l’empire, demandait hardiment la paix et « l’exécution pleine et entière des lois qui assurent la liberté de la presse et la liberté individuelle. » C’en était trop pour l’ombrageux conquérant. Toute sa fureur éclata, et il fit insérer le lendemain au Moniteur un décret qui ajournait indéfiniment le corps législatif. La conduite de la commission de l’adresse a été jugée bien diversement par les différens partis. On a dit que ce n’était pas le lieu de demander la paix et la liberté presque sous les baïonnettes étrangères, et que, ce qui eût été deux ans auparavant une marque de grand courage, n’était plus là que de l’outrecuidance déplacée, que de la politique rancuneuse et mesquine. On conviendra cependant que la commission était assez française pour ne pas vouloir pousser, par une parole hostile, au fatal revirement des destinées du pays. Elle se trompait sans doute ; mais ce qu’elle crut salutaire, elle l’osa dire. Laine, Gallois, Maine de Biran le grand métaphysicien, ont tous disparu de la scène du monde ; M. Flaugergues et M. Raynouard viennent de mourir, et tous avaient survécu au grand homme, dont la puissante colère s’était soulevée à leurs paroles. Il ne reste donc plus d’eux qu’un souvenir, et à côté de ces cendres déjà refroidies, l’histoire peut dire que si les nobles membres du corps législatif se sont trompés, ils l’ont fait au moins avec une profonde conviction.

Quoi qu’il en soit, les Mémoires que laisse M. Raynouard, et qui seront prochainement publiés, sont destinés à mettre tout-à-fait en lumière la conduite, jusqu’ici mal appréciée, du corps législatif de 1813. Mais, pour ne parler que de ce qui est purement personnel à M. Raynouard, il paraît juste de remarquer que ce qu’il avait demandé à l’empire près de mourir, il vint le réclamer hardiment auprès de la restauration naissante. Nommé, en 1814, rapporteur de la commission sur le projet de loi relatif à la liberté de la presse, M. Raynouard, qui avait été choisi comme député pas les électeurs du Var, fit entendre à la tribune des paroles pleines de force, de modération et de logique[4]. Après s’être élevé contre la censure, il montra comment la loi qui prévient ne réprime pas, n’ayant rien à punir, puisqu’elle empêche le délit de naître. Une adroite apostrophe à Malesherbes, et beaucoup de sagesse sans déclamation, firent remarquer ce rapport, auquel M. de Montesquiou essaya de répondre à la tribune, en disant qu’il ne fallait pas s’intéresser à la seule nation des auteurs et aux vaines abstractions des philosophes. Deux autres discours, l’un sur les droits-réunis, l’autre sur l’extension à donner à la naturalisation, placèrent M. Raynouard au rang des légistes distingués de la chambre. Les cent-jours arrivèrent, et le collége électoral de Draguignan se hâta de conserver son député à la nouvelle chambre des représentans. Alors eût pu se vérifier pour l’auteur des Templiers cette parole d’un de ses spirituels successeurs au secrétariat de l’Académie française : « La littérature mène à tout, à condition de la quitter. » Mais M. Raynouard allait faire le contraire, et laisser à jamais la politique pour les travaux littéraires. Carnot, ministre de l’intérieur, lui offrit en vain de devenir son collègue à la justice ; M. Raynouard ne voulut rien accepter, sauf un siége au conseil de l’instruction publique. Il prit cette place parce qu’elle convenait à ses goûts et qu’il se croyait avec raison capable de la bien remplir. À la seconde restauration, Louis XVIII, par une mesure qui étonne de sa part, lui enleva ces fonctions qui plaisaient à son caractère. M. Raynouard vit cette destitution avec un sentiment pénible. La place, au fond, lui importait peu ; mais, blessé de cette injuste mesure, il résolut d’abandonner à jamais la carrière politique, pour consacrer aux lettres ce qui lui restait de jours. Une députation venue de Provence à Paris, exprès pour lui faire accepter le vote des électeurs du Var, ne put l’ébranler dans cette résolution. M. Raynouard, dorénavant, appartenait exclusivement à la science.

Cependant les États de Blois avaient été joués au Théâtre-Français en 1814, après une heureuse reprise des Templiers. Accueillis assez froidement d’abord, ils obtinrent plus de succès les jours suivans ; mais la mort de Mlle Raucourt vint, à la huitième fois, interrompre les représentations. On avait surtout applaudi le dénouement brusque où Bussy s’écrie : Guise est roi ! et où la reine entre en disant : Guise est mort ! L’austérité de cette éloquence politique, le style vif et coupé, mais plein de sens et nourri de choses, avaient fini par amener à bien le public, dès l’abord peu entraîné et assez indifférent. M. Charles Nodier, rendant compte de la pièce nouvelle au Journal des Débats y conclut que cette tragédie est un ouvrage d’un grand mérite, mais qu’elle n’est pas un bon ouvrage. Il ajoute même, avec cette malicieuse bonhomie qu’on lui connaît, que l’auteur serait bon historien, car il n’y a pas tant d’inconvénient à rappeler Corneille dans une histoire qu’à rappeler Mézeray dans une tragédie. La lecture du livre fit modifier à l’ingénieux critique ce premier jugement de feuilleton, et, revenant sur lui-même avec trop d’indulgence peut-être, il regarda, quelques années plus tard[5], comme une remarquable tragédie de caractère, l’œuvre de M. Raynouard, dont le sujet a fourni plus récemment le thème de scènes d’un tout autre genre à M. Vitet.

M. Raynouard disait dans la préface des États de Blois : « Ce n’est pas d’après nos règles de goût et de convention, que nous pouvons juger les tragiques étrangers ; s’ils produisent sur les spectateurs l’effet moral, qui doit être le principal objet de leurs compositions, si ces spectateurs y retrouvent les jouissances, les sentimens et les leçons qu’ils sont accoutumés d’y chercher, est-ce à nous de nous montrer plus sévères ? » Cette phrase indiquait dès 1814 la nécessité, devinée par M. Raynouard, de changer enfin la vieille Melpomène tragique. Il écrivait même bien plus récemment ces lignes remarquables de sa part : « Les personnes qui condamnent trop sévèrement les innovations qui de nos jours caractérisent les efforts des auteurs dramatiques, n’ont peut-être pas considéré la nature du genre théâtral ; on doit avouer qu’il est soumis à des révolutions lentes, mais inévitables, qu’opèrent les changemens, soit des sentimens religieux ou des institutions politiques et civiles, soit des mœurs publiques et privées, et plus que toutes ces causes encore, la nécessité indispensable de réveiller le goût émoussé des spectateurs, en offrant à leur esprit des combinaisons nouvelles, et à leur cœur de nouvelles émotions. Mais il n’en faut pas moins respecter une règle fondamentale, sacrée, invariable et applicable à tous les temps et à tous les lieux, celle de la moralité de l’ouvrage[6]. » On voit par ce fragment quelle était au fond l’opinion de M. Raynouard sur les tentatives dramatiques plus récentes. À en juger même par son admiration vive pour André Chénier[7], et par ces beautés entièrement distinctes de la littérature classique proprement dite, qu’il reconnaissait chez les troubadours, et qui étaient, de la part de son savant collègue M. Daunou, le sujet d’une de ces contradictions polies et attiques qui le caractérisent[8], on pourrait croire dès l’abord que l’auteur des Templiers tendait à excuser les essais de l’école moderne. Ce que nous voulons seulement constater, c’est que M. Raynouard, tout en se tenant hors de ce mouvement, et en déplorant les exagérations scéniques de tant de jeunes talens, savait apprécier les justes et notables efforts. Voici d’ailleurs ce qu’il écrivait, il y a deux ans, sur l’état du théâtre. On verra, par ce passage, l’idée sévère qu’il se formait de l’art dramatique : « J’aurais insisté bien davantage, dit-il après quelques développemens, si j’avais cru que des exemples et des raisonnemens fussent capables de détourner d’une voie fausse, et je dirai funeste, les auteurs dramatiques qui, doués d’un esprit digne de devenir utile à la société, n’ont pas dans le cœur la conscience de leur devoir, le sentiment de leur noble mission, en un mot l’ambition de la vraie gloire. J’aime à penser que n’ayant pas assez considéré les obligations de l’art auquel ils sont appelés, ils imaginent qu’il suffit à leur renommée de recueillir quelques applaudissemens bruyans et passagers, obtenus souvent aux dépens de la décence et des mœurs, sans s’inquiéter des suites de l’inconvenance d’un succès condamnable : c’est au temps, c’est au goût des spectateurs à faire justice de cette erreur grave, que la plupart d’entre eux se reprocheront un jour ; et si jamais ces dramatistes effrénés, ces révolutionnaires de théâtre, désenchantés eux-mêmes de leurs scandaleuses productions, impriment enfin à leur talent une direction vraie et généreuse, ils sentiront alors, par l’approbation des gens de bien, par l’estime des bons citoyens, par celle de leur propre cœur, qu’on peut acquérir sur la scène une récompense plus douce, plus honorable que celle qu’ils espèrent usurper aujourd’hui[9]. » Nous doutons qu’on admire beaucoup l’idée si simple et si grandiose que M. Raynouard avait du génie dramatique ; mais si l’art, par les dispositions nouvelles, a gagné quelque chose en mouvement et en variété (et nous ne voulons nullement agiter ici cette question), on avouera au moins que le cœur du poète a dû y perdre en élévation et surtout en noble réserve. Peut-être serait-ce ici le lieu, avant d’entrer dans la carrière scientifique de M. Raynouard, d’en venir à une conclusion critique sur la valeur littéraire de son théâtre. En laissant dans l’ombre cette tragédie des États de Blois, contre laquelle Napoléon avait au moins autant de mauvaise humeur littéraire que de rancune politique, et en nous en tenant à ce succès éclatant et déjà si éloigné des Templiers, nous sommes forcé de dire, malgré notre vive sympathie, que l’appareil oratoire de cette politique générale et abstraite, le style quelquefois heurté par une langue rebelle à l’harmonie, ces maximes sonores et fréquentes qui semblent des échos grondans de Lucain et de Stace, et surtout la nature sacrifiée à l’idole stoïque et immuable du devoir, ne nous ont point échappé. Nous savons aussi bien que personne que le succès de M. Raynouard date de 1805 et que l’éclat de ses travaux sérieux a un peu rejeté en arrière, aux yeux de la génération actuelle, sa gloire poétique et théâtrale ; mais, même en usant ici de la sévérité que la critique contemporaine montre envers le passé et aussi envers le présent, il serait injuste de ne point reconnaître que M. Raynouard, par le choix d’un sujet national et par l’énergie de l’action et du style, s’est entièrement séparé, ainsi que M. Lemercier, de l’école littéraire de l’empire. On nous permettra de ne pas insister sur ce point. Le ton général de cette étude montre assez notre intention, et il nous a semblé qu’en nous effaçant cette fois derrière le récit et en nous abstenant, à notre détriment sans doute, d’une manière plus dégagée et d’un procédé plus moderne, notre admiration et aussi notre affection seraient mieux à l’abri, et ne contrasteraient pas ainsi avec l’allure nécessairement moins indulgente de la critique.

Le dégoût que lui inspirèrent naturellement les combinaisons effrénées de la scène, éloignèrent M. Raynouard du théâtre. Les Templiers devaient être la dernière tragédie classique vraiment populaire. L’auteur eût pu cependant tenter de nouveaux succès, car tous ceux qui ont été admis à lire ses pièces inédites, s’accordent à dire qu’elles brillent par des beautés d’un ordre élevé. Scipion, Éléonore de Bavière, ses premiers essais ; Don Carlos, dont on loue l’action pathétique et le style nerveux ; Charles Ier, dont la représentation fut arrêtée par la police de l’empire, et que M. de Talleyrand, dit-on, voulait faire jouer à la restauration ; Debora, qui fut écrite sous le canon de l’invasion ; Jeanne d’Arc à Orléans, précédée d’un prologue entre Voltaire et Shakspeare, et qui n’a pas été jouée faute d’actrice ; telles sont les tragédies que laisse M. Raynouard et qui doivent être prochainement publiées. Il en sera de même de ses recherches sur les Champs de Mai, et du poème qui a pour titre : Fénelon et le duc de Bourgogne. On sait, par les fragmens lus à l’Institut, que ce dernier opuscule a pour sujet une visite aux Invalides, pendant laquelle l’archevêque de Cambrai donne à son élève une leçon d’histoire, d’après les tableaux qu’ils rencontrent. Une épopée intitulée Judas Machabée, qui rappelle, dit-on, la grandeur solennelle de la Bible, a aussi préoccupé long-temps M. Raynouard. Ce fut son œuvre privilégiée, et aussi sa dernière tentative poétique, bien que des idées d’achèvement et de correction l’aient çà et là préoccupé jusqu’à la mort. Nous ne parlons donc que pour mémoire de deux odes qu’il composa encore, son talent nous paraissant plutôt tragique que lyrique : l’Ode à Camoens (1819), qui fut traduite en portugais par le vieux et célèbre poète exilé Francisco Manoël, que connaissait M. Raynouard ; et l’Ode sur Malesherbes, où l’on trouvait ces vers, à propos de Louis XVI :


Et quel roi fut absous quand on l’osa juger ?
..................
À l’instant où leurs voix ont répondu : Coupable !
Leurs remords disaient : Innocent !


Nous voici arrivés à l’époque scientifique de la vie de M. Raynouard ; mais pourquoi en 1827 donna-t-il sa démission de la place de secrétaire perpétuel, que lors de la mort de M. Suard (1817), il avait désirée et acceptée avec empressement ? Cette résolution est restée un problème pour tout le monde. Quelques personnes assurent que la part prise par M. Raynouard, au sein de l’Académie, à l’adresse sur la liberté de la presse, vers 1826, avait mis quelque acrimonie dans ses rapports avec le pouvoir. Ce dégoût malgré une position indépendante, joint aux menées politiques pour les candidatures, lui fit-il prendre ce dernier et inébranlable parti ? Il nous semble que son caractère libre, son humeur un peu sauvage et âpre au dehors, bien que fort abordable au fond, le mettaient à part de toutes les coteries d’élection, de toutes les intrigues de scrutin.

À partir des premières années de la restauration, M. Raynouard se voua donc presque exclusivement à l’érudition littéraire. Un premier projet d’histoire de la littérature des peuples d’Amérique, des recherches sur les templiers qui l’amenaient déjà aux Archives du royaume dès 1807, et des travaux historiques sur les états de Blois et les champs-de-mai, le mirent sur la voie de ces études, qu’on croit si arides, mais qui, par l’habitude et l’attrait relatif, détournent l’esprit de pensées plus tristes et ont aussi leur prix et leurs jouissances. Dès-lors M. Raynouard vit moins le monde encore qu’il n’avait fait jusque-là. Après le premier et ardent mouvement patriotique de Caton, n’ayant conservé de ce naturel entraînement qu’un noble et persévérant amour pour la liberté, avec des retours plus vifs, mais sans suite rigoureuse, il avait, dans les commencemens de sa réputation, fréquenté assez assiduement et familièrement la maison de Cambacérès. Demeurant plus tard à Passy, où la famille Delessert l’entoura, jusqu’à la mort, de tant de soins prévenans, de tant de sincère amitié, il ne revenait guère à Paris que pour les séances de l’Institut, ou pour d’autres soins littéraires. Ses lectures successives sur la langue romane le firent nommer en 1816 membre de l’Académie des Inscriptions. C’est à partir de cette même année jusqu’à 1821, qu’il publia les six volumes de Poésies originales des troubadours, tirés à mille exemplaires, devenus très rares aujourd’hui. L’excellente Grammaire romane avant 1100 avait, nous le croyons, précédé : aux essais informes et si peu intelligens de Raimond Vidal et du Donatus Provincialis, M. Raynouard faisait succéder une clarté parfaite, une exactitude sévère, une précision rigoureuse. Ce qu’il y a dans ce travail, comme dans les suivans, de philologie ingénieuse, de sagacité grammaticale, d’intelligence heureuse, nous ne pouvons que l’indiquer ici. C’est là une espèce de génie particulier (nous employons à dessein ce mot génie qui ne nous paraît pas déplacé), et M. Raynouard le possédait à un degré éminent. Il a porté la lumière là où il n’y avait que le chaos ; il a donné une importance réelle et devenue nécessaire et appréciable à ce dont on parlait depuis des siècles, sans en avoir même la première notion. L’ardeur avec laquelle on s’occupe aujourd’hui de l’ancienne langue et des vieilles poésies de la France est due et remonte à M. Raynouard. Le premier élan vient de lui, et l’Europe lui a dès long-temps accordé cette gloire.

Mais à part les savantes recherches que personne ne s’est avisé de lui contester, à part le résultat général et important de ses travaux philologiques qui n’est nullement attaquable, le système que M. Raynouard a appliqué à son œuvre, a été l’objet de contradictions trop importantes dans la science, pour que nous ne les indiquions pas ici, tout en répétant encore que ses longs et patiens efforts n’en sont nullement atténués. Ce qu’on a nié, ce n’est d’aucune façon l’idiome, que sa science et son courage ont retrouvé ; c’est seulement la généralité primitive qu’il attribue à la romane rustique. Le président Claude Fauchet dans son livre sur l’Origine de la langue et poésie françoise (l. i. ch. iii), à propos du serment des fils de Louis-le-Débonnaire, en trouve la langue plutôt pareille à celle dont usent à présent les Provençaux, Catalans ou ceux du Languedoc qu’à aucune autre. Il en conclut que cette langue était la rustique romane d’alors, en laquelle Karle-le-Grand avait voulu que les homélies prêchées aux églises fussent translatées. Il cherche ensuite à montrer comment cette langue romane a été plus tard chassée outre Loire, delà le Rhône et la Garonne ; il l’explique par le partage des enfans de Louis-le-Débonnaire qui rompit la correspondance d’un bout du pays à l’autre. La séparation de Capet qui suivit, apporta un plus grand changement encore, voire doubla la langue romande. À un autre endroit il montre cette première langue romande du serment de 842, séparée en trois langues qui vont se différenciant avec le temps, langue thioise-wallone en Flandre, langue française et langue provençale. Cette opinion ici à l’état d’aperçu naturel, comme elle l’est aussi dans Cazeneuve, Huet, Lebœuf, l’Histoire du Languedoc, et les bénédictins de l’Histoire littéraire, est celle que M. Raynouard formula plus tard, en l’étendant et la modifiant pour l’élever en système. Ainsi, selon le savant philologue, après la conquête romaine l’Italie, la France, l’Espagne, parlent un latin uniforme. Mais de la corruption de cette langue en naît une autre, où, sur dix mots, huit viennent du latin et deux ont une origine celtique ou germanique ; cette langue, née des dissonnances nouvelles, des abréviations et des augmentations successives qu’amenèrent les rapports nouveaux des peuples, apparaissait à peine au ive siècle, mais était au commencement du ixe déjà très avancée dans les sermens de Louis-le-Germanique et des sujets de Charles-le-Chauve. Que cette langue romane (qui doit tant à M. Raynouard) ait été une langue perfectionnée, formée, fixée et qui a accompli ses phases, c’est là une précieuse découverte du savant illustre dont nous déplorons la perte. Mais la romane rustique fut-elle parlée dans tout le nord de l’Italie, dans une grande partie de l’Espagne, en France et jusqu’aux bords du Rhin ? a-t-elle donné naissance immédiate au catalan, à l’espagnol, au portugais, à l’italien, au français ? C’est ce qu’ont nié des hommes trop célèbres dans le monde savant, pour que nous n’en fassions pas au moins mention. On a demandé pourquoi cet intermédiaire dans la formation des langues néo-latines ? On a dit que tant d’uniformité dans la barbarie supposerait une méthode dont l’absence était indiquée par la corruption de l’ancienne langue. Le peu de place que M. Raynouard a accordé à l’influence germanique et celtique dans la formation de la romane rustique, a été aussi l’objet de plusieurs critiques, et l’on a objecté que la plupart des rapprochemens, des analogies, des affinités qu’il trouvait entre les mots de la littérature provençale et ceux des langues de l’Europe latine, pouvaient très bien se rapporter non à une langue une et intermédiaire, mais à la source commune, le latin. Enfin (et cette objection ne nous semble pas la plus facile à réfuter) on a observé qu’il était difficile de concevoir une langue qui, seulement parlée et laissant au latin sa vieille prédominance littéraire, s’étendît presque à tout l’empire de Charlemagne, et cela au milieu d’une société non constituée encore et en proie aux invasions. Quoi qu’il en soit, nous renvoyons, pour ces objections, au livre publié récemment en Angleterre par M. Liwis, et mieux encore aux leçons de M. Villemain sur la littérature du moyen-âge, où elles sont exposées avec tout le tact et la lucidité désirables. M. Fauriel, si compétent en pareille matière, a aussi consacré plusieurs séances de son cours de la Faculté des Lettres à examiner le système de M. Raynouard. Nous regrettons que d’autres travaux l’aient empêché de publier le résultat de ses savantes recherches sur ce point.

Ces contradictions, sur lesquelles il nous paraît convenable de ne pas insister dans une étude écrite surtout professione pietatis, n’ôtent d’ailleurs nullement leur prix aux grands travaux de M. Raynouard, qui, après avoir essayé de montrer l’universalité collective de la langue romane rustique sur tous les points de l’Europe latine, la considère en particulier dans la littérature du midi, chez les troubadours. Abandonnant ainsi l’idiome plus rude et un peu postérieur des trouvères à son savant mais moins perspicace collègue l’abbé De Larue, il étudia le génie lyrique provençal dans ses différens modes de manifestation, chanson, son, planh, tenson, sirvente, pastorelle, épître, novelle et roman, dans les cours d’amour, comme chez les Vaudois, au XIe et au XIIe siècle. Si M. Raynouard a montré trop de discrétion, trop de réserve peut-être pour les mots non compris, comme pour les passages inexpliqués encore, tout le monde reconnaîtra, avec nous, que la laborieuse patience et le génie philologique qu’il a déployés dans toute la dernière partie de sa consciencieuse carrière, ont laissé de grands et durables monumens. Que de rectitude dans les classifications ! que de rapprochemens ingénieux ! quelle unique et prodigieuse sagacité !

Quant à la découverte grammaticale importante sur la règle de l’S[10], découverte qui régularise la langue romane, les bénédictins l’avaient seulement indiquée dans quelque note, mais sans en rien tirer. Duclos, en un mémoire d’ailleurs assez léger, lu à l’Académie des Inscriptions[11], avait dit en propres termes : « On peut faire une remarque sur nos anciens écrivains, soit en vers, soit en prose, c’est qu’ils écrivent presque toujours les pluriels sans S, et qu’ils en mettent au singulier. » Marot, dans son édition de Villon, avait en note remarqué, à un endroit, que cet auteur mettait l’S au singulier, selon l’usage des vieux. Mais la raison philologique n’a été aperçue que par M. Raynouard, ce qui constitue la vraie découverte. Ses travaux sur la langue romane continuent donc dignement et avec éclat les travaux obscurs de Sainte-Palaye. Avec les écrits de M. de Sismondi sur les littératures du midi, avec le glossaire de M. de Roquefort, et les études de M. Wilhelm Schlegel (qui entretenait de nobles rapports scientifiques avec M. Raynouard), ils ont contribué à appeler enfin l’attention sur une littérature méconnue et à rendre une valeur réelle à la langue de nos pères. On peut avancer, sans qu’il y ait matière à contradiction, que M. Raynouard, le premier et le plus ingénieux de ceux qui se sont occupés de ces travaux, laisse à la science un nom qui ne périra pas. Ce que Cuvier fit pour les fossiles, l’auteur de la Grammaire romane l’exécuta pour la littérature provençale.

Ces nobles et sévères recherches, ainsi que les soins du secrétariat de l’Académie française, occupèrent M. Raynouard pendant toute la première portion de la restauration. Cependant le droit municipal et le grand mouvement communal du xiie siècle, sur lequel les savans travaux de M. Augustin Thierry avaient attiré l’attention, le préoccupaient dès long-temps, et il avait amassé sur ce point une foule de textes et de documens. Les projets de réforme municipale, sous le ministère Martignac, furent une occasion politique pour M. Raynouard de publier le résultat de ses travaux[12]. On ne peut méconnaître que, venant après MM. Parent-Réal et Dufey, et surtout après le remarquable livre de M. Leber, il n’ait mieux établi que ses prédécesseurs la perpétuité du régime municipal romain dans les villes du sud, et même à Reims et à Paris. Mais il est impossible, ce nous semble, de suivre plus loin M. Raynouard, et les conséquences systématiques auxquelles il arrive, nous paraissent, nous l’avouons, beaucoup trop exclusives et absolues. Les travaux d’Hulmann et de Mlle de Lézardière avaient déjà mis en lumière la conservation incontestable d’une partie des institutions romaines dans le midi ; mais ce qu’il y a de vrai et de rigoureusement admissible en ce sens se trouve dans les savantes recherches de M. de Savigny. M. Raynouard, dans son livre aussi plein, aussi riche que possible, de textes et de citations, a donc exagéré la perpétuité des municipes romains et détruit à tort le grand mouvement social du xiie siècle. « Le droit municipal, dit-il, ne pouvait se passer de priviléges conférés par les chartes des communes, mais celles-ci supposaient ordinairement l’existence préalable du droit municipal. » Cela peut être vrai jusqu’à un certain point, et nous ne le contesterons pas ; mais on ne peut nier que le mouvement communal nouveau n’ait été presque entièrement méconnu par M. Raynouard. De même que les confirmations royales avaient un autre but que l’appât du gain, les chartes d’affranchissement tiraient leur origine non-seulement des traditions romaines, mais d’un besoin populaire, mais de la nécessité historique de l’introduction du tiers-état dans le développement national. Le but politique de M. Raynouard l’a conduit dans une fausse voie. En voulant donner au droit municipal la légitimité du temps, il a négligé des données qui avaient une valeur historique incontestable. Certes, il y avait loin de la municipalité romaine, où les curiales étaient, pour ainsi dire, liés aux magistratures comme à une autre glèbe, et où on arrachait les prêtres aux autels pour les rendre à la curie[13] ; il y avait loin de là, disons-nous, aux jurats, aux mayeurs et aux échevins du xiie siècle ! Et maintenant faut-il attribuer l’origine du mouvement communal à l’alliance des familles romaines et de la race germanique contre le régime féodal, ainsi que le veut M. d’Eckstein ? Faut-il en croire le système de M. Raynouard, ou bien adopter exclusivement les vues des Lettres sur l’Histoire de France, sans croire que M. Augustin Thierry ait quelquefois affirmé avec l’entraînement un peu absolu d’un noble martyr de la science ? Si on voulait arriver au vrai, autant du moins que cela est donné à l’homme, il serait, ce semble, nécessaire d’adopter à la fois ces élémens divers, qui ont tous, non simultanément sans doute, mais successivement et pour leur part, contribué à l’établissement des institutions municipales. De la sorte, on serait amené aux conséquences élevées qui n’ont pas échappé à la sagacité historique de M. Guizot, et que M. Rossi a adoptées depuis, du moins en partie.

On peut encore reprocher à M. Raynouard d’avoir exagéré le mauvais côté de la lèpre féodale, suivant une expression qu’il dit n’être pas une hyperbole déclamatoire. « On s’efforça, avance-t-il, de forger et de river les chaînes qui retenaient le peuple des campagnes attaché au pilori seigneurial… Un des plus grands reproches, ajoute-t-il encore, que la féodalité me paraisse mériter, c’est d’avoir fait oublier aux Français, en les avilissant et les dégradant, qu’ils étaient les sujets d’un roi et les enfans d’un Dieu ; elle les déshéritait ainsi du présent et de l’avenir. » On sent que les vieilles et émouvantes sympathies du temps de Caton d’Utique reparaissent là, malgré la sévérité de l’historien impartial. Ce n’est pas (à Dieu ne plaise !) que nous voulions nous constituer le défenseur du régime féodal, et insérer comme nôtres quelques-unes des pages de M. de Boulainvilliers. Seulement, tous ceux qui ont lu les leçons consacrées à l’examen du système féodal, dans l’Histoire de la civilisation en France, comprendront le côté, sinon louable, au moins fort pardonnable, négligé par M. Raynouard dans son appréciation. Les reproches qu’il fait à la chevalerie, bien qu’outrés, nous paraissent plus justes et mieux fondés ; car cette époque a fourni la singulière et inexplicable coexistence de la barbarie dans les actions et de la pureté dans les idées. Il faut cependant qu’il y ait eu au fond un peu de cette noble bravoure, de ce dévouement poétique ridiculisé depuis avec tant de génie par Cervantès ; et ce n’est pas à tort que les romans de chevalerie ont pu célébrer d’autres héros que Gui Truxel, Thomas de Marle et Hugues du Puiset. M. Raynouard, qui avait été si indulgent aux Templiers, et qui, par la nature de son esprit franc et droit, était assez porté aux réhabilitations historiques, eût pu traiter avec un peu plus de bienveillance ces héros détrousseurs, ces brigands titrés, comme il les appelle. M. Daunou[14] a aussi reproché à M. Raynouard d’avoir trop insisté sur les élections religieuses, qui, à notre sens, provenaient autant de l’esprit primitif du christianisme lui-même, que de l’influence des municipes romains.

Sauf quelques pages éloquentes à propos de l’établissement du christianisme dans les Gaules, sauf le dernier chapitre, écrit avec une certaine énergie et beaucoup de vivacité et de mouvement, le style, d’ailleurs pur et parfaitement clair, de l’Histoire du droit municipal est à tout moment coupé par des alinéas dont l’isolement et la brièveté mettent un certain arrêt dans la pensée, qui nuit à l’enchaînement des idées et force le lecteur à des efforts fatigans et à chaque instant renouvelés. On dirait un chemin rompu sans cesse, à angle droit, et qui perdrait par là ses marges doucement sinueuses et arrondies. Nous concevons facilement ce défaut chez M. Raynouard, dont l’organisme vif et bouillant ne le laissa jamais cinq minutes assis, et lui conserva jusqu’à la fin cette ardeur, que n’avaient pu éteindre un travail assidu et une nature concentrée et noblement voilée en ses profondes sensations.

Le but politique de M. Raynouard dans l’Histoire du droit municipal était le rétablissement des priviléges communaux détruits par Louis XIV. L’indépendance de l’administration locale et le choix libre des magistrats destinés à surveiller les intérêts particuliers lui semblaient une des régénérations les plus importantes de l’ordre politique. Nous ne chercherons pas à atténuer cette noble conviction. Peut-être serait-il bon cependant de conseiller à ceux qui partagent cette généreuse illusion, la comparaison de l’état actuel des villes en France, par rapport au pouvoir central, avec l’état des cités du moyen-âge envers la féodalité et la royauté. Cela fait, et l’analogie cherchée, sans qu’on ait pu la trouver, il faudrait persuader au législateur, s’il avait du temps à perdre, d’assister aux délibérations d’un conseil municipal de province et d’étudier quelque temps le caractère général du maire et des adjoints, qui ont remplacé les jurats dans l’antique échevinage. Nous doutons qu’après avoir vu ce qu’il y a d’étroit et d’arriéré dans les administrations locales, on en vienne à désirer le rétablissement de la commune du xiie siècle ou de la curie romaine. La France n’est plus dans les mêmes conditions, et si quelques-uns des anciens priviléges municipaux peuvent encore être utiles, la plupart, selon nous, appartiennent à une société qui a fait son temps. — M. Raynouard s’occupait, dans ces dernières années, d’un nouveau travail sur les troubadours, qui devait avoir six volumes, comme le premier. Un seul a été publié[15]. L’auteur, ayant d’abord comparé les formes grammaticales, voulait faire la même chose pour les lexiques. Le gouvernement avait souscrit pour deux cent cinquante exemplaires à la première collection, par l’entremise de M. de Blacas. Cette fois, M. Raynouard est mort avec la crainte que son beau monument ne reste inachevé. Cette pensée amère lui fut d’autant plus présente à sa dernière heure, que la fortune honorable due à ses infatigables travaux avait été absorbée presque en entier dans ces dernières années. On l’a dit sur sa tombe, le temps est venu de soulever le voile d’une générosité aussi modeste que rare. Quand il eut appris les pertes considérables de sa famille, M. Raynouard se regarda comme solidaire d’engagemens qui n’étaient pas les siens. Lui qui montrait tant d’économie dans la vie de tous les jours, il n’hésita pas un instant, et ce sacrifice ne parut point lui coûter. C’est ainsi que, plus jeune, avocat encore, il s’était chargé d’un procès à propos d’une prise maritime. Personne n’avait voulu défendre cette cause sans espérance, qui paraissait pourtant juste à M. Raynouard, auquel on avait offert une forte part dans le gain. Le procès réussit, et il s’agissait de 300,000 francs pour l’avocat, mais il ne voulut rien accepter, et il réclama seulement 60 francs de frais d’avances. Si Fournel vivait encore, il eût pu recueillir ce trait, qui eût peut-être été le seul du même genre dans son Histoire des avocats.

Dès la reprise du Journal des Savans, en 1816, M. Raynouard en fut l’un des rédacteurs les plus assidus ; il y publia, en vingt ans, cent quatre-vingt-douze articles, depuis le compte rendu du Roman de la Rose, édité par M. Méon, jusqu’à l’examen des récens volumes de l’Histoire littéraire, qui paraît après sa mort. — À propos de l’Histoire de Pie VII, de son collègue M. Artaud, il écrivait au Journal des Savans, il y a quelques mois, ce parallèle entre l’empereur et le pontife ; la haine du vieux citoyen dévoué à la liberté, et peut-être aussi un peu d’amour-propre de poète blessé et mal guéri, y apparaissent, malgré la sévère austérité du savant :

« Napoléon s’éleva lui-même au rang suprême avec une hardiesse préméditée ; il n’attendit pas que la fortune vînt à lui, il la brusqua avec succès, et, renversant tour à tour les barrières qui le séparaient du pouvoir, il se fit premier consul, il se fit empereur. Chiaramonte, modeste dans ses vœux, heureux de son obscurité, fut appelé successivement, et presque malgré lui, à des dignités ecclésiastiques ; et quand tous les suffrages se réunissaient pour lui offrir la tiare pontificale, il se refusait encore le sien… L’un, fils de la liberté, parvenu en se déclarant son défenseur, l’a étouffée dès qu’il a pu le faire avec impunité ; l’autre, fils de la religion, n’a cessé de lui consacrer tous ses instans, tous ses vœux ; et, acceptant pour elle les chagrins, l’exil, la prison, lui est demeuré fidèle jusqu’au dernier soupir. »

Puis à la mort résignée de Pie VII, jouissant du sentiment de sa vertu et de cette espérance qui n’abandonne jamais l’opprimé, M. Raynouard oppose la fin inquiète de Napoléon dans l’exil. Après avoir montré le captif de Sainte-Hélène, par un de ces retours de fortune qui sont la leçon de l’histoire, envoyant demander un confesseur à ce même pontife auquel ses agens avaient refusé l’accomplissement de cette consolation religieuse, il finit par conclure, comme cela n’est pas étonnant de sa part, que Bonaparte a su subjuguer l’admiration, mais qu’il ne mérite pas la reconnaissance. — Il ne faut pas croire que tous les articles de M. Raynouard, au Journal des Savans, soient écrits du même style que le fragment qui précède. Mêlé sans cesse de citations, et loin d’être plein et nourri comme ici, il tourne souvent à la concision. On eût même dit, dans les derniers temps surtout, qu’à force de parler des vieux poètes, il leur empruntait quelques-unes de ces vieilles formes elliptiques, où le verbe fait presque défaut.

M. Raynouard, affligé et triste des places vides que la mort laissait chaque jour à côté de lui, et sentant sa santé s’altérer de plus en plus, mourut à Passy le 27 octobre 1836. Son convoi nous a laissé une impression triste. L’auteur des Templiers était, depuis trente ans, membre de l’Académie française, dont il pouvait passer, ainsi qu’on l’a fort bien dit, pour la loi vivante. Toujours associé à ses travaux, il avait formé pour elle la collection complète des œuvres des académiciens depuis la fondation. Eh bien ! nous le disons à regret, quatre membres seulement assistèrent à cette cérémonie dernière. Encore M. de Pongerville, directeur, et M. Villemain, secrétaire perpétuel, y étaient-ils désignés par leur charge. On assure qu’un des deux autres membres, habitant Passy, et qui sait aiguiser tout l’esprit mordant du xviiie siècle sous le couvert des convictions politiques d’une autre époque, ne put s’empêcher de dire en voyant ce nombre de quatre : « Il ne nous manque qu’un zéro pour être au complet. » Le premier corps littéraire d’Europe avait-il oublié son ancien secrétaire perpétuel au milieu des travaux d’érudition qui ont occupé exclusivement toute la dernière partie de sa vie, et voulut-il le punir sur sa tombe de cette prédilection pour l’Académie des Inscriptions, dont les membres ont assisté en grand nombre aux obsèques de leur confrère assidu ? Nous ne savons. Mais quand M. Raynouard, il y a quelques mois, devinant sa fin prochaine, insista pour faire accepter à son ami et élève, M. de Pongerville, la présidence de l’Académie française, ne pressentait-il pas cette triste indifférence ? ne voulait-il pas au moins qu’une voix aimée retentît sur sa tombe ? Nous serions presque tenté de le croire.

Jusqu’ici et à dessein, nous n’avons guère été que simple narrateur. Nous convient-il en effet, à nous qui n’avons connu M. Raynouard que dans les derniers temps, de tracer le portrait de cette nature rude au dehors, peu faite au monde, un peu rugueuse en ses contours, mais bonne et facile sous l’écorce, et cachant aux secrets replis une sensibilité d’autant plus vive, qu’elle était conservée et refoulée à l’intérieur, sans jamais percer ce qu’il y avait de sauvage et d’inculte dans l’enveloppe ?

Comme homme privé, il possédait ce dévouement inviolable en amitié, cette sincérité d’enfant, cette religion du devoir, ce langage mâle et bref, ces reparties tranchées, ce caractère tout en dehors, qu’un grand critique note chez Corneille. Vif et sans hésitation dans ses mouvemens comme dans ses actions, là il rompt subitement un mariage noué, à cause d’une crème demandée d’un ton de colère ; ici, avec une aussi prompte et aussi irrévocable résolution, il donne, sans cause apparente, sa démission de secrétaire perpétuel. Jamais il ne regretta ces dernières fonctions, et récemment encore, a dit une voix éloquente sur sa tombe, il se félicitait que son brillant héritage fût passé entre des mains faites pour en augmenter l’éclat. Philosophe pratique, rempli de franchise et de simplicité dans ses conseils littéraires, facile aux jeunes gens, et plein d’obligeance, sans démonstration vaine, M. Raynouard vivait depuis long-temps loin du monde, adonné aux travaux d’érudition, auxquels il se mettait avant le jour, ce qui le renvoyait au sommeil à l’heure où nos soirées commencent. On ne l’y rencontrait jamais. C’est à peine si dans les premiers temps il avait fréquenté les dîners de Cambacérès, qu’il connaissait d’autrefois. Il vit cependant, vers 1815, Mme de Staël, et ses Mémoires contiennent le récit fort curieux de cette entrevue piquante avec l’auteur de Corinne. M. Guérard lui a aussi entendu raconter avec infiniment d’esprit un voyage d’agrément (l’unique sans doute de sa vie) où les couplets, l’impétueuse gaieté et la boutade provençale si incisive, ne firent point défaut.

Érudit, M. Raynouard mit toujours autant de franchise dans ses systèmes que de persévérance dans ses travaux. Les contradictions ne le fâchaient pas, et en fait de discussions scientifiques il disait : « Tirez des étincelles des cailloux, tant que vous voudrez, mais ne vous les jetez pas à la tête. » Poète, il avait cette manière forte et simple, solennelle et sobrement arrêtée, qui le séparait de l’école descriptive de l’empire. Sa poésie, pourtant, était de celles qui se lient en quelque sorte à un certain mouvement du sang, à la chaleur et au nerf de la jeunesse. Plus tard il se retira absolument vers l’érudition et les travaux sévères. Après avoir, à son beau moment, éclaté avec l’accent sonore de l’hémistiche cornélien, après avoir déployé la vigueur serrée, lé coup dé fouet, comme il disait, avec son accent provençal fortement prononcé, son talent se sépara du public par une austère réserve, par une noble susceptibilité ; il se mit sous la rémise, ainsi qu’il disait encore, pour ne plus s’adresser à la foule, mais aux hommes rares et sérieux que préoccupe l’histoire du passé. — À propos d’accent provençal, on peut dire que M. Raynouard en avait l’esprit rude, de même que Sieyes, dans son parler agréable, en avait l’esprit doux.

En mourant, M. Raynouard laisse presque la dernière place vide parmi ces écrivains laborieux et infatigables comme dom Bouquet, Ducange, Godefroy, et dont M. Daunou, peut-être, est maintenant l’unique et vénérable représentant. Pour le travail, en ajoutant la sagacité, c’était le Daru de la science littéraire. Avec la vie brisée, répandue et sans suite, comme elle le devient de plus en plus en ce siècle, les grands monumens paraissent presque impossibles à édifier. Y a-t-il beaucoup d’écrivains de notre époque dont on pourrait dire à la fois comme de M. Raynouard : Il a reconstruit une langue, il a produit la dernière tragédie française, et avec un caractère désintéressé et intègre, il a défendu la liberté ?


Ch. Labitte.
  1. Cours de littér. dramat., deuxième édition, tom. iv, pag. 333 et suiv.
  2. Voir le Journal des Savans, juin 1822, pag. 342 et suiv.
  3. Mars 1834, pag. 132.
  4. Moniteur des 3 et 12 juillet 1814.
  5. Bibliothèque dramatique, in-8o, 4e livraison, préfaces.
  6. Journal des Savans, mars 1834, pag. 130.
  7. Ibid., octobre 1819. Cet article est piquant par sa date. Nous y renvoyons.
  8. Ibid., article sur les troubadours. Même date.
  9. Journal des Savans, mars 1834. — Voici une phrase que certaines personnes seront peut-être bien aises de retrouver ici : « Il n’appartient pas à tous les auteurs de donner le signal des guerres civiles littéraires. Quel qu’en soit le résultat, il est rare qu’elles aient lieu à l’occasion d’ouvrages qui n’ont pas un mérite réel. » (Journal des Savans, juillet 1817, pag. 452.)
  10. Usitée au singulier dans les cas directs, supprimée dans les cas obliques ; usitée au pluriel dans les cas obliques, supprimée dans les cas directs.
  11. Sur l’origine et les révolutions de la langue française, janvier 1741.
  12. Histoire du droit municipal en France sous les trois dynasties, 1829, 2 vol. in-8o.
  13. S. Ambr., epist. 40, ad Theod.
  14. Journal des Savans, juin 1829.
  15. M. Just Paquet, son exécuteur testamentaire, connu par un Mémoire sur les institutions provinciales, couronné à l’Académie des Inscriptions ; M. Pellissier, qui a été honoré par M. Raynouard du nom de son collaborateur ; enfin, M. Léon Dessalles, employé distingué des Archives du royaume et ancien secrétaire de l’auteur des Templiers, se proposent de livrer au jour le reste de ce travail, dont la publication est attendue avec impatience par l’Europe savante.