Recherches statistiques sur l’aliénation mentale faites à l’hospice de Bicêtre/I/III/Symptômes.

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CHAPITRE III.

SYMPTÔMES

Lorsqu’on étudie les maladies mentales, on est frappé de la multiplicité des formes qu’elles revêtent, et de l’insuffisance des dénominations admises qui les groupent en quelques types fondamentaux. À mesure que de nouveaux faits se sont reproduits, plusieurs variétés n’ont pu être comprises dans le cadre qu’on avait établi, et tout le monde a reconnu que l’ancienne classification devenait de plus en plus insuffisante. Nous nous sommes demandé bien souvent si l’on ne trouverait pas les bases d’un meilleur classement en remontant au principe même du délire, à la détermination des facultés qui paraissent lésées et à la nature des idées ou des passions qui constituent la folie. Ce sujet exigerait de grandes méditations. Nous ne nous sentons pas la force d’entreprendre cet immense travail, et en attendant qu’un esprit profondément observateur vienne mieux coordonner tous les faits qui existent, nous nous en tiendrons aux dénominations généralement reçues. Ainsi, pour ne pas sortir de la classification de M. Esquirol, nous distinguerons six formes d’aliénation, y ajoutant la stupidité, que ce médecin regarde comme une simple variété de la démence : la première, appelée manie, est caractérisée par une perversion générale des facultés, par un délire qui roule sur toutes sortes d’objets et qu’accompagne un degré d’excitation plus ou moins prononcé ; la seconde, connue sous le nom de monomanie, est constituée par un délire partiel, un trouble isolé de l’entendement, la plupart des facultés ayant conservé toute leur intégrité. Cette forme reconnaît une variété principale où les passions tristes prédominent, c’est la lypémanie. Il n’est pas toujours bien facile de distinguer ces trois formes de la folie ; elles ont dans une foule de cas des points de contact si intimes, qu’il n’est pas permis de dire qu’il existe entre elles des limites bien déterminées, à l’exception de celles qui ont servi pour en donner les caractères principaux. C’est ce qui fait que les auteurs sont loin d’être d’accord sur la fréquence relative de chacune de ces formes, l’un prenant pour une manie ce que l’autre regarde comme un délire partiel, et réciproquement. Pour nous, dans la détermination du chiffre de nos monomanies, nous croyons avoir donné à cette forme plus de restriction que M. Esquirol, et beaucoup moins que MM. Parchappe et de Boutteville, qui n’en citent que quelques cas ; nous avons regardé comme tels tous les individus dont la lésion mentale était très isolée, et qui sur toute chose, le sujet du délire excepté, étaient susceptibles de parler avec raison et discernement.

Les trois autres formes offrent une abolition plus ou moins profonde des facultés ; cette abolition, congénitale dans un cas, constitue l’idiotie ou l’imbécillité suivant qu’elle est complète ou incomplète ; acquise dans les deux autres : tantôt alors elle est temporaire, et l’individu, plongé dans la stupeur, paraît ne plus éprouver ni besoin ni désir, rien qui dénote le moindre travail intellectuel ; c’est la stupidité : tantôt elle est permanente, et caractérisée par un affaiblissement graduel de la mémoire des impressions récentes, et par un grand défaut d’association dans les idées ; c’est la démence, dont la terminaison est presque toujours funeste.

Telles sont les formes que nous admettons ; nous parlerons aussi de l’épilepsie, non qu’elle soit une forme d’aliénation, mais à cause des points de contact qu’elle présente avec tous les troubles de l’intelligence dont nous avons à parler. Voici comment elles ont été réparties sur les 549 malades qui font la base de notre travail :

Maniaques, 181
Monomaniaques, 66
Mélancoliques, 21
Stupides, 10
Déments, 45
Déments paralytiques, 120
Imbéciles et idiots, 29
Épileptiques, 51
Rechutes et réintégrations, 26
Total, 549

Nous ne reviendrons point sur ce que nous avons dit au commencement de ce mémoire à propos de la proportion que fournit chacune de ces formes de la folie. Nous allons maintenant distinguer les variétés qu’elles présentent et signaler quelques-uns des caractères qui sont susceptibles d’être exprimés par des chiffres.