Recueil de contes populaires slaves (traduction Léger)/XXX

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Traduction par Louis Léger.
Ernest Leroux (p. 231-234).

XXX

LE NIGAUD

(CONTE RUSSE)



Il y avait une fois un vieillard et une vieille qui avaient un fils, un grand nigaud s’il en fut.

— Tu devrais bien, lui dit un jour sa mère, te frotter un peu aux gens pour attraper de l’esprit.

— Attends, mère, j’y vais à l’instant.

Il s’en va par le village et aperçoit deux paysans qui battent des pois ; il court à eux, se frotte tantôt à l’un, tantôt à l’autre.

— Point de bêtises ! crient les moujiks, va-t’en. D’où viens-tu donc ?

Il continue à se frotter. Les paysans se fâchent et l’arrangent si bien avec leurs fléaux qu’il peut à peine revenir chez lui.

— Qu’as-tu à pleurer, enfant ? lui demande sa mère.

Il raconte sa mésaventure.

— Ah ! mon fils, que tu es nigaud ! Il fallait leur dire : « Que Dieu vous soit en aide, bonnes gens ! Voulez-vous que je vous aide à battre ? » Ils t’auraient donné des pois pour ta peine ; nous les aurions fait cuire et mangés.

Une autre fois, le nigaud s’en va par le village ; il rencontre des gens qui portent un mort :

— Que Dieu vous soit en aide, bonnes gens ! Voulez-vous que je vous aide à battre ?

Il se fit rosser de nouveau pour cette mauvaise plaisanterie. Il retourne à la maison et pousse des hurlements :

— On m’a assommé, on m’a roué de coups, on m’a arraché la barbe et les cheveux.

Et il raconte l’histoire.

— Ah ! nigaud ; il fallait dire : « Dieu ait en paix son âme ! » ôter ton chapeau, pleurer, te mettre à genoux. On t’aurait fait manger et boire.

Une autre fois, l’idiot s’en va par le village ; une noce vient à passer ; il ôte son chapeau et crie de toutes ses forces :

— Dieu ait en paix ton âme !

Et il fond en larmes.

— Quelle est cette brute ? murmurent les gens de la noce ; nous rions, nous nous amusons, et il pleure comme s’il s’agissait d’un enterrement.

On saute de voiture et on lui frotte les côtes d’importance.

Il s’en retourne à la maison et pleure.

— On m’a battu, on m’a rossé, on m’a tiré la barbe et les cheveux.

Et il raconte ce qui lui est arrivé.

— Mon fils, il fallait rire et danser avec eux.

Il s’en alla par le village et emporta une cornemuse avec lui. Au bout du village un hangar brûlait chez un paysan. Le nigaud prend ses jambes à son cou et court au feu : et le voilà parti à danser et à jouer de la cornemuse. Cette fois encore on le rossa.

Il revint chez sa mère tout en pleurs et raconta sa mésaventure.

— Mon fils, lui dit la mère, tu aurais dû prendre de l’eau et en jeter comme les autres.

Trois jours après, ses côtes sitôt guéries, il s’en va flâner par le village. Il voit un paysan qui grille son cochon ; il saisit un seau d’eau, court au paysan et arrose le feu.

Cette fois encore, il fut frotté d’importance. Il retourna chez sa mère et raconta son malheur. Elle jura de ne plus le laisser sortir ; il est toujours aussi bête qu’autrefois, mais il ne sort plus de chez lui.