Recueil de tombeaux des quatre cimetières de Paris/Delille

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CIMETIÈRE DE MONT-LOUIS.

Planche 1.

TOMBEAU DE J. DELILLE.


Delille est décédé le 1er mai 1815, à l’âge de 75 ans, son corps a été embaumé et exposé sur un lit de parade, dans une salle du Collège de France ; une couronne de laurier ornait son front. Ses obsèques ont eu lieu le 7 mai 1815, à onze heures du matin, dans l’église Saint-Étienne-du-Mont, sa Paroisse : ses restes ont été déposés ensuite au Cimetière de Mont-Louis, dit le Père la Chaise.


À l’extrémité de l’avenue des tilleuls, à mi-coteau, est une allée formant berceau. C’est là qu’on a élevé le tombeau de J. Delille, en forme de sarcophage, en pierres de liais. On a percé une porte sur celle qui regarde l’orient. Sur la face opposée est une table saillante, en marbre blanc veiné, destinée à recevoir une inscription en lettres d’or. Deux vases lacrymatoires en ornent les côtés. L’intérieur de ce monument a dix pieds de long, huit de large, et six de hauteur. Le sol est dallé en pierre. C’est là qu’on a déposé le cercueil du traducteur des Géorgiques. Ce tombeau est fermé par une porte de fer bronzé, à trois panneaux à compartimens. Celui du haut, qui est à jour, a la forme d’une grille à barreaux dont deux sont en diagonale et deux en croix. L’enceinte où est placé le tombeau de J. DELILLE, forme un quaré long de 56 pieds sur 19 pieds 5 pouces de large, pris hors œuvre. Il est entouré d’un mur d’appui de 16 pouces de haut, construit en pierre. À chaque extrémité de ladite enceinte est pratiqué une porte. Le mur d’appui est surmonté d’une grille de fer à barreaux ronds et terminée en pointes aiguës de 3 pieds de haut. Le tombeau se trouve au milieu de cet emplacement : il est entouré de gazons, et de fleurs odoriférantes. L’intérieur forme un oratoire de recueillement. Il est meublé de six escabeaux, ou tabourets en bois, d’un tapis de pied en velours d’Utrecht. Les deux coffres en bois de chêne, dans l’un desquels est renfermé le corps de J. DELILLE ; l’autre est destiné pour madame DELILLE. Ces deux coffres sont recouverts d’un devant et d’un dessus d’autel à gradin, construits en dalles de pierre de liais. Sur l’autel est un Christ en cuivre doré et autres accessoires convenables à la décoration d’un autel.

La grille qui formait le panneau du haut de la porte d’entrée vient d’être supprimée et remplacée par un panneau en mosaïque, dont les fleurons qui terminent la jonction de chaque barreau sont dorés. Cette petite grille est fermée en dedans par un chassis vitré est en verre de couleur gros bleue, qui s’ouvre et se ferme à volonté. Madame DELILLE, d’après le vœu de M. DELILLE, exprimé dans la dernière épître qu’il lui adressa, a fait placer une croix en pierre sur le sommet du fronton du monument, du côté de l’entrée et au-dessus de la porte a fait graver cette inscription,

JACQUES DELILLE.

Ce tombeau a été commencé par M. BRONYARD, Architecte dudit Cimetière, etc.


VERS SUR LA MORT DE J. DELILLE.


Le printemps, de retour sur la terre embellie,
Renouvelle par-tout les sources de la vie ;
Mais, quoi ! lorsqu’il s’éveille annonçant ses bienfaits,
Le poëte des chants sommeille pour jamais !…
Apollon, attendri par les vœux de la France,
Court de son docte fils implorer la puissance ;
Ce fils protégera l’inimitable auteur
Des trois règnes d’Opis interprète enchanteur.
Veille, ô dieu d’Épidaure, au salut d’un grand homme
Que les Muses devaient au grand siècle de Rome !…
Venez, venez, beaux jours !… Ô désirs superflus !
Au souffle du printemps il ne renaîtra plus,
Plaçons à ses côtés, sous la pierre funèbre,
Son luth harmonieux ; et ce tombeau célèbre,
Tous les ans, au retour de la belle saison,
Rendra des sons plus doux que l’airain de Memnon.
Accourez tous, ô vous que son génie inspire !
À ces magiques sons accordez votre lyre ;
Pour lui laissez couler et vos vers et vos pleurs…
Il chanta les jardins ; couronnez de leurs fleurs
Le dernier monument du sensible Delille.
Du haut du Pinde alors vous sourira Virgile,
Pour prix du souvenir et des tributs touchans
Dont vous aurez payé le poëte des champs.
Pour couvrir son tombeau d’une ombre poétique,
Élevez sur sa cendre un arbre allégorique ;
Du laurier de Virgile entez un rejeton
Sur un rameau sacré du mûrier de Milton.
Toutefois suspendons cet hymne de tristesse ;
Il touche au terme heureux d’une longue vieillesse.
« Dis-moi, gémirais-tu de ton cruel destin ?
» Le bel astre du jour n’a-t-il pas son déclin ?

» Cesse, ô grand voyageur ! de regretter la terre.
» De ton brillant génie admirateur sincère,
» Le Pinde, répétant ton refrain solennel,
» Te dit : « Consolez-vous, vous êtes immortel[1] ».

H. de Valori.


APOLLON ET LA MUSE.


De ta lyre d’où vient que les cordes plaintives
Ne rendent plus que des sons douloureux ?
Du Permesse étonné n’attriste point les rives,
Et redis des chants amoureux.
— J’étais la Muse de Delille ;
Sa perte a réveillé mes anciennes douleurs :
En lui payant le tribut de mes pleurs,
Je crois pleurer encore et Milton et Virgile.

Edmond de G***.




DISCOURS


Prononcé aux Obsèques de M. Delille ; par M. Delambre, Professeur d’Astronomie au collège de France, Secrétaire perpétuel de l’Institut pour les Sciences Mathématiques, Trésorier de l’Université impériale.


« Messieurs,

» Vous avez entendu avec attendrissement l’hommage qui vient d’être rendu au poëte émule de Virgile et de Milton, au chantre des Jardins, du Malheur, de l’Imagination et de la Nature. Il appartenait à la voix éloquente qui gémissait naguère sur les « places qu’une triste absence laissait inoccupées » à l’Académie française, d’exprimer ici les regrets de l’Institut, de la France, et de la république des lettres, qui voit aujourd’hui vaquer l’une de ces places, et la plus difficile peut-être à remplir. »

» Le Collége de France, qui se glorifiait aussi de compter M. Delille parmi ses membres les plus distingués, ne peut rester muet dans cette lugubre cérémonie : il ne peut taire des services éclatans rendus à l’instruction publique ; tous ses professeurs se seraient à l’envi disputé l’honneur d’être les interprètes de la douleur générale ; ils ont bien voulu le céder à celui qui, dans son enfance, avait eu l’avantage de recevoir les premières leçons publiques du grand homme que nous avons perdu, et qui, dans une liaison non interrompue de plus de cinquante années, s’est vu successivement honoré du titre de son confrère à l’Institut, au Collège de France et à l’Université impériale. »

» Toutes les nations connaissent les succès de M. Delille comme poëte ; sa réputation comme professeur n’était pas moindre, mais elle était nécessairement plus circonscrite ; elle a formé cependant ses premiers titres à l’estime de ses concitoyens. »

» Après des palmes dans tous les genres, obtenues aux concours de l’Université, et qui ont toujours annoncé des hommes d’un mérite éminent, le défaut absolu de fortune l’avait forcé d’accepter, dans un collège de Paris, des fonctions obscures qui ne le plaçaient pas même au dernier rang des professeurs de l’Université : celui qui devait enrichir un jour notre langue poétique fut réduit à donner à des enfans des leçons de syntaxe latine. À la destruction d’un ordre fameux, on lui offrit au collège d’Amiens une place de professeur d’humanités : il saisit cette première occasion de passer des élémens de la grammaire à ceux de la littérature. Il préparait dès-lors le chef-d’œuvre des Géorgiques ; quoique le poëme latin ne fût pas l’objet particulier des leçons qu’il devait nous donner, il ne pouvait s’empêcher de nous en entretenir souvent. Il nous en développait le sens et les beautés ; dans ses explications il passait en revue toutes les imitations plus ou moins éloignées qu’il avait rencontrées dans nos poètes français, dont il s’était enrichi la mémoire, la plus heureuse que j’aie jamais connue.

» Ceux qui ont entendu M. Delille, dans les séances académiques ou dans ses leçons au Collège de France, savent si jamais personne égala la grâce et la chaleur entraînante avec laquelle il récitait les vers. Que ceux qui l’ont entendu plus tard se le représentent à l’âge de vingt-quatre ans, ils pourront se faire une idée de ce que je devais éprouver dans ces explications auxquelles ne suffisait pas le temps ordinaire des classes, et qu’il avait l’excessive bonté de reprendre et de me continuer en particulier. Un demi-siècle d’intervalle n’a pu effacer ces impressions délicieuses auxquelles s’est joint un vif sentiment de reconnaissance, dès que j’ai pu faire la réflexion que c’était à un enfant de 13 ans qu’il prodiguait ces trésors d’érudition, d’enthousiasme et de talent poétique.

» Quand il me fut donné de venir à Paris et d’y entendre des professeurs justement célèbres, j’y cherchai vainement, je l’avoue, cette alliance si rare d’un grand talent avec la science et le goût. Elle ne s’y montra, du moins à ce degré, qu’au temps où M. Delille fut ramené sur un théâtre plus digne de lui. L’Université venait d’obtenir la fondation d’un corps d’agrégés destinés à remplacer les professeurs absens ou malades. Les titres que réunissait M. Delille le dispensaient de toutes les épreuves ; il n’eut qu’à se montrer pour être admis, et presque aussitôt il fut nommé à la chaire d’humanités du collège de la Marche.

» C’est là qu’il publia ses Géorgiques ; c’est là que plus d’une fois je l’ai vu, fatigué des succès qu’il commençait à obtenir dans les sociétés les plus brillantes, former le projet de renoncer au monde pour cultiver dans la retraite son talent poétique, et se laissant entraîner sans cesse à cette aimable facilité de caractère qui le rendait incapable de résister aux sollicitations et aux douces violences de ses nombreux amis.

» Le succès de ses Géorgiques, de cette traduction qu’on s’accordait à regarder comme impossible à la poésie française, devait lui ouvrir les portes de l’Académie. On lui opposait le préjugé qui prononçait l’incompatibilité entre le fauteuil académique et la chaire de professeur. Il triompha de cet obstacle, mais il ne tarda pas à sentir la difficulté de concilier tant de devoirs ; il désira plus de loisir, il en trouva au collège de France, dont un académicien, membre estimé de l’Université, M. Le Beau, lui facilita l’entrée. Il y devait professer l’éloquence, mais il était né pour la poésie ; un échange heureux avec un de ses confrères mit tous les littérateurs de Paris à portée de profiter de ces explications poétiques, qui sortent du cercle plus étroit où doit se renfermer un professeur ordinaire, et dont peut-être il n’avait encore été donné qu’à moi seul de jouir pleinement.

» Le Collège de France a long-temps retenti des applaudissement que sa verve arrachait à de nombreux auditeurs. Le feu, l’action qu’il mettait dans ses conférences ébranlaient sa faible constitution ; il sentit le besoin de quelque repos et celui de revoir les objets les plus habituels de ses chants ; ses amis secondaient ou faisaient naître en lui ce désir ; il fut donc forcé plus d’une fois d’interrompre ces leçons, qui attiraient une si grande affluence ; il était alors remplacé par l’estimable traducteur de Perse, son ami dès long-temps, et depuis son collègue à l’Institut (M. Sélis).

» Une absence plus longue fut occasionnée par nos troubles ; quelques esprits sévères lui en firent un sujet de reproche. Sans doute il était permis de regretter qu’il ne fût pas resté à son poste ; mais en quelque lieu qu’il habitât ou bien qu’il allât chercher de nouvelles inspirations, n’était-il pas toujours le poëte de la France ? en devions-nous moins jouir du fruit de ses veilles ? Eh ! que reprocher à l’ami de la paix, qui de ses courses utiles nous rapportait les Géorgiques françaises, l’Enéide et le Paradis Perdu, l’Imagination et les Trois Règnes ?

« Messieurs,

» L’Université doit aussi un tribut d’éloges et de regrets à l’homme immortel dont nous accompagnons ici les restes. M. Delille rivalisait de droit avec nos plus anciens professeurs par la durée de ses services, et dans leur éclat n’était rivalisé par personne. Les moyens qui faisaient sa gloire dans l’Institut doublaient de valeur dans l’Université, où il fournissait à la fois des leçons et des exemples, et à laquelle il appartint presque en naissant ; dans l’Université qu’il étonna pendant plus de soixante-ans, soit comme élève, soit comme maître, et qui, par cela même qu’elle fait une perle plus grande que tout autre corps littéraire, doit trouver plus difficilement les termes propres à faire connaître toute l’étendue de sa douleur.

» Mais que me reste-t-il à dire, à moi qui me fais ici l’organe de ce corps illustre ? que me reste-t-il à dire pour peindre ce que nous éprouvons sur les bords de cette tombe qui n’engloutit pas tout ?

» Les orateurs que vous venez d’entendre n’ont-ils pas développé ce que nous pensons ? et ce que nous sentons n’est-il pas encore plus éloquemment exprimé par ces sanglots qui couvrent ma voix, par ces larmes qui se confondent aux miennes ?

M. Le Dieu, étudiant en droit, l’un des élèves de M. Delille, s’est alors présenté et a obtenu la permission de prononcer le discours suivant :

» Souffrez que la jeunesse s’approche aussi de la tombe d’un grand homme, et qu’elle y vienne épancher sa douleur. Permettez-lui d’y déposer, après vous, l’hommage de sa reconnaissance et de ses regrets. C’est sur-tout à l’âge du sentiment à louer et à pleurer le poëte du sentiment.

» Cette qualification, qui la mérita mieux que M. Delille ? Relisez ses chefs-d’œuvre et ses nombreux ouvrages ; dans chacune de leurs pages, vous retrouverez ses titres humides encore des larmes qu’ils ont arrachées à vos yeux. Là, toujours c’est son ame qui parle ; toujours c’est au cœur qu’elle s’adresse ; c’est de la vertu, c’est de la nature qu’elle l’entretient, et vers le bien qu’elle le dirige.

» Mais la sensibilité, caractère principal du poëte illustra que nous regrettons, n’était pas seulement l’artifice et le charme de ses écrits. Elle se manifestait sur-tout dans sa conduite ; dans ses affections, et il l’aimait dans les autres. Ce grand homme chérissait les jeunes gens, et il se glorifiait de leur amitié. Lui demandait-on pourquoi ? « C’est qu’à leur âge, disait-il, elle est un sentiment ». Aurait-il reconnu, et serait-il vrai, que plus tard elle n’est souvent qu’un calcul ?

» Pour nous, fiers d’une préférence si honorable, nous y avons répondu. Toujours nous avons payé du plus tendre retour l’attachement de l’interprète de Virgile et de Milton. Nous nous disposions à lui donner une nouvelle preuve d’amour ; déjà sa couronne tressée de nos mains était prête à ceindre son front ; déjà l’heure était arrivée, nous espérions… Hélas ! et il n’y avait plus d’espoir ! nous nous étions réunis pour sa fête ; et nous avons suivi sa pompe funèbre ! Homme immortel ! la fatalité qui vient d’éteindre ton génie n’a point éteint dans nos cœurs l’amour que tes talens et tes vertus y ont allumé. Du séjour de la gloire, daigne abaisser tes regards sur ces lieux : vois-nous, pressés autour de tes restes, leur présenter nos dernières offrandes, et souris au vœu que nous faisons de t’aimer toujours, d’aimer toujours la vertu et la nature.

» Ah ! si la voix de ton jeune ami peut encore émouvoir ton ame, ô Delille ! ô mon maître ! ô mon père ! (ta bienveillance me permettait, me demandait ces doux noms), entends-le déplorer une perte prématurée, ne trouver de consolation que dans l’expression de sa douleur, et, malheureux émule d’une épouse et des sœurs les plus tendres, jurer fidélité à ta mémoire, et assiduité à tes écrits et à ton monument ». « Ombre chère et sacrée, nous avions confié un moment tes dépouilles mortelles à la mère commune : nous venons aujourd’hui les déposer dans la tombe que leur a préparée la piété d’une épouse. Cette tombe est modeste et conforme à tes vœux[2] ; mais notre encens et les hommages de la postérité en feront un autel. Malgré deux mille ans et les barbares, le laurier qui survit au mausolée de Virgile reçoit encore le culte d’une admiration passionnée. Virgile ! Combien les destinées de ce grand poëte ont de ressemblance avec les tiennes ! Tous deux vous avez été instruits à l’école du malheur, toi dès l’enfance et lui dans la jeunesse ; tous deux vous avez chanté au milieu des guerres civiles ; tous deux vous avez essayé d’amollir, par de douces et innocentes peintures, les passions les plus féroces ; tous deux vous avez rendu sœurs la noble poésie et l’austère phylosophie ; tous deux vous avez surpassé Lucrèce dans l’art de prêter le charme du langage des dieux à la raison et à la vérité, tous deux vous comptez des amis et des contemporains illustres ; tous deux vous avez joui vivans de votre renommée ; tous deux vous avez recueilli les témoignages unanimes de l’admiration publique ; tous deux vous avez parcouru les mers qui conduisent à Troie, reconnu la patrie d’Homère, et foulé le sol d’Athènes. Il est vrai que tu n’as pu interroger que les ruines de cette ville superbe ; tandis que Virgile a vu debout encore ; et le temple de Minerve et le Jupiter de Phidias, et les statues des grands hommes dans le Céramique, et la tribune où tonnait Démosthènes. Mais ce spectacle, si beau pour les yeux et pour l’ame d’un poëte, est le seul avantage que la destinée ait accordé sur toi au chantre divin de la malheureuse Didon. Virgile mourut jeune encore : il mourut avec la douleur de laisser imparfait l’impérissable monument de sa gloire ; et pour comble d’infortune, privé des mains d’un ami qui lui fermât les yeux, il succomba à une maladie cruelle, et fut réduit à prononcer sur lui-même, en jetant ses derniers regards vers la terre natale, ce trait si touchant de son Énéide :

Et dulces moriens reminiscitur argos.

» Et ces honneurs suprêmes qu’il avait décrits tant de fois avec un charme inexprimable, on ignore s’ils ont été dignement rendus à son ombre. Ces pleurs de la patrie en deuil qu’il avait espéré sans doute, l’infortuné ne les a point obtenues sur son tombeau. Combien le Ciel fut plus indulgent pour toi, ô mon illustre maître ! Rien de plus brillant, de plus heureux que ta jeunesse et ton âge mûr. Les monumens de ta gloire ont excité sous tes propres yeux un enthousiasme général. Tu as eu le tems de donner à tes ouvrages, dans un examen sévère et réfléchi, le sceau de la maturité. Ta vieillesse troublée, il est vrai, par des orages, a enfanté des chefs-d’œuvres, que tu dois, peut-être à l’adversité. Tu as vu toutes les classes de la société, et sur-tout les générations naissantes, espoir de l’État, t’environner d’applaudissemens, de respect et d’amour. Jusques à la fin de ta carrière, tu as conservé la chaleur de ton ame, la force de ton talent, la fraicheur et la vivacité de ta brillante imagination. Deux jours avant ta mort, les beaux vers coulaient encore de ta veine, comme des inspirations de la jeunesse. » Enfin, à 75 ans, frappé d’un mal subit, mais exempt de douleur, entouré des soins de la plus tendre épouse, tu n’as fait que passer, pour ainsi dire, des bras de l’Amitié et des Muses à un paisible sommeil. Oublierais-je ici ce noble triomphe de tes funérailles, le peuples, les grands, tous les amis des arts et des lettres, tous ceux que tu honorais d’une affection particulière, versant des larmes sur ton cercueil ? Après ces premiers tributs de la douleur générale, ne vois-je pas encore l’Europe attentive à ta perte, l’Europe qui partage les regrets de la France veuve de son poëte ? Quel digne prix de tes savantes veilles ? Quelle récompense des travaux d’une vie


  1. C’est ainsi que se termine la dernière strophe du dithyrambe de M. Delille sur l’immortalité de l’ame.
  2. On lit les vers suivans dans une épitre de DELILLE, à son épouse.

    Écoute-donc, avant de me fermer les yeux,
    Ma dernière prière et mes derniers adieux.
    Je te l’ai dit ; au bout de cette courte vie,
    Ma plus chère espérance et ma plus douce envie.
    C’est de dormir au bord d’un clair ruisseau,
    À l’ombre d’un vieux chêne ou d’un jeune arbrisseau :
    Que ce lieu ne soit pas une profane enceinte,
    Que la religion y répande l’eau sainte,
    Et que de notre foi le signe glorieux,
    s’immola pour nous le rédempteur du monde,
    M’assure, en sommeillant dans cette nuit profonde,
    De mon réveil victorieux

    Cette belle épitre est en tête du Poëme de l’Imagination. Et sera imprimé dans une des livraisons prochaines.