Recueil des lettres entre Lebniz et Clarke (Félix Alcan)/1

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Recueil des lettres entre Leibniz et Clarke — Premier écrit de M. Leibniz. Extrait d’une lettre de M. Leibniz à S. A. R. Madame la princesse de Galles, écrite au mois de novembre 1715
Œuvres philosophiques de Leibniz, Texte établi par Paul JanetFélix Alcantome premier (p. 732-733).

Premier écrit de M. Leibniz. Extrait d’une lettre de M. Leibniz à S. A. R.
Madame la princesse de Galles, écrite au mois de novembre 1715.

1. Il me semble que la religion naturelle même s’affaiblit extrêmement (en Angleterre). Plusieurs font les âmes corporelles, d’autres font Dieu lui-même corporel.

2. M. Locke et ses sectateurs doutent au moins si les âmes ne sont point matérielles et naturellement périssables.

3. M. Newton dit que l’espace est l’organe dont Dieu se sert pour sentir les choses. Mais s’il a besoin de quelque moyen pour les sentir, elles ne dépendent donc pas entièrement de lui et ne sont point sa production.

4. M. Newton et ses sectateurs ont encore une fort plaisante opinion de l’ouvrage de Dieu. Selon eux, Dieu a besoin de remonter de temps en temps sa montre, autrement elle cesserait d’agir. Il n’a pas eu assez de vue, pour en faire un mouvement perpétuel. Cette machine de Dieu est même si imparfaite, selon eux, qu’il est obligé de la décrasser de temps en temps par un concours extraordinaire, et même de la raccommoder, comme un horloger son ouvrage, qui sera d’autant plus mauvais maître, qu’il sera plus souvent obligé d’y retoucher et d’y corriger. Selon mon sentiment, la même force et vigueur y subsiste toujours, et passe seulement de matière en matière, suivant les lois de la nature, et le bel ordre préétabli. Et je tiens, quand Dieu fait des miracles, que ce n’est pas pour soutenir les besoins de la nature, mais pour ceux de la grâce. En juger autrement, ce serait avoir une idée fort basse de la sagesse et de la puissance de Dieu.