Recueil des lettres missives de Henri IV/1579/7 octobre ― À mon cousin monsieur de Montmorency

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1579. — 7 octobre. – IIme.

Orig. – B. R. Fonds Béthune, Ms. 8833, fol. 24 recto.


À MON COUSIN MONSR DE MONTMORENCY,

MARESCHAL DE FRANCE.

Mon Cousin, J’ay entendu la prinse de la ville de Montagnac[1], le grand meurtre des habitans, l’ignominieuse mort des ministres et le pillage et saccagement de la dicte ville ; de quoy j’ay esté grandement desplaisant, tant pour l’enormité de l’execution que pour le prejudice qu’elle peut apporter à l’establissement de la paix, en donnant par ce mauvais exemple occasion à d’autres turbulens d’en faire le semblable. Ce que je m’asseure que vous reprouvés autant que moy, pour le mal qui s’en peut ensuivre, mesmes au prejudice de l’estat de vostre gouvernement, estant pour ceste occasion trés necessaire d’en faire faire justice et une griefve, exemplaire pugnition pour faire contenir tous autres entrepreneurs en leur debvoir. Qui faict que j’en escrips une lettre à messrs de la chambre de la justice establye à Lisle[2], pour commettre deux d’entre eulx pour se transporter sur le lieu et en informer, et proceder contre les coulpables, selon leurs demerites. À quoy je vous prye de tenir la main et faire cognoistre à chascun combien c’est chose eslongnée de vostre intention ; estant trés certain que, s’il ne s’en faict prompte pugnition, il est impossible qu’il en puisse advenir qu’une plus licencieuse audace de continuer telles entreprises par les ungs ou les autres, et par conséquent ung trouble peult-estre general, quoy que soit particulier en vostre gouvernement, dont, aprés, les remedes seront fort mal aysez. Et m’asseurant que vous y pourvoyrez selon la bonne affection que je me promets de vous à l’establissement de la paix, je prieray Dieu, mon Cousin, vous avoir en sa saincte garde. De Nerac, ce vije jour d’octobre 1579.

Vostre bien affectionné cousin et plus parfaict amy,
HENRY.


  1. Voyez la lettre du 30 avril 1579, Ire, note 1. Cette ville avait été reprise d’assaut par les catholiques le 22 septembre précédent. Le ministre qui y fut tué s’appelait Dupré. Du reste, le duc de Montmorency, dans un mémoire qu’il envoya en réponse au roi de Navarre, signala l’exagération de ses plaintes au sujet de cet événement.
  2. « Cette chambre devoit être composée, suivant l’article 29 de l’édit de pacification, de deux presidens, l’un catholique et l’autre prétendu réformé, et de douze conseillers, huit catholiques et quatre religionnaires ; mais il fut convenu par un des articles de la conférence de Nérac, qu’il y auroit un président, huit conseillers et un procureur général catholique, qui seroient pris du parlement de Toulouse, et un président, huit conseillers et un avocat du Roi religionnaires. L’édit de création de cette chambre fut vérifié au parlement de Toulouse le 2 de juin de cette année ; elle fut établie dans la ville de l’Isle, au diocèse d’Albi, où on en fit l’ouverture le 22 de ce mois, et où elle subsista jusqu’en 1585. Le président et les conseillers protestans demeurèrent toujours fixes ; mais le Roi changea de temps en temps les catholiques, pour leur donner le temps de vaquer à leurs affaires. Ce prince donna, le 7 mai, des lettres portant règlement pour l’administration de la justice entre cette chambre et le parlement. » (D. Vaissète, Histoire générale de Languedoc, t. V, l. XL.) Faurin, dans son Journal sur les guerres de Castres, donne les noms de tous les membres de la chambre mi-partie de l’Isle. C’étaient, pour les protestants : Clausonne, président, Arvieu, Auros, Vignoles, Escorbiac, Bastide, Molinier, Favier et la Mer, conseillers ; pour les catholiques : Saint-Jean, président, Ouvrier, Saint-Paul, d’Amendon, Fraccinet, Bauton, Meynial, Vignaves et Rudel, conseillers ; Boncompte, avocat, et Daverano, procureur général.