Rhétorique à Hérennius (trad. Thibaut)

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RHÉTORIQUE, à C. Hérennius (trad. Thibaut), Texte établi par NisardDidotvol. 1 (p. 1-87).


RHÉTORIQUE,
À C. HÉRENNIUS.


INTRODUCTION.

On a longtemps et longuement discuté la question de savoir si la Rhétorique à Hérennius devait être comptée parmi les ouvrages de Cicéron. De respectables témoignages parmi les anciens la lui ont attribuée de la manière la moins douteuse, entre autres Rufinus, Priscien et surtout saint Jérôme, qui dit en propres termes lege ad Herennium Tullii libros…. Après eux, et sur la foi des plus anciens manuscrits presque tous les éditeurs du quinzième et du seizième siècle se sont rangés à cette opinion. Quelques-uns même ont désigné ce traité sous le nom de Rhetorica vetus, pour le distinguer de celui de l’Invention, sur l’authenticité duquel on n’a jamais élevé de doute.

Mais plus tard, quelques savants remarquèrent que Quintilien, dans plusieurs passages, cite comme empruntées à Cornificius des expressions qui se rencontrent dans les livres à Hérennius. On ne manqua pas d’en conclure que la Rhétorique avait été attribuée à tort à Cicéron, et sur un si faible indice, on en disposa en faveur de Cornificius. Dans le plaisir que leur causait cette découverte, ces savants ne firent pas attention qu’on trouve dans le même Quintilien beaucoup d’expressions de Cornifîcius qui ne se voient pas dans la Rhétorique, et que rien n’est plus simple et ne doit prêter moins à des conjectures de ce genre que quelques définitions semblables de certaines figures dans un sujet spécial, où doivent se reproduire inévitablement des classifications pareilles et des nomenclatures identiques. Mais les érudits ne renoncent pas facilement à leurs inventions aussi persista-t-on à mettre Cornificius en possession de la Rhétorique. Mais quel était ce Cornificius ? Quintilien ne l’ayant pas fait suffisamment connaître, il fallut bien accumuler les hypothèses. On finit par trouver trois Cornificius au lieu d’un. Un critique plus sévère, Schütz ayant démontré qu’aucun d’eux ne pouvait être celui qu’on cherchait, les conjectures prirent une nouvelle direction sans autre règle alors que le caprice particulier on se passa de Quintilien, et on étendit d’autant plus les bornes de la discussion, qu’il devenait plus difficile de la soutenir.

Nous ne discuterons pas toutes ces hypothèses. M. Leclerc a trop bien résumé ce long débat, et établi trop solidement les faits, pour qu’il ne nous suffise pas de donner un aperçu de son grave et ingénieux travail. Encore, parmi toutes les raisons qu’il développe pour conserver à Cicéron le titre qu’on lui dispute, ne nous arrêterons-nous qu’à celles qui ressortent de l’ouvrage lui-même et qui sont les plus concluantes parce qu’elles sont les plus sures. Partout où nous pourrons retrouver des traces des sentiments et des habitudes de celui qui plus tard ne laissa rien ignorer sur lui-même nous pourrons nous y fier plus sûrement qu’aux hypothèses des érudits, et après avoir une fois reconnu l’homme, nous serons bien près d’avoir aussi retrouvé l’écrivain.

D’abord, la première phrase de l’ouvrage ne permet pas de l’attribuer à un rhéteur de profession ; car comment un homme qui aurait tenu école de rhétorique se plaindrait-il de n’avoir pas assez de loisir pour écrire sur son art, parce que son temps serait pris tout entier par le soin de ses affaires domestiques et l’étude de la philosophie ? Et ne savons-nous pas au contraire que, dès ses plus jeunes années, Cicéron montra pour la philosophie le goût le plus prononcé, et qu’il ne cessa jamais pendant toute sa carrière de lui demander ses plus pures jouissances et ses délassements les plus doux ? Ajoutons que le caractère de cette philosophie, tel qu’il se montre dans l’invective lancée contre les stoïciens, liv. II chap. 1 est le même que dans la plupart des autres ouvrages philosophiques de notre auteur. C’est cet éloignement c’est ce dédain pour la doctrine du Portique, que manifeste en toute occasion l’admirable et abondant interprète des doctrines de l’Académie.

Les opinions, ou plutôt les impressions politiques qui se remarquent dans cet ouvrage ne trahissent pas moins la main du jeune Cicéron, du Cicéron des premiers discours et même de l’adversaire de Verres. À cette époque de sa vie il n’a de sympathie que pour les Gracques et pour les autres chefs du parti vaincu par Sylla dont il déteste et flétrit le triomphe ; il justifie Saturninus et parle avec amertume des cinq tribuns égorgés dans l’espace de quarante-cinq ans. Ce sont enfin les sentiments et le langage de celui qui écrivait à la même époque le poème de Marius, le défenseur des idées démocratiques.

Aucun des faits contemporains cités dans l’ouvrage ne contredit cette remarque, que fortifient au contraire toutes les concordances historiques. Depuis le traité honteux de Popilius Lénas l’an de Rome 646, un an avant la naissance de Cicéron, jusqu’au meurtre du tribun Sulpicius, vingt ans après tous les événements dont il est ici question étaient pour lui ou présents, ou si récents, qu’ils devaient s’offrir naturellement à son esprit, toutes les fois qu’il cherchait des sujets ou des exemples. Le choix de citations empruntées de préférence à Ennius, à Pacuvius, et aux autres poètes dramatiques, n’est pas un signe moins certain. On sait de Cicéron lui-même qu’il eut dès sa jeunesse un goût particulier pour le théâtre. Il avait été l’admirateur passionné de Roscius avant d’en être l’ami et le défenseur.

Si de ces observations, qui regardent l’homme, nous passons maintenant à celles qui concernent plus particulièrement l’écrivain, nous trouvons tout aussi peu de motifs de doutes.

Ce n’est pas un maître qui a fait ce livre, ce n’est qu’un disciple. On sait que les premiers ouvrages d’un jeune écrivain sont presque toujours empreints de l’esprit de ses modèles. Or ce qui frappe tout d’abord dans les livres à Hérennius ce sont des divisions trop multipliées et trop confuses, un certain désordre dans l’énumération des parties et dans celle des figures, un abus de conclusions après chaque matière qui, sous le prétexte de transitions, ne sont le plus souvent que des redites, enfin les défauts qui accusent avant tout une soumission trop docile à la méthode des rhéteurs grecs. Cicéron n’avait entendu dans sa jeunesse que des maîtres de cette nation ; il était donc tout naturel qu’il leur empruntai dans ses premiers essais la forme de leurs compositions et qu’il en reproduisit tous les vices. De plus, c’est dans leur langue qu’il s’exerçait le plus souvent (Brutus, chap. 90) de là un penchant presque irrésistible à transporter dans sa langue maternelle les formes propres de sa langue adoptive. C’est ainsi que s’expliquent les fréquents hellénismes qui se rencontrent dans la Rhétorique. Au reste nous n’accordons à personne que cet essai soit indigne de Cicéron. Les défauts, qui tiennent à une imitation un peu trop servile de ses maîtres, sont rachetés par une élocution généralement simple, facile, harmonieuse ; par des mouvements et une vivacité de tour qui sont déjà d’un grand écrivain. On sent dans cette facilité à tout exprimer, l’homme auquel il sera donné plus tard de déployer toutes les richesses de la langue latine arrivée à son point de perfection ; de même que, selon la remarque de M. Leclerc, on reconnaît avec intérêt dans les amplifications du quatrième livre, si riches de sentiments, de pensées et d’images, les premières traces de ce grand art qui devait un jour le faire régner sur un peuple libre.

Mais l’autorité la plus incontestable peut-être, et celle à laquelle on a le moins songé, c’est Cicéron lui-même «’est fauteur non contesté de l’Invention qui ne paraît être qu’une nouvelle édition de la Rhétorique à Hérennius. Ou ces deux ouvrages appartiennent au même auteur, ou le dernier venu n’a fait que copier l’autre ; or, comme il est hors de doute que les livres à Hérennius ont précédé ceux de l’Invention, il faut admettre que le plus fécond des écrivains romains a commencé par n’être qu’un plagiaire, ou que, de son droit d’auteur, en même temps qu’il s’est corrigé il s’est quelquefois copié lui-même. Entre autres preuves frappantes, que l’Invention n’est qu’une seconde édition, ou un développement de la Rhétorique, nous ne citerons que le passage de ce dernier ouvrage où l’auteur se félicite (liv. I, chap. 9) d’avoir distingué le premier les trois circonstances où l’on doit employer l’exorde par insinuation. Ouvrez le premier livre de l’Invention cette distinction s’y trouve reproduite dans les mêmes termes. Il faut donc bien reconnaître qu’il n’y a qu’un seul auteur, mais à deux époques distinctes de sa vie, et qu’un seul ouvrage, mais sous deux formes différentes. Ce que Cicéron avait fait pour la rhétorique, il le fit également pour les Académiques, et on a été longtemps sans distinguer en quoi diffèrent les deux éditions qui se succédèrent.

Concluons donc de ces courtes observations, qu’il faut laisser à Cicéron, quelque indifférent que cela puisse être pour sa gloire, un ouvrage qu’une saine critique ne saurait lui disputer sans injustice.

Au reste, s’il est très vrai que ce traité pourrait être retranché du corps de ses œuvres sans que la grandeur en fût diminuée la Rhétorique à Hérennius est loin d’être un ouvrage sans importance historique. C’est un monument curieux de l’abus que peut faire l’esprit humain de ce qu’il a imaginé lui-même pour se retenir et se renfermer dans le simple et véritable usage des choses, nous voulons dire les règles et la méthode. Sous ce rapport non moins que par le détail, souvent exagéré mais plus souvent exact, des ressources infinies de l’esprit se manifestant par la parole, la Rhétorique à Hérennius mérite d’être lue avec attention, et ne saurait être étudiée sans fruit.


ARGUMENTS.


LIVRE PREMIER.

Après une courte préface, l’auteur expose les trois genres sur lesquels s’exerce l’éloquence, et il distingue les qualités nécessaires à l’orateur il exige de lui l’invention, l’art de la disposition, l’élocution, la mémoire, la prononciation, il consacre ce premier Livre à I’INVENTION en général ; et d’abord, il parle de l’exorde, depuis le chapitre III jusqu’au chapitre VII ; il traite de la narration dans les chapitres VIII et IX, et de la division au chapitre X ; il s’occupe ensuite de la confirmation et de la réfutation et comme elles dépendent de l’état de la cause, il établit, jusqu’au chapitre XVII, les principes des trois états de causes ou questions, savoir la question conjecturale, ou question de fait ; la question de droit, et la question juridiciaire.


LIVRE SECOND.

Après avoir rappelé succinctement ce qu’il a dit, et annoncé ce qu’il va dire, l’auteur considère particulièrement l’invention dans le genre judiciaire. Comme ce genre embrasse les trois différents états de questions la question de fait, la question de droit, et la question judiciaire ; qu’il en avait expliqué la nature et les divisions dans le Livre Ier, et qu’il avait montré le moyen de reconnaître le point à juger (τὸ κρινόμενον) quand l’orateur connaissait l’état de la cause et les preuves qui viennent à l’appui ; il enseigne maintenant la manière de traiter chacune de ces questions selon les règles de l’art. Il développe avec beaucoup d’étendue, depuis le chapitre Il jusqu’au chapitre IX, ce qu’on entend par question de fait. Il donne des préceptes sur la narration judiciaire, sur la probabilité, les rapports, les indices, les suites, les preuves simples, les preuves confirmatives. Ensuite, depuis le chapitre IX jusqu’au chapitre XIII, il trace la conduite que doit tenir l’orateur en traitant la question de droit, lorsque le sens d’une loi ou d’un écrit donne lieu à la controverse. Enfin, depuis le chapitre XIII jusqu’au chapitre XVIII, il expose les moyens dont il faut faire usage dans les deux espèces de question judiciaire, et surtout ceux de la question judiciaire accessoire, l’alternative, la récrimination, l’aveu, la déprécation, le recours. Après ces développements il indique la manière de fortifier les preuves, et distingue dans l’argumentation l’exposition, les raisons, les raisons confirmatives, les ornements des preuves la conclusion dont il nous apprend à connaître les qualités et les défauts. Ces règles sont la matière de tous les chapitres, depuis le dix-huitième jusqu’au dernier. L’auteur termine ainsi les préceptes particuliers qu’il avait promis sur l’invention dans le genre judiciaire, et il remet les deux autres genres au Livre suivant.


LIVRE TROISIÈME.

L’auteur parle, comme il l’avait promis, de l’invention, dans le genre délibératif et dans le genre démonstratif. Il enseigne, depuis le chapitre II jusqu’au chapitre VI, quelles s sont les preuves dont il faut se servir pour persuader une chose, ou pour en dissuader. Il découvre ensuite, chapitres VI VII et VIII, quelles sont les sources de la louange et du blâme. Après avoir termine ainsi la première partie de l’art l’invention, il passe aux autres devoirs de l’orateur. Par les règles de la Disposition il lui apprend à distribuer le sujet, il établit l’ordre des preuves ; c’est la matière des chapitres IX et X. Il remet l’élocution au quatrième Livre, et les chapitres XI, XII, XIII, XIV et XV, ont pour objet la PRONONCIATION, c’est-à-dire la voix, la physionomie et le geste de l’orateur. Les derniers chapitres, qui sont surtout dignes de remarque, renferment des préceptes sur la Mnémonique, ou l’art de la Mémoire, propre à fortifier et à augmenter la mémoire naturelle. L’auteur enseigne la manière de trouver ce qu’il appelle des emplacements et des images c’est en cela qu’il fait consister principalement la mémoire artificielle, et il traite cette partie avec beaucoup de soin, d’étendue et de subtilité.


LIVRE QUATRIÈME.

Comme l’auteur a dessein, en parlant de l’ÉLOCUTION d’accompagner ses définitions d’exemples écrits par lui-même, et qu’il prévoit les reproches que lui attirera cette innovation il indique, dans une espèce de préface, les raisons qui l’ont déterminé à s’écarter de la coutume des autres rhéteurs. Il s’attache à prouver la sagesse de son opinion, comparée à l’opinion de ceux qui choisissent leurs exemples dans les meilleurs ouvrages des poètes et des orateurs. C’est la matière des sept premiers chapitres. Depuis le chapitre VII jusqu’au chapitre XII, il s’occupe de l’élocution elle-même, et des trois genres de styles. Il parle ensuite des qualités de l’élocution, de la correction, de l’élégance, et enfin de la noblesse, qu’il fait consister dans le bon usage des figures de mots et de pensées. Il s’étend beaucoup sur chaque figure, dont il donne des exemples : c’est ce qui fait l’objet des derniers chapitres de ce Livre et de ce Traité depuis le chapitre XII jusqu’à l’épilogue ou la conclusion.


LIVRE PREMIER.

I. Bien que mes affaires domestiques ne me permettent guère de me livrer à l’étude, et que je consacre plus volontiers à la philosophie le peu de moments qu’elles me laissent, toutefois, C. Hérennius, ainsi que vous m’en avez prié, je me détermine à traiter de l’art oratoire : vous ne penserez pas du moins que j’aie reculé devant les difficultés d’un pareil travail, ou que je m’y sois refusé, quand c’est vous qui me le demandiez. Et même, je m’y suis mis avec d’autant plus d’ardeur que ce n’est pas sans motif, je l’ai bien vu, que vous voulez connaître les préceptes de la rhétorique. L’abondance de la parole, la facilité de l’élocution, ne sont pas de médiocres avantages en effet, lorsque c’est un jugement droit, un esprit sage et mesuré qui les gouvernent. Voilà pourquoi j’ai laissé de côté tous ces ornements dont la vanité des rhéteurs grecs a fait un étalage aussi pompeux que frivole. Car, dans la crainte de ne pas paraître en savoir assez, et pour faire croire la science beaucoup plus difficile qu’elle ne l’est réellement, ils sont allés chercher des choses qui n’ont aucun rapport avec leur sujet. Pour moi, je me suis renfermé dans ce qui me semblait du domaine de la rhétorique. Ce n’est en effet ni l’espérance du gain, ni l’ambition de la gloire qui m’engagent, comme beaucoup d’autres, à écrire ; mon seul but est de répondre à vos vœux, autant qu’il est en mon pouvoir. Mais pour ne pas trop prolonger ce préambule, je vais entrer en matière, après vous avoir donné cet avis, toutefois : que l’art, sans l’exercice assidu de la parole, n’est pas d’un grand secours, d’où vous devez conclure qu’il faut joindre la pratique aux préceptes que je vais tracer.

II. Le devoir de l’orateur est d’être en état de parler sur toutes les questions de l’ordre civil, qui sont réglées par les coutumes ou par les lois, en se conciliant, autant que cela peut dépendre de lui, l’assentiment des auditeurs. Il y a trois genres de causes qu’il est obligé de connaître : le démonstratif, le délibératif et le judiciaire. Le démonstratif, qui a pour objet la louange ou le blâme d’une personne en particulier ; le délibératif, qui, reposant sur l’examen d’une question douteuse, se propose de conseiller ou de dissuader ; et le judiciaire, qui consiste dans une controverse, et renferme l’accusation ou l’attaque en même temps que la défense. J’enseignerai d’abord quelles sont les qualités nécessaires à l’orateur ; je ferai voir ensuite comment il convient de traiter ces différents genres. Il faut dans l’orateur l’invention, la disposition, l’élocution, la mémoire et la prononciation. L’invention lui fait trouver les moyens sûrs ou vraisemblables d’assurer le succès de sa cause. La disposition est l’ordre dans la distribution des parties ; elle lui indique la place où chacune doit être mise. L’élocution approprie aux idées fournies par l’invention les mots et les tours qui leur conviennent le mieux. La mémoire fixe solidement dans l’esprit les pensées, les mots et la disposition du discours. La prononciation fait nuancer avec grâce la voix, la physionomie et le geste. Nous avons trois moyens d’acquérir tous ces avantages : l’art, l’imitation, l’exercice. L’art, c’est l’ensemble des préceptes qui tracent la route de l’éloquence et enseignent à suivre cette route. L’imitation nous fait travailler avec un zèle intelligent pour ressembler à certains modèles. L’exercice est le continuel usage de la parole, et l’habitude qu’on s’en fait.

J’ai fait connaître les genres de causes que doit traiter l’orateur et les qualités qui lui sont nécessaires ; je vais parler maintenant de l’application qu’il en peut faire dans la pratique de l’éloquence.

III. L’invention s’étend aux six parties oratoires : l’exorde, la narration, la division, la confirmation, la réfutation, la péroraison. L’exorde est le début du discours ; il dispose l’esprit de l’auditeur à l’attention. La narration est l’exposé réel ou vraisemblable des faits. Dans la division nous établissons les points qui sont hors de doute, ceux qui sont contestés, et nous exposons l’objet du discours. La confirmation développe nos arguments avec leurs preuves. La réfutation détruit ceux qu’on nous oppose. La péroraison termine avec art le discours. Maintenant que, des devoirs de l’orateur, je suis passé, pour les mieux faire connaître, aux parties oratoires, en les rapportant à l’invention, je crois devoir traiter d’abord de l’exorde. La cause une fois déterminée, il faut, pour y approprier plus convenablement l’exorde, considérer à quel genre elle appartient. Ces genres sont au nombre de quatre : l’honnête, le honteux, le douteux et le bas. La cause appartient au genre honnête, quand nous défendons ce qui serait probablement défendu par tout le monde, ou que nous combattons ce que chacun repousserait comme nous : par exemple, quand nous parlons en faveur d’un homme de bien, contre un parricide. On entend par honteuse, la cause qui a pour objet d’attaquer ce qui est honnête, ou de protéger ce qui ne l’est pas. Elle est douteuse quand elle participe à la fois des deux précédentes ; elle est basse, quand son objet inspire le mépris.

IV. Il conviendra, par conséquent, que l’exorde soit approprié au genre de la cause. Il y a deux sortes d’exordes : le simple début, que les Grecs appellent προοίμιον, et celui qui se fait par insinuation, qu’ils nomment ἔφοδος. L’exorde n’est qu’un simple début quand, dès l’abord, nous disposons l’esprit de l’auditeur à nous écouter ; il a pour objet de nous le rendre attentif, docile, bienveillant. Si notre cause est douteuse, afin d’empêcher que ce qu’elle a de honteux ne puisse nous nuire, nous commencerons par attirer la bienveillance. Si elle est du genre bas, nous exciterons l’attention ; si elle est honteuse, il faudra recourir à l’insinuation, dont il sera parlé tout à l’heure, à moins que nous n’ayons trouvé le moyen de capter la bienveillance en incriminant notre adversaire. Si elle est honnête, nous pourrons indifféremment faire usage du simple début, ou nous en passer. Si nous voulons l’employer, il faudra montrer en quoi la cause est honnête, ou bien exposer en peu de mots notre sujet. Si nous y renonçons, il sera nécessaire de faire valoir, en commençant, une loi, un écrit, ou quelque autre circonstance capable d’offrir à notre cause l’appui d’un argument irrésistible. Puisque nous voulons captiver l’intérêt, la bienveillance et l’attention de l’auditeur, nous allons indiquer les moyens d’y parvenir. Nous pourrons captiver son intérêt, si nous savons exposer rapidement le fond de la cause, et fixer son attention ; car c’est nous témoigner de l’intérêt que de consentir à nous écouter. Nous commanderons l’attention en promettant de parler de choses importantes, nouvelles, extraordinaires, ou de faits qui regardent l’Etat ou l’auditoire lui-même, ou bien le culte des dieux immortels, en priant que l’on nous écoute avec soin, et en faisant l’énumération des points que nous allons traiter. Quant à la bienveillance, il y a quatre moyens de se la concilier, c’est de parler, ou de soi, ou de ses adversaires, ou de ses auditeurs, ou de la cause elle-même.

V. Pour attirer la bienveillance en parlant de nous-même, nous ferons un éloge modeste de nos services ; nous rappellerons notre conduite envers la république, envers nos parents, nos amis ou ceux même qui nous écoutent, pourvu que tous ces souvenirs se lient à notre cause. Nous pourrons tracer aussi le tableau de nos disgrâces, de nos besoins, de notre abandon, de nos malheurs ; supplier les auditeurs de nous prêter secours, en leur témoignant que nous n’avons pas voulu placer en d’autres nos espérances. Nous obtiendrons la bienveillance en parlant de nos adversaires, lorsque nous en ferons des objets de haine, d’envie ou de mépris : de haine, en signalant dans leur conduite quelque trait d’infamie, d’orgueil, de perfidie, de cruauté, de présomption, de malice, de perversité, d’envie ; en produisant au grand jour leur violence, leur tyrannie, leurs intrigues, leur opulence, leurs dérèglements, l’abus qu’ils font de leur noblesse, le nombre de leurs clients, de leurs hôtes, leurs liaisons, leurs alliances, et en prouvant qu’ils mettent plus de confiance dans ces avantages que dans la justice de leur cause ; enfin, de mépris, en dévoilant leur ignorance, leur lâcheté, leur mollesse, leurs excès. On pourra se concilier la bienveillance en parlant des auditeurs, par l’éloge du courage, de la sagesse, de la douceur, de l’éclat de leurs jugements ; par la considération de l’estime qu’ils vont mériter, de l’attente qu’ils doivent remplir. Le sujet lui-même appellera la bienveillance, quand nous exalterons la bonté de notre propre cause en méprisant celle de nos adversaires.

VI. Nous allons traiter à présent de l’exorde par insinuation. Il y a trois circonstances où l’on ne peut user du début simple ; il faut les examiner avec soin : c’est lorsque nous plaidons une cause honteuse, c’est-à-dire propre à indisposer contre nous ceux qui nous écoutent, ou bien lorsque les raisons présentées par nos adversaires semblent assez fortes pour porter la conviction dans les esprits ; ou bien encore lorsque l’auditoire est fatigué par l’attention qu’il a déjà prêtée à ceux qui ont parlé avant nous. Si la cause a quelque chose de honteux, voici comment nous pourrons commencer : C’est la chose et non pas la personne, ou bien la personne et non pas la chose qu’il faut considérer : nous sommes bien loin d’approuver les faits allégués par nos adversaires ; ils sont indignes, ils sont odieux. Puis, lorsque nous aurons développé cette idée pendant longtemps, nous prouverons qu’il n’y a rien eu de pareil dans notre conduite ; ou nous nous appuierons d’un jugement prononcé par un autre tribunal dans une cause analogue ou tout à fait semblable, dans une moins importante ou plus grave encore. Nous arriverons ensuite insensiblement à la nôtre, et nous ferons voir en quoi elle ressemble à celle que nous venons de citer. Nous déclarerons aussi que notre intention n’est pas d’attaquer la personne de nos adversaires tout en restant dans la cause. Cependant, et malgré cela, nous en traiterons d’une façon détournée par quelques mots jetés comme au hasard. Si notre adversaire avait persuadé les auditeurs, c’est-à-dire que son discours eût produit la conviction, ce qu’il nous sera facile de reconnaître, puisque nous savons les moyens qui la déterminent ordinairement, nous nous insinuerons dans la cause de la manière suivante : Nous promettrons de parler d’abord de ce que nos adversaires ont regardé comme l’invincible argument de leur cause ; ou bien nous commencerons par attaquer quelques-unes de leurs assertions, et surtout la dernière ; ou nous paraîtrons ne pas savoir par laquelle nous devons débuter, nous demandant avec embarras quelle est celle que nous réfuterons la première. Enfin, si l’attention de l’auditeur est fatiguée, nous essayerons d’abord de la réveiller par quelque chose qui puisse exciter le rire, un apologue, un conte, une citation forcée, une inversion, ou une équivoque, une conjecture, un sarcasme, une naïveté, une hyperbole, un rapprochement, un changement de lettres : ou bien encore nous piquerons la curiosité au moyen d’une comparaison, d’une bizarrerie ; en citant une anecdote, un vers ; en profitant d’une interpellation, d’un sourire approbateur. Nous pourrons promettre aussi de répondre autrement que nous n’y étions préparés ; de ne pas nous exprimer comme les autres ont l’habitude de le faire ; et nous montrerons en quelques mots en quoi consiste leur manière et la nôtre.

VII. Voici quelle est la différence entre l’exorde par insinuation et le simple début. Dans ce dernier, nous devons employer, dès l’abord, les moyens que nous avons prescrits pour nous concilier la bienveillance, l’attention et l’intérêt de l’auditeur ; tandis que, dans le premier, nous cachons et dissimulons notre marche pour arriver au même but, et nous faire obtenir les mêmes avantages. Sans doute l’orateur doit se proposer, dans toute la suite de son discours, d’atteindre un triple but, c’est-à-dire de captiver continuellement les auditeurs, de se les rendre favorables, bienveillants ; mais c’est surtout dans l’exorde qu’il doit s’assurer cette bienveillance. Maintenant, je vais t’enseigner à éviter les défauts, qui pourraient déparer ton exorde. Lorsqu’on commence un discours, il faut avoir soin de donner de la douceur à son débit et de la simplicité à son langage, afin que rien ne sente l’apprêt. L’exorde n’est pas bon lorsqu’il peut convenir également à plusieurs causes ; c’est celui qu’on appelle banal ; il en est de même, lorsque votre adversaire peut l’employer aussi bien que vous ; c’est l’exorde vulgaire ; ou bien encore, s’il suffit de légers changements pour qu’on puisse vous l’opposer. Il n’est pas moins imparfait lorsque les termes en sont trop recherchés, qu’il est trop long, ou ne paraît pas naître du sujet lui-même (on l’appelle alors étranger, ce qui comprend aussi l’exorde d’emprunt) ; quand il ne se lie pas étroitement à la narration ; lorsque enfin il ne produit sur l’auditeur aucun des trois effets qu’on se propose. Mais c’est assez sur l’exorde ; passons maintenant à la narration.

VIII. Il y a trois genres de narrations. L’une qui expose les faits et sait les présenter sous un jour avantageux à la cause, pour assurer le succès : c’est celle qui convient dans les affaires soumises à un jugement. L’autre est celle qu’on fait entrer quelquefois dans le discours, comme moyen de preuve, d’accusation, de transition, de préparation ou d’éloge. La troisième ne s’emploie pas dans les causes civiles, et cependant il est utile de s’y exercer, afin de réussir plus aisément dans les deux autres. Elle se divise en deux genres, l’un qui regarde les choses, et l’autre, les personnes. Celle qui regarde les choses a trois parties, la fable, l’histoire et l’hypothèse. La fable présente des choses qui ne sont ni vraies ni vraisemblables, comme celles que nous ont transmises les tragiques. L’histoire reproduit un fait vrai, mais dont le souvenir remonte à un autre âge. L’hypothèse suppose une action qui aurait pu se passer, comme dans les comédies. La narration qui regarde les personnes doit unir, aux grâces du style, la variété des caractères ; tantôt grave et tantôt légère, elle doit peindre l’espérance, la crainte, le soupçon, le désir, la dissimulation, la pitié, l’inconstance des événements, les vicissitudes de la fortune, les revers inattendus, les joies subites, les dénouements favorables. Mais c’est par l’exercice que l’on acquiert ces qualités. Je vais indiquer à présent comment il convient de traiter la narration d’un fait véritable.

IX. Trois qualités sont nécessaires à la narration, la brièveté, la clarté, la vraisemblance. Puisque nous savons que ces conditions sont essentielles, apprenons à les remplir. Nous pourrons faire une narration rapide si nous commençons où il faut commencer, sans vouloir remonter trop haut ; si nous présentons les faits sommairement et non dans leurs détails ; si, au lieu de les épuiser, nous n’employons que ceux dont nous avons besoin ; si nous n’usons pas de transitions ; si nous suivons sans nous en écarter la route que nous avons prise ; et si nous exposons la conséquence des faits de manière à ce qu’on puisse savoir ceux qui se sont passés avant, quoique nous n’en ayons pas parlé. Quand je dis, par exemple « Je suis revenu de la province, » on comprend que j’y étais allé. Il vaut mieux passer tout à fait, non seulement ce qui peut nuire à la cause, mais encore ce qui y est indifférent. Gardons-nous aussi de répéter deux ou plusieurs fois la même chose, ou de reprendre le membre de phrase qui précède comme par exemple :

« Simon arriva le soir d’Athènes à Mégare ; dès qu’il fut arrivé à Mégare, il tendit des piéges à une jeune fille ; après lui avoir tendu des piéges, il lui fit violence dans le même lieu. » Notre narration sera claire, si elle présente d’abord les faits qui se sont passés les premiers, en conservant l’ordre réel ou du moins probable des choses et des temps. C’est ici qu’il faudra soigneusement éviter d’être confus, embrouillés, équivoques ; qu’il faudra s’interdire les néologismes, les digressions ; ne pas reprendre de trop loin, ne pas traîner en longueur ; ne rien laisser échapper de ce qui tient au sujet, tout en observant les préceptes de la brièveté ; car plus le récit est court, plus il est clair et facile à saisir. La narration sera vraisemblable, si nous parlons d’une manière conforme à l’usage, à l’opinion, à la nature ; si nous mettons bien d’accord le laps du temps, la dignité des personnes, les motifs des résolutions, les convenances des lieux ; de peur que l’on ne puisse nous répondre : Le temps a été trop court ; il n’y avait aucun motif ; le lieu n’était pas favorable ; enfin les personnages n’ont pu ni agir ni laisser agir ainsi. Si le fait est vrai, il ne faut pas moins prendre toutes ces précautions en le racontant ; sans quoi la vérité peut souvent ne pas paraître vraisemblable. Si le fait est supposé, c’est un motif de plus d’observer ces précautions. On ne doit contester qu’avec réserve tout ce qui paraît s’appuyer sur des titres écrits ou sur une autorité respectable. Dans ce que j’ai dit jusqu’ici, je pense être d’accord avec les autres maîtres de l’art, à l’exception toutefois des choses neuves que j’ai trouvées sur l’exorde par insinuation. Le premier, j’ai distingué les trois cas qui lui sont particuliers, afin de présenter une méthode certaine, une théorie claire sur les exordes.

X. Maintenant qu’il me reste à traiter encore de la partie de l’invention, qui est proprement la tâche de l’orateur, je m’efforcerai d’y apporter tout le soin que réclame l’utilité de la matière ; et je dirai d’abord quelques mots de la division.

La division renferme deux parties. En effet, la narration achevée, nous devons montrer d’abord en quoi nous sommes d’accord avec nos adversaires ; puis, quand nous avons fait les concessions qu’il nous est utile de faire, arriver à ce qui reste en discussion, par exemple : « Oreste a tué sa mère, j’en conviens avec ses accusateurs ; en avait-il le droit ? lui a-t-il été permis de le faire ? voilà la question à débattre. » De même, dans la réplique : « On reconnaît qu’Agamemnon a été tué par Clytemnestre ; et malgré cet aveu, l’on prétend que je n’ai pas dû venger mon père. » La division établie, il faut passer à la distribution, qui renferme l’énumération et l’exposition. L’énumération nous servira pour annoncer le nombre de points que nous allons traiter. Elle ne doit pas avoir plus de trois parties ; car il y a du danger à dire trop ou trop peu ; on fait par là soupçonner à l’auditeur de la préméditation et de l’artifice, ce qui détruit la confiance dans nos paroles. L’exposition consiste à donner un aperçu rapide et complet de ce qui fera l’objet du discours.

Passons maintenant à la confirmation et à la réfutation, sur lesquelles reposent toute l’espérance du triomphe et tous les moyens de persuasion : car lorsque nous aurons développé nos arguments, et détruit ceux de nos adversaires, nous aurons entièrement accompli l’œuvre oratoire.

XI. Nous obtiendrons ce double résultat, si nous connaissons bien l’état de la question. Quelques auteurs ont établi quatre espèces de questions ; Hermès, dont j’ai reçu les leçons, n’en reconnaît que trois, moins pour rien ôter à l’invention de ce que les autres y faisaient entrer, que pour montrer qu’ils ont divisé en deux espèces distinctes ce qui devait n’en former qu’une seule et unique. Ce qui constitue la question, c’est la première base de la défense, rapprochée des imputations de l’accusateur. Les questions, comme nous venons de le dire, sont au nombre de trois : la question conjecturale, la question légale, et la question judiciaire. La question est conjecturale ; lorsque c’est sur le fait que porte la discussion ; par exemple : « Ajax, instruit de ce qu’il a fait dans son délire, se jette sur son épée au milieu d’un bois. Ulysse survient, le voit sans vie et arrache de son corps le fer sanglant. Teucer arrive ensuite ; il trouve, à côté de son frère mort, l’ennemi de son frère un glaive sanglant à la main : il accuse Ulysse d’être le meurtrier. » Ici, comme on ne peut chercher la vérité que par conjecture y aura discussion sur le fait ; et voilà pourquoi la question s’appelle conjecturale. On la nomme légale, lorsque la contestation s’élève au sujet d’un écrit. Ici on distingue six cas différents ; c’est lorsqu’il s’agit : de la lettre et de l’esprit d’une loi, de la contradiction de deux lois entre elles, de l’ambiguïté des termes, de la définition, d’une question d’attribution, d’un raisonnement par analogie. La controverse roule sur la lettre et l’esprit, lorsque la volonté du législateur paraît en opposition avec les termes mêmes de la loi ; par exemple : « Une loi porte, que ceux qui auront abandonné leur vaisseau durant la tempête en perdront la propriété ; et que le bâtiment, s’il échappe, appartiendra, ainsi que sa cargaison, à ceux qui ne l’auront pas quitté. Effrayés par la violence de la tempête, tous les passagers d’un vaisseau l’ont abandonné pour se jeter dans la barque, à l’exception d’un malade, à qui son état n’a pas permis de s’échapper et de fuir avec les autres : le hasard et la fortune ramènent sans accident le vaisseau dans le port : le malade en est donc possesseur : l’ancien propriétaire le réclame. » Voilà une question légale qui repose sur la distinction entre la lettre et l’esprit de la loi. La controverse résulte de la contradiction des lois, lorsqu’une loi ordonne ou permet une chose, et qu’une autre la défend ; ainsi : « Une loi défend à celui qui a été condamné pour concussion de parler devant l’assemblée du peuple. Une autre loi veut que l’augure désigne dans l’assemblée du peuple le candidat qui se présente à la place de l’augure décédé. Un augure condamné pour concussion a proposé le successeur de son collègue. On demande qu’il soit puni. » Voilà une question légale fondée sur la contradiction des lois entre elles.

XII. L’ambiguïté des termes donne naissance à la contestation, quand l’expression d’une pensée présente deux ou plusieurs sens différents. Par exemple : « Un père de famille, en instituant son fils héritier, a légué par testament de la vaisselle d’argent à sa femme, en disant : Tullius, mon héritier, donnera à Térentia, ma femme, trente livres de vaisselle d’argent, à son choix. Après la mort du testateur, sa femme demande des pièces de vaisselle précieuses et d’un magnifique travail. Tullius prétend qu’il peut donner celles qu’il voudra, pourvu qu’il y en ait trente livres pesant. » La question légale résulte ici de l’ambiguïté des termes. Elle dépend d’une définition, quand le débat repose sur le nom que l’on doit donner à un fait ; en voici une de cette espèce : « Lorsque L. Saturninus se disposait à faire porter la loi sur les distributions de blé au prix d’un demi-as et d’un tiers d’as, Q. Cépion, qui se trouvait à cette époque questeur de la ville, avertit le sénat que le trésor public ne pouvait suffire à une aussi grande largesse. Le sénat décréta que celui qui présenterait cette loi devant le peuple serait regardé comme ayant agi contre la république. Saturninus veut la proposer. Ses collègues s’y opposent. Il n’en apporte pas moins à la tribune la cassette qui renfermait la loi. Cépion voyant dans cet acte une révolte du tribun contre le sénat, contre ses collègues, contre la république, s’élance accompagné de quelques bons citoyens, brise les ponts, renverse les urnes, et empêche que la loi ne soit portée. Cépion est accusé du crime de lèse-majesté. » La question légale dépend ici d’une définition ; c’est en effet le nom même de l’accusation qu’il faut définir, quand on demande ce qu’on entend par crime de lèse-majesté. La controverse repose sur une question d’attribution, lorsque l’accusé prétend qu’il faut lui accorder un délai, ou bien lui donner un autre accusateur, d’autres juges. On en trouve de fréquents exemples chez les Grecs dans les causes criminelles, et chez nous dans les affaires civiles. C’est dans ce cas que la science du droit civil nous sera d’un grand secours. Il y a cependant quelques causes criminelles dans lesquelles nous employons ce moyen ; par exemple : « Un homme est accusé de péculat pour avoir enlevé d’un lieu particulier des vases d’argent appartenant à l’État. Il peut dire, après avoir défini le vol et le péculat, que c’est une action de vol, et non de péculat, qu’on doit lui intenter. » Cette sorte de question légale d’attribution se présente rarement ; car lorsqu’il s’agit d’une action particulière, il y a les exceptions établies par le préteur ; et celui-là perd sa cause, qui ne l’a pas présentée dans les formes prescrites, tandis que dans les actions publiques les lois, favorables à l’accusé, lui permettent de faire prononcer avant tout si l’accusateur a le droit d’intenter une action.

XIII. C’est l’analogie qui fait la base de la discussion, lorsqu’à défaut d’une loi qui s’applique au cas particulier dont il s’agit, on a recours à d’autres lois qui s’en rapprochent. Ainsi, par exemple : « Une loi met le furieux et ses biens sous la tutelle de ses agnats et des membres de sa famille. Une autre loi ordonne que celui qui aura été condamné comme parricide soit enveloppé et lié dans un sac de cuir, et jeté à la rivière. D’après une troisième loi, le père de famille a le droit de disposer comme il lui convient de ses esclaves et de sa fortune. Une quatrième, enfin, porte : que si le père de famille meurt intestat, ses esclaves et ses biens passent à ses agnats et aux parents de son nom. Malléolus est déclaré coupable du meurtre de sa mère. Aussitôt après sa condamnation, on lui enveloppe la tête dans une peau de loup, on lui met des entraves aux pieds, et on le conduit en prison. Là ses défenseurs apportent des tablettes, et écrivent son testament en sa présence, devant les témoins requis. Peu de temps après ; il est livré au supplice. Ceux qu’il avait institués ses héritiers dans son testament réclament la succession. Son plus jeune frère, qui s’était porté son accusateur, revendique l’héritage en sa qualité d’agnat. Aucune loi formelle ne peut s’appliquer à ce cas ; et cependant on en cite un grand nombre d’après lesquelles on élève la question de savoir si Malléolus avait ou non le droit de tester. » C’est là une question légale qui dérive de l’analogie. Nous avons montré quelles sont les différentes espèces de questions légales ; parlons maintenant de la question judiciaire.

XIV. Celle-là se présente lorsque, tout en convenant du fait, on recherche si son auteur était ou non dans son droit. Elle se divise en deux espèces, l’une absolue, l’autre accessoire. Elle est absolue, quand nous soutenons que l’action peut se défendre en elle-même, et sans recourir à aucune considération étrangère. Ainsi : « Un comédien interpella le poète Accius par son nom, en plein théâtre : Accius le poursuivit pour injures ; celui-ci se contenta de répondre pour sa défense qu’il était permis de nommer celui qui se proclamait l’auteur de la pièce représentée. » La question est accessoire, lorsque la défense, faible par elle-même, emprunte le secours d’une circonstance étrangère. Ces circonstances sont au nombre de quatre : l’aveu du crime, le recours, la récrimination, l’alternative. Par l’aveu, l’accusé demande qu’on lui pardonne ; il a pour cela deux moyens, la justification et la déprécation. La justification, quand il proteste qu’il a agi sans desseins. Il se rejette alors sur la fortune, sur l’ignorance, la nécessité. Sur la fortune, comme fit Cépion devant les tribuns, pour se justifier de la perte de son armée : l’ignorance, comme cet homme qui fit mettre à mort l’esclave de son frère, qui avait assassiné son maître, avant d’avoir ouvert le testament qui affranchissait cet esclave : la nécessité, comme celui qui n’a pas rejoint au jour marqué par son congé, parce que le débordement des eaux lui a fermé le passage. Dans la déprécation, l’accusé convient du crime et de la préméditation ; mais il n’en implore pas moins la pitié. On ne peut guère en faire usage devant un tribunal, à moins que l’on ne parle pour un homme que recommandent plusieurs belles actions reconnues. Dans ce cas, l’orateur employant le lieu commun de l’amplification, dira : « Quand bien même l’accusé serait coupable, il serait juste néanmoins de lui pardonner en faveur de ses services passés ; mais il ne demande pas de pardon. » Ce n’est donc pas en justice que ce moyen est convenable ; mais on peut s’en servir devant le sénat ou devant un général et son conseil.

XV. La question repose sur la récrimination, lorsque, sans nier le fait, nous prétendons y avoir été contraints par la faute d’autrui ; par exemple : « Oreste, pour se défendre, rejette son crime sur sa mère. » La question se fonde sur le recours, quand on repousse, non pas le fait, mais la culpabilité, en la rejetant sur quelqu’un ou sur quelque chose ; sur quelqu’un, ainsi : « Un homme est accusé d’avoir tué Sulpicius ; il en convient, mais il allègue pour sa défense un ordre des consuls, et prétend que non seulement ils lui ont prescrit ce meurtre, mais qu’ils lui ont expliqué les motifs qui le rendaient légitime. » Sur quelque chose, comme « Si un plébiscite défend ce qu’un testament prescrit de faire. » La question roule sur l’alternative, quand on dit qu’il fallait faire nécessairement de deux choses l’une, et que le parti qu’on a pris était le meilleur. En voici un exemple : «  C. Popillius, enveloppé par les Gaulois, et ne pouvant leur échapper d’aucune façon, entra en pourparler avec les généraux ennemis, et obtint de dégager son armée à la condition d’abandonner ses bagages. Il jugea qu’il valait mieux perdre ses bagages que ses troupes ; il emmena son armée et laissa ses convois; on l’accuse de lèse-majesté. »

XVI. Je crois avoir montré quelles sont les questions et comment elles se divisent; il faut faire voir à présent de quelle manière et avec quelle méthode il convient de les traiter, après avoir indiqué d’abord quel est, pour chacune des parties, le point dans lequel se résume toute la plaidoirie. L’état de la question étant donc reconnu, il faut en chercher aussitôt la raison. La raison, c’est ce qui constitue la cause, et contient toute la défense. Ainsi (pour faire servir le même exemple à nos démonstrations) : « Oreste avouant qu’il a tué sa mère, s’ôterait tout moyen de défense, s’il n’alléguait la raison qui l’a fait agir; il en donne donc une, sans laquelle il n’y aurait pas même de cause; elle avait, dit-il, tué mon père. » La raison est donc, comme je l’ai fait voir, la base de la défense; sans elle, il n’existerait pas même le plus léger doute pour retarder la condamnation. La raison une fois trouvée, il faut chercher quelle sera la réplique de l’adversaire, c’est-à-dire le point essentiel de l’accusation, ce que l’on oppose à la raison de la défense dont nous venons de parler. Voici comment on établira ce point : «  Lorsque Oreste aura fait valoir cette raison : « J’ai eu le droit de tuer ma mère, car elle avait donné la mort à mon père, » l’accusateur répliquera : «  Mais ce n’était pas à vous à lui arracher la vie, et à la punir sans qu’elle eût été condamnée. » C’est de la raison de la défense, et de la réplique de l’accusation, que résulte nécessairement le point à juger, que nous nommons iudicatio, et que les Grecs appellent κρινόμενον. Ce qui le constitue, c’est le concours de la réplique de l’accusation avec la raison de la défense; ainsi : « Lorsque Oreste prétend que c’est pour venger son père qu’il a tué sa mère, il s’agit de savoir s’il était juste que Clytemnestre fût immolée par son fils, et sans avoir été jugée. » Tel est le moyen de découvrir le point à juger. Une fois qu’il est trouvé, c’est là qu’il faut diriger tout l’ensemble du discours.

XVII. Voilà comment dans toutes les questions et dans leurs différentes parties on trouvera les points à juger, excepté dans la question conjecturale. Car alors on ne cherche pas quel a été le motif de l’action, puisqu'on nie l’action elle-même; on ne s’occupe pas non plus de la réplique, puisqu'on n’a pas eu de raison à fournir. Aussi le point à juger résulte-t-il de l’imputation d’une part et de la dénégation de l’autre; par exemple : imputation : « Vous avez tué Ajax; » dénégation : « Je ne l’ai pas tué; » point à juger : « L’a-t-il tué? » C’est vers ce point, comme je l’ai déjà dit, que doit tendre tout le système des deux orateurs. S’il y a plusieurs questions, ou parties de question, il en résultera plusieurs points à juger, mais on les trouvera tous de la même manière. J’ai mis un soin attentif à présenter d’une façon rapide et claire les matières que j’ai traitées jusqu’ici. Maintenant que je me suis assez étendu dans ce livre, il vaut mieux exposer dans un autre ce qui me reste à dire, de peur que votre esprit ne se fatigue et s’arrête devant la longueur des développements. Mais si je remplis ma tâche trop lentement au gré de votre ardeur, vous devez l’attribuer à l’importance du sujet et à la multitude de mes occupations. Je me hâterai néanmoins, et je saurai réparer à force de zèle le temps que m’auront ôté les affaires, dans l’espoir de vous offrir, en me rendant à vos vœux, l’hommage le plus digne à la fois de votre affection et de mon dévouement.


LIVRE SECOND.

I. Dans le premier livre, Hérennius, j’ai rapidement exposé les genres de causes qui sont du domaine de l’orateur, les devoirs dont son art exige l’étude et les moyens les plus faciles pour les remplir. Mais comme il n’était pas possible d’entrer à la fois dans tous les détails, et qu’il fallait d’abord traiter des plus importants, afin de vous faciliter la connaissance des autres, j’ai jugé convenable de m’occuper de préférence des difficultés les plus grandes.

Il y a trois genres de causes, le démonstratif, le délibératif et le judiciaire. Ce dernier est de beaucoup le plus difficile ; c’est donc celui que j’expliquerai d’abord. C’est la marche que j’ai suivie dans le livre précédent, lorsque j’ai parlé des cinq devoirs de l’orateur, dont l’invention est le plus important et le plus difficile. Je vais achever à peu près dans ce livre ce qui la concerne, et n’en reporterai qu’une faible partie dans le troisième. J’ai commencé à décrire les six parties oratoires. Dans le premier livre, je vous ai parlé de l’exorde, de la narration, de la division, sans m’étendre plus qu’il n’était nécessaire et aussi clairement que vous pouviez le désirer. J’y ai joint ensuite la confirmation et la réfutation, ce qui m’a conduit à faire connaître les états de question et leurs parties ; et par conséquent à montrer comment, la cause étant posée, on peut trouver l’état de la question et ses diverses parties. Je vous ai fait voir ensuite de quelle manière il fallait chercher le point à juger, lequel, une fois établi, doit déterminer tout le système du discours. Enfin, je vous ai fait remarquer qu’il est un assez grand nombre de causes auxquelles peuvent s’adapter plusieurs états ou plusieurs parties de question.

II. Il me restait à montrer comment l’invention peut appliquer ses ressources à chaque état de question, ou à chacune de ses parties ; ensuite quels sont les arguments (ἐπιχειρήματα chez les Grecs) qu’il faut employer, ceux qu’il faut exclure, deux choses qui regardent la confirmation et la réfutation. Je ferai voir ensuite, en dernier lieu, de quelle espèce de conclusion il faut faire usage : c’est la dernière des six parties du discours.

Nous cherchons donc d’abord comment il convient de traiter chaque cause ; et nous examinerons avant tout la cause conjecturale, qui est la première et la plus difficile. Dans cette cause, la narration de l’accusateur doit être entremêlée de soupçons semés partout ; aucun acte, aucune parole, aucune démarche, rien enfin ne doit y paraître manquer d’intention. La narration du défenseur doit présenter un exposé simple et lucide qui puisse affaiblir le soupçon. Six moyens différents constituent l’ensemble de cet état de cause, les probabilités, les convenances, les indices, l’argument, les suites, les preuves. Montrons quelle est la valeur de chacun d’eux. Par les probabilités, on fait voir que l’accusé avait intérêt au crime, et que jamais il ne fut éloigné d’une semblable turpitude ; ce qui divise la discussion en deux parties, la cause du crime et la conduite de l’accusé. La cause du crime, c’est ce qui pousse à le commettre, par l’appât d’un avantage ou pour éviter un désagrément. L’on cherche alors quel intérêt a rendu l’accusé coupable ; si c’est la soif des honneurs, de la fortune, ou du pouvoir ; s’il voulait assouvir son amour ou quelque autre passion de ce genre ; ou bien s’il échappait à quelque dommage, à des inimitiés, à l’infamie, à la douleur, au supplice.

III. L’accusateur, s’il s’agit de l’espoir d’un avantage, montrera l’avidité de celui qu’il attaque ; il exagérera ses craintes, si c’est un mal qu’il a voulu fuir. Le défenseur au contraire soutiendra, s’il le peut, que les motifs n’existaient pas, ou du moins il en affaiblira singulièrement le pouvoir. Ensuite il ajoutera qu’il est injuste de soupçonner d’une mauvaise action tous ceux qui pouvaient en retirer quelque avantage. Puis viendra l’examen de la conduite du prévenu par ses actes précédents. L’accusateur devra considérer d’abord s’il ne s’est pas déjà rendu coupable de quelque fait de ce genre ; s’il n’en trouve aucun, il cherchera s’il n’a pas donné lieu quelquefois à de semblables soupçons ; et s’attachera, dans ce cas, à faire voir que le motif qu’il a supposé n’a rien qui ne s’accorde avec la conduite habituelle de l’accusé. Prétend-il, par exemple, que c’est l’amour de l’argent ou celui des honneurs qui l’a fait agir ? Il le montrera constamment avare ou ambitieux, de manière à ce que le vice de l’âme paraisse inséparable de la cause du crime. S’il ne peut trouver un défaut en rap port avec le motif qu’il suppose, il faut qu’il en cherche un contraire. Dans l’impuissance de convaincre l’accusé d’avarice, il le montrera, s’il en a quelque moyen, corrupteur et perfide ; enfin il lui imprimera la souillure ou d’un ou de plusieurs vices, d’où l’on pourra conclure qu’il n’est pas étonnant qu’un homme dont la conduite est si coupable, soit l’auteur de ce nouveau forfait. Si l’adversaire jouit d’une haute réputation de sagesse et d’intégrité, l’accusateur dira que c’est aux actes et non pas à la renommée qu’il faut avoir égard ; que cet homme a jusque-là caché ses désordres, et qu’il sera démontré qu’il n’est point innocent. Le défenseur prouvera d’abord, s’il peut le faire, que la vie de son client est sans tache ; sinon, il se rejettera sur l’imprudence, l’aveuglement, la jeunesse, la violence, la captation. Ces excuses feront écarter le blâme des actes étrangers à l’accusation. S’il se trouve dans un sérieux embarras par la turpitude et l’infamie avérée du prévenu, son premier soin sera de dire qu’on a répandu de faux bruits sur un innocent, et d’employer ce lieu commun, qu’il ne faut pas croire aux bruits populaires. S’il ne peut user d’aucune de ces ressources, il dira pour dernier moyen de défense, qu’il n’a point à plaider devant des censeurs pour la moralité de son client, mais à répondre devant des juges aux accusations de ses adversaires.

IV. Pour l’accusateur, les convenances consistent à démontrer que l’action imputée à l’adversaire n’a été avantageuse à nul autre qu’à lui ; ou bien qu’il pouvait seul l’exécuter, qu’il n’y serait pas parvenu par d’autres moyens, ou qu’il n’y aurait pas aussi facilement réussi, ou que la passion qui l’entraînait ne lui a pas laissé voir de moyens plus commodes. Dans ce cas, le défenseur doit faire voir que l’action a profité tout aussi bien à d’autres, ou que d’autres ont pu faire ce qu’on reproche à son client. On entend par indices ce qui montre que le prévenu avait la faculté de faire ce qu’on lui impute. On les divise en six parties : le lieu, le temps, la durée, l’occasion, l’espoir de la réussite et celui du secret. Le lieu ; était-il fréquenté ou désert ? est-il toujours désert, ou bien l’était-il au moment de l’action ? Est-ce un lieu sacré ou profane, public ou particulier ? Quels sont les lieux attenants ? Pouvait-on voir la victime ou l’entendre ? Je ne refuserais pas d’enseigner quels sont ceux de ces moyens qui conviennent à l’accusateur ou à l’accusé, s’il n’était pas facile à chacun d’en juger dès que la cause est posée. L’art doit fournir les sources de l’invention ; l’exercice fait acquérir aisément le reste. Pour le temps, on cherche dans quelle saison, à quelle heure le fait s’est accompli : si c’était de nuit ou de jour, à quel moment de la journée, à quelle heure de la nuit, et pourquoi dans tel ou tel instant. On considère, relativement à la durée, si elle a pu suffire à l’accomplissement de l’action, et si l’accusé pouvait savoir qu’elle serait assez longue. Car il importe peu qu’il ait eu l’espace de temps nécessaire, s’il n’a pas pu d’avance le savoir ou le calculer. Quant à l’occasion, on cherche si elle était favorable à l’entreprise, ou s’il n’y en avait pas une meilleure qu’on a laissé passer ou qu’on n’a pas attendue. Pour apprécier l’espoir du succès, on examinera s’il y a concours des indices dont j’ai parlé tout à l’heure, et si l’on remarque, en outre, d’une part la force, l’argent, l’adresse, les lumières, les préparatifs ; et de l’autre la faiblesse, le dénuement, l’ignorance, le défaut de prudence et de précautions. On saura par ce moyen si l’accusé devait avoir de la crainte ou de la confiance. L’espoir du secret ressortira de la recherche des complices, des témoins, des coopérateurs, qu’ils soient libres ou qu’ils soient esclaves, ou qu’il y en ait des uns et des autres.

V. L’argument présente contre l’accusé des indices plus certains, des soupçons plus fondés. Il embrasse trois époques : le temps qui a précédé l’action, celui de l’action même, et celui qui l’a suivie. À l’égard du premier, il faut considérer où était l’accusé, où et avec qui on l’a vu ; s’il a fait quelques préparatifs ; s’il est allé trouver quelqu’un ; s’il a dit quelque chose ; s’il a eu des complices, des coopérateurs, des secours ; s’il s’est rencontré dans ce lieu contre son habitude, ou dans un autre moment que celui qu’il prenait d’ordinaire. Pour le temps même de l’action, a-t-on vu l’accusé la commettre ; a-t-on entendu du tumulte, des cris, un bruit de pas ; enfin, l’un des sens, l’ouïe, le tact, l’odorat, le goût a-t-il été frappé ? car chacun d’eux peut faire naître un soupçon. Quant au temps qui a suivi l’action, on examine s’il est resté, après le fait accompli, quelque chose qui indique qu’un délit a été commis, ou en révèle l’auteur. Veut-on constater l’existence du crime ? si le cadavre de la victime est enflé et livide, son état prouve un empoisonnement. Cherche-t-on quel en est l’auteur ? on a trouvé le poignard de l’accusé ; un de ses vêtements ou quelque objet pareil abandonné par lui, ou des traces de ses pas ; il y avait du sang sur ses habits : aussitôt après l’exécution du crime, on l’a saisi ou aperçu dans le lieu même où il s’est commis. Argumenter des suites, c’est rechercher les signes auxquels on reconnaît d’ordinaire un coupable ou un innocent. L’accusateur dira, s’il le peut, que son adversaire, à l’approche des témoins, a rougi, pâli, chancelé ; qu’il s’est contre-dit, qu’il est tombé dans l’abattement, qu’il a fait des promesses, toutes choses qui prouvent l’agitation de sa conscience. Si l’accusé n’a rien fait de tout cela, l’accusateur dira qu’il avait si bien calculé d’avance les suites de ce qu’il allait faire, qu’il a répondu sans broncher et avec l’assurance la plus complète : preuve d’audace et non pas d’innocence. Le défenseur prétendra, si son client a montré de la crainte, que c’est à la grandeur du péril et non point à ses remords qu’il faut attribuer son émotion ; s’il ne s’est pas effrayé, c’est que, fort de son innocence, il ne pouvait éprouver d’alarmes.

VI. La preuve confirmative est le dernier moyen dont on se sert quand on a bien établi les soupçons. Elle a ses lieux propres et ses lieux communs. Les lieux propres sont ceux dont personne autre que l’accusateur ou le défenseur ne peut user. Les lieux communs sont ceux qui, dans des causes différentes, peuvent être employés par l’un ou par l’autre. Dans la cause conjecturale, le lieu propre pour l’accusateur consiste à dire qu’il ne faut avoir aucune pitié des méchants, et à exagérer l’atrocité du crime. Pour le défenseur, au contraire, il s’agit d’émouvoir la pitié, de repousser l’accusation comme une calomnie. Les lieux communs à l’usage de l’une et l’autre partie consistent à parler pour ou contre les témoins, pour ou contre les tortures, pour ou contre les arguments, pour ou contre la rumeur publique. En faveur des témoins, on fera valoir leur gravité, leur conduite, la constance de leurs dépositions ; contre eux, on alléguera la turpitude de leur vie, la contradiction de leurs témoignages. On soutiendra que le fait n’a pu arriver, ou qu’il n’est point tel qu’ils le disent, ou qu’ils n’ont pu le connaître, ou que la passion inspire leurs paroles et leur raisonnement. C’est ainsi que l’on attaque ou que l’on soutient les témoignages.

VII. Pour justifier les tortures, nous ferons voir que c’est pour découvrir la vérité que nos ancêtres l’ont voulu chercher par les tourments et par les souffrances ; et que c’est l’excès de la douleur qui contraint les hommes à dire tout ce qu’ils savent. Ce moyen de discussion aura d’ailleurs bien plus de force, si par l’emploi des arguments propres à traiter toute question de fait, vous donnons aux aveux obtenus un caractère de vraisemblance ; ce qu’il faudra faire également à l’égard des témoignages. Contre les tortures, nous dirons d’abord que nos ancêtres n’y ont eu recours que dans certaines causes où l’on pouvait reconnaître la vérité des réponses ou en réfuter l’imposture ; comme dans cette question : « En quel lieu cette chose se trouve-t-elle, » ou toute autre semblable qui se puisse vérifier par les yeux, ou se reconnaître à quelque analogie. Nous prétendrons ensuite qu’il ne faut pas s’en rapporter à la douleur, parce que tel homme y est moins accoutumé qu’un autre, qu’il est plus ingénieux à trouver un mensonge ; ou qu’enfin il peut souvent savoir ou soupçonner ce que le juge veut apprendre, et qu’il voit bien qu’en le disant il mettra fin à son supplice. Cette argumentation sera plus puissante si nous réfutons par des preuves irrécusables des dépositions faites au milieu des tourments, en employant, pour y réussir, les moyens que nous avons indiqués déjà pour les causes conjecturales. Les arguments, les signes et les autres lieux communs qui fortifient le soupçon, doivent être mis en usage de la façon suivante : Lorsqu’un grand nombre d’arguments et de signes se réunissent et s’accordent entre eux pour une chose, il en résulte forcément l’évidence et non pas le soupçon. Il y a plus ; ces signes, ces arguments méritent plus de confiance que des témoins ; car ils déposent des choses telles qu’elles ont eu lieu dans la réalité, tandis que des témoins peuvent être corrompus par l’argent, les faveurs, la crainte ou la haine. Pour combattre les arguments, les signes, et autres moyens semblables, nous ferons voir qu’il n’y a pas une seule chose qui ne puisse être attaquée par le soupçon ; nous atténuerons ensuite chaque soupçon en particulier ; nous nous efforcerons de montrer qu’ils s’appliquent aussi bien à toute autre affaire qu’à la nôtre ; et que c’est une indignité de se croire, en l’absence de témoignages, suffisamment éclairés par une conjecture et par un soupçon.

VIII. Si l’on veut tirer avantage des bruits publics, on dira qu’ils ne naissent pas au hasard et sans quelque fondement ; qu’il n’y a pas de raison pour que personne les ait inventés faussement ; nous soutiendrons, en outre, que s’il en est d’autres habituellement mensongers, celui dont il est question n’a rien que de vrai. Si l’on veut les repousser, on établira d’abord qu’il y en a beaucoup de faux, et l’on citera des exemples qui en prouvent l’imposture ; on pourra les attribuer à des ennemis, ou à des hommes naturellement malveillants et calomniateurs. On reproduira quelque fable inventée contre ses adversaires, et que l’on dira se trouver dans la bouche de tout le monde ; où bien un bruit véritable qui porte atteinte à leur honneur, et auquel on déclare ne pas ajouter foi ; par la raison que le premier venu peut être l’auteur d’un récit déshonorant, et répandre une calomnie. Toutefois si le bruit qu’on nous oppose offre un caractère véhémentement probable, on pourra, par la force du raisonnement, en détruire l’autorité.

C’est parce que la question conjecturale est la plus difficile à traiter, et la plus ordinaire dans les causes véritables, que j’ai mis plus de soin à en approfondir toutes les parties, afin que nous ne soyons arrêtés ni par de faux pas, ni par des obstacles, s’il nous arrive un jour de joindre aux préceptes de l’art l’exercice assidu de la pratique.

IX. Passons maintenant aux différentes parties de la question de droit. Lorsque l’intention du législateur paraît en contradiction avec la lettre de la loi, si nous soutenons le texte même, voici les moyens dont nous ferons usage aussitôt après la narration. D’abord l’éloge de celui qui a fait la loi ; puis la lecture du texte ; ensuite une apostrophe aux adversaires : savaient-ils qu’il y eût une disposition semblable dans la loi, dans le testament, dans le contrat, ou dans tout autre écrit se rapportant à la cause ? après cela, le rapprochement de la lettre de la loi avec les déclarations des adversaires : à quoi le juge doit-il s’en rapporter d’un texte rédigé avec soin, ou d’une interprétation insidieuse ? On combat ensuite avec dédain le sens que les adversaires ont imaginé d’attribuer à la loi ; quelle raison, demandera-t-on, aurait empêché le législateur de l’exprimer clairement, s’il l’avait voulu ? Alors on exposera le sens véritable et le motif qui l’a dicté ; on en démontrera la clarté, la précision, la justesse, la parfaite convenance ; à l’appui, l’on citera les exemples de jugements rendus conformément à la lettre de la loi, malgré les efforts des adversaires pour faire valoir l’esprit et l’intention. On fera voir enfin le danger qu’il y a de s’écarter du texte. Ce lieu commun s’emploie contre celui qui, tout en faisant l’aveu d’une action contraire aux termes d’une loi, ou aux dispositions d’un testament, cherche néanmoins à s’en justifier.

X. Si nous parlons en faveur de l’interprétation de la loi, nous louerons d’abord l’auteur du texte de la judicieuse concision avec laquelle il n’a dit que ce qu’il était nécessaire de dire, abandonnant à notre intelligence ce qui n’avait pas besoin d’être expliqué. Nous ajouterons que c’est le propre de la mauvaise foi de ne s’attacher qu’aux mots et à la lettre, sans tenir compte de l’intention ; que ce qui est écrit ne peut être exécuté ou ne saurait l’être qu’en blessant les lois, les usages, la nature, la justice, l’honneur ; toutes choses dont personne ne niera que le législateur ait voulu la religieuse observation : Eh bien, tout ce que nous avons fait a été fait justement. D’ailleurs l’opinion de nos adversaires est nulle, ou insensée, ou injuste, ou impraticable. Elle répugne à ce qui précède ou à ce qui suit ; elle est en opposition avec le droit commun, avec les autres lois, ou avec des jugements déjà rendus. Et nous citerons ensuite des exemples de décisions fondées sur l’intention de la loi et contrairement au texte ; nous donnerons de rapides extraits de lois et de contrats dans lesquels il faut interpréter la volonté qu’ont exposée les termes. C’est un lieu commun contre celui qui rapporte un texte, sans rechercher l’intention de son auteur. Lorsque deux lois sont contradictoires, il faut considérer d’abord s’il n’y a pas abrogation ou dérogation, ensuite si leur opposition est telle que l’une ordonne et que l’autre défende ; ou bien que la première contraigne et que la seconde laisse faire. Car ce serait se défendre bien faiblement que de se disculper par une loi qui permet, en présence d’une autre qui ordonne ; l’ordre formel l’emportant sur la permission. La défense est faible encore lorsqu’on fait voir qu’on s’est conformé aux prescriptions d’une loi qui a été abrogée ou réformée, en négligeant celles d’une loi postérieure. Aussitôt après ces considérations, nous ferons connaître la loi qui nous protége ; nous la lirons à haute voix, nous en ferons l’éloge. Nous expliquerons ensuite l’intention de la loi qu’on nous oppose, et nous l’amènerons à nous servir. Enfin nous emprunterons à la question judiciaire absolue la doctrine du droit ; nous rechercherons si ce droit est pour l’une ou pour l’autre des lois contraires ; question que nous traiterons plus tard.

XI. Si la disposition écrite est ambiguë, de manière à présenter deux ou plusieurs sens, voici comment il faut en traiter : on cherche en premier lieu s’il existe en effet quelque ambiguïté ; on fait voir ensuite comment se serait exprimé l’auteur du texte, s’il avait voulu y donner le sens qu’offre l’interprétation des adversaires. Après quoi nous démontrerons que la nôtre est admissible, qu’elle n’a rien que de conforme à l’honneur, à la justice, à la loi, aux usages, à la nature, à la droiture et à l’équité ; tandis que celle de nos adversaires y répugne : qu’il n’y a pas d’ambiguïté, puisqu’on comprend quel est le vrai sens. Il y a des auteurs qui regardent comme parfaitement appropriée à ce genre de discussion, cette connaissance des amphibologies qu’ont professée les dialecticiens. Moi, je pense au contraire que, non seulement elle n’est d’aucun secours, mais qu’elle doit encore embarrasser beaucoup. Tous ces sophistes, en effet, courent après les expressions à double face, même après celles qui en ont une qui ne signifie rien du tout. Aussi, quand ils écoutent, ils interrompent à tout propos tous les discours ; quand ils parlent, ils ne sont que de fâcheux et d’obscurs interprètes ; et à force de vouloir parler avec prudence et précision, ils finissent par ne pouvoir rien dire. Ils redoutent tellement de laisser échapper un terme équivoque, qu’ils ne peuvent prononcer leur propre nom. Mais je réfuterai, quand vous le voudrez, leurs opinions puériles, par les raisons les plus solides ; pour le moment, il n’était pas hors de propos d’en dire en passant quelque chose, afin de marquer mon mépris pour cette école impuissante et bavarde.

XII. Quand on emploie la définition, on définit d’abord rapidement le mot dont il s’agit ; par exemple : « Celui-là est coupable de lèse-majesté, dont la violence s’attaque aux choses qui font la grandeur de l’État : quelles sont ces choses ? les suffrages du peuple et le conseil des magistrats : or, tu as privé le peuple du droit de suffrage et les magistrats du droit de s’assembler, lorsque tu as renversé les ponts. » L’accusé répondra au contraire « : Celui-là porte atteinte à la majesté publique, qui fait perdre à l’État quelque chose de sa grandeur. Moi je ne l’ai point altérée, mais j’ai empêché qu’on ne l’altérât ; car, j’ai sauvé le trésor public ; j’ai résisté aux mauvaises passions ; je n’ai pas souffert que la majesté romaine pérît tout entière. » Après cette définition rapide et faite dans l’intérêt de la cause, on en rapproche le fait que l’on défend ; on combat ensuite la définition contraire ; on la montre fausse, impropre, honteuse, outrageante ; et on emprunte encore ses moyens aux doctrines du droit dans la question judiciaire absolue, dont nous allons parler tout à l’heure. Dans les récusations, l’orateur cherche d’abord si celui qui intente une action, une réclamation, une poursuite a bien le droit de le faire ; s’il ne fallait pas prendre une marche différente, choisir un autre temps, un autre lieu ; si l’affaire ne devait pas être intentée ou suivie en vertu d’une autre loi. Ici les moyens se puiseront dans les lois, dans les mœurs, dans le bon droit ; j’en parlerai dans la cause judiciaire absolue. Dans une cause où l’on s’appuie sur l’analogie, on recherchera d’abord les dispositions écrites ou les arrêts rendus dans des causes d’une importance ou plus grande, ou moindre, ou tout à fait égale. Ensuite, si le fait est semblable à celui dont il s’agit, ou s’il en diffère ; si l’absence d’un texte qui y soit applicable n’est pas calculée, parce qu’on n’aura pas voulu le prévoir, ou parce qu’on aura pensé l’avoir prévu en s’expliquant sur des textes analogues. Je me suis assez étendu sur les divisions de la question de droit ; je reviens maintenant à la question judiciaire.

XIII. On se sert de la question judiciaire absolue, lorsqu’on soutient la justice d’une action dont on se reconnaît l’auteur, sans recourir à aucun moyen accessoire. Dans ce cas, il faut examiner si l’on était fondé en droit : ce que l’on pourra faire, une fois la cause établie, si l’on connaît les sources du droit. Or le droit dérive de la nature, de la loi, de l’usage, des jugements, de l’équité, des conventions. Le droit naturel a pour base les liens du sang ou du respect ; c’est la nature qui établit entre les pères et les enfants un culte d’affection réciproque. Le droit fondé sur la loi, est celui que sanctionne la volonté du peuple ; ainsi la loi vous force à comparaître devant elle quand vous êtes assigné. Le droit résulte de l’usage, lorsqu’en l’absence de toute loi, la coutume le consacre jusqu’à le rendre légitime : par exemple, si vous avez porté des fonds à un banquier, vous pouvez les réclamer à son associé. Il résulte de jugements, lorsqu’il est intervenu, sur la même question, une sentence ou un décret. Mais il y en a qui se contredisent, suivant les décisions opposées d’un juge, d’un préteur, d’un consul ou d’un tribun ; car il arrive que, dans un même cas, l’un a prononcé d’une manière contraire à l’autre ; par exemple « M. Drusus, préteur de la ville, autorisa l’action intentée contre un héritier en vertu d’un mandat ; S. Julius la refusa. Le juge Célius renvoya absous le comédien qui avait injurieusement nommé sur la scène le poète Lucilius, et P. Mucius condamna celui qui en avait fait autant pour le poète Accius. » Ainsi donc, puisqu’on peut produire deux jugements contradictoires sur une même affaire, il faut, lorsque ce cas se présente, comparer ensemble les juges, les temps, le nombre des sentences. Le droit dérive de l’équité, lorsqu’il paraît basé sur la vérité et l’utilité communes. Par exemple : « un homme âgé de plus de soixante ans, et malade, peut comparaître par procureur. » On peut même établir de là une nouvelle espèce de droit, suivant les circonstances et la dignité de la personne. Le droit s’établit par un contrat, lorsque les parties se sont liées par des contrats ou par des conventions. Les contrats sont des traités dont les lois garantissent l’exécution ; ainsi : « S’il y a contrat, qu’on plaide à l’endroit convenu ; s’il n’y a pas contrat, qu’on porte la cause aux comices ou au forum avant midi. » Les conventions sont des traités dans lesquels les lois n’interviennent pas, mais qui s’exécutent de droit. Voilà donc par quels moyens on peut démontrer les torts d’un adversaire, et appuyer son droit ; voilà comment il faut procéder dans la question judiciaire absolue.

XIV. Quand on emploiera l’alternative pour savoir s’il valait mieux agir comme l’accusé déclare l’avoir fait, ou comme l’accusateur prétend qu’il aurait fallu le faire, il convient de rechercher d’abord lequel des deux partis aurait été le plus utile ; c’est-à-dire, le plus honorable, le plus facile, le plus avantageux. Il faudra demander ensuite si c’était l’accusé qui devait juger lui-même du degré d’utilité, ou s’il appartenait à d’autres de le fixer. Alors l’accusateur, procédant comme dans la question conjecturale, fera naître le soupçon que si l’accusé s’est conduit ainsi, ce n’était pas pour préférer le meilleur au pire, mais par fraude et par mauvaise foi. Ne pouvait-on pas éviter, demandera-t-il, de venir dans ce lieu ? Le défenseur, au contraire, réfutera l’argumentation conjecturale par quelqu’une des raisons probables dont nous avons déjà parlé. Ces moyens employés, l’accusateur attaquera, par un lieu commun, celui qui préfère à l’utile ce qui ne l’est pas, lorsqu’il n’avait pas le pouvoir de choisir. Le défenseur répliquera par un lieu commun, en forme de plainte, contre ceux qui pensent qu’il est juste de préférer une chose pernicieuse à une chose utile ; et il demandera en même temps aux accusateurs et aux juges eux-mêmes ce qu’ils auraient fait s’ils avaient été à la place de l’accusé ; et il leur mettra sous les yeux le temps, le lieu, la chose et les motifs qui l’ont fait agir.

XV. Il y a récrimination, lorsque l’accusé motive sa faute sur celle que d’autres ont commise. Il faut, dans ce cas, examiner d’abord si ce moyen peut être légitimement admis ; en second lieu, si le délit que l’accusé rejette sur un autre est aussi grave que celui dont il se reconnaît coupable ; ensuite s’il y avait nécessité pour lui de commettre une faute dont un autre lui avait donné l’exemple. Ne fallait-il pas qu’un jugement eût été prononcé auparavant ? et en l’absence d’un jugement sur cette action qu’il impute à un autre, devait-il en porter un lui-même sur une question qui n’avait point encore été décidée par les tribunaux ? Ici viendra un lieu commun de l’accusateur contre ceux qui s’imaginent que la violence doit l’emporter sur les jugements : il demandera à ses adversaires ce qui arriverait si d’autres se conduisant comme eux, et d’après l’exemple qu’ils conviennent d’en avoir donné, infligeaient le supplice avant que la condamnation eût été portée ; que serait-ce si l’accusateur lui-même en avait voulu faire autant ? Le défenseur dévoilera toute l’atrocité de ceux sur lesquels on rejette la responsabilité du crime : il mettra sous les yeux le fait, le lieu, le temps, de manière à faire croire à ceux qui l’entendront, qu’il était impossible ou qu’il n’était pas utile de juger l’affaire.

XVI. Par l’aveu, nous demandons qu’on nous pardonne. Il est de deux sortes ; la défense du motif, et la déprécation. Dans le premier cas, nous nions avoir agi de dessein prémédité, nous nous en prenons à la nécessité, au hasard, à l’ignorance. Voyons d’abord ces moyens ; nous reviendrons ensuite à la déprécation. On examine d’abord, si c’est par sa faute que l’accusé en est venu à cette nécessité, ou bien si c’est la nécessité elle-même qui l’a rendu coupable ; ensuite, quel moyen il y avait de l’éviter ou de la rendre moins fâcheuse ; on demande si celui qui la donne pour excuse a tenté de faire ou d’imaginer quelque chose contre elle ; s’il n’y a pas quelques motifs du genre de ceux que peut fournir la question de fait, pour soupçonner la préméditation là où l’on accuse la nécessité. D’ailleurs la nécessité, quelque pressante qu’elle soit, doit-elle constituer une justification suffisante ? Si c’est par ignorance que l’accusé prétend avoir failli, on cherchera d’abord s’il pouvait ou non apprécier les suites de son action ; s’il s’est donné quelque soin pour les prévoir ; ensuite, si son ignorance est fortuite ou coupable. Car, celui qui rejetterait sur l’excès du vin, de l’amour ou de la colère l’absence de sa raison, aurait perdu le jugement par l’effet d’un vice et non par ignorance ; aussi son ignorance, loin de le justifier, le rend plus coupable encore. Ensuite, à l’aide de la question de fait, on recherchera s’il a su ou non ce qu’il faisait ; et l’on examinera si dans le cas d’un fait constant, l’ignorance peut constituer une excuse suffisante. Quand le défenseur se rejettera sur la fortune, en disant qu’elle doit faire pardonner à l’accusé ; il aura les mêmes considérations à faire valoir qu’en parlant de la nécessité. Il y a tant de rapports en effet entre ces trois sortes d’excuse, qu’on peut les traiter toutes par des moyens à peu près semblables. Voici les lieux communs qui conviennent à ce genre de causes : l’accusateur s’élèvera contre celui qui, après avoir fait l’aveu de son crime, veut arrêter les juges par de vaines paroles ; le défenseur, implorant l’humanité, la clémence, répondra qu’il faut en tout considérer l’intention ; et que là où il n’y a pas eu de dessein prémédité, il ne faut pas chercher de crime.

XVII. Nous nous servons de la déprécation, lorsqu’en convenant de notre faute sans l’attribuer ni à l’ignorance, ni à la fortune, ni à la nécessité, nous n’en demandons pas moins le pardon. Nous nous fonderons, pour l’obtenir, sur les considérations suivantes : les services du prévenu sont plus nombreux et plus grands que ses fautes ; il a du mérite ou de la naissance ; on doit espérer qu’il se rendra utile, s’il échappe au châtiment. Cet homme, aujourd’hui suppliant, s’est montré doux et miséricordieux quand il avait la puissance. S’il a commis une faute, ce n’est ni la haine ni la cruauté qui l’y ont poussé, mais son amour du devoir et son zèle ; dans une circonstance pareille, d’autres n’ont pas été punis ; il ne saurait y avoir aucun danger à le renvoyer à son tour : cet arrêt n’encourra le blâme ni de Rome ni des cités voisines. L’humanité, la fortune, la clémence, l’instabilité des choses humaines fournissent des lieux communs. L’accusateur y oppose les lieux communs contraires, en amplifiant, en énumérant les crimes de l’accusé. La déprécation ne peut s’employer devant les tribunaux, ainsi que je l’ai fait voir dans le premier livre ; mais comme on peut la présenter dans le sénat ou devant un conseil militaire, je n’ai pas cru devoir la passer sous silence.

Lorsque nous voudrons décliner la responsabilité d’un crime, nous en ferons retomber la cause ou sur les choses ou sur les personnes. Si c’est à un homme que l’on s’en prend, la première chose sera d’examiner si cet homme a eu autant d’autorité que l’accusé le déclare, et quels moyens pouvait avoir celui-ci de résister avec honneur et sans danger : et dans le cas où tout cela serait vrai, s’il faut lui accorder qu’il ait agi par une impulsion étrangère. Ensuite on rentrera dans la question de fait pour discuter la préméditation. Si c’est sur les choses que l’on s’excuse, il faudra recourir aux mêmes considérations, à peu près, outre toutes celles que j’ai présentées sur la nécessité.

XVIII. Maintenant qu’il me semble avoir suffisamment indiqué quels sont les arguments qui conviennent à chaque genre de cause judiciaire, il me reste, je crois, à vous montrer la manière de les embellir et de leur donner toute leur valeur. Il est peu difficile en effet de trouver ce qui doit fortifier une cause ; mais ce qui l’est infiniment, c’est de perfectionner ce qu’a fourni l’invention et de l’exprimer avec convenance. C’est par là que nous éviterons de nous arrêter trop longtemps sur les mêmes objets, ou d’y revenir encore après les avoir traités déjà ; de quitter un raisonnement commencé, et de passer mal à propos à un autre. Par là nous pourrons, de notre côté, nous souvenir de ce que nous aurons dit dans chaque partie, et l’auditeur pourra saisir et se rappeler non seulement l’ensemble de la cause, mais encore la place de chaque argument en particulier. L’argumentation la plus complète et la plus achevée est celle qui renferme cinq parties : l’exposition, les raisons, la confirmation des raisons, les ornements, et la conclusion. L’exposition fait voir sommairement ce que nous voulons prouver. Les raisons démontrent, par une rapide analyse, que c’est la vérité que nous nous proposons d’atteindre. La confirmation des raisons a pour objet de corroborer, par de nombreux arguments, les raisons que nous avons succinctement exposées. Les ornements, quand l’argumentation est solidement établie, viennent la décorer et l’enrichir. La conclusion termine rapidement en réunissant les moyens de l’argumentation.

XIX. Pour faire l’usage le plus complet de ces cinq parties, nous traiterons l’argumentation de cette manière : « Nous démontrerons qu’Ulysse avait des raisons pour tuer Ajax : car il voulait se défaire d’un implacable ennemi, qu’il avait raison de redouter comme infiniment dangereux. Il voyait qu’il n’y avait pas de sécurité pour lui tant que cet homme vivrait ; il espérait par ce meurtre sauver sa propre vie ; il avait coutume, quand les motifs légitimes lui manquaient, de préparer la perte d’un ennemi par des machinations criminelles, ce dont la mort indigne de Palamède fournit le témoignage. Ainsi, d’une part, la crainte du danger le portait à faire périr un homme dont il redoutait la vengeance ; et, de l’autre, l’habitude du crime lui ôtait tout scrupule de le commettre. Les hommes ne s’abandonnent pas sans motif aux fautes les plus légères ; mais c’est surtout pour les plus grands excès qu’il faut qu’un avantage certain les conduise. Si l’appât de l’or a détourné tant d’hommes de leurs devoirs ; si l’ambition du pouvoir en a poussé tant d’autres au crime ; si le plus frivole avantage a été souvent acheté au prix des plus coupables écarts : qui pourrait s’étonner qu’Ulysse n’ait pas reculé devant un crime que les terreurs devaient nécessairement l’engager à commettre ? L’homme le plus vaillant, le plus intègre, le plus implacable contre ses ennemis, outragé, furieux, était pour un lâche, pour un coupable qui avait la conscience de son crime, et l’habitude de la perfidie, un ennemi qu’il ne voulait pas laisser vivre ; personne n’en sera surpris. Puisque nous voyons les bettes féroces s’élancer avec ardeur pour nuire à d’autres animaux, il n’est pas incroyable qu’un homme farouche, cruel, inhumain comme celui-là, ait marché avec fureur à la perte de son ennemi. Encore les animaux n’ont-ils aucune raison, ni bonne ni mauvaise, pour se nuire, tandis que nous savons que cet homme en avait de très nombreuses et de très criminelles. Si donc, j’ai promis d’indiquer le motif qui a pu porter Ulysse au meurtre, et si j’ai démontré qu’il y avait de sa part une violente inimitié, et la crainte du péril, il n’y a pas de doute qu’il ne faille convenir qu’il y a eu des raisons du crime. » L’argumentation la plus complète est celle qui renferme cinq parties ; mais elle n’est pas toujours nécessaire. Tantôt, en effet, on peut se passer de la conclusion, si l’affaire est courte et facile à embrasser par le souvenir ; tantôt on néglige les ornements, si le peu de richesse du sujet, excluant l’amplification, ne les comporte pas. Quand l’argumentation est rapide, et que le sujet est de peu d’importance ou commun, on renonce à la conclusion et aux ornements. Dans toute argumentation il faut, pour les deux dernières parties, observer la règle que je trace. L’argumentation la plus étendue se compose donc de cinq parties ; la plus courte en a trois, et la moyenne quatre : on en retranche ou les ornements ou la conclusion.

XX. Il y a deux sortes d’argumentations vicieuses ; celle que l’adversaire peut réfuter avec avantage, et qui appartient à la cause ; et celle qui, malgré sa futilité, n’appelle pas de réponse. Si je ne mettais pas sous vos yeux quelques exemples, vous ne pourriez pas distinguer bien clairement les argumentations qu’il convient de repousser, et celles qu’on peut passer sous un dédaigneux silence, et laisser sans réfutation. Cette connaissance des argumentations vicieuses nous présentera un double avantage : elle nous avertira d’éviter les défauts dans notre argumentation, et nous apprendra à reconnaître aisément ceux que n’auraient pas évités nos adversaires. Après avoir montré que l’argumentation entière et parfaite a cinq parties, considérons maintenant les défauts qu’il faut éviter dans chacune de ces parties, afin que nous puissions nous en garantir pour notre compte, soumettre à l’épreuve de ces règles toutes les parties des argumentations de nos adversaires, et venir à bout d’en ébranler quelqu’une.

L’exposition est vicieuse, lorsqu’en se fondant sur un cas particulier, ou sur le plus grand nombre de cas, on applique à tous les hommes ce qui ne leur convient pas nécessairement, comme dans cet exemple : « Tous ceux qui sont dans la pauvreté, aiment mieux en sortir par des moyens criminels que d’y rester honorablement. » Si un orateur expose ainsi son argumentation, sans songer quelle preuve et quelle confirmation de preuve il apportera, nous réfuterons aisément cette exposition en faisant voir qu’il est faux et injuste d’attribuer à tous les pauvres ce qui n’est vrai que d’un pauvre dépravé. L’exposition est vicieuse encore, lorsqu’on nie absolument l’existence d’une chose qui n’arrive que rarement ; par exemple : « Personne ne peut devenir amoureux d’un regard et en passant. » Car, comme il y a eu des hommes enflammés par un seul regard, et que l’orateur a nié que cela pût arriver à personne, peu importe que le fait soit rare, pourvu qu’il soit prouvé qu’il a existé, ou pu exister quelquefois.

XXI. L’exposition est défectueuse encore, lorsque avec la prétention de rassembler toutes les circonstances, on en omet une importante : par exemple Puisqu’il est constant qu’un homme a été tué, il faut nécessairement qu’il l’ait été « ou par des brigands, ou par des ennemis, ou par vous qu’il avait institué en partie son héritier. Or, on n’a jamais vu de brigands dans cet endroit : il n’avait point d’ennemis ; d’où il résulte que s’il n’est pas tombé sous les coups des brigands, puisqu’il n’en existait pas, ni de ses ennemis, puisqu’il n’en avait pas, c’est vous qui êtes le meurtrier. » On réfute une exposition semblable en faisant voir que d’autres encore, outre ceux que l’accusateur a nommés, ont pu commettre le crime. Ainsi, dans cet exemple, il a dit qu’il fallait nécessairement en accuser ou des brigands, ou des ennemis, ou notre client ; nous répondrons que le meurtre a pu être commis par les esclaves ou par les cohéritiers de l’accusé. L’énumération de l’accusateur, ainsi renversée, il nous restera pour la défense un champ plus vaste. Il faut donc éviter aussi dans l’exposition, quand nous paraîtrons vouloir y rassembler tous les points, d’en omettre un important. C’est encore un défaut dans cette partie que de présenter une fausse énumération, et de n’offrir qu’un petit nombre de cas, lorsqu’il yen a beaucoup plus : par exemple : « Il y a deux choses, juges, qui portent tous les hommes à mal faire, le luxe et l’avarice. » — « Et l’amour ? vous répondra-t-on ; et l’ambition ? la superstition ? la crainte de la mort ? le désir de régner ? et tant d’autres passions ? » L’énumération est fausse également lorsqu’elle ne comprend que peu de cas, et que nous l’étendons à un plus grand nombre ; par exemple : « Trois mobiles font agir tous les hommes : la crainte, le désir, l’altération de l’âme. » Il suffisait en effet, de dire la crainte et le désir ; car l’altération de l’âme se confond nécessairement avec l’une et l’autre.

XXII. L’exposition pèche encore lorsqu’elle est prise de trop loin ; par exemple : « La sottise est la mère de tous les maux, puisqu’elle engendre d’innombrables désirs. Or des désirs innombrables n’ont ni limite ni mesure. Ils produisent l’avarice, et l’avarice pousse l’homme à tous les excès. C’est donc l’avarice qui a conduit nos adversaires à se rendre coupables de cette action. » Il suffisait du dernier membre de cette phrase ; autrement on fait comme Ennius et les autres poètes, qui seuls ont la permission de parler ainsi : Plût aux dieux que jamais les pins de la forêt de Pélisa ne fussent tombés sous la hache, et n’eussent servi à former le navire que l’on nomme à présent Argo ; navire sur lequel l’élite des Argiens, transportée dans la Colchide à la voix artificieuse du roi Pélias, alla chercher la toison d’or ! Car jamais ma maîtresse, errante aujourd’hui, l'âme inquiète et blessée par un amour cruel, ne serait sortie de son palais.

C’était assez de dire, si le poète eût voulu s’en tenir à ce qui suffisait à la pensée :

Plût aux dieux que ma maîtresse, errante aujourd’hui, ne fût jamais sortie de son palais

Gardons-nous donc avec soin, dans l’exposition, de reprendre ainsi de trop loin ; car ce défaut n’a pas besoin d’être relevé, comme beaucoup d’autres ; il se manifeste de lui-même.

XXIII. Une raison est vicieuse, lorsqu’elle ne va pas à l’exposition, soit par sa faiblesse, soit par sa fausseté. Elle est faible, quand elle ne prouve pas nécessairement la vérité de ce qu’on a exposé ; comme dans cet exemple de Plaute :

C’est une chose désagréable de reprendre un ami pour une faute, mais c’est quelquefois utile et profitable. Voilà l’exposition ; voyons la raison qui vient ensuite : car moi-même je reprendrai aujourd’hui mon ami pour celle qu’il a commise.

C’est d’après ce qu’il va faire, et non d’après ce qu’il convient de faire, qu’il donne la raison de l’utilité de son action. La raison est fausse lorsqu’elle s’appuie sur une fausseté : « On ne doit pas fuir l’amour, car il est la source de la plus véritable amitié.  » Ou bien : « Il faut fuir la philosophie, parce qu’elle amène l’engourdissement et la paresse.  » Car si ces raisons n’étaient point fausses, il faudrait reconnaître la vérité de l’exposition qui les précède. La raison est faible encore quand elle ne forme pas la base nécessaire de l’exposition. Ainsi, dans Pacuvius :

Les philosophes nous disent que la fortune est insensée, aveugle, sans discernement ; ils nous la représentent roulant sur un globe de pierre ; ce qui leur fait penser qu’elle tombe à l’endroit où le hasard a poussé ce globe. Elle est aveugle, répètent-ils, parce qu’elle ne voit pas où elle se fixe ; elle est insensée, parce qu’elle est cruelle, incertaine, capricieuse ; sans discernement, parce qu’elle ne peut distinguer celui qui mérite ou ne mérite pas ses bienfaits. Il y a d’autres philosophes qui nient au contraire qu’aucun malheur vienne de la for tune, et soutiennent que la témérité gouverne tout ; ce qui est vraisemblable, disent-ils, et démontré par l’expérience. Oreste, par exemple, de roi, qu’il était d’abord, devint mendiant ; mais ce fut l’effet de son naufrage, et non pas l’œuvre de la fortune.

Pacuvius se sert ici d’une raison bien faible pour donner plus de vraisemblance à l’empire du hasard, qu’à celui de la fortune ; car, dans l’une comme dans l’autre opinion des philosophes, il a pu arriver que celui qui était roi devînt mendiant.

XXIV. Une raison est faible, lorsque paraissant s’offrir à ce titre, elle ne fait que répéter ce qui a été dit dans l’exposition. Par exemple : « L’avarice cause de grands maux à l’homme, parce que le désir sans bornes des richesses, lui fait subir de cruels et de nombreux inconvénients. » Car ici la raison ne fait que reproduire en d’autres termes ce qui a été énoncé dans l’exposition. La raison est faible aussi, quand elle ne prête à l’exposition qu’un appui plus faible que celui dont elle a besoin ; par exemple : « La sagesse est utile, parce que ceux qui la possèdent, pratiquent ordinairement la piété. » Ou bien : « Il est utile d’avoir de vrais amis, car « c’est le moyen d’avoir avec qui plaisanter. » Car, dans ce cas, l’exposition s’appuie sur une raison qui n’est ni générale, ni absolue, mais qui l’affaiblit. La raison est faible également, quand elle peut convenir à une autre exposition, comme dans l’exemple de Pacuvius qui prouve, par une seule et même raison, que la fortune est aveugle et qu’elle est sans discernement.

Dans la confirmation des raisons, il y a un grand nombre de défauts que nous devons éviter pour nous-mêmes, et découvrir dans nos adversaires ; observation qui demande d’autant plus de soin, qu’une confirmation bien travaillée forme le plus solide appui de l’argumentation. Aussi les auteurs laborieux, pour appuyer leurs raisons, se servent-ils du dilemme, comme dans cet exemple :

Vous me traitez, ô mon père, avec une rigueur que je ne mérite pas ; car si vous aviez jugé Cresphonte un méchant homme, pourquoi me le donniez-vous pour époux ? Si c’est, au contraire, un homme de bien, pourquoi me forcer, contre ses vœux et les miens, de m’en séparer ?

Cette argumentation se réfute, soit en la retournant tout entière, soit en en combattant une partie. En la retournant, quand on dit, par exemple : Je ne commets, ma fille, aucune injustice à ton égard. Si Cresphonte est vertueux, j’ai dû te le donner pour époux ; s’il ne l’est pas, je t’arrache, par le divorce, aux malheurs qui te menacent. En combattant une partie, quand on ne repousse que l’une des deux conclusions, par exemple :

Si vous avez jugé Cresphonte un méchant homme, pourquoi me le donniez-vous pour époux ? — Je l’ai cru plein de probité ; je inc suis trompé, je l’ai reconnu plus tard, et je m’éloigne de lui.

La réfutation de cet argument est donc de deux espèces : la première est plus piquante ; la seconde est plus facile à trouver.

XXV. La confirmation des preuves est défectueuse, lorsqu’on donne pour le signe certain d’une chose ce qui peut en indiquer plusieurs autres ; ainsi : « Il faut nécessairement qu’il ait été malade, puisqu’il est pâle. Cette femme a certainement accouché, puisqu’elle tient un nouveau-né dans ses bras. » Car, ces signes n’ont rien de certain en eux-mêmes, si d’autres, de même nature, ne concourent avec eux ; s’ils s’y joignent, ils ne laissent pas que de donner quelque poids à la conjecture. C’est encore un défaut d’avancer contre l’adversaire une chose qui peut s’appliquer à tout autre, ou même à celui qui parle, comme dans ce cas :

C’est un malheur que de se marier. — Et vous avez pris une seconde femme !

On a tort également, lorsqu’on ne présente qu’une défense banale, telle que celle-ci : « » C’est « la colère qui l’a rendu coupable, ou bien la jeuvesse, ou l’amour. » Car de semblables excuses, si on les admettait, laisseraient les plus grands crimes impunis. C’est encore un défaut de prendre pour certain ce dont tout le monde n’est pas d’accord, et ce qui est encore en litige ; par exemple :

Ne sais-tu pas, toi, que les dieux, dont la puissance gouverne les cieux et les enfers, entretiennent dans l’Olympe la paix et la concorde ?

C’est un exemple que, de son autorité privée, Ennius met dans la bouche de Cresphonte, comme si, par des raisons assez fortes, il avait déjà démontré la vérité de ce point. C’est une mauvaise excuse que de dire que l’on a reconnu sa faute trop tard, et quand elle était déjà commise, comme celle-ci : « Si j’y avais réfléchis, Romains, je n’aurais pas laissé la chose en venir à ce point ; car, j’aurais fait ceci ou cela ; mais je n’y ai pas songé dans le moment. » C’est mal se défendre aussi, quand il s’agit d’un crime avéré, que de se rejeter sur quelque léger service ; par exemple :

Lorsque tout le monde vous recherchait, je vous ai laissé sur le trône le plus florissant : maintenant que vous êtes abandonné de tous, seule, au prix des plus grands périls, je me prépare à vous y replacer.

XXVI. Il ne faut pas non plus dire une chose qui peut être prise dans un autre sens que celui qu’on veut lui donner ; comme le seraient, par exemple, dans la bouche d’un homme puissant et factieux ces mots adressés au peuple : « Il vaut mieux obéir à des souverains qu’à de mauvaises lois. » Car cette pensée, bien qu’elle puisse ne présenter qu’un développement sans intention coupable, donne prise à un grave soupçon, si l’orateur est puissant. C’est un tort également d’employer des définitions fausses ou vulgaires. Elles sont fausses, si l’on dit, par exemple : « Qu’il n’y a point d’injure sans voie de fait, ou sans paroles outrageantes. » Vulgaires, si l’on peut les appliquer également bien à une autre chose ; par exemple : « Le délateur, pour le peindre d’un trait, est un homme digne de mort ; car c’est un méchant et un dangereux citoyen. » Car ce n’est pas plus la définition d’un délateur que celle d’un brigand, d’un assassin, ou d’un traître. Il ne convient pas non plus de citer en preuve ce qui est encore en discussion ; comme dans le cas où un homme en accusant un autre de vol, dirait : « C’est un méchant, un avare, un trompeur, et ce qui le prouve, c’est qu’il m’a volé. » Il ne faut pas non plus résoudre une question par ce qui ferait la matière d’une autre ; par exemple : « Vous ne devez pas, censeurs, lui faire grâce, en considération de ce qu’il n’a pu, vous dit-il, se présenter au jour où il avait promis par serment de le faire. Car s’il ne se fût pas rendu à l’armée, donnerait-il cette excuse au tribun des soldats ? » Cette argumentation est d’autant plus vicieuse, qu’elle produit, comme exemple, une chose qui n’est ni incontestable, ni jugée, mais douteuse et faisant elle-même question. C’est pareillement un défaut de laisser sans explication suffisante, et comme décidée, la chose même qui fait le principal objet de la controverse ; comme dans cet exemple :

Les paroles de l’oracle sont fort claires, si tu les veux comprendre : il dit de donner les armes d’Achille au guerrier qui se montre son égal, si nous voulons nous rendre maîtres de Pergame. Je déclare que ce guerrier, c’est moi ; il est juste que j’hérite des armes de mon frère, et qu’on me les adjuge, soit comme à son parent, soit comme à l’émule de sa valeur.

Il n’est pas moins blâmable de se contredire soi-même, et de combattre, plus tard, ce qu’on aura soutenu d’abord.

Je ne puis vous dire, en y réfléchissant bien, pourquoi j’accuse cet homme ; car, s’il a de la pudeur, dois-je accuser un homme de bien ? s’il est d’un caractère qui ne rougisse de rien, à quoi bon accuser un homme qui sera insensible à mes discours ?

Il paraît se donner à lui-même une assez bonne raison de ne pas accuser ; que signifie donc ce qu’il dit ensuite :

Maintenant je vais, en remontant au commencement de ta vie, te faire connaître tout entier ?

XXVII. C’est une faute encore de blesser les affections des juges ou des auditeurs, en attaquant le parti qu’ils suivent, les hommes qui leur sont chers, ou quelque autre objet de leur préférence. C’en est une également de ne pas produire toutes les preuves que l’on a promises dans l’exposition. Il faut éviter encore, lorsque la discussion roule sur un objet, d’en traiter un qui soit sans rapport avec celui dont on dispute ; il faut bien se garder de rien ajouter ni retrancher à son plan ; de ne pas changer complètement la nature de sa cause, comme dans la scène de Pacuvius où Zéthus et Amphion discutent d’abord sur la musique, et finissent par des dissertations sur les règles de la sagesse et sur l’utilité de la vertu. Il faut prendre garde aussi que l’accusation ne porte sur un point, et la défense sur un autre ; ce qui arrive souvent au coupable par la nécessité de sa mauvaise position ; ainsi : « Un homme accusé de brigue dans la recherche d’une magistrature, répond qu’il a reçu pendant la guerre de nombreuses récompenses des généraux. » Si nous observons avec soin nos adversaires, nous surprendrons souvent cette tactique, et nous nous en servirons en la dévoilant pour montrer qu’ils n’ont rien de précis à répondre. On a tort de blâmer un art, une science, un travail, à cause des vices de ceux qui s’y livrent, comme ceux qui blâment la rhétorique à cause de la conduite condamnable de quelque orateur : on ne doit pas non plus, parce que l’existence d’un crime est constante, s’imaginer qu’on a fait connaître le coupable qui l’a commis. « Le cadavre, dites-vous, est défiguré, enflé, livide ; donc c’est le poison qui a donné la mort. » Oui, mais si vous passez tout votre temps, comme le font beaucoup d’autres, à prouver l’empoisonnement, vous aurez montré une grande faiblesse ; car on ne demande pas si le crime existe, mais bien quel est celui qui l’a commis.

XXVIII. La confirmation des raisons est vicieuse, si dans la comparaison de deux choses, vous en omettez une ou ne la traitez qu’avec négligence ; si, par exemple, « examinant la question de savoir si les distributions de blé sont ou non avantageuses au peuple, vous vous attachez à en énumérer les avantages, en laissant de côté les inconvénients, comme indifférents, ou ne parlant que des plus légers. C’est un défaut encore, de se croire obligé, dans un rapprochement, de blâmer une chose parce qu’on fait l’éloge d’une autre. Par exemple : « On cherche si l’on doit rendre de plus grands honneurs aux Albains, qu’aux Vénusiens, pour les services qu’ils ont rendus à la république. » Si vous parlez en faveur des uns, n’allez pas blesser les autres ; car il n’est pas nécessaire de justifier votre préférence par un blâme. Vous pouvez même, tout en donnant la plus grande part de louanges aux uns, en laisser quelqu’une pour les autres, pour ne pas paraître avoir combattu la vérité par la passion. C’est un dernier défaut, de disputer sur la nature et le sens des mots dont l’usage explique très bien la signification. « Sulpicius, après s’être opposé à ce qu’on rappelât les exilés qui n’avaient pas été libres de se défendre, changea plus tard de résolution, et, tout en proposant la même loi, prétendit en porter une autre, à cause de la différence des mots : car il demandait le rappel, non des exilés, mais de ceux qu’on avait chassés par la force : comme s’il se fût agi de discuter alors de quel nom devait les appeler le peuple romain ; ou comme si tous ceux à qui l’on a interdit l’eau et le feu, n’étaient pas des exilés. » Peut-être faut-il pardonner à Sulpicius, qui avait en cela une intention. Pour nous, regardons comme un vice oratoire d’engager une discussion pour un changement de mot.

XXIX. L’ornement des preuves consistant dans les comparaisons, les exemples, les amplifications, les jugements et autres moyens capables de donner à l’argumentation plus de force et de richesse ; examinons quels sont les défauts qui s’y rattachent. La comparaison est défectueuse, lorsqu’elle n’est pas applicable en un point ; lorsque la similitude n’est pas juste, ou qu’elle nuit à celui qui s’en sert. L’exemple est vicieux, s’il est assez faux pour être repoussé, ou assez blâmable pour ne pas être suivi ; ou s’il prouve plus ou moins que le sujet ne l’exige. On a tort de citer un jugement, s’il se rattache à un objet différent, ou à quelque point qui n’est pas en discussion ; s’il est injuste, ou de telle nature que les adversaires pourraient en citer un plus grand nombre ou de plus concluants. C’est un défaut, quand l’adversaire convient d’un fait, d’argumenter pour en établir la preuve ; car il suffit d’amplifier cet aveu. De même l’amplification est vicieuse, quand elle prend la place de la preuve : comme si, par exemple, « un homme portant contre un autre l’accusation d’homicide allait, avant de fournir les preuves nécessaires, amplifier le crime, et dire qu’il n’y a rien de plus affreux que l’homicide. » Car la question est de savoir, non pas si le crime est affreux, mais s’il a été commis.

La conclusion est mauvaise, si elle ne s’attache pas à l’ordre établi dans le discours ; si elle n'est pas succincte; si elle ne laisse pas voir, après la récapitulation, un point certain et fixe, qui montre quel était le but de l'argumentation, celui des preuves, de leur confirmation, et le résultat de l’œuvre tout entière de l'orateur.

XXX. Les conclusions, que les Grecs appellent épilogues, ont trois parties : l'énumération, l'amplification et la commisération; car elles doivent énumérer, amplifier, attendrir. On peut les employer en quatre endroits différents du discours : dans l'exorde, après la narration; à la suite des preuves confirmatives; et dans la péroraison. L'énumération recueille et rappelle en peu de mots ce dont nous avons parlé, pour en renouveler le souvenir, et non pour les répéter ; elle reproduit l'ordre que nous avons suivi dans nos pensées, afin que l'auditeur, s'il les a confiées à sa mémoire, puisse les y retrouver avec ce secours. Il faut avoir soin de ne pas faire remonter l'énumération à l'exorde ou à la narration ; car alors l'orateur paraîtrait n'avoir fait et préparé son discours avec tant de soin que pour faire étalage de son art, de son esprit ou de sa mémoire. Il faut donc ne la commencer qu'à la division; puis exposer rapidement ce qu'on a dit dans la confirmation et la réfutation. L'amplification emploie le lieu commun pour exciter l'auditeur en faveur de la cause. Il y a dix sortes de lieux communs très propres à exagérer une accusation. Le premier se tire de l'importance et de la dignité d'une chose, prouvée par l'intérêt qui y ont pris les dieux immortels, nos ancêtres, les rois, les cités, les nations, les hommes les plus sages, le sénat, et surtout par la sanction qu'elle a reçue des lois. Le second consiste à examiner quels sont ceux auxquels se rapporte la chose qui fait le sujet de l'accusation; si c'est à l'universalité des hommes, ce qui la rend plus atroce; si c'est aux supérieurs, c'est-à-dire, ceux qui fournissent le premier lieu commun, celui de l'importance de la chose; si c'est aux égaux, c'est-à-dire à ceux qui sont placés dans une situation pareille, du côté de l'esprit, du corps ou de la fortune ; ou enfin, aux inférieurs, ceux qui, sous tous ces rapports, sont au-dessous de l'accusé. Au moyen du troisième, on demande ce qui arrivera si l'on a la même indulgence pour tous les coupables; et, dans cette supposition, on fait voir quels seraient les dangers et les inconvénients auxquels on s'exposerait. Le quatrième sert à démontrer, que si l'on fait grâce à l'accusé, beaucoup d'autres, que la crainte du jugement retient encore, se porteront au crime avec plus d'ardeur. Le cinquième fait voir, que si l'on prononce une fois autrement, rien ne pourra porter remède au mal, ni réparer l'erreur des juges. C'est là qu'il ne sera pas inutile de montrer par des exemples qu'il y a d'autres abus que le temps peut affaiblir, ou la prudence rendre sans danger; mais que pour celui dont il s'agit, rien ne pourra contribuer à l'atténuer ni à le détruire. Le sixième démontre la préméditation, et établit qu'il n'y a pas d'excuse pour un crime volontaire, tandis qu'on peut pardonner avec justice à l'imprudence. Le septième fait ressortir tout ce qu'il y a eu d'horrible, de cruel, d'atroce, d'oppressif dans le crime; tels sont, par exemple, les outrages commis envers des femmes, ou quelqu'une de ces entreprises qui mettent les armes à la main, et font répandre le sang dans les combats. Le huitième démontre que le crime qu’on poursuit n’est point ordinaire, mais unique, infâme, atroce, inouï, et qu’il appelle une vengeance d’autant plus prompte et plus terrible. Le neuvième sert à établir une comparaison entre les délits : on établit, par exemple, que c’est un plus grand crime d’attenter à l’honneur d’une femme libre, que de piller un temple ; parce que l’un peut naître du besoin, et que l’autre prouve l’absence de tout frein dans la passion. Le dixième lieu commun, expose toutes les circonstances qui accompagnent et qui suivent un fait avec tant de vigueur, tant de soin, d’adresse et de vérité, que l’auditeur semble voir revivre l’action elle-même.

XXXI. On excite la compassion dans l’âme de l’auditeur, en rappelant les vicissitudes de la fortune ; en mettant en parallèle la prospérité dont nous avons joui, et l’adversité qui nous poursuit à présent ; en plaçant sous ses yeux l’énumération et le tableau de tout ce qui résulterait de fâcheux pour nous, si nous perdions notre cause ; en recourant aux prières, et nous mettant à la merci de ceux que nous implorons. Retraçons les maux que notre disgrâce fera retomber sur nos parents, nos enfants, nos amis ; et montrons-nous affligés non pas de nos propres souffrances, mais de la solitude et de la misère qui les menacent. Faisons connaître la clémence, l’humanité, la douceur que nous avons montrée nous-mêmes envers les autres. Prouvons que nous avons été toujours ou souvent malheureux ; déplorons le malheur de notre destinée ou les persécutions de la fortune ; protestons de la fermeté de notre âme et de notre résignation pour les malheurs à venir. Mais il ne faut pas s’arrêter sur les moyens de compassion ; car rien ne sèche plus vite que les larmes.

J’ai traité dans ce livre tous les points les plus obscurs de l’art ; c’est ce qui m’engage à le terminer. Je réserve pour le troisième tous les autres préceptes qui me paraîtront nécessaires. Si vous mettez autant de soin à les suivre que j’en apporte à les tracer, je trouverai dans votre instruction le fruit de mes soins, et vous-même me saurez gré de mes efforts en vous réjouissant de vos progrès. Vous deviendrez plus habile par la connaissance des préceptes de l’art, et moi je ne mettrai que plus de zèle à compléter mon ouvrage. Cet espoir ne me trompera pas, je le sais ; car je vous connais bien. Je vais donc passer à présent aux autres préceptes, car mon plaisir le plus grand est de remplir votre légitime attente.


LIVRE TROISIÈME.

I. J’ai fait voir suffisamment, ce me semble, dans les livres qui précèdent, comment il faut appliquer les règles de l’invention au genre judiciaire. J’ai renvoyé dans celui-ci celles qui concernent le délibératif et le démonstratif, afin de vous en présenter sans retard l’ensemble complet. Il restait encore quatre parties de l’art. Je traiterai de trois dans ce livre : de la disposition, de la prononciation, de la mémoire. L’élocution me paraissant exiger de plus longs détails, j’ai mieux aimé la développer dans un quatrième livre, que je terminerai, je le pense, et vous enverrai promptement, afin que rien ne vous manque sur l’art de la rhétorique. En attendant, vous reviendrez sur les premiers préceptes par des lectures que vous ferez, soit avec moi, si vous le désirez, soit en votre particulier, et rien alors ne vous empêchera d’en retirer le même profit que moi. Prêtez-moi maintenant votre attention, je vais poursuivre le but que je me suis marqué.

II. Dans le genre délibératif, on examine tantôt quel est le parti que l’on doit prendre, tantôt quel est le meilleur qui se présente. Dans le premier cas, par exemple : « Faut-il détruire Carthage, ou la laisser debout ? » Dans le second : « Annibal se demande, lorsqu’on le rappelle à Carthage, s’il doit rester en Italie, ou retourner en Afrique, ou passer en Égypte pour s’emparer d’Alexandrie. » Les délibérations portent quelquefois sur la nature même de la chose ; par exemple : « Le sénat délibère s’il rachètera ou non les prisonniers. » Quelquefois elle embrasse quelque motif étranger : ainsi : « Le sénat délibère, si dans la guerre d’Italie, il doit affranchir Scipion du joug de la loi, pour qu’il puisse être fait consul avant l’âge. » Il en est qui reposent à la fois, et sur la nature même de la chose, et plus encore sur des considérations étrangères ; par exemple : « Le sénat délibère si, dans la guerre d’Italie, il accordera ou refusera aux alliés le droit de cité. » Dans les causes où la nature du sujet fera la matière de la délibération, le discours tout entier devra se renfermer dans ce sujet même. Lorsqu’un motif étranger en constituera le fond, c’est ce motif qu’il faudra faire valoir ou combattre. Tout orateur qui ouvrira un avis devra se proposer pour but l’utilité, et diriger là toute l’économie de son discours. Dans les délibérations politiques, l’utilité se divise en deux parties, la sûreté et l’honnêteté. La sûreté fait voir un moyen quelconque d’éviter un danger présent ou à venir ; les moyens sont la force ou la ruse, qu’il s’agit d’employer ou séparément ou de concert. La force consiste dans les armées, les flottes, les armes, les machines de guerre, les levées d’hommes, et autres ressources de ce genre. La ruse a recours à l’argent, aux promesses, à la dissimulation, à la promptitude, aux bruits divers, et à beaucoup d’autres stratagèmes, dont je parlerai plus à propos, si je me décide à traiter jamais de l’art militaire et de l’administration civile. L’honnêteté renferme deux parties, le bien et le louable. Le bien est ce qui se trouve d’accord avec la vertu et le devoir. Il réunit sous son nom la prudence, la justice, la force d’âme et la tempérance. La prudence, c’est l’habileté qui fait un choix entre le bien et le mal. On appelle aussi prudence une connaissance acquise, ou la mémoire longtemps exercée, ou une longue expérience des affaires. La justice, c’est l’équité rendant à chacun selon son mérite. La force d’âme, c’est la passion des grandes choses et le mépris des petites ; c’est la patience dans les travaux en vue de leur utilité. La tempérance est le pouvoir qui modère les passions de l’âme.

III. L’orateur fait usage de la prudence dans ses diverses acceptions, lorsqu’il compare les avantages et les inconvénients, exhortant à profiter des uns, et à éviter les autres ; lorsqu’il peut avoir de la chose qu’il conseille, une science pratique, et qu’il montre comment et par quel moyen on y réussit ; lorsqu’il engage à prendre une mesure dont il peut citer une application récente, ou avoir gardé le souvenir. Dans ce cas, il lui est facile d’opérer la persuasion par cet exemple. Nous nous appuierons sur la justice, si nous demandons la pitié pour les innocents et les suppliants ; si nous montrons qu’il faut être reconnaissant des bienfaits, et se venger des outrages ; si nous recommandons surtout la fidélité à la foi promise, et la conservation des lois et des mœurs de la cité ; si nous proclamons le maintien des alliances et des amitiés, l’observation religieuse des devoirs que la nature nous impose envers nos parents, les dieux, la patrie ; les égards sacrés que nous devons à nos hôtes, à nos clients, à notre famille, à nos alliés et à nos amis ; si nous enseignons que ni l’appât du gain, ni la faveur, ni le danger ne doivent nous détourner du droit chemin ; que, dans toute occasion, c’est de l’équité qu’il faut faire notre règle : c’est par ces moyens ou d’autres du même genre que, dans une assemblée du peuple ou dans un conseil, nous montrerons que la chose que nous conseillons est juste ; nous en emploierons de contraires pour en prouver l’injustice : de sorte que les mêmes lieux nous fourniront les ressources nécessaires pour persuader ou dissuader. Si nous voulons conseiller un parti qui demande de la force d’âme, nous ferons voir qu’il faut rechercher et entreprendre les choses grandes et élevées ; que les hommes des courage doivent mépriser par conséquent celles qui sont basses et honteuses, et les regarder comme au-dessous de leur dignité ; que lorsqu’il s’agit de ce qui est honnête, il n’y a pas de dangers ni de travaux si grands qu’ils doivent nous en détourner ; que la mort est préférable à l’infamie ; que la douleur ne doit jamais nous contraindre à nous affranchir de notre devoir ; qu’il ne faut craindre les Inimitiés de personne, quand il s’agit de la vérité ; que pour la patrie, pour nos parents, nos hôtes, nos amis, et pour tout ce que la justice commande de respecter, il faut braver tous les dangers, supporter toutes les fatigues. Nous chercherons nos moyens dans la tempérance, en jetant le blâme sur la passion immodérée des honneurs, des richesses, et des autres avantages de ce genre ; en marquant les bornes précises que la nature a mises à chaque chose ; en montrant à chacun ce qui lui suffit et le détournant d’aller au delà ; en fixant les limites de toute chose. Voilà les divisions de la vertu : amplifiez-les si vous conseillez ; si vous dissuadez, atténuez les moyens que je viens d’indiquer. Il n’y a personne assurément, direz-vous, qui pense qu’on doive s’écarter de la vertu ; mais la circonstance n’était pas de nature à la faire briller ; et c’est plutôt dans une circonstance contraire qu’elle se montrera. De même, si cela est possible en quelque façon, on prouvera que ce qui s’appelle justice dans la bouche de l’adversaire, n’est que lâcheté, faiblesse, fausse générosité : qu’il donne le nom de prudence à l’impiété, au bavardage, à un savoir importun : que ce qu’il appelle tempérance, n’est qu’inertie et coupable indifférence ; et ce qu’il prétend être la force d’âme, une aveugle témérité de gladiateur.

IV. On entend par louable, ce qui assure au moment même et dans la suite, un honorable souvenir. Si je le distingue de ce qui est bien, ce n’est pas que les quatre parties, comprises sous le nom de bien, ne puissent contenir l’idée de ce qui est honorable ; mais quoique la gloire ait sa source dans le bien, toutefois il faut l’en séparer dans le discours. Il ne doit pas suffire, en effet, de pratiquer le bien par ambition, pour la gloire ; mais si l’on peut se la promettre, le désir de faire le bien en acquiert une double force. Quand donc nous aurons fait voir qu’une chose est bien, nous démontrerons qu’elle est louable, soit par l’opinion des juges compétents, si les hommes du rang le plus distingué l’approuvent, tandis que ceux de la classe inférieure la blâment, soit par les suffrages qu’elle aura mérités de quelques-uns de nos alliés, de tous les citoyens, des nations étrangères et de la postérité.

Telle est la division des lieux communs applicables au genre délibératif ; je vais indiquer en peu de mots l’ordre dans lequel il faut traiter la question tout entière. On peut débuter ou par l’exorde simple, ou par l’insinuation, comme dans le genre judiciaire. Si l’on a quelque fait à raconter, il faudra suivre les règles que j’ai tracées à cet égard. Comme dans ces sortes de causes on a pour but l’utilité, qui se divise en deux espèces : la sûreté et l’honnêteté ; si l’on peut les réunir toutes deux, on promettra d’en donner la preuve dans la suite du discours ; si l’on ne veut développer que l’une d’elles, on l’annoncera simplement. Si l’on dit que le fait intéresse la sûreté, on emploiera la division précédente, de la force et de la sagesse. Car ce que nous avons appelé ruse, pour rendre nos préceptes plus clairs, nous l’appellerons dans le discours du nom plus honorable de sagesse. Si nous nous fondons sur le bien, et si nous avons recours aux quatre parties qui la constituent, notre division aura également quatre parties ; si nous ne parlons que de quelques-unes, notre division n’ira pas au delà. Pour la confirmation et la réfutation, il faudra mettre en usage les lieux que nous avons indiqués déjà, soit pour fortifier nos arguments, soit pour renverser ceux qu’on nous oppose. On cherchera dans le second livre les moyens d’argumentation que l’art peut offrir.

V. Mais s’il arrive que, dans une délibération, l’un cherche ses motifs dans la sûreté, et l’autre dans l’honnêteté, comme dans l’exemple de l’armée qui, cernée par les Carthaginois, délibère sur le parti qu’elle doit prendre ; l’orateur qui conseillera de s’attacher à la sûreté, emploiera les lieux suivants : Nul parti n’est plus utile que celui de sa conservation : personne ne peut faire usage de sa vertu, s’il n’a pourvu à sa sécurité ; les dieux eux-mêmes ne sauraient secourir celui qui s’expose témérairement au danger ; il ne faut rien estimer honorable, de ce qui ne peut assurer le salut. Celui qui voudra mettre, au contraire,’l’honnêteté avant la sûreté, dira que dans aucune circonstance il ne faut renoncer à la vertu ; qu’eût-on même à redouter la douleur ou la mort, elles sont plus supportables que le déshonneur et l’infamie. Considérez, dira-t-il, quelle honte vous allez encourir, et que cette honte ne peut vous assurer l’immortalité ni vous sauver pour toujours ; Il n’est pas prouvé qu’après avoir évité ce péril, vous ne retomberez pas dans un autre. La mort même est belle quand on y marche volontairement par son courage ; d’ailleurs la fortune seconde d’ordinaire la valeur ; celui-là vit en sûreté, qui vit avec gloire et non pas qui se sauve du danger ; l’homme qui vit dans l’opprobre ne peut jouir d’un repos durable. Les conclusions dont on a coutume de se servir dans ce genre sont à peu près les mêmes que celles du genre judiciaire ; à la différence qu’il est extrêmement utile dans ces dernières de citer un grand nombre d’exemples du passé.

VI. Passons maintenant au genre démonstratif. Comme il comprend la louange et le blâme, les moyens contraires à ceux dont nous aurons tiré la louange nous serviront à répandre le blâme. La louange peut avoir pour objet ou les accidents étrangers, ou les attributs du corps et de l’âme. Les accidents étrangers sont ceux, qui dépendent du hasard, de la bonne ou de la mauvaise fortune ; comme la naissance, l’éducation, les richesses, le pouvoir, les honneurs, la gloire, le droit de cité, les liaisons d’amitié ; toutes les choses de cette nature, et celles qui leur sont opposées. Les attributs du corps, ce sont les avantages ou les inconvénients qu’il tient de la nature, comme la légèreté, la force, la dignité, la santé ; et les défauts opposés. A l’âme appartient ce qui dépend de notre sagesse et de notre jugement : la prudence, la justice, la force, la tempérance, et les vices contraires. Nous trouverons donc là des moyens pour la confirmation ou pour la réfutation. Ainsi dans le genre démonstratif, nous tirerons l’exorde, soit de notre personne, soit de celle que nous devons louer, soit des auditeurs, soit de l’objet même de notre discours. Si l’orateur, dans un éloge, parle de lui-même, il dira que c’est par devoir, ou par affection qu’il agit, ou par l’empressement de célébrer une vertu dont chacun voudrait assurer le souvenir, ou parce qu’il est séant de se faire connaître soi-même, en faisant l’éloge des autres. S’il a l’intention de blâmer, il dira que les traitements qu’il a reçus lui en ont donné le droit ; ou que son zèle lui fait regarder comme utile de dévoiler aux yeux de tous une méchanceté, une perversité sans exemple ; ou qu’il veut montrer, par la censure qu’il fait des autres, son aversion pour leurs excès. S’agit-il de la personne dont nous parlons, et voulons-nous la louer ? nous laissons voir la crainte de ne pas atteindre à la hauteur de ses actions : ses vertus méritent l’éloge de tout le monde : tout ce qu’il a fait est au-dessus de l’éloquence de tous les panégyriques. Voulons-nous la blâmer ? nous emploierons les moyens contraires, avec de légers changements de formes, selon l’exemple que nous en avons donné tout à l’heure. Si l’orateur tire son exorde de la personne de l’auditeur, et qu’il loue, il dira que son héros n’étant pas inconnu de l’assemblée, il n’a pas besoin d’un long préambule : si on ne le connaît pas, il demandera la permission de faire connaître un tel homme à des auditeurs qui n’ont pas moins de zèle que lui pour la vertu, et qui apprécieront une conduite qu’il ferait approuver de tout le monde. Pour le blâme, nous suivrons la marche contraire : les auditeurs connaissent-ils celui dont nous parlons ; nous avons peu de chose à dire de sa perversité : leur est-il inconnu ; nous tiendrons à le dévoiler, pour qu’ils puissent se garantir de lui ; car ils sont loin de lui ressembler, et nous nous flattons qu’ils le désapprouveront hautement. Empruntons-nous notre exorde à l’objet même du discours ; nous dirons que nous ne savons ce qu’il faut louer davantage : que nous craignons, tout en parlant de beaucoup de choses, d’en omettre un plus grand nombre encore ; et autres tournures du même genre. Pour blâmer, nous emploierons les tournures contraires.

VII. Lorsqu’on a tiré l’exorde de l’une des circonstances que je viens d’indiquer, on a rarement besoin de le faire suivre d’une narration ; mais s’il en fallait une, pour exposer, dans un but d’éloge ou de blâme, quelque action de celui dont nous parlons, on se reportera au premier livre pour les préceptes qui se rapportent à cette partie. Voici comment doit se faire la division : on expose d’abord les choses que l’on va louer ou blâmer ; ensuite on dispose chacune d’elles en suivant l’ordre du temps où elle a été faite, de manière à faire comprendre combien elle a demandé de précaution et d’habileté. On entre après dans le détail des vertus ou des vices, des avantages ou des défauts du corps, des choses extérieures, et du parti que l’esprit en a tiré. L’ordre à suivre dans ce tableau de la vie est le suivant : Les choses extérieures, et en premier lieu la naissance. On parle des ancêtres de son héros. Veut-on le louer ; s’ils sont illustres, on dit qu’il les a égalés ou surpassés ; s’ils sont obscurs, qu’il doit tout à son mérite, et rien à celui de ses pères. Veut-on le blâmer ; on montre, dans le premier cas, qu’il a déshonoré sa race, et dans le second, qu’il a trouvé moyen de la rabaisser. En second lieu, l’éducation : dans l’éloge, on la représente soigneusement et librement dirigée pendant toute l’enfance du héros, d’après les meilleurs principes ; dans le blâme, on fait le contraire. Il faut passer ensuite aux avantages du corps. Parle-t-on des dons de la nature dans un but de louange ; le héros a-t-il l’élégance et la beauté ; il les a fait tourner à son honneur, au lieu d’en faire comme tant d’autres, des instruments de ruine et de honte. Possède-t-il à un degré remarquable la force et l’agilité ; c’est par d’honnêtes et habiles exercices qu’il l’a atteint. Jouit-il d’une santé robuste ; c’est le fruit de ses bonnes habitudes et de sa tempérance. Dans le blâme, si ces mêmes avantages existent, on dira qu’il a fait un mauvais usage des dons que le dernier des gladiateurs peut tenir comme lui du hasard et de la nature. S’il n’a plus que la beauté, on dira que c’est par sa faute et son intempérance que le reste a péri. Après quoi, revenant aux choses extérieures, on considère les vertus ou les vices dont elles sont devenues la source. On s’étend sur l’opulence ou la pauvreté de son client ; sur ses places, ses honneurs, ses liaisons, ses inimitiés ; sur le courage dont il a fait preuve contre ses ennemis, et le motif qui les lui a suscités ; sur la bonne foi, la bienveillance, l’affection qu’il a montrées à ses amis. On fait connaître sa conduite dans la bonne ou dans la mauvaise fortune ; le caractère qu’il a déployé dans l’exercice du pouvoir. S’il n’existe plus, on rappelle les circonstances qui ont accompagné sa mort, et celles qui l’ont suivie.

VIII. Toutes les fois qu’il sera question des qualités de l’âme, il en est quatre qu’il faudra faire ressortir. Pour louer une action, nous en montrerons ou la justice, ou le courage, ou la modération, ou la prudence ; pour la blâmer, nous en ferons voir ou l’injustice, ou la lâcheté, ou l’excès, ou la sottise. On aperçoit déjà clairement, par cette disposition, comment il faut traiter les trois parties dans lesquelles se divisent la louange et le blâme. Ajoutons toutefois qu’il n’est pas nécessaire de marquer ces trois parties dans la louange ou dans le blâme, parce qu’il arrive souvent qu’elles ne s’y rencontrent pas, ou qu’elles y sont si faiblement indiquées, qu’il est inutile d’en parler. Il faudra donc choisir celles qui présenteront le plus de force. Nous conclurons brièvement par une récapitulation à la fin du discours. Dans le discours lui-même nous intercalerons de fréquentes et rapides amplifications, au moyen des lieux communs. Quoique ce genre de cause soit d’un usage peu fréquent, il ne faut pas néanmoins en négliger les règles. Car, dût-on ne le traiter qu’une fois, il faut être en état de le faire de la manière la plus convenable. Si le genre démonstratif ne s’emploie que rarement seul, l’éloge ou le blâme tient souvent une grande place dans les causes judiciaires ou délibératives. Soyons donc persuadés que ce genre exige aussi qu’on y apporte quelque soin.

Maintenant que nous avons achevé la partie la plus difficile de la rhétorique, en traçant les règles de l’invention, et en les appliquant à tous les genres de causes, il est temps d’aborder les autres parties. Nous allons donc traiter de la disposition.

IX. La disposition étant l’art de mettre en ordre les moyens fournis par l’invention, de manière à ce que chacun se produise à la place qui lui convient, il faut examiner en quoi consiste cet ordre. Il y a deux sortes de dispositions, l’une qui résulte des préceptes de l’art ; l’autre qui dépend des circonstances. Employer la première, c’est suivre les règles que nous avons tracées dans le premier livre ; c’est-à-dire, distinguer l’exorde, la narration, la division, la confirmation, la réfutation, la péroraison, et leur assigner l’ordre que nous avons établi. Ces mêmes règles serviront, non seulement pour le plan général du discours, mais encore, pour chacune des divisions dont nous avons traité dans le second livre, l’ex-position, les preuves, la confirmation des preuves, les ornements, la conclusion. La disposition fondée sur les préceptes de l’art est donc de deux espèces : l’une, qui se rapporte à l’ensemble du discours ; l’antre, à ses diverses parties.

Mais il y a encore une autre sorte de disposition qui s’écarte de l’ordre artificiel pour s’accommoder aux circonstances, suivant le goût de l’orateur : on peut commencer par la narration, ou par un argument puissant, ou par la lecture d’une lettre ; ou bien placer la preuve aussitôt après l’exorde, et la faire suivre de la narration ; ou faire, dans l’ordre ordinaire, tout autre changement de ce genre, pourvu qu’il soit justifié par l’intérêt de la cause. Car, si l’on voit que les oreilles des auditeurs sont lasses, ou leurs esprits excédés du bavardage des adversaires, il sera facile de se passer d’exorde, et de commencer par la narration ou par quelque argument victorieux. Ensuite, si on y trouve un avantage, car ce n’est pas toujours une nécessité, ou peut revenir à l’idée fondamentale de l’exorde qu’on a supprimé.

X. Si notre cause parait offrir une telle difficulté, que personne ne veuille consentir à écouter un exorde, nous commencerons parla narration, pour revenir ensuite sur la pensée qui devait être produite d’abord. Si la narration a peu de chances de succès, nous débuterons par quelque preuve solide. Ces changements et ces transpositions de-viennent souvent nécessaires, lorsque la nature même du sujet exige de modifier avec le secours de l’art les préceptes que l’art a donnés. Dans la confirmation et la réfutation des preuves, voici la disposition qu’il convient de suivre : les argumentations les plus concluantes se placent au commencement et à la fin ; les médiocres, celles qui ne sont ni utiles ni essentielles, qui, chacune en particulier, et placées séparément, restent sans force, tandis qu’elles en tirent une suffisante de leur réunion avec d’autres, doivent être disposées dans le milieu. Car, après une narration, l’esprit de l’auditeur attend la preuve qui peut la confirmer. Il faut donc en présenter d’abord une qui ait de la valeur. Et, comme la mémoire retient facilement ce qui a été dit en dernier, il est utile de laisser, en finissant, dans celle des auditeurs, l’impression récente d’une preuve pleine de force. Cet arrangement des parties pourra rendre la victoire facile pour l’orateur, comme le fait, pour un général, la disposition de ses troupes.

XI. La prononciation, de l’avis d’un grand nombre de maîtres, est ce qu’il y a de plus utile à l’orateur, et ce qui contribue le plus puissamment à la persuasion. Pour moi, je ne donnerais pas aisément la prépondérance à l’une des cinq qualités sur les autres ; mais je ne craindrai pas de dire que la prononciation est d’une très grande utilité. Car une invention facile, une élocution élégante, une disposition habile, une mémoire toujours fidèle, ne pourront pas plus se passer de la prononciation, que celle-ci ne saurait suffire toute seule. Aussi, comme personne n’a soigneusement traité cette matière, parce qu’on ne croyait pas possible de donner des préceptes clairs sur la voix, le visage et le geste, toutes choses qui se rapportent aux sens ; et comme il faut que l’orateur donne beaucoup d’attention à cette partie, je crois devoir présenter des observations exactes et complètes sur cet objet.

On distingue, dans la prononciation, l’inflexion de la voix et le mouvement du corps. L’inflexion de la voix est le caractère propre que lui ont donné l’habitude et l’art. Trois qualités s’y rapportent, l’étendue, la fermeté, la flexibilité. La première est, avant tout, un don de la nature ; l’étude y ajoute encore, mais surtout la conserve. La fermeté dépend beaucoup aussi de la nature ; elle s’augmente et se maintient principalement par l’exercice de la déclamation. C’est encore cet exercice qui sert le plus à nous faire acquérir la flexibilité, laquelle consiste à pouvoir varier, à notre gré, les intonations de notre voix. Il n’entre donc pas dans mon dessein de parler de l’étendue ni de la fermeté de la voix, puisque la première dépend de la nature, et que l’autre résulte de l’habitude ; je me contenterai de renvoyer à ceux qui enseignent les moyens artificiels de cultiver cet organe.

XII. Je vais m’occuper de cette partie de la fermeté que l’exercice de la déclamation conserve, et de la flexibilité, qui est surtout nécessaire à l’orateur, et que le même moyen procure. Ce qui peut assurer le plus la fermeté de la voix, c’est de parler, en commençant, d’un ton très calme et très modéré. Car on blesse les artères, si, avant de les préparer peu à peu par des tons doux, ou les enfle par des éclats criards. Il est bon aussi de faire usage de longs repos, car la respiration rafraîchit la voix, et le silence repose l’organe. Il faut quitter un ton habituellement élevé, pour reprendre celui de la conversation ; car il résulte de ces transitions que la voix, n’ayant épuisé aucun de ses tons, reste maîtresse de les prendre tous. On doit éviter les exclamations aiguës, car elles produisent une percussion qui nuit aux artères, et tout ce que la voix a d’éclat, se perd dans ce seul effort. Il n’y a pas d’inconvénient à faire, à la fin du discours, des tirades d’une seule haleine ; le gosier s’échauffe, les artères se remplissent, et la voix, qui a passé par les différents tons, finit par en prendre un égal et soutenu. Souvent, nous devons rendre grâces à la nature, comme il arrive dans ce cas. Car les moyens que nous avons fait connaître comme propres à conserver la voix, servent encore à l’agrément de la prononciation. En sorte que ce qui tourne à l’avantage de l’organe, prépare le plaisir de l’auditeur. Pour que la voix reste ferme, il est utile, avons-nous dit, de la modérer en débutant. Quoi de plus désagréable que d’entendre crier dès l’exorde ? Les repos affermissent la voix, ils donnent aux périodes plus de grâce en les détachant, et laissent à l’auditeur le temps de la réflexion. Les changements de ton sont favorables à la voix, outre que la variété plaît beaucoup à l’auditeur ; le ton familier les intéresse, un ton plus haut les réveille. Une déclamation aiguë blesse l’organe de la voix ; elle blesse aussi l’auditoire ; car elle a quelque chose de peu noble, qui convient plus aux criailleries des femmes, qu’à la dignité de l’homme. Vers la péroraison, les tirades sont d’un bon effet pour la voix ; ne réchauffent-elles pas aussi puissamment l’âme de l’auditeur, au moment le plus décisif du discours ? Les mêmes moyens servent à la fermeté de la voix et à l’agrément du débit. J’ai pu réunir dans ce paragraphe toutes les observations que m’ont semblé fournir ces deux objets. Ce qui concerne les autres qualités trouvera bientôt sa place.

XIII. Ainsi la flexibilité de la voix appartenant tout entière à la rhétorique, demande une attention particulière. Elle comprend le ton ordinaire de la conversation, celui de la discussion, et celui de l’amplification. Le premier est calme et ressemble à celui du langage habituel ; le second est vif, comme il convient à la confirmation ou à la réfutation. Le troisième a pour objet d’exciter dans l’âme de l’auditeur la colère ou la pitié. Le ton ordinaire convient dans quatre circonstances ; il se prête à la dignité, à la démonstration, à la narration, à la plaisanterie. La dignité s’exprime avec une certaine gravité de sons et à voix un peu basse ; la démonstration fait voir, dans un ton calme, qu’une chose a pu, ou n’a pas pu arriver ; la narration expose les faits comme ils sont, ou comme ils auraient pu se passer ; la plaisanterie cherche, dans une circonstance particulière, le sujet d’un rire décent et de bon goût. Le ton de la dispute est continu ou divisé ; il est continu quand on précipite son débit avec force ; il est divisé quand on mêle à de rares et courts intervalles des éclats de voix retentissants à une déclamation ordinaire. Le ton de l’amplification est de deux sortes ; il veut ou exciter, ou attendrir : il excite, en exagérant le délit pour provoquer la colère des auditeurs ; il attendrit, en exagérant les infortunes, afin de porter à la compassion. La flexibilité de la voix, comprenant trois parties, et ces parties se subdivisant elles-mêmes en huit autres, je crois devoir indiquer l’espèce de prononciation particulière à chaque cas.

XIV. Dans les morceaux de dignité, la voix doit rendre des sons pleins, aussi calmes et aussi modérés que possible, en évitant toutefois de faire tomber la déclamation oratoire dans la déclamation tragique. Dans la démonstration, on baisse un peu la voix, et l’on multiplie les intervalles et les repos, afin que ce soit la manière même de prononcer qui paraisse faire entrer les preuves dans l’esprit des auditeurs, et les y classer distinctement. La narration demande une variété de tons qui semble reproduire la nature de chaque fait. On exprime rapidement ce qui s’est fait avec résolution, et lentement ce qui s’est fait avec nonchalance. La prononciation doit suivre le discours dans tous ses changements, et passer tour à tour de l’aigreur à l’a bienveillance, de la tristesse à la joie. Si dans la narration il se trouve des mots cités, des questions, des réponses, des exclamations, nous mettrons toute notre attention à rendre les sentiments et les dispositions de chaque personnage. Il faut prendre dans la plaisanterie une voix doucement tremblante avec une légère intention de ridicule, mais sans qu’on puisse y soupçonner de la bouffonnerie ; le passage du ton sérieux à un badinage honnête devra se ménager avec adresse. Nous avons dit que le ton de la discussion était continu ou divisé. Dans le premier cas, il faut que la voix prenne un peu plus de volume, et n’offre pas plus d’interruption que les paroles elles-mêmes ; qu’elle jette les sous et produise les mots avec autant de rapidité que d’éclat, afin que le débit suive la course entraînante du discours. Dans le ton divisé, l’on tire du fond de la poitrine les exclamations les plus perçantes, en donnant à chaque repos la même durée qu’à chaque exclamation elle-même. Dans l’amplification, si l’on exhorte ; il faut une voix très adoucie, modérée dans ses éclats, égale de timbre, variée d’intonations, et très rapide. Dans la plainte, la voix s’abaisse ; le son faiblit ; les mots sont fréquemment interrompus, longuement entrecoupés, et passent subitement d’un ton à l’autre. Nous en avons dit assez sur les modifications de la voix ; il faut nous occuper à présent des mouvements du corps.

XV. On appelle mouvements du corps, le geste et une certaine composition du visage qui s’accordent avec ce que l’on dit, et donnent au discours plus d’autorité. Il faut donc qu’il y ait dans la physionomie de la décence et de la force, et que le geste ne se fasse remarquer ni par trop d’élégance, ni par trop d’abandon ; on ne doit ressembler ni à des comédiens, ni à des gens du peuple. Les règles relatives à cette partie doivent correspondre à celles que nous avons établies pour la voix. Dans les morceaux de dignité, l’orateur devra se tenir le corps droit et ne faire qu’un léger mouvement de la main droite, en donnant à son visage, suivant la nature des pensées, une expression de joie, de tristesse ou de calme. Dans la démonstration, il retirera le corps un peu en arrière, en avançant la tête ; car un mouvement naturel nous porte à nous rapprocher le plus possible de l’auditeur que nous voulons instruire ou entraîner. Ce que nous venons de dire pour les morceaux de dignité, pourra convenir également pour la narration. Dans la plaisanterie, nous pourrons donner à notre visage une certaine expression de gaieté, sans multiplier les gestes. Dans la dispute, si le ton est continu, la gesticulation doit être rapide ; la physionomie mobile, les yeux perçants : si le ton est divisé, il faudra porter rapidement les bras en avant, changer de place, frapper quelque fois du pied droit, avoir le regard vif et fixe. Si l’on se sert de l’amplification pour exhorter les esprits, le geste deviendra plus lent et plus réfléchi ; et il en sera du reste comme dans la discussion continue. Si l’on veut exciter la pitié, on gémira, on se frappera la tête ; et quelquefois à un geste calme et égal, on joindra une physionomie triste et troublée. Je n’ignore pas quelle tâche difficile j’ai entreprise, en m’efforçant d’exprimer les mouvements du corps par des paroles, et de peindre, en les décrivant, les inflexions de la voix : mais, si je n’ai pas eu la présomption de croire cette matière facile à traiter, j’ai pensé du moins que, la chose fût-elle impossible, mon travail, quel qu’il fût, ne serait point inutile ; car j’ai voulu surtout vous faire savoir ce qu’il y a de nécessaire. Je laisserai le reste à l’exercice. Il faut savoir, quoi qu’il en soit, qu’une bonne déclamation a l’avantage de faire croire que l’orateur est convaincu de ce qu’il dit.

XVI. Passons maintenant à la mémoire, dépositaire des richesses de l’invention et de toutes les parties de la rhétorique. La mémoire doit-elle quelque chose à l’art, ou vient-elle toute de la nature ? c’est ce que nous aurons ailleurs une occasion plus convenable d’examiner. Nous en parlerons ici, en admettant comme prouvé que l’art et ses règles lui sont d’un grand secours ; car je pense qu’il existe un art de la mémoire ; plus tard, je le démontrerai : je ferai voir, pour le moment, en quoi il consiste. Il y a donc deux sortes de mémoires, l’une naturelle, l’autre artificielle. La première est celle qui est inhérente à notre âme et naît en même temps que la pensée ; la seconde emprunte sa force à une sorte d’induction, et à une combinaison de règles. Mais de même que dans toute autre chose, un esprit heureusement né imite souvent sans le connaître l’art qui fortifie plus tard et qui augmente les dons de la nature ; de même il arrive quelquefois que la mémoire naturelle, chez l’homme qui la possède à un degré remarquable, ressemble à la mémoire artificielle ; mais celle-ci conserve les avantages de la nature et les augmente à l’aide des préceptes. La mémoire naturelle a donc besoin d’être fortifiée par l’étude, pour devenir excellente ; et celle que donne le travail doit s’appuyer sur la nature. Il en est de cet art comme de tous les autres ; le génie et la science, la nature et les règles se prêtent un mutuel secours. Les préceptes seront donc utiles à ceux qui sont doués de la mémoire naturelle ; vous en serez bientôt convaincu. Mais si les dons qu’ils ont reçus de la nature leur permettent de se passer de notre secours, nous n’en devons pas moins nous rendre utiles à ceux qui ont été moins bien partagés. Parlons donc de la mémoire artificielle.

Cette sorte de mémoire Se compose des lieux et des images. Par lieux, on entend les ouvrages de la nature ou de l’art qu’un caractère de simplicité, de perfection, ou de distinction remarquable, rend propres à être facilement saisis et embrassés par la mémoire ; tels qu’un palais, un entre-colonnement, un angle, une voûte et autres choses semblables. Les images sont de certaines formes, des signes, des représentations de la chose que nous voulons retenir, comme les chevaux, les lions, les aigles, dont nous placerons les images quelque part, Si nous voulons en garder le souvenir. Voyons maintenant comment on peut trouver les lieux ; et comment on peut découvrir les images et les y placer.

XVII. De même que ceux qui savent tracer des lettres peuvent écrire ce qu’on leur dicte et le lire ensuite ; de même ceux qui ont appris la mnémonique peuvent caser les choses qu’ils ont entendues, et par ce moyen les réciter de mémoire. En effet, les cases sont tout à fait comme la cire ou le papier ; les images, comme les lettres ; la disposition et l’arrangement des images, comme l’écriture ; et la récitation, comme la lecture. Il faut donc, pour avoir une mémoire étendue, se préparer un grand nombre de dépôts, afin de pouvoir y placer de nombreuses images. Nous pensons aussi qu’il faut mettre de l’ordre dans la disposition de ces dépôts, de peur que leur confusion ne nous permette pas de retrouver à notre gré dans celui où nous puiserons, soit au commencement, soit la fin ou au milieu y les images que nous lui aurons confiées, de les y reconnaître et de les en faire sortîr.

XVIII. De même qu’en voyant plusieurs personnes de connaissance, rangées par ordre, nous n’éprouverons aucune peine à dire leurs noms, que nous commencions par la première, par la dernière ou par celle du milieu ; ainsi, quand les lieux de la mémoire sont bien classés, quelle que. soit la chose que l’on recherche et quelque place qu’elle occupe, l’image nous la rappelle, et nous permet de la retirer du dépôt qui la renfermait. Il est donc essentiel et de disposer les lieux avec ordre, et de les bien méditer quand ils seront établis, afin qu’ils fassent perpétuellement partie de nous-mêmes. Car les images s’effacent comme les lettres, quand on cesse de s’en servir : les cases, comme les tablettes de cire, doivent rester garnies. Pour éviter toute méprise dans le nombre des lieux, il faut les marquer de cinq en cinq ; par exemple, en donnant pour signe au cinquième une main d’or, et au dixième, quelque personne connue, comme Décimus. Il sera facile d’en faire ensuite autant pour chacun des autres intervalles.

XIX. Il vaut mieux choisir ces emplacements dans un endroit désert, que dans un qui soit fréquenté, parce que le grand nombre de personnes et leur mouvement continuel, trouble et affaiblit les images, au lieu que la solitude les conserve dans leur entier. Il faut choisir en outre des lieux qui, par la variété de leur nature et de leur forme, puissent se distinguer clairement. Car celui qui s’attacherait à plusieurs entre-colonnements serait troublé par leur ressemblance, et ne saurait plus ce qu’il a placé dans chacun. Il faut que ces lieux n’aient qu’une médiocre étendue ; trop grands, ils donnent du vague aux images ; trop petits, ils paraissent souvent manquer d’espace pour les contenir. Ne les prenez encore ni trop éclairés ni trop obscurs, afin que les images ne s’effacent ni n’éblouissent. Les intervalles qui les séparent doivent être médiocres et de trente pieds environ ; car il en est de l’esprit comme de l’œil qui distingue moins bien les objets trop éloignés ou trop rapprochés. Celui qui a une plus longue expérience aura moins de peine à choisir un grand nombre de lieux convenables ; mais ceux mêmes qui croiront n’en pas pouvoir trouver d’assez appropriés, pourront néanmoins en trouver autant qu’ils voudront. Car la pensée peut embrasser l’étendue quelle qu’elle soit d’un pays, et y former à son gré tous les sites, y élever tous les édifices qu’il lui conviendra. Nous aurons donc la faculté, si nous ne sommes pas satisfaits de cette multitude, de nous créer à nous-mêmes par la pensée une région, et d’y établir des lieux convenables, en les classant de la manière la plus commode. Mais c’est assez parler des lieux. Je passe maintenant à l’arrangement des images.

XX. Comme les images doivent ressembler aux objets, et qu’il nous faut choisir parmi tous les mots des ressemblances qui nous soient connues, il en résulte nécessairement deux sortes de ressemblances, celle des choses et celle des mots ; la première, quand on se forme une image sommaire des objets eux-mêmes ; la seconde, lorsque l’on marque par une image le souvenir de chaque nom et de chaque mot. Un signe unique, une simple représentation, suffira souvent pour nous assurer le souvenir d’un événement tout entier. Par exemple, l’accusateur prétend que le prévenu a empoisonné un homme, qu’il l’a empoisonné pour avoir son héritage, et qu’il y a plusieurs témoins et plusieurs complices du crime. Si nous voulons d’abord fixer les faits dans notre mémoire pour les réfuter plus aisément, nous nous formerons, dans notre premier dépôt, une imagé de l’ensemble de l’action. Si nous avons présente la figure du mort, nous le supposerons étendu dans son lit ; si nous ne le connaissions pas, nous nous représenterons à sa place un autre malade, qui ne soit pas d’une trop basse condition, pour qu’il revienne plus promptement à l’esprit. À côté du lit, nous placerons l’accusé, tenant de la main droite une coupe, de la gauche, des tablettes, et du troisième doigt, des testicules de bélier. Nous pourrons nous souvenir par ce moyen des témoins, de l’héritage, et de l’homme empoisonné. Nous rangerons successivement, de la même manière, dans les cases suivantes les autres chefs d’accusation ; et toutes les fois que nous voudrons nous souvenir de l’un d’eux, si nous avons bien disposé les formes des objets, et distingué soigneusement les images, la mémoire nous le reproduira facilement.

XXI. Quand nous voudrons exprimer par des images la ressemblance des mots, la tâche sera plus difficile, et demandera une plus grande contention d’esprit. Voici comment il faut s’y prendre : Pour retenir cette phrase : jam domuitionem reges Atridæ parant : (déjà les rois fils d’Atrée se disposent au départ) ; on place dans une case l’image de Domitius élevant les mains vers le ciel, tandis qu’il est frappé de verges par les Marcius Rex. Cette image rappellera jam domuitionem reges ; dans la case suivante, on se figurera Esopus et Cimber représentant Agamemnon et Ménélas ; ce sera pour les mots Atridæ parant. De cette manière, tous les mots seront exprimés. Mais cette combinaison d’images est surtout utile, quand on veut réveiller par ce moyen la mémoire naturelle ; par exemple, s’il s’agit d’un vers, on le repasse d’abord en soi-même, deux ou trois fois, ensuite, on représente les mots par des images. C’est ainsi que l’art suppléera à la nature, car chacun séparément aurait moins de force ; toutefois il y a de l’étude de la science plus de secours à attendre. Je n’aurais pas de peine à le prouver, si je ne craignais pas, en m’écartant de mon sujet, de nuire à cette clarté concise qui convient aux préceptes.

Mais comme il arrive d’ordinaire que, parmi ! es images, les unes sont favorables et capables d’avertir l’esprit, les autres, faibles et presque impuissantes à ranimer la mémoire, il faut examiner à quoi tient cette différence, afin d’apprendre, quand nous en connaîtrons la cause, quelles sont celles que nous devons écarter, et celles que nous devons retenir.

XXII. La nature nous enseigne elle-même ce, qu’il faut faire ; car, si dans le cours ordinaire de la vie nous voyons des choses peu importantes, communes et journalières, nous n’avons pas coutume d’en garder le souvenir, parce que l’esprit n’est ému que par les objets nouveaux ou singuliers. Mais si nous voyons ou si l’on nous raconte quelque chose qui présente un caractère marqué d’infamie ou de probité, de bizarrerie ou de grandeur, qui soit étonnant ou sublime, nous nous le rappelons longtemps. Le plus souvent encore nous oublions ce que nous voyons ou ce que nous entendons chaque jour, tandis que les souvenirs de l’enfance restent souvent inaltérables. Il n’en est peut-être ainsi qu’à cause de la facilité avec laquelle les choses ordinaires s’échappent de notre mémoire, qui retient plus longtemps ce qui est remarquable ou nouveau. Personne n’admire le lever, la marche, le coucher du soleil, parce que c’est un spectacle de tous les jours ; mais les éclipses de soleil font une plus grande impression, parce qu’elles arrivent plus rarement, et se remarquent davantage que les éclipses de lune, qui sont plus fréquentes. La nature nous apprend donc elle-même que les choses vulgaires et communes ne la touchent pas, et qu’il faut, pour l’émouvoir, quelque objet remarquable ou nouveau Que l’art imite donc la nature ; qu’il invente ce qui doit lui plaire, et qu’il suive la route qu’elle lui montre : car la nature n’est jamais en arrière, ni l’art le premier en avant. Les éléments de toute chose sont dus au génie ; l’étude les met ensuite en œuvre et les mène au but. Nous devrons donc choisir le genre d’images qui puisse rester le plus longtemps dans la mémoire ; nous y réussirons, en nous attachant à des ressemblances qui nous soient très familières, à des représentations qui ne soient ni muettes ni vagues ; en leur attribuant une beauté remarquable, ou une insigne laideur ; en les parant de quelque ornement, tel qu’une couronne, une robe de pourpre, qui nous les fasse reconnaître plus aisément ; ou en les défigurant par du sang, de la fange, du vermillon, pour qu’elles nous frappent davantage ; ou encore en leur donnant quelque chose de ridicule, car ce caractère aussi facilitera la mémoire. Les choses que nous aurions aisément retenues, si elles existaient réellement, imaginées et distinguées avec soin, se retiendront facilement. Il nous sera nécessaire de repasser de temps en temps dans notre esprit les cases établies une première fois, afin de rappeler les images qu’elles contiennent.

XXIII. Je sais que la plupart des Grecs qui ont écrit sur la mémoire, ont rassemblé les images d’un grand nombre de mots, afin que ceux qui voudraient les apprendre les trouvassent toutes prêtes, sans perdre du temps à les chercher. Plusieurs motifs me font désapprouver cette méthode. D’abord il est ridicule, sur une quantité de mots innombrables, de n’offrir les images que d’un millier d’entre eux. Combien ne seront-elles pas insuffisantes, lorsque dans cette multitude infinie, nous aurons besoin de retenir tantôt l’un et tantôt l’autre ? Ensuite, pourquoi vouloir empêcher notre intelligence de chercher les choses, en les lui offrant toutes trouvées ? D’ailleurs, il y a telle ressemblance qui frappe l’un plus que l’autre. Souvent, quand nous disons que tel portrait ressemble à telle personne, tout le monde n’est pas du même avis, parce que chacun a sa. manière de voir. Il en est de même pour les images ; celles qui nous ont paru mériter le plus d’attention semblent peu remarquables aux autres. Il vaut donc mieux que chacun se choisisse lui-même à son gré ses images. Enfin, le devoir d’un maître de l’art est d’enseigner la manière de faire les recherches, et de citer un ou deux exemples dans chaque genre, pour rendre le précepte plus clair. Ainsi, quand nous traitons de l’invention de l’exorde, nous donnons les moyens de le trouver, mais nous ne présentons pas mille exordes pour modèles ; je crois qu’il doit en être ainsi des images.

XXIV. Maintenant, pour que vous ne regardiez pas la mémoire des mots comme trop difficile ou peu nécessaire ; pour que vous ne vous contentiez pas de celle des choses, comme plus utile et plus commode ; je vais vous dire pourquoi j’approuve la première. Je pense en effet que ceux qui veulent retenir, sans travail et sans effort, des choses faciles, doivent s’être exercés d’abord à en apprendre de plus difficiles. Je ne vous ai point parlé de la mémoire des mots, comme devant vous servir à retenir des vers, mais comme d’un exercice propre à fortifier la mémoire des choses, qui est d’une grande utilité. C’est une habitude difficile qu’il faut prendre, pour arriver ensuite sans aucune peine à une autre plus facile. Mais si dans toute étude les préceptes ont peu de résultat, sans une pratique fort assidue, c’est dans la mnémonique surtout que l’art est bien peu de chose sans l’intelligence, l’étude, le travail, les efforts. Vous aurez soin d’avoir le plus grand nombre possible de cases, et de les disposer surtout d’après les règles prescrites. Il est bon de s’exercer chaque jour à y placer des images. Si nos occupations nous détournent quelquefois de nos autres études, il n’y a rien qui puisse nous arrêter dans celle-ci. Il n’y a pas une circonstance en effet où nous ne voulions confier quelque chose à notre mémoire, surtout quand une affaire importante nous occupe. Vous n’ignorez pas combien une mémoire facile a d’avantages, et combien il faut apporter de soin à l’acquérir ; vous l’apprécierez, quand vous en aurez fait l’expérience. Je n’ai pas l’intention de vous donner à cet égard d’autres conseils, de peur de paraître m’être défié de votre zèle, ou n’avoir pas complètement traité la matière. Je vais parler à présent de la cinquième partie de la rhétorique ; vous, rappelez souvent les premières à votre esprit, et, ce qui est surtout nécessaire, fortifiez-vous par l’exercice dans l’étude de ces règles.


LIVRE QUATRIÈME.

Comme, dans ce livre, j’ai traité de l’élocution, C. Hérennius ; que lorsqu’il m’a fallu des exemples, j’en ai composé, et qu’en cela je me suis écarté de la coutume adoptée par les Grecs qui ont écrit sur ce sujet, je ne puis me dispenser de vous en donner en quelques mots la raison. Une preuve que c’est par nécessité que je l’ai fait, et non pas par amour-propre, c’est que dans les livres précédents vous ne trouvez ni préambules ni digressions. Ici, j’entrerai dans le peu de détails qui me sont indispensables, après quoi j’achèverai l’exposition des règles de l’art, en reprenant le plan que je me suis proposé. Mais vous comprendrez mieux mon opinion, si je vous fais connaître d’abord celle des rhéteurs grecs.

Ils pensent, pour plusieurs raisons, qu’après avoir donné leurs préceptes sur les ornements, qu’exige l’élocution, ils doivent présenter pour chaque genre un exemple tiré d’un orateur ou d’un poète estimé. D’abord c’est par modestie, disent-ils, qu’ils le font, parce qu’il y a, selon eux, une sorte d’ostentation à ne pas se contenter de donner les règles de l’art, et à vouloir enfanter des exemples ingénieusement ; c’est se montrer soi-même, ajoutent-ils, ce n’est pas montrer l’art. Il y a donc avant tout une sorte de pudeur qui nous interdit de paraître n’approuver, n’aimer que nous-mêmes, tandis que nous méprisons les autres, ou les tournons en ridicule. Lorsque nous pouvons emprunter des exemples à Ennius ou à Gracchus, n’y a-t-il pas de la présomption à les dédaigner pour prendre les nôtres ? D’un autre côté, les exemples tiennent lieu de preuves ; car l’exemple confirme le précepte, comme le ferait une preuve, et fortifie l’impression qu’il n’a que légèrement produite. Ne serait-il donc pas ridicule, dans un procès civil ou criminel, de ne paraître armé que de témoignages domestiques, et de n’avoir que son propre exemple à citer ? L’exemple, ainsi que le témoignage, est employé comme preuve. Il ne faut donc l’emprunter qu’à un auteur du plus grand mérite, dans la crainte que ce qui doit prouver le principe établi, n’ait, à son tour, besoin de preuve. Il faut, en effet, que ceux qui se donnent pour modèles, préfèrent leurs ouvrages à tous les autres, ou bien qu’ils ne reconnaissent pas que les meilleurs exemples sont ceux qu’on emprunte aux plus grands orateurs ou aux plus grands poètes. Se préférer à tous les autres, c’est le comble de l’arrogance ; donner à d’autres le premier rang, et ne pas croire que leurs exemples soient meilleurs que ceux que nous donnerions nous-mêmes, c’est là une préférence dont il est impossible de donner la raison.

II. Que devient donc l’autorité des anciens ? car c’est elle, à la fois, qui rend les choses plus vraisemblables, et donne aux hommes plus d’ardeur pour l’imitation ; elle excite leur ambition, aiguillonne leur génie, par l’espérance de pouvoir égaler le talent de Gracchus ou de Crassus, en les prenant pour modèles. Enfin, cela même exige un très grand art que de savoir, au milieu de cette variété de morceaux d’un mérite inégal, épars et confondus dans un si grand nombre de poètes et d’orateurs, faire un choix tellement habile, que chaque genre d’exemples corresponde à chaque précepte. Quand il ne faudrait que du travail pour y réussir, on mériterait néanmoins des éloges pour n’en pas avoir évité la fatigue : mais il est certain que ce choix ne peut être que le fruit d’une extrême habileté. Quel est en effet celui qui, salis posséder l’art à fond, pourrait, au milieu d’un amas si vaste et si confus d’écrits, reconnaître et distinguer ce nue l’art demande ? Le grand nombre, en lisant de bons discours ou de beaux poèmes, applaudit aux orateurs ou aux poètes, mais sans en comprendre la raison, parce qu’ils ne savent ni où se trouve ce qui les a charmés ni ce que c’est, ni comment leur impression a été produite. Mais celui qui se rend compte de tout cela ; qui choisit les passages les plus appropriés à son sujet, et fait rentrer dans chaque précepte ceux qui méritent le plus d’y trouver place, doit nécessairement être lui-même un grand artiste. C’est donc un très grand talent de savoir faire servir à l’art qu’on professe les exemples même des autres.

Ce langage nous impose plus par l’autorité de ceux qui le tiennent que par la solidité des arguments qu’il présente. Je crains, en effet, qu’il ne suffise à quelques lecteurs, pour se ranger au système que je combats, de voir que ceux qui le soutiennent sont les inventeurs de l’art, et que leur ancienneté les rend déjà assez respectables à tous. Mais si l’on se dérobe à cette influence, et si l’on veut ne comparer que les raisons données de part et d’autre, on reconnaîtra qu’il ne faut pas toujours céder à l’antiquité.

III. Et d’abord, examinons si ce reproche de vanité qu’ils nous opposent, n’est pas par trop puéril. Car, si la modestie consiste à se taire ou à ne rien écrire, pourquoi ont-ils eux-mêmes écrit ou parlé ? Et s’ils tirent de leur propre fonds quelque partie d’un ouvrage, pourquoi la modestie les empêche-t-elle de le composer en entier ? c’est ressembler à un homme qui, après être descendu dans la carrière olympique, et y avoir pris son rang pour la course, accuserait ensuite d’impudence ceux qui se seraient élancés dans l’arène, et, s’arrêtant lui-même à la barrière, se mettrait à raconter comment Ladas ou Boius, luttèrent à la course contre les Sicyoniens. Ainsi font ces rhéteurs, ils descendent dans la carrière de l’art oratoire, et taxent de vanité ceux qui s’efforcent d’en mettre les règles en pratique ; quant à eux, ils se bornent à vanter un orateur, un poète, un écrivain d’autrefois, mais sans oser faire un pas dans la lice de l’éloquence. Je n’ose le dire, mais je crains qu’en cherchant à paraître modestes, ils ne fassent précisément preuve d’orgueil. Car enfin que prétendez-vous ? leur dira-t-on. Vous écrivez les règles de votre art, vous nous en donnez de nouvelles, et dans l’impuissance de les confirmer par vous-même, vous empruntez vos exemples aux autres. Prenez garde d’encourir le reproche d’impudence, lorsque vous faites ainsi rejaillir sur votre nom la gloire qui s’attache aux travaux des autres ; car si les anciens orateurs et les anciens poètes prenaient vos ouvrages pour en retirer ce qui leur appartient, vous ne voudriez rien revendiquer de ce qui en resterait. Mais, dites-vous, puisque les exemples sont comme des témoignages, il convient qu’ils soient empruntés à des noms de la plus grande autorité. Je réponds avant tout, que les exemples ne sont ici ni des preuves, ni des témoignages, mais bien des démonstrations. En effet, lorsque je dis qu’il y a, par exemple, une figure qui consiste à terminer une phrase par des mots dont la consonance finale est la même, et que je cite ce passage de Crassus : Quibus possumus et debemus, ce n’est pas un témoignage que je présente, mais un exemple. Il y a donc cette différence entre le témoignage et l’exemple, que par le premier, nous démontrons de quelle nature est la chose que nous avons définie, et que par le second, nous établissons que la chose est telle que nous l’avons avancée. Il faut, en outre que le témoignage s’accorde avec la chose, autrement il ne peut lui servir de preuve. Mais ce que font ces rhéteurs ne s’accorde pas avec le but qu’ils se proposent ; pourquoi ? parce qu’ils promettent d’écrire les règles d’un art, et qu’ils prennent des exemples dans des auteurs qui la plupart ne les ont pas connues. Enfin quel est celui qui peut donner de l’autorité aux préceptes qu’il a établis, s’il n’est pas capable d’en faire lui-même l’application ? Ces rhéteurs font même le contraire de ce qu’ils semblent promettre ; car en formant le projet de professer un art, ils paraissent tirer de leur propre fonds les leçons qu’ils destinent à l’instruction des autres ; et quand ils se mettent à l’œuvre, ils nous présentent le fruit d’un travail qui ne leur appartient pas.

IV. Mais, disent-ils, le choix est difficile à faire parmi des matériaux si nombreux. Où trouvez-vous la difficulté, dans la fatigue du travail, ou dans l’habileté ? si c’est dans la fatigue du travail, elle ne donne pas un titre immédiat à la gloire ; car il y a beaucoup de choses pénibles dont l’exécution n’a rien d’honorable, à moins toutefois que vous ne regardiez comme glorieux, de copier de votre main des poèmes ou des discours entiers. Si c’est dans l’habileté, prenez garde de paraître étrangers aux grandes choses, en attachant le même prix aux petites. Sans doute un ignorant n’est pas capable de faire ce choix, mais beaucoup de gens peuvent y réussir sans être fort habiles. Tout homme qui aura quelque connaissance un peu spéciale des règles de l’art, surtout de l’élocution, pourra distinguer tous les morceaux qui en offrent l’application ; mais il faudra, pour les imiter, un écrivain de talent. Si, pour avoir fait dans Ennius, ou dans Pacuvius, un choix de pensées ou de périodes, vous vous croyez un littérateur distingué, par la raison qu’un ignorant n’y serait pas parvenu, il y aurait sottise de votre part ; car une instruction fort médiocre suffirait aisément pour cela. De même, si, pour avoir choisi dans des discours ou des poèmes, des exemples marqués des qualités de l’art, vous pensiez avoir fait preuve d’un grand talent, parce qu’un ignorant ne les eût pas distingués, vous seriez encore dans l’erreur ; vous auriez par là donné la preuve que vous n’êtes pas sans instruction : mais c’est à d’autres signes que se reconnaît une grande habileté. S’il faut du talent pour apprécier ce qui est conforme aux règles, il en faut bien plus encore pour écrire soi-même en les observant. Un habile écrivain pourra juger facilement du mérite des autres : mais de ce qu’on choisit aisément parmi les morceaux d’un ouvrage, il ne résulte pas que l’on soit un bon écrivain. Et si c’est un très grand mérite, que les rhéteurs le gardent pour un autre temps, et non pas pour celui où ils devraient créer, enfanter, produire eux mêmes. Enfin, qu’ils fassent consister la force de leur talent à se montrer plutôt dignes de servir de modèles, que capables d’en proposer. En voilà suffisamment contre l’opinion de ceux qui soutiennent qu’on doit se servir d’exemples étrangers. Entrons maintenant dans quelques considérations particulières.

V. Je dis donc qu’ils ont tort d’emprunter de ces exemples, et bien plus encore de les prendre dans un grand nombre d’auteurs. Arrêtons-nous d’abord sur ce dernier point. Si j’accordais qu’il fallût recourir à des exemples étrangers, je ferais voir victorieusement qu’il ne faudrait les chercher que dans un seul auteur. Les rhéteurs n’auraient d’abord rien à m’opposer, puisqu’ils seraient libres de choisir et de préférer tel poète ou tel orateur qui leur fournirait des exemples pour tous les cas, et leur prêterait son autorité. Ensuite, il importe beaucoup à celui qui veut s’instruire, de savoir si un seul homme peut réunir, dans ses ouvrages, tous les genres de beautés à la fois, ou si, personne ne pouvant y atteindre, l’un brille dans une partie, et l’autre, dans une différente. S’il pense, en effet, qu’un même auteur puisse réussir en tout, lui-même s’efforcera d’arriver également à ce mérite universel : s’il en désespère, il ne s’exercera que dans un petit nombre de genres, et saura s’en contenter ; et il ne faudra pas s’en étonner, puisque celui-là même qui a tracé les règles de l’art, n’a pu trouver tous les exemples dans un seul auteur. En voyant tous ces passages tirés de Caton, des Gracques, de Lélius, de Scipion, de Galba, de Porcina, de Crassus, d’Antoine, et autres orateurs, ou d’autres empruntés à des poètes et à des historiens, le disciple croira nécessairement qu’il a fallu s’adresser à tous ensemble, et qu’un seul fournissait à peine quelques exemples. Alors s’il se contente d’égaler un de ces écrivains, il n’aura pas la confiance de réunir à lui seul le mérite de tous les autres. Il est donc inutile, pour celui qui veut se former, de ne pas croire qu’un seul homme puisse tout réunir. Personne ne tomberait dans cette opinion décourageante, si les exemples avaient été pris dans un même auteur. Ce qui indique, au contraire, que les rhéteurs eux-mêmes ne pensaient pas qu’un même écrivain pût briller dans toutes les parties de l’élocution, c’est qu’ils n’ont pris leurs exemples ni dans leurs propres ouvrages, ni dans un ou deux auteurs, mais dans tous les orateurs et tous les poètes. Il y a plus ; si quelqu’un voulait démontrer que l’art est impuissant avec ses règles, il pourrait s’appuyer, avec assez de raison, sur ce que personne ne saurait en embrasser toutes les parties. N’est-il donc pas ridicule que les ennemis déclarés de la rhétorique trouvent à appuyer leur opinion sur celle des rhéteurs eux-mêmes ? Ainsi dût-on ne se passer jamais des exemples étrangers, il faut ne les tirer que d’un seul auteur.

VI. Mais on doit rejeter tout à fait cette méthode ; nous allons le comprendre à présent. En premier lieu, le maître de l’art, qui cite un exemple, doit le tirer de son propre fond ; pour ne pas ressembler à un marchand d’étoffes de pourpre ou d’autre chose, qui dirait : Donnez-moi la préférence ; mais je vais prendre chez mon voisin un échantillon que je vous montrerai. Ne vous paraîtrait-il pas ridicule de voir ceux qui vendent les marchandises chercher des échantillons chez leurs confrères ; d’autres vous dire qu’ils ont des monceaux de blé, et ne pas pouvoir vous en montrer un seul grain ? Si Triptolème venant enseigner aux hommes l’art d’ensemencer les terres, leur avait emprunté les semences ; ou si Prométhée, voulant leur faire présent du feu, était allé, un vase de terre à la main, demander de porte en porte quelques charbons ; n’y aurait-il pas là matière à rire ? Et ces rhéteurs, nos maîtres à tous dans l’art de parler, ne se trouvent pas ridicules, lorsqu’ils vont chercher dans les écrits des autres, ce qu’ils nous promettent de nous donner. Si quelqu’un se vantait d’avoir découvert les sources les plus abondantes dans les entrailles de la terre, et qu’en parlant de sa découverte, il fût tourmenté par une soif ardente, sans avoir une goutte d’eau pour l’étancher, ne se moquerait-on pas de lui ? Et ces habiles maîtres, qui prétendent non seulement posséder les sources, mais être eux-mêmes les sources où doivent s’abreuver tous les esprits, ne pensent pas être un objet de risée, lorsqu’au milieu de ces riches promesses, ils se montrent frappés eux-mêmes de stérilité ? Ce n’est point ainsi que Charès apprit de Lysippe l’art du statuaire. Ce maître ne lui montrait pas tour a tour une tête de Myron, des bras de Praxitèle, une poitrine de Polyclète ; il travaillait lui-même à toutes ces parties sous les yeux de son élève, lequel pouvait ensuite étudier à son gré les ouvrages des autres sculpteurs.

VII. Les rhéteurs grecs pensent qu’il y a un moyen plus facile de donner l’instruction à ceux qui la désirent. Ajoutez que les exemples empruntés ne peuvent pas s’adapter aux règles, comme ceux que l’on fait soi-même ; parce que dans la suite d’un discours on ne fait le plus souvent qu’effleurer chaque figure, de peur que l’art ne se laisse voir. Quand il s’agit de donner des préceptes, il faut composer des exemples tout exprès, pour qu’ils soient plus conformes à l’art. L’habileté de l’orateur dérobe aux regards les efforts qu’il a faits ; il vaut donc mieux, pour faire reconnaître l’art à plus de marques, composer soi-même ces exemples. Enfin un dernier motif m’a déterminé, c’est que les noms grecs qu’il m’a fallu traduire s’éloignent du génie de notre langue. Comment auraient-ils eu des mots pour des choses qu’ils ne connaissaient pas ? Ces noms, au premier abord, paraîtront nécessairement un peu durs ; ce sera la faute du sujet, et non la mienne. Le reste de cet ouvrage sera consacré aux exemples. Si je les avais pris chez les autres, il en serait résulté que la portion la moins désagréable du livre, ne m’appartiendrait pas, et que je n’aurais à revendiquer en propre que celle qui renferme ce qu’il y a de plus aride et d’inusité. C’est encore un désavantage que j’ai voulu éviter. Tels sont les motifs qui m’ont empêché, tout en approuvant les Grecs comme inventeurs de l’art, de ne pas suivre leur opinion sur le choix des exemples.

Il est temps de passer à présent aux règles de l’élocution. Nous l’envisagerons sous deux points de vue. Nous parlerons d’abord des divers genres dans lesquels l’élocution doit être renfermée tout entière ; nous montrerons ensuite quelles qualités elle doit toujours avoir.

VIII. Il y a trois genres, ou, comme nous le disons, trois caractères de style auxquels se ramène tout discours soumis aux règles ; le style sublime, le style tempéré, et le style simple. Le sublime résulte de l’emploi d’expressions nobles, grandes et ornées. Le tempéré fait usage de termes moins relevés, mais qui n’ont rien de trop bas ni de trop vulgaire. Le simple s’abaisse jusqu’au langage le plus familier d’une conversation correcte.

Le discours appartiendra au genre sublime, si l’on y fait entrer les expressions les plus ornées qu’il sera possible de trouver sur chaque sujet, et si on les y approprie, soit dans leur sens naturel, soit dans leur sens figuré ; si l’on fait choix de pensées nobles, susceptibles de se prêter à l’amplification et au pathétique ; et si, parmi les figures de pensées ou de mots dont nous parlerons plus tard, on emploie celles qui ont de la grandeur. L’exemple suivant donnera l’idée de ce genre : « Qui de vous en effet, juges, pourrait imaginer un châtiment assez sévère pour celui qui a formé le projet de livrer sa patrie aux ennemis ? Quel crime peut se comparer à celui-là, et quel supplice trouvera-t-on qui le puisse expier dignement ? Pour punir ceux qui auraient attenté à une femme libre, déshonoré une mère de famille, maltraité ou mis à mort un citoyen, nos ancêtres imaginèrent les plus cruels supplices, et ils n’en ont point trouvé pour le plus cruel, pour le plus coupable des forfaits ? Et cependant les autres crimes ne portent préjudice qu’à une seule personne, ou qu’à un petit nombre de citoyens, tandis que les auteurs d’un pareil attentat menacent d’un seul coup tous les citoyens des plus horribles malheurs. Ô cœurs farouches, ! ô projets barbares ! ô hommes dénaturés ! vous avez osé exécuter, concevoir même un dessein qui permettait à nos ennemis de fondre victorieux sur la ville, après avoir dispersé les tombeaux de nos pères et renversé nos murailles ; de dépouiller les temples des dieux, d’égorger nos citoyens les plus illustres, de traîner les autres en servitude ; de livrer les mères de famille, les femmes libres à la brutalité des soldats, et la ville, aux horreurs de l’incendie ! Les misérables ! ils pensent avoir encore quelque chose à désirer, tant qu’ils n’ont pas vu tomber en cendres les murs sacrés de la patrie ! Je ne puis, juges, peindre par des paroles, toute l’atrocité de leur dessein ; mais je m’en console, parce que vous n’avez pas besoin de mes efforts. Vos cœurs, dans lesquels l’amour de la république est si ardent, vous disent assez que celui qui a juré la perte de ses concitoyens doit être honteusement chassé de cette Rome qu’il a voulu faire tomber sous le joug infâme de ses plus méprisables ennemis. »

IX. Le discours sera du style tempéré si, comme je viens de le dire, on le fait descendre un peu du ton sublime, sans le faire tomber cependant jusqu’au ton simple. Par exemple : « Vous voyez, juges, à qui nous faisons la guerre ; à des alliés qui ont coutume de combattre pour nous, et dont le courage et le zèle ont contribué au salut de notre empire. S’ils se connaissent eux-mêmes, s’ils connaissent leurs forces et l’étendue de leurs ressources, ils peuvent néanmoins, à cause de leur voisinage et des rapports de toute sorte qu’ils ont eus avec nous, savoir ou comprendre de quoi est capable le peuple romain. Quand ils ont pris la résolution de nous déclarer la guerre, quel était, je vous le demande, l’espoir qui les poussait, eux qui voyaient la plus grande partie des alliés rester fidèle à Rome, eux qui n’avaient à leur disposition ni troupes nombreuses, ni généraux habiles, ni, argent dans leur trésor, ni aucun des moyens nécessaires en pareil cas ? S’ils entreprenaient la guerre contre des voisins pour une question de limites, s’ils pensaient qu’une seule bataille pût décider de la querelle ; encore se mettraient-ils en campagne avec des préparatifs plus complets et plus sûrs, bien loin de nous disputer avec d’aussi faibles ressources cet empire du monde que toutes les nations, tous les rois, tous les peuples vaincus par les armes ou par les bienfaits du peuple romain, ont été contraints ou amenés volontairement à reconnaître. Mais, me demandera-t-on, les habitants de Frégelles n’ont-ils pas essayé de secouer le joug ? Sans doute : mais il était d’autant plus facile à ceux-ci de ne rien tenter de semblable, qu’ils avaient vu le peu de succès des Frégellans. Des peuples sans expérience, qui ne peuvent trouver dans le passé des exemples de conduite pour aucune circonstance, sont très exposés à tomber dans l’erreur ; mais ceux qui savent ce qui est arrivé aux autres peuvent aisément prévoir, par l’exemple d’autrui, ce qui les attend eux-mêmes. Nos alliés n’avaient-ils donc aucun motif, aucun espoir pour prendre les armes ? Qui croirait que l’on poussât la folie jusqu’à entreprendre une attaque contre le peuple romain, sans aucun moyen d’y réussir ? Il faut donc qu’ils aient eu quelque raison d’en agir ainsi ; et quelle autre y aurait-il que celle que je vous ai fait connaître. »

X. Le morceau suivant fournira un exemple de ce style simple qui descend jusqu’à la familiarité de la conversation journalière : « Cet « homme vient un jour au bain ; on l’arrose d’huile, on le frotte. Ensuite il se met à descendre les degrés : mais voilà que se jetant au-devant de celui-ci : Holà ! jeune homme, s’écrie-t-il, vos esclaves m’ont offensé, il faut que vous m’en rendiez raison. Le jeune homme, ainsi apostrophé par un inconnu, rougit. L’agresseur crie encore plus haut, ajoutant d’autres injures. Le jeune homme ose à peine lui répondre : Permettez que j’examine la chose. L’autre, élevant la voix de façon à faire rougir le plus assuré, réplique : Vous êtes si insolent et si emporté, que vous ne pouvez prendre place parmi la bonne compagnie, et que l’on ne peut vous voir que derrière la scène ou à d’autres places semblables. Le jeune homme se trouble, et quoi de plus naturel ? les réprimandes de son gouverneur résonnaient encore à son oreille, novice à de semblables propos. Où pouvait-il avoir vu un bouffon assez éhonté, pour croire qu’il n’a pas de considération à perdre, et qu’il peut tout faire sans se compromettre ? »

Ces exemples peuvent faire juger des genres de style. On voit dans l’un la simplicité, dans l’autre, la noblesse de l’expression, le troisième tient le milieu.

Mais il faut prendre garde en traitant chacun de ces genres, de tomber dans les défauts auxquels ils touchent de si près. Car à côté du style sublime, qui est digne d’éloge, se rencontre celui qui mérite le nom de boursouflé, et qu’il faut éviter. Car de même que la bouffissure ressemble souvent à l’embonpoint, de même les ignorants croient trouver le style sublime dans celui qui n’est enflé que de mots nouveaux ou vieillis, de métaphores péniblement étranges, ou trop ambitieuses. Par exemple :

« Celui qui vend sa patrie ne serait pas puni comme il le mérite, quand on le précipiterait dans les abîmes de Neptune. Faisons donc repentir celui qui a élevé les montagnes de la guerre, et fait disparaître les plaines de la paix. » La plupart de ceux qui sont tombés dans cet excès, et qui se sont écartés de leur point de départ, ont été trompés par une apparence de sublimité, et n’ont pu voir qu’ils ne donnaient que de l’enflure à leur discours.

XI. Ceux qui se sont proposé d’écrire dans le genre tempéré, et qui n’ont pu y parvenir, arrivent, en perdant leur route, au genre qui s’en rapproche, et qu’on appelle le style lâche et mou, parce qu’il flotte irrésolu, sans nerfs, sans liaisons, et ne peut prendre dans sa marche ni consistance ni vigueur. En voici un exemple : « Si nos alliés voulaient se mettre en guerre avec nous, ils auraient certainement dû délibérer plus d’une fois sur leurs ressources, dans le cas où ils agissaient d’eux-mêmes, et n’étaient pas secondés ici par une multitude d’hommes pervers et audacieux. Car tous ceux qui veulent faire de grandes choses, ont coutume d’y réfléchir longuement. » Un style de cette sorte ne peut fixer l’attention de l’auditeur ; il s’écoule tout entier, il s’arrondit en phrases bien faites qui ne disent rien. Ceux qui ne peuvent se servir avec avantage du style simple, si rempli de grâces, tombent dans un genre aride et pâle, qu’on pourrait appeler décharné, et dont voici un exemple : « Celui-ci vient au bain, et dit ensuite à celui-la : Votre esclave m’a offensé. À quoi l’autre répond : J’examinerai la chose. Alors le premier cherche querelle au second, et crie de plus fort en plus fort en présence d’un grand nombre, de personnes. » Voilà un style sans force et sans noblesse, et qui n’a ni cette pureté ni ce choix d’expressions qui caractérisent le style simple. Chaque genre de style, le sublime, le tempéré, le simple, s’embellit par figures dont nous parlerons plus tard : si elles sont employées avec discrétion, elles donnent, pour ainsi dire, de la couleur au style ; trop prodiguées, elles ne font que l’obscurcir. Il faut en outre varier les genres, faire succéder le tempéré au sublime, et le simple au tempéré ; et employer souvent cet artifice, afin que la variété ne laisse pas naître l’ennui.

XII. Nous avons parlé des différents genres de l’élocution ; voyons maintenant les qualités qu’elle doit réunir pour être convenable et parfaite. Celle qui sied particulièrement à l’orateur doit offrir trois caractères, la correction, l’élégance, la noblesse. La correction consiste à dire chaque chose d’une manière claire et pure. Elle comprend la latinité et la clarté du langage. La latinité maintient la pureté de la langue, et en écarte les défauts. Les défauts dans le latin peuvent être de deux espèces, le solécisme et le barbarisme. Il y a solécisme, lorsque les rapports qui doivent unir les mots entre eux sont mal observés. Il y a barbarisme, quand on se sert d’un mot vicieux. J’indiquerai clairement dans la grammaire les moyens d’éviter ces défauts. La seconde sorte de correction sert à rendre les idées d’une manière claire et distincte. Elle résulte de l’emploi des mots usités et des termes propres. Les mots usités sont ceux dont on se sert dans la conversation de chaque jour ; les termes propres sont ceux qui désignent la chose même dont on parle, ou qui peuvent y être appropriés.

L’élégance est une disposition des mots qui donne un même degré de perfection à toutes les parties de la phrase. Il faudra, pour l’assurer, éviter le concours trop fréquent des voyelles, qui allongent le discours et le remplissent d’interminables hiatus. Comme : Baccæ æneæ amoenissimæ impendebant. Ne pas trop répéter la même lettre, comme ce vers en fournit l’exemple (car, pour les défauts, rien n’empêche qu’on ne les emprunte aux autres) :

O Tite, lute, Tati, tibi tanta tyranne tulisti !

et cet autre du même poète.

Quidquam quisquam cuiquam, quod conveniat, neget.

Il ne faudra pas non plus se servir trop souvent du même mot, comme dans cette phrase : Nam cujus rationis ratio non exstet, ei rationi ratio non est fidem habere ; ni de mots à terminaison semblable comme dans :

Fientes, plorantes, lacrymantes, obtestantes.

On évitera les transpositions de mots, à moins qu’elles ne flattent l’oreille, comme nous le dirons plus tard. Lucilius tombe sans cesse dans ce défaut ; par exemple dans son premier livre :

Has res ad te scriptas, Luci, misimus, Aeli.

Enfin on doit s’interdire les périodes interminables, qui fatiguent et l’oreille de l’auditeur et la respiration de l’orateur. Tels sont les vices contraires à l’élégance : quand on les aura évités, il faudra donner ses soins à la noblesse du style.

XIII. La noblesse du style sert à l’ornement du discours, par la variété qui résulte des figures de mots et des figures de pensées. Les figures de mots consistent dans les modifications que l’on fait subir aux mots eux-mêmes pour leur donner pour leur donner plus d’éclat et plus de poli ; les figures de pensées, indépendantes des mots, embellissent les pensées elles-mêmes….

La Répétition a lieu quand on se sert d’un seul et même mot pour des choses semblables ou différentes : par exemple : « C’est à vous qu’il faut attribuer cette action, c’est à vous qu’il en faut rendre grâce ; c’est à vous qu’on en doit rapporter l’honneur. » Ou bien : « Scipion a détruit Numance, Scipion a renversé Carthage, Scipion nous a donné la paix, Scipion a sauvé Rome. » Ou bien encore : « Toi, venir dans le forum ; toi, voir la lumière du jour ; toi, paraître aux yeux de tes concitoyens ! Tu oses parler, tu oses adresser une demande, tu oses te soustraire au supplice ? Que peux-tu dire pour ta défense ? que prétends-tu solliciter ? que penses-tu pouvoir obtenir ? n’as-tu pas violé ton serment ? n’as-tu pas trahi tes amis ? n’as-tu pas porté les mains sur ton père ? enfin, ne t’es-tu pas traîné dans tous les genres d’opprobres ? » Cette figure a tout à la fois beaucoup de grâce et beaucoup de chaleur et de passion ; il faut donc l’employer quand on veut donner de la force au style et quand on veut l’embellir.

La Conversion répète non pas le premier mot, comme la figure précédente, mais le dernier. « Le peuple romain a vaincu les Carthaginois par la justice ; il les a vaincus par les armes ; il les a vaincus par la générosité. » Ou bien : « Depuis que la concorde a disparu de notre patrie, la liberté a disparu, la foi a disparu, l’amitié a disparu, la république a disparu. » De même : « C. Lélius était un homme actif, il était ingénieux, il était savant, il était l’ami des gens honnêtes et studieux, il était aussi le premier dans Rome. » Enfin : « Lorsque tu demandes à être absous par tes juges, c’est leur parjure que tu demandes ; c’est leur déshonneur que tu demandes ; c’est le sacrifice des lois romaines à ta passion que tu demandes. »

XIV. La Complexion est une figure qui se forme de la réunion des deux que nous venons de voir, c’est-à-dire, qui consiste à répéter souvent, et le premier et le dernier mot de la phrase. Par exemple : « Quels sont ceux qui ont souvent rompu les traités ? Quels sont ceux qui ont fait une guerre cruelle en Italie ? Les Carthaginois. Quels sont ceux qui ont ravagé l’Italie ? Les Carthaginois. Quels sont ceux qui demandent qu’on leur fasse grâce ? Les Carthaginois. Voyez donc ce qu’ils méritent d’obtenir. » Autre exemple : « Celui que le sénat a condamné, celui que le peuple romain a condamné, celui que l’opinion générale a condamné, l’absoudrez-vous par votre sentence ? »

La figure appelée Traduction reproduit souvent le même mot, non seulement sans blesser le goût, mais encore en ajoutant à l’élégance du style : « Celui qui dans la vie ne trouve rien de plus agréable que la vie, ne peut pratiquer la vertu. Vous donnez le nom d’homme à un être qui, s’il eût été réellement homme, n’aurait pas attenté si cruellement à la vie d’un homme. Mais il était son ennemi. Il a donc voulu se venger de son ennemi, au point de devenir son ennemi à lui-même. — Laissez les richesses pour les riches, et préférez la vertu aux richesses ; car si vous voulez comparer les richesses à la vertu, vous trouverez les richesses à peine dignes de servir de cortège à la vertu. »

Il y a une figure du même genre, qui consiste à donner au même mot, tantôt une signification, tantôt une autre, comme dans ces exemples : Cur eam rem tam studiose curas, quae multas tibi dabit curas ? - Amari jucundum est, si curetur, ne quid insit amari. - Veniam ad vos, si mihi senatus det veniam. Dans les quatre sortes de figures dont nous avons parlé jusqu’ici, ce n’est pas la disette de mots qui fait revenir souvent à la même expression ; c’est qu’il en résulte une sorte de plaisir, dont l’oreille juge mieux qu’on ne la peut définir.

XV. L’Antithèse résulte des contrastes entre les mots ou entre les pensées, comme dans ces exemples : « La flatterie est douce dans ses commencements, mais les suites en sont amères. - Vous vous montrez clément envers vos ennemis, et inexorable pour vos amis. - Vous vous agitez quand tout est calme, vous êtes calme quand tout s’agite. Quand il faut le plus de sang-froid, vous êtes tout feu ; quand il faudrait le plus d’ardeur, vous êtes de sang-froid. Est-il besoin de silence ; vous criez ; est-il convenable de parler, vous gardez le silence. Vous êtes ici, vous voudriez être ailleurs ; absent, vous voudriez être de retour. En temps de paix, vous cherchez la guerre ; en temps de guerre, vous regrettez la paix. Dans l’assemblée du peuple, vous parlez de courage ; dans le combat, votre lâcheté vous rend insupportable le son de la trompette. » Cette figure, bien employée, peut donner au discours du brillant et de la force.

L’Exclamation est le cri de la douleur ou de l’indignation sous la forme d’une apostrophe à un homme, à une ville, à un lieu, à un objet quelconque : « C’est à vous maintenant que j’en appelle, ô Scipion l’Africain ! à vous dont le nom, même après votre mort, fait la gloire et l’honneur de Rome. Vos illustres petits-fils ont nourri de leur sang la cruauté de leurs ennemis. - Ô perfide Fregelles, combien ton crime t’a promptement perdue ! La splendeur de tes murs illustrait naguère l’Italie, et il reste à peine aujourd’hui quelques débris de tes fondements ! - Vous qui tendez des piéges aux gens de bien, qui menacez la vie de l’innocent dont vous voulez ravir les biens, espérez-vous que « les juges seront assez iniques pour accorder l’impunité à vos forfaits ! » Si nous employons l’exclamation à propos, et quand la grandeur du sujet paraîtra l’exiger, nous ferons naître dans l’âme de nos auditeurs le degré d’indignation que nous voudrons.

L’Interrogation n’a pas toujours de la force ni de l’élégance ; mais après l’énumération de tout ce qui peut nuire à la cause des adversaires, elle confirme les arguments dont on s’est servi. Par exemple : « Quand vous faisiez, quand vous disiez tout cela, dans l’exercice de votre magistrature, une telle conduite devait-elle ou non éloigner et détacher les alliés de la république ? Et celui qui les empêchait ainsi de nous rester fidèles, devait-il recevoir des récompenses ? »

XVI. Par la figure appelée Ratiocination, on recherche soi-même le motif de tout ce que l’on dit, et on se demande l’explication de chaque proposition qu’on avance. En voici un exemple : « Lorsque nos ancêtres condamnaient une femme pour un crime, ils la regardaient comme convaincue de plusieurs autres par un seul jugement. Pourquoi ? parce que la femme qu’ils avaient déclarée impudique, ils pensaient l’avoir reconnue, par cela même, coupable d’empoisonnement. Comment ? c’est qu’une femme qui s’est abandonnée à la plus honteuse des passions doit nécessairement craindre un grand nombre de personnes. Lesquelles ? son mari, ses parents, tous ceux sur lesquels elle voit que peut retomber la flétrissure de son déshonneur. Qu’en résulte-t-il ? c’est qu’il faut qu’elle empoisonne, de quelque façon que ce soit, ceux qu’elle redoute à ce point. Pourquoi ? c’est qu’aucun motif honnête ne peut retenir celle que l’énormité de sa faute intimide, que l’excès de sa passion rend audacieuse, et la faiblesse de son sexe, inconsidérée. Que pensaient-ils de la femme convaincue d’empoisonnement ? Ils pensaient qu’elle était infailliblement impudique. Et la raison ? c’est qu’il n’y a rien qui porte plus aisément à ce crime qu’un honteux amour et une passion effrénée. Ils ne croyaient pas qu’il fût possible à une femme dont l’âme était corrompue, de rester chaste. Pour les hommes, leur opinion était-elle la même ? nullement. Pour quel motif ? parce que chez les hommes chaque crime a son mobile dans une passion particulière ; chez les femmes, une seule les engendre tous. » Autre exemple : « Nos ancêtres ont sagement agi en n’ôtant jamais la vie à un roi que le sort des armes avait fait leur prisonnier. Pour « quoi ? parce qu’il est injuste d’user d’un avantage qui vient de la fortune pour traîner au supplice ceux qu’elle avait placés naguère au rang suprême. Mais n’a-t-il pas levé une armée contre vous ? je ne veux plus m’en souvenir. Pourquoi cette indulgence ? parce qu’il est digne d’un homme de cœur de regarder comme des ennemis ceux qui lui disputent la victoire, et comme des hommes, ceux qu’il a vaincus, afin de tempérer par sa grandeur d’âme les rigueurs de la guerre, et d’ajouter par son humanité aux douceurs de la paix. Mais si votre ennemi avait été vainqueur, aurait-il agi de même ? non sans doute ; il eût été moins sage. Comment donc lui, pardonnez-vous ? c’est que j’ai l’habitude de mépriser cette honteuse faiblesse, et non pas de l’imiter. » Cette figure produit un très grand effet, et soutient l’attention de l’auditeur autant par le charme qu’elle donne au style, que par l’attente des réponses.

XVII. La Sentence est une observation tirée fies circonstances de la vie, et présentant une courte leçon sur la manière d’apprécier chaque chose. Exemples : « Il est difficile à celui qui fut toujours heureux, de respecter la vertu. - Celui-là doit être regardé comme libre, qui n’est l’esclave d’aucune passion. - Celui qui n’a pas assez, et celui à qui rien ne suffit, sont également pauvres. - Il faut choisir le genre de vie le plus honnête ; l’habitude le fera trouver agréable. » Ces pensées si simples ne sont pas à dédaigner, parce que la brièveté de l’expression, lorsqu’il n’y a pas besoin de preuve, a beaucoup de charme. Mais il faut faire cas également de ce genre de sentences que l’on appuie de quelques raisons, par exemple : « Il n’y a de manière de vivre honorablement que celle qui est conforme à la vertu, parce que la vertu seule ne dépend jamais que d’elle-même ; tout, excepté elle, est soumis au pouvoir de la fortune. - Ceux qui n’ont recherché l’amitié d’un homme que pour ses richesses, disparaissent dès que la fortune s’est enfuie. Car la cause de leur attachement ne subsistant plus, il ne reste rien qui puisse le faire durer. » Il y a aussi des sentences qui prennent les deux formes, c’est-à-dire, qui s’expriment avec ou sans preuve. Sans preuve, comme dans cet exemple : « C’est « une erreur de se croire, dans la prospérité, à l’abri de toutes les attaques de la fortune. C’est penser sagement, que de redouter les revers au sein même du bonheur. » Avec preuve, comme dans celui-ci : « On a tort de croire qu’il faut pardonner les fautes de la jeunesse, cet âge n’étant point un obstacle à la pratique du bien. On fait sagement, au contraire de châtier les jeunes gens avec une grande sévérité, afin qu’ils apprennent à acquérir, dès leurs plus tendres années, les vertus qui doivent assurer le bonheur de leur vie entières. » Il ne faut faire que rarement usage des sentences, afin de rester orateur, et de ne pas devenir moraliste : employées avec réserve, elles contribuent à l’ornement du style. Il est nécessaire que l’auditeur les approuve tacitement, et reconnaisse que, quoique empruntées à la vie commune, elles ont un rapport incontestable avec le sujet.

XVIII. L’Opposition est à peu près la même chose que l’antithèse ; elle consiste à présenter deux choses différentes dont l’une sert rapidement et facilement de preuve à l’autre : exemples : « Pouvez-vous espérer que celui qui a toujours été l’ennemi de ses propres intérêts, se montrera l’ami de ceux des autres ? — Vous l’avez reconnu perfide envers ses amis ; comment le supposeriez-vous fidèle à ses ennemis ? — Comptez-vous que l’homme qui montrait un orgueil insupportable dans la condition de simple particulier, deviendra affable et modeste dans la puissance ? — Comment croire que celui qui, dans la conversation ordinaire et dans le cercle de ses amis, n’a jamais dit la vérité, se fera scrupule de mentir dans les assemblées publiques ? Craindrons-nous de combattre en rase campagne ceux que nous avons précipités des hauteurs ? Quand ils étaient plus nombreux que nous, ils ne pouvaient nous égaler ; et maintenant que nous avons l’avantage du nombre, nous craindrions d’être vaincus ! » Ce genre de figure exige de la rapidité et de la précision ; elle plaît à l’oreille, parce que la forme en est courte et claire ; ensuite elle prouve énergiquement par les contraires ce que l’orateur a besoin de prouver ; et tire, de ce qui est démontré, la preuve de ce qui est douteux encore, de manière à ce qu’il soit impossible, ou du moins très difficile de le réfuter.

XIX. On appelle Membre de phrase la réunion de quelques mots qui forment un sens complet, indépendamment du reste de la pensée, et qui sont suivis d’un autre membre. Ainsi : « Et vous serviez votre ennemi » voilà un premier membre, après lequel il en vient un second : « Et vous nuisiez à votre ami. » Cette figure peut se composer de deux membres ; mais elle est plus élégante et plus parfaite quand elle en renferme trois ; par exemple : « Vous serviez votre ennemi, vous nuisiez à votre ami, et vous ne songiez pas à vous-même. » Ou bien : « Vous n’avez ni servi la république, ni soutenu vos amis, ni résisté à vos ennemis. »

On appelle Article chacun des mots qui sont séparés par des repos, et qui coupent la période ; comme : « Véhémence, voix, regards, tout en vous a effrayé vos adversaires. - C’est par l’intrigue, l’outrage, la protection, la perfidie, que vous vous êtes délivré de vos ennemis. » Entre cette figure et la précédente, il existe pour la force une grande différence. L’effet de l’une est plus tardif et moins fréquent ; l’effet de l’autre est plus pressé et plus rapide. La première ressemble à des coups d’épée portés avec lenteur et réflexion ; la seconde blesse par des coups rapides et multipliés.

La Continuation consiste à exprimer de suite, rapidement et sans interruption, une phrase qui forme un sens achevé. On s’en sert avec beaucoup d’avantage dans trois cas ; dans la sentence, dans les contraires, et dans la conclusion. Par exemple, dans la sentence : « La fortune ne peut beaucoup nuire à celui qui a plus compté sur la vertu que sur le hasard. » Dans les contraires : « Car si un homme n’a pas placé beaucoup d’espérances sur le hasard, comment le hasard pourrait-il lui causer un grand préjudice ? » Dans la conclusion : « Si la fortune a beaucoup de prise sur ceux qui mettent toutes leurs ressources au hasard, il ne faut pas tout abandonner à la fortune, pour éviter qu’elle exerce sur nous un trop grand empire. » Dans ces trois circonstances, le rapidité est si nécessaire pour que la continuation ait tout son effet, que l’orateur paraît manquer de force, s’il ne précipite, soit la sentence, soit les contraires, soit la conclusion. Cette figure n’est pas sans utilité dans quelques autres cas encore, quoiqu’elle n’y soit pas tout à fait nécessaire.

XX. Lorsque, dans une période, les membres dont j’ai parlé tout à l’heure, sont formés du même nombre à peu près de syllabes, la figure qui en résulte se nomme Compar. Ce ne sera point, de la part de l’orateur, un arrangement puéril ; par l’usage et l’exercice, il arrivera, comme par instinct, à cette égalité des membres. En voici des exemples : « Le père recevait la mort dans les combats ; le fils s’occupait de mariage dans sa maison ; tout cela était réglé par un impérieux destin. - L’un a dû son bonheur à la fortune, l’autre a conquis la vertu par ses efforts. » Il peut souvent arriver, dans cette figure, que le nombre des syllabes ne soit pas exactement le même, et que cependant il le paraisse, s’il ne se trouve entre un membre et l’autre que la différence d’une ou de deux syllabes ; ou si l’un d’eux en contient un plus grand nombre, et l’autre une ou plusieurs plus allongées, de manière que la longueur des mots dans l’un fasse compensation avec le nombre dans l’autre.

Si, dans la même phrase, deux ou plusieurs mots sont employés à des cas ou à des temps semblables, il en résulte une figure qu’on appelle similiter cadens : exemples : Hominem laudas egentem virtutis, abundantem felicitatis. — Cujus omnis in pecunia spes est, ejus a sapientia est animus remotus. - Diligentia comparat divitias, negligentia corrumpit animum ; et tamen quum ita vivit, neminem prae se ducit hominem. Quand les mots, sans être au même cas ou au même temps, ont la même désinence, la figure prend le nom de similiter desinens. Ainsi : Turpiter audes facere, nequiter studes dicere. -Vivis invidiose, delinquis studiose, loqueris odiose. - Audacter territas, humititer placas. Ces deux figures consistant dans la ressemblance des cas ou des désinences des mots, ont entre elles une extrême analogie ; c’est pourquoi les orateurs habiles les placent d’ordinaire ensemble dans les mêmes parties du discours. Voici comment il faut les disposer : Perditissima ratio est amorem petere, pudorem fugere ; diligere formam, negligere famam. Dans cet exemple, une partie des mots sont aux mêmes cas et aux mêmes temps, l’autre a des désinences semblables.

XXI. L’Annomination résulte de l’emploi de deux mots qui ne diffèrent que par une ou plusieurs lettres ; ou de deux mots semblables exprimant des choses différentes. Elle a lieu d’un grand nombre de manières : tantôt par la syncrèse ou la contraction d’une seule lettre : Hic, qui se magnifice jactat atque ostentat, veniit ante, quam Romane venit. Tantôt par le contraire : Hic, quos homines alea vicit, eos ferro statim vincit. Ici, c’est une lettre qui devient longue : Hunc avium dulcedo ducit ad avium. Là, c’en est une qui devient brève : Hic tametsi videtur esse honoris cupidus, tamen non tantum curiam diligit, quantum Curiam. Ailleurs, on ajoute des lettres dans le même mot : Hic sibi posset temperare, nisi amori mallet obtemperare. D’autres fois, on en retranche : Si lenones vitasset tanquam leones, vitae se tradidisset. Dans certains cas on les transpose : Videte judices, utrum homini navo, an vano credere malitis. Ou : Nolo esse laudator ne videar adulator. Dans d’autres, enfin, on les change : Deligere oportet, quem velis diligere. Telles sont les diverses annominations qui résultent d’un changement des lettres ou de leur quantité, ou d’une transposition, ou de quelque autre modification de ce genre.

XXII. Il y en a cependant d’autres où les mots n’offrent pas une ressemblance aussi complète, quoique toujours très sensible. Voici un exemple de cette seconde espèce : Quid veniam, qui sim, quare veniam, quem insimulem, cui prosim, quem postulem, brevi cognoscetis. Nous trouvons ici une certaine ressemblance, qu’il ne faut pas autant rechercher que celle des exemples précédents, mais dont on peut faire usage quelquefois. Comme dans cet exemple : Demus operam, Quirites, ne omnino Patres Conscripti circumscripti putentur. Dans cette annomination, les mots ont plus de ressemblance que dans la dernière, et moins que dans les précédentes, où l’on trouvait à la fois des lettres ajoutées et des lettres retranchées. Il y en a une troisième espèce, provenant de l’emploi d’un ou de plusieurs mots à différents cas. Exemple, en se servant du même mot : « Alexander Macedo summo labore animum ad virtutem a pueritia confimavit. Alexandri virtutes per orbem terrae cum laude et gloria sunt pervulgatae. Alexandro si vita longior data esset, Oceanum manus Macedonum transvolasset. Alexandrum omnes, ut maxime metuerunt, item plurimum dilexerunt. » Ici c’est un seul nom auquel on a fait parcourir ses différents cas ; voici une autre annomination dans laquelle on a fait subir les mêmes changements à plusieurs mots : « Tib. Gracchum, rempublicam administrantem, indigna prohibait nex diutius in ea commorari. C. Graccho similiter occisio obtata est, quae virum reipublicae amantissimum subito de sinu civitatis eripuit. Saturninum, fide captum malorum, perfidiae scelus vita privavit. Tuus, o Druse, sanguis domesticos parietes et vultum parentis adspersit. Sulpicium, cui paullo ante omnia concedebant, eum brevi spatio non modo vivere, sed etiam sepeliri prohibuerant. » Ces trois sortes de figures qui se ressemblent, et que nous venons de définir, ne doivent être que très rarement employées, quand on parle sur des sujets réels, parce qu’elles semblent ne pouvoir être le fruit que du travail et des efforts.

XXIII. Mais de semblables recherches semblent plutôt faites pour l’agrément que pour la vérité ; c’est pourquoi l’autorité, la gravité, la noblesse oratoire perdent à l’usage fréquent de ces figures. Et non seulement l’orateur perd son crédit, mais encore il blesse l’auditeur, lequel ne trouve dans ce style qu’un jeu d’esprit et de l’affectation, et point de dignité ni de vraie beauté. Les choses larges et belles peuvent plaire longtemps ; celles qui ne sont que jolies et mignardes fatiguent bientôt l’oreille, le plus dédaigneux de nos sens. De même qu’en multipliant ces sortes de figures, nous paraîtrons nous plaire à des puérilités de style ; de même en les employant avec réserve et en les répandant avec variété dans tout le discours, nous y mettrons la lumière et l’agrément.

La Subjection est une figure par laquelle, après avoir interrogé nos adversaires, ou nous être demandé à nous-mêmes ce qu’ils peuvent alléguer pour eux ou contre nous, nous indiquons aussitôt après ce qu’il faut ou ne faut pas dire ; ce qui est favorable à notre cause, ou contraire à la leur. Par exemple : « Je demande donc comment cet homme « est devenu si riche. Lui a-t-on laissé un ample patrimoine ? mais les biens de son père ont été vendus. Lui est-il survenu quelque héritage ? non, puisque tous ses parents l’ont déshérité. A-t-il gagné ou fait gagner quelque procès ? non seulement il n’en est rien, mais il a été obéré pour avoir donné caution dans une affaire considérable. Si donc, comme vous le voyez, il ne s’est enrichi par aucun de ces moyens, ou bien il a chez lui une mine d’or, ou bien il « est arrivé à la fortune par des moyens illicites. »

XXIV. — Autre exemple : « Souvent, juges, j’ai vu des accusés chercher leur appui dans quelque motif honnête que leurs ennemis eux-mêmes n’auraient pu repousser ; mon adversaire n’en peut invoquer de semblable. Trouvera-t-il une sauvegarde dans les vertus de son père ? mais vous l’avez condamné à mort. Fera-t-il un retour sur sa vie passée pour montrer qu’elle fut honorable ? mais vous savez tous, pour en avoir été témoins, comment il a vécu. Fera-t-il l’énumération des parents en faveur desquels vous pourriez vous laisser toucher ? mais il n’en a aucun. De ses amis ? mais il n’est personne qui ne regardât comme une honte d’être appelé l’ami d’un tel homme. — Ou bien : « Sans doute, vous avez fait instruire le procès d’un ennemi qui vous paraissait coupable ? non, car vous l’avez mis à mort sans qu’il fût condamné. Avez-vous redouté les lois qui le protégeaient ? non, vous n’avez pas même songé qu’il en existât. Lorsqu’il vous rappelait les liens d’une ancienne amitié, vous êtes-vous laissé toucher ? bien loin de là, vous n’en avez mis que plus d’empressement à le faire périr. Lorsque ses enfants se traînaient à vos pieds, vous ont-ils inspiré quelque compassion ? non ; vous les avez même empêchés de donner la sépulture à leur père. » Cette figure a beaucoup de poids et de véhémence, parce qu’après avoir demandé ce qu’il fallait faire, on montre que ce n’est pas là ce qui a été fait ; et il est d’autant mieux de l’employer qu’on augmente ainsi l’indignité de l’action. La subjection a lieu également lorsque l’orateur s’interroge lui-même. Comme dans cet exemple : « Que me fallait-il faire, lorsque j’étais enveloppé par une si grande multitude de Gaulois ? Engager le combat ? mais je n’avais qu’une poignée d’hommes, et le terrain m’était défavorable. Rester dans mon camp ? mais nous n’avions ni renforts à attendre, ni subsistances pour prolonger notre vie. Abandonner ma position ? mais je m’y trouvais cerné. Devais-je compter pour rien la vie de mes soldats ? mais je pensais qu’ils ne m’avaient été confiés qu’à la condition de les conserver, autant que je le pourrais, à leur patrie et à leurs parents. Devais-je repousser les conditions des ennemis ? mais il valait bien mieux sauver les hommes que les bagages. » On accumule ainsi les subjections, afin qu’il résulte de leur ensemble qu’il n’y avait pas de meilleur parti à prendre que celui qu’on a choisi.

XXV. La Gradation consiste à disposer l’ordre des mots selon leur degré de force, par exemple : « Quel espoir de liberté nous reste-t-il, si ces hommes se permettent tout ce qu’ils veulent ; s’ils peuvent tout ce qui leur semble permis ; s’ils osent tout ce qu’ils peuvent ; s’ils font tout ce qu’ils osent ; et si vous ne désapprouvez rien de ce qu’ils font ? - Je n’ai point conçu ce projet sans le conseiller ; je ne l’ai pas conseillé sans m’en occuper moi-même tout aussitôt : je ne m’en suis pas occupé sans l’achever ; je ne l’ai pas achevé sans le faire approuver. - Scipion l’Africain dut son courage à son génie, sa gloire à son courage, et ses rivaux à sa gloire. - L’empire de la Grèce appartint aux Athéniens ; les Spartiates soumirent les Athéniens ; les Thébains furent vainqueurs de Lacédémone ; les Macédoniens triomphèrent des Thébains et ajoutèrent bientôt la conquête de l’Asie à l’empire de la Grèce. » La fréquente répétition du mot qui précède n’est pas sans agrément, et cette répétition est le propre de cette sorte de figure.

La Définition embrasse d’une façon rapide et complète, les qualités particulières d’un objet ; par exemple : « La majesté de la république, c’est ce qui fait la dignité et la grandeur de Rome. - J’entends par injures toute voie de fait, toute voie de fait, toute parole outrageante, toute atteinte porté à l’honneur de quelqu’un. — Ce n’est pas là de l’économie, c’est de la cupidité ; car l’économie consiste à conserver soigneusement ce qu’on possède ; mais l’avidité nous porte à désirer injustement le bien d’autrui. — Ce n’est pas du courage, c’est de la témérité ; le courage, en effet, méprise les fatigues et les dangers pour un motif utile, pour un avantage certain ; la témérité brave les fatigues sans raison et s’expose aux périls à la façon des gladiateurs. » Ce qui fait l’avantage de cette figure, c’est qu’elle donne une idée si claire, si rapide et si complète de l’objet défini et de ses propriétés, qu’il semblerait inutile d’en dire davantage et impossible de parler plus clairement.

XXVI. On appelle Transition la figure au moyen de laquelle on fait voir en peu de mots ce qu’on a dit, et l’on annonce brièvement ce que l’on va dire. Par exemple : « Vous savez comment il s’est conduit envers sa patrie ; considérez maintenant ce qu’il a été envers sa famille. — Vous connaissez les bienfaits dont je l’ai comblé ; apprenez maintenant la reconnaissance qu’il m’en a montrée. » Cette figure a donc le double avantage pour l’orateur de rappeler ce qu’il a dit, et de préparer l’auditoire à ce qui va suivre.

La Correction revient sur ce qui a été dit, et le remplace par quelque chose qui va mieux au but. Exemple : « S’il en avait prié ses hôtes ; ou plutôt, s’il leur avait seulement fait un signe, il eût facilement réussi. — Quand ils furent vainqueurs, ou, pour mieux dire, vaincus, car comment donner le nom de victoire à une action qui a été plus funeste qu’avantageuse à ceux qui ont triomphé ? — Ô envie, compagne de la vertu, qui suis presque toujours, que dis-je ? qui persécutes les gens de bien ! » Ce genre de figure fait impression sur l’esprit de l’auditeur. En effet, la chose exprimée en termes ordinaires, semble indiquée seulement ; mais le retour de l’orateur sur lui-même la rend plus frappante à cause du ton qu’il y met. Ne vaudrait-il pas mieux, dira-t-on, surtout quand on écrit, employer dès l’abord le mot le meilleur et le mieux choisi ? Non sans doute, s’il doit être prouvé par ce changement dans les mots que la pensée, rendue par le mot propre, n’aurait aucun poids, et qu’avec le secours d’une expression plus choisie, elle devient plus frappante. Arrivez tout de suite à cette expression, et rien ne fera ressortir ni la pensée ni le langage.

XXVII. La Prétérition, est une figure par laquelle l’orateur prétend qu’il passe sous silence, ou qu’il ignore, ou qu’il ne veut pas dire une chose qu’il dit en effet. Par exemple : « Je parlerais de votre jeunesse passée dans tous les genres de désordres, si je le croyais nécessaire en ce moment ; mais je me tais à dessein. Je ne veux pas rappeler non plus que les tribuns vous ont accusé d’avoir abandonné vos drapeaux ; je crois aussi sans objet de parler de la réparation que vous avez été forcé de faire à Labéo ; je passe tout cela sous silence, et je reviens à ce qui fait le fond du procès. — Je ne dis pas que vous avez reçu de l’argent des alliés, que vous avez pillé les cités, les royaumes, les maisons de tous les particuliers ; je me tais sur vos rapines et vos brigandages. » Cette figure est utile dans le cas où l’on veut indiquer d’une manière détournée une chose, qui ne doit pas être montrée à découvert ; ou bien qui est trop longue, trop peu noble, trop difficile à prouver, ou trop facile à réfuter. Il y a plus d’avantage alors à faire naître un soupçon par des mots couverts, qu’a s’avancer pour une chose qui serait susceptible de contestation.

Il y a Disjonction, lorsque l’une et l’autre, ou chacune des choses dont on parle, est déterminée par un mot à part ; ainsi : « Le peuple romain a détruit Numance, anéanti Carthage, renversé Corinthe, ruiné Frégelles. Les Numantins n’ont point trouvé de secours dans leurs forces corporelles ; les Carthaginois n’ont tiré aucune force de leurs connaissances dans l’art militaire ; toutes les ruses de la perfidie n’ont pu sauver Corinthe ; Frégelles n’a pas été protégée par sa communauté de mœurs et de langage avec les Romains. — La beauté se flétrit par la maladie, ou s’éteint par la vieillesse. » Chacun des deux membres de ce dernier exemple, comme tous ceux de l’exemple précédent, sont caractérisés, on le voit, par un mot particulier.

La Conjonction réunit par un mot les différentes parties d’une proposition ; par exemple : « La beauté se flétrit ou par la maladie ou par la vieillesse. »

L’Adjonction consiste, au contraire, à placer le premier, ou le dernier, le mot dans lequel se résume la pensée ; le premier, comme dans cette phrase : « Deflorescit formœ dignitas aut morbo, aut vetustate. » Le dernier, comme dans celui-ci : « Aut morbo, aut vetustate formae dignitas deflorescit. » Cette figure affecte la grâce : aussi doit-on l’employer rarement, de peur qu’elle ne paraisse monotone. La conjonction donne de la rapidité ; l’on peut en faire un plus fréquent usage. Ces trois figures appartiennent à une même classe.

XXVIII. La Conduplication est la répétition du même mot ou de plusieurs mots, soit pour amplifier, soit pour émouvoir. Par exemple : « Les Gracques, oui, les Gracques excitent des guerres domestiques au sein de Rome. - Vous n’avez pas été attendri, lorsque votre mère embrassait vos genoux ; vous n’avez pas été attendri. - Osez-vous paraître encore aux yeux de vos concitoyens, vous, traître à la patrie : oui, traître à la patrie ! osez-vous soutenir encore leur présence ? » Cette répétition du même mot émeut vivement l’auditeur, et porte une blessure plus profonde à l’adversaire ; c’est comme un glaive que l’on plonge plusieurs fois au même endroit. L’Interprétation, au lieu de reproduire le même mot, le remplace par un autre qui a la même signification. Par exemple : « Vous avez renversé la république de fond en comble ; vous avez enseveli l’État sous ses ruines. - Vous avez indignement frappé votre père, vous avez porté sur l’auteur de vos jours une main criminelle. » - L’âme de l’auditeur est nécessairement émue par cette figure qui renouvelle l’impression produite par le premier mot, en l’interprétant au moyen d’un second.

La Commutation sert à transposer deux pensées contraires, de telle façon que la seconde paraisse déduite de la première, tandis qu’elle la contredit. Ainsi dans ces exemples : « Il faut manger pour vivre, et non pas vivre pour manger. » — « Je ne fais pas de vers, parce que je ne peux pas en faire comme je veux ; et que je ne veux pas en faire comme je peux. » — « Ce qu’on dit de lui ne se peut dire, et ce qu’on en pourrait dire ne se dit pas. » — « Si un poème est une peinture parlante, la peinture doit être un tableau muet., » — « C’est parce que vous êtes un sot, que vous vous taisez, mais vous n’êtes pas un sot, de vous taire. » On ne saurait dire quel agrément il résulte de cette transposition de pensées contraires, lorsque les mots eux-mêmes sont transposés ainsi. Cette figure étant difficile à rencontrer, j’en ai cité plusieurs exemples, afin de la bien faire concevoir, et de la rendre par là d’un usage plus facile.

XXIX. La Permission est une figure par laquelle nous déclarons que nous nous en remettons entièrement à la volonté de l’auditoire. Par exemple : « Puisque j’ai tout perdu et qu’il ne me reste — de tout ce que je possédais que mon corps et mon âme, je vous les abandonne encore, je les remets en votre pouvoir. Vous en userez ou en abuserez impunément à votre gré : prononcez comme vous le voudrez sur mon sort ; parlez, je me soumets. » Cette figure qui peut m’employer dans plus d’un cas, est propre surtout à exciter la compassion.

Au moyen de la Dubitation, l’orateur semble chercher entre deux ou plusieurs choses celle qu’il doit dire de préférence. Ainsi : « La république eut beaucoup à souffrir alors, dois-je dire — par l’incapacité ou par la perversité des consuls, ou plutôt par l’une et par l’autre à la fois. Vous avez osé tenir ce langage, ô vous, de tous les hommes le plus…. Car je me sais quel nom vous donner qui soit digne de vos mœurs. »

L’Énumération, après avoir compté tous les motifs qui rendent une chose possible ou impossible, et les avoir successivement détruits, n’en conserve qu’un seul qu’elle fait valoir, comme dans cet exemple : « Puisqu’il est constant que ce fond m’appartenait, il faut prouver ou que vous en avez pris possession lorsqu’il était abandonné, ou qu’il vous est acquis par prescription, ou que vous l’avez acheté, ou que vous l’avez reçu en héritage. Or, vous n’avez pu vous en rendre maître comme d’une chose abandonnée, puisque je n’étais point absent : la prescription ne peut pas vous être acquise encore ; rien ne prouve que vous l’ayez acheté ; un héritage ne vous l’a pas livré de mon vivant. Il en résulte donc que c’est par la violence que vous m’en avez chassé. » Cette figure est d’un grand secours dans la discussion des questions de fait : mais nous ne devons pas en user à notre gré, comme nous faisons des autres ; il ne faut l’employer que quand la nature même du sujet nous y autorise.

XXX. La Dissolution supprime les particules conjonctives, et sépare les membres de la phrase ; par exemple : « Suivez la volonté de votre père ; obéissez à vos parents ; cédez à vos amis ; soumettez-vous aux lois, » — « Présentez une défense complète ; ne refusez aucun moyen de justification ; faites appliquer vos esclaves à la torture ; étudiez-vous à découvrir la vérité. » Cette figure a quelque chose de piquant, de vif et de rapide.

Il y a Réticence, lorsqu’après avoir dit quelques mots, on s’arrête sans achever, et en laissant le reste à l’intelligence des auditeurs. Ainsi : « Notre différend ne vient pas de ce que le peuple romain m’a…. Je m’arrête, de peur d’être taxé de vanité ; quant à vous, il vous a jugé digne de mépris. » - « Osez-vous parler ainsi maintenant, vous qui dernièrement dans une maison étrangère… je n’ose achever, de peur que ce que vous faites, en passant par ma bouche, ne paraisse indigne de moi. » Dans ce cas un soupçon tacite fait plus de mal qu’une chose longuement expliquée.

La Conclusion argumente, en peu de mots, de ce qui a été dit ou fait précédemment, pour en tirer une conséquence nécessaire ; par exemple : « Puisque l’oracle avait prédit aux Grecs que Troie ne pouvait être prise sans les flèches de Philoctète, et que les flèches n’ont servi qu’à frapper Pâris, la prise de Troie, c’était donc la mort de Pâris. »

XXXI. Reste encore dix figures de mots, que nous n’avons pas dispersées çà est là, mais au contraire séparées des autres, parce qu’elles appartiennent toutes à la même espèce. Toutes ont en effet ce caractère particulier, qu’elles détournent les mots de leur signification ordinaire, pour leur en donner une différente qui ajoute à l’élégance du style.

La première est l’Onomatopée ; c’est par elle qu’une chose qui n’a pas un nom ou dont le nom ne lui est pas assez propre, est désignée pu un mot nouveau imitatif ou expressif. Les mols imitatifs ont été créés par nos ancêtres, tels que ceux-ci : 'rudere, vagire, mugire, murmurare., siblare. Voici un exemple de mots énergiques : Postquam iste in rempublicam fecit impetum, fragor civitatis in primis est auditus. On doit se servir rarement de cette figure, de peur que ces continuelles innovations ne déplaisent à l’auditeur ; mais si l’on en fait un usage convenable et peu fréquent, cette nouveauté, loin d’être fatigante, devient un ornement.

L’Antonomase désigne par une espèce de surnom étranger ce qu’on ne peut pas appeler par son nom propre ; ainsi, par exemple, en parlant des Gracques, un orateur dira : « Mais, répondra-t-on, les petits-fils de l’Africain ne se conduisirent pas de la sorte. » Ou bien, il dira de son adversaire : « Videte nunc, judices, quemadmodum me Plagiosippus iste tractant. » On peut, au moyen de cette figure, donner à l’éloge ou au blâme une tournure élégante, en se servant au lieu du nom propre, d’un surnom pris de quelque qualité du corps ou de l’esprit, ou de quelque objet extérieur.

XXXII. La Métonymie a recours pour désigner une chose dont elle rejette le nom propre, à un mot tiré d’un objet qui présente avec elle quelque rapport intime. Tantôt elle remplace le nom de l’inventeur par celui de l’invention ; par exemple, en parlant de Tarpeius, on l’appellera Capitolin. Tantôt elle prend celui de l’inventeur pour le donner à la chose inventée ; ainsi, Bacchus pour le vin, Cérès pour le blé. D’autres fois on prend l’arme pour celui qui s’en sert : comme si, pour désigner les Macédoniens, on disait : « La Grèce ne fut pas aussi rapidement conquise par les sarisses. » Ou bien, en parlant des Gaulois : « On ne chassa pas aussi facilement de l’Italie les matères gauloises. » Elle prend encore la cause pour l’effet, quand elle dit ce qu’un homme a fait pendant la guerre : « Mars vous a contraint à en agir ainsi. » Ou l’effet pour la cause ; par exemple, on appelle un art oisif, celui dont l’oisiveté est la suite ordinaire ; on dit que le froid est paresseux, parce qu’il rend paresseux. Elle prend le contenant pour le contenu ; par exemple, « L’Italie ne peut être vaincue dans la guerre, ni la Grèce dans les arts. » La Grèce et l’Italie sont ici pour les Grecs et les Romains qui les habitent. Ou le contenu pour le contenant, comme quand on désigne les richesses par ces mots, l’or, l’argent, l’ivoire. Il est plus difficile d’établir une division exacte de toutes ces métonymies, que d’en trouver ou d’en inventer des exemples ; car l’usage en est continuel non seulement dans les poètes et les orateurs, mais encore dans le langage de la conversation.

La Périphrase consiste à prendre un détour pour exprimer une pensée toute simple, par exemple : « La prudence de Scipion a brisé la puissance de Carthage. » Car si l’on n’avait pas eu pour but d’embellir la phrase, on pouvait dire simplement : Scipion et Carthage.

La Transgression change l’ordre des mots en les renversant ou en les transposant. En les renversant, par exemple : « Hoc vobis deos immortales arbitror dedisse pietate pro vestra. » En les transposant, par exemple : « Instabilis in istam plurimum fortuna valuit. » Ou bien encore : « Omnes invidiose eripuit tibi bene vivendi casus facultates. » Si ces transpositions ne rendent pas le sens obscur, elles seront très favorables aux continuations, dont nous avons parlé plus haut ; mais il faut que la construction des mots ait quelque chose de l’harmonie poétique, pour que la période soit aussi parfaite, aussi arrondie que possible.

XXXIII. L’Hyperbole est une figure qui va au delà ou reste en deçà de la vérité. Elle a lieu absolument ou par comparaison. Absolument, comme dans ce cas : « Si nous restons unis, nous mesurerons l’étendue de notre empire par l’espace que parcourt le soleil de son lever à son coucher. » L’hyperbole fondée sur la comparaison, établit ou une égalité ou une supériorité ; une égalité : « Son corps était blanc comme la neige, son regard ardent comme le feu. » Une supériorité : « Il sortait de sa bouche des paroles plus douces que le miel. » Voici une autre hyperbole du même genre : « Tel était l’éclat de ses armes, que la splendeur du soleil en semblait obscurcie. »

La Synecdoche prend le tout pour la partie, ou la partie pour le tout. La partie pour le tout : « Ces flûtes nuptiales ne te rappellent-elles pas ce mariage ? » Ici, toute la cérémonie sacrée des noces est représentée à l’esprit par le nom d’un seul instrument. Le tout pour la partie ; dans le cas, par exemple, où l’orateur reprochant à quelqu’un la somptuosité de ses vêtements, lui dirait : « Vous m’étalez vos richesses, vous m’éblouissez de votre opulence. » La même figure emploie aussi le singulier pour le pluriel : « Le Carthaginois a reçu des secours de l’Espagnol, et du farouche Gaulois ; il n’est pas en Italie même un seul Romain qui n’ait ressenti l’effet de cette alliance. » Ailleurs, elle prend le pluriel pour le singulier ; par exemple : « Une affreuse calamité remplissait tous les cœurs de chagrin ; les poitrines respiraient avec peine sous le poids de l’angoisse. » Dans l’exemple précédent, on voulait dire les Espagnols, les Gaulois, les Romains ; ici, le cœur, la poitrine. Le singulier donne de l’élégance ; le pluriel ajoute de l’énergie.

La Catachrèse est une figure qui, par une sorte d’abus, substitue au mot propre un autre mot qui en approche pour le sens. Par exemple : « Vires hominis breves sunt ; parva statura ; longum in homme consilium ; oratio magna ; uti pauco sermone. » Il est facile de voir que c’est par un abus de langage que l’on a emprunté des mots d’une signification différente, mais voisine de celle qu’on veut exprimer.

XXXIV. La Métaphore transporte un mot de son sens propre à un autre sens qui paraît lui convenir par comparaison. On s’en sert pour mettre en quelque sorte la chose sous les yeux. Par exemple : « Ce bruit de guerre éveilla tout à coup l’Italie épouvantée. » Pour rendre la pensée plus concise : « L’arrivée subite de d’armée éteignit aussitôt le feu qui s’était allumé dans Rome. » Pour éviter de dire une chose obscène : « Celui dont la mère fait chaque jour un nouveau mariage. » Pour amplifier : « Il n’y a pas de gémissement, pas d’infortune qui ait pu apaiser la colère de ce barbare, ni assouvir son horrible cruauté. » Ou, pour diminuer : « Il se vante d’avoir n été d’un grand secours, parce que, dans les circonstances difficiles, il a aidé d’un faible souffle la marche de notre navire. »

Pour orner le style : « Les vertus des gens de bien feront reverdir un jour le tronc de l’État, que les crimes des méchants ont desséché. » Il faut mettre de la réserve dans la métaphore ; le rapport sur lequel elle se fonde doit être assez marqué, pour qu’on ne puisse y critiquer ni mauvais goût, ni témérité, ni prétention.

La Permutation consiste à donner à la pensée un sens différent de celui des mots. Elle prend trois formes ; celle d’une ressemblance, celle d’une invective, celle d’une opposition. Elle se présente sous la forme d’une ressemblance, lorsqu’on se sert d’une ou de plusieurs métaphores simples : par exemple : « Si les chiens font l’office de loups, à quelle garde confierons-nous les troupeaux ? » Celle d’une invective, lorsque la comparaison est prise d’une personne, d’un lieu ou d’un objet quelconque, pour exagérer ou pour affaiblir : « Comme si vous appeliez Drusus, Gracchus, un Numitor suranné. » Celle d’une opposition, si vous donnez par ironie le nom d’économe et de sage à un homme prodigue et débauché. Dans ce dernier exemple, pris d’une opposition, et dans le premier, pris d’une comparaison, l’invective naît de la permutation. Dans la comparaison, par exemple : « Que dit ce roi, notre Agamemnon, ou plutôt, tant est grande sa barbarie, notre Atrée ? » Dans l’opposition : « Appelez un Énée le scélérat qui aura frappé son son père, un Hippolyte l’homme intempérant et adultère. » Voilà à peu près ce que nous avions a dire sur les figures de mots ; nous allons nous occuper à présent des figures de pensées.

XXXV. La Distribution est une figure par laquelle on établit dans certains cas une division de personnes ou de choses, comme dans ces exemples : « Ceux d’entre vous, juges, qui ont de l’affection pour le sénat, doivent détester cet homme, puisqu’il s’est toujours montré l’ennemi le plus passionné du sénat. Ceux qui désirent que l’ordre équestre brille dans Rome d’un vif éclat, doivent demander le sévère châtiment d’un misérable dont la honte souillerait d’une tache de mépris cette classe honorable. Vous tous qui avez des parents, montrez par son supplice que vous êtes sans pitié pour les fils sacrilèges. Vous qui avez des enfants, montrez-leur par un exemple quels châtiments Rome tient en réserve pour des hommes tels que lui. » — « C’est le devoir du sénat d’aider la république de ses conseils ; c’est le devoir des magistrats d’exécuter avec zèle et fidélité la volonté des sénateurs : c’est le devoir du peuple, de donner son approbation et ses suffrages aux meilleures lois, et aux citoyens les plus dignes. — L’accusateur a pour office de dénoncer les crimes ; le défenseur, de les combattre et de les réfuter ; le témoin de dire ce qu’il sait ou ce qu’il a entendu ; le président de contenir chacun d’eux dans les bornes de son devoir. C’est pourquoi, L. Cassius, si vous souffrez qu’un témoin aille au delà de ce qu’il sait, ou de ce qu’il a entendu, et fasse part de ses conjectures, vous confondrez ses « droits avec ceux de l’accusateur, vous encouragerez la cupidité d’un témoin criminel, vous mettrez l’accusé dans la nécessité de se défendre contre deux accusations. » Cette figure féconde le discours, car elle comprend beaucoup en peu de mots, et en donnant à chaque chose son emploi, elle divise et distingue toutes les parties du tout.

XXXVI. La Licence est une figure où l’orateur, sans offenser ceux qu’il doit respecter ou craindre, ni ceux qui leur sont chers, use de son droit pour leur reprocher des fautes qu’il se croit fondé à relever. Par exemple : « Vous vous étonnez, Romains, que vos intérêts soient abandonnés par tout le monde ; que personne n’embrasse votre cause, et ne se déclare votre défenseur ? Ne vous en prenez qu’à vous-mêmes, et cessez d’en être surpris. Comment, en effet, chacun ne devrait-il pas vous fuir et vous éviter ? Souvenez-vous de ceux qui nous ont porté secours ; rappelez-vous leur dévouement ; et considérez ensuite comment ils en ont été récompensés. Alors vous reconnaîtrez, pour vous parler sans détour, que votre insouciance, ou plutôt votre lâcheté les a laissé massacrer sous vos yeux ; tandis que leurs ennemis sont arrivés, par vos suffrages, au faite des honneurs. »… Voici un autre exemple : « Juges, quel motif avez-vous eu pour hésiter à prononcer votre sentence, et pourquoi renvoyez-vous l’affaire à plus ample information ? Les preuves du crime n’étaient-elles pas assez manifestes ? Les dépositions des témoins ne les confirmaient-elles pas toutes ? ses réponses n’ont-elles pas été d’une faiblesse puérile ? avez-vous craint de passer pour des hommes cruels en condamnant le coupable dès la première audience ? Mais en voulant échapper à un reproche qu’on aurait été bien loin de vous faire, vous avez mérité celui de faiblesse et de lâcheté ; vous avez laissé fondre sur vous et sur l’État les plus grandes calamités ; et lorsque des maux plus affreux vous menacent, toujours nonchalants, vous hésitez, vous balancez encore. Le jour, vous attendez la nuit ; la nuit, vous attendez le jour. Chaque instant vous apporte quelque nouvelle funeste ; et vous laissez parmi vous, vous pourrissez dans votre sein l’artisan de tous vos maux ; vous retenez dans Rome, tant que vous le pouvez, le fléau de la patrie. »

XXXVII. Si la Licence paraît avoir trop d’aigreur dans cette forme, il y a plusieurs corrections qui en adoucissent l’effet : on peut, aussitôt après, ajouter ces paroles : « Je cherche ici votre vertu, je redemande en vain votre sagesse, je regrette votre prudence habituelle. » Par là, les impressions trop vives du reproche sont tempérées par celles de la louange ; d’un côté, l’on prévient le mécontentement et la colère ; de l’autre, on préserve d’une faute. Ces précautions.ont pas moins de succès dans le discours que dans le commerce de l’amitié ; lorsqu’on les place à propos, elles ont le grand avantage d’empêcher l’auditeur de commettre une faute, et de montrer dans l’orateur une affection égale pour ceux qui l’écoutent et pour la vérité.

Il y a une espèce de Licence, qui exige une plus grande habileté ; c’est celle qui consiste à reprendre ceux qui nous écoutent, de la manière dont ils veulent qu’on les reprenne ; ou à paraître craindre qu’on ne reçoive mal ce que nous savons bien qu’ils écouteront avec plaisir ; et toutefois à déclarer que les intérêts de la vérité nous forcent à parler. Exemple du premier cas : « Vous êtes, Romains, d’un caractère trop simple et trop facile ; vous avez trop de confiance au premier venu, vous croyez que chacun s’efforce de tenir fidèlement les promesses qu’il vous a faites. Vous vous trompez, et vous laissez abuser depuis longtemps par de fausses espérances. C’est un excès de bonté qui vous a fait demander aux autres, ce qu’il était en votre pouvoir de faire, au lieu de ne vous en rapporter qu’à vous-mêmes. » Exemple du second cas : « Juges, cet homme fut mon ami, mais cette amitié, je dois le dire au risque de vous déplaire, c’est vous qui en avez brisé les nœuds, comment ? c’est que, jaloux de conserver votre approbation j’ai mieux aimé avoir pour ennemi que pour ami celui qui se déclarait contre vous. » Cette figure, appelée Licence, peut donc être traitée de deux manières, comme nous venons de le voir ; ou par le reproche, dont la louange adoucira l’aigreur ; ou par cette sorte de détour dont nous venons de donner des exemples, et qui dispense d’adoucir les expressions, puisque, sous le voile de la Licence, ce n’est qu’un moyen de se prêter aux dispositions de l’auditeur.

XXXVIII. La Diminution s’emploie lorsque l’orateur est forcé de parler de l’heureux naturel, des avantages, des talents qui lui sont propres ou qui distinguent ses clients. Alors, pour ne pas en faire une vaine parade, il se sert d’expressions qui atténuent l’éloge ; par exemple : « J’ai le droit de le dire, juges, je me suis efforcé, par mon zèle et par mon travail, de ne pas être le moins instruit de mes concitoyens dans l’art militaire. » Si l’orateur avait dit, le plus instruit de tous, eût-il dit vrai, on l’aurait accusé d’arrogance. De cette manière, au contraire, il a dit ce qu’il fallait pour éviter le reproche d’orgueil, et pour se rendre recommandable. — Autre exemple : « Est-ce donc l’avarice ou le besoin qui l’a poussé vers le crime ? L’avarice ! mais il s’est montré prodigue envers ses amis ; et cette libéralité ne s’allie point à l’avarice. La pauvreté ! mais son père (je ne veux rien exagérer) ne lui a pas laissé un mince héritage. » Ici l’orateur évite encore de dire un riche ou un très riche héritage. Telle est la précaution que nous devrons prendre quand nous aurons à parler de nos avantages ou de ceux dont nous défendrons la cause. Car ces éloges qui blessent dans le commerce de la vie, ne sont pas moins odieux dans le discours, si l’on n’y met pas de la discrétion. Dans la société, l’on évite de déplaire par la circonspection ; dans le discours, on se met à l’abri de l’envie par la mesure.

XXXIX. On appelle Description une figure qui présente un tableau clair, frappant, énergique des circonstances et des suites d’un fait. Par exemple : « Si votre sentence, juges, rend cet homme à la liberté, aussitôt, semblable à un lion sorti de son antre, ou à une bête farouche qui a brisé ses chaînes, il s’élancera dans la place publique, la parcourra dans tous les sens, aiguisant ses dents cruelles, attaquant toutes les fortunes ; se jetant sur ses amis et sur ses ennemis, sur ceux qu’il connaît comme sur ceux qu’il ne connaît pas ; ravissant la réputation des uns, menaçant la vie des autres, violant l’asile de nos maisons, portant le trouble dans toutes nos familles et le ravage dans la république entière ! Chassez-le donc de Rome, juges, délivrez-nous de la frayeur qu’il nous inspire, songez enfin à votre propre salut. Car, si vous le renvoyez impuni, c’est une bête farouche et dévorante que vous déchaînez, croyez-moi, contre vous !… » Ou bien : « Si vous portez contre cet homme une sentence funeste, juges, vous ôtez la vie par un seul arrêt à un grand nombre de personnes. Un père accablé d’années, qui fondait sur la jeunesse de son fils toute l’espérance de sa vieillesse, n’aura plus de motifs qui le retiennent à la vie. Des enfants en bas âge, privés du secours de leur père, resteront exposés sans défense aux outrages et aux dédains des ennemis de leur famille. Toute une maison tombera sous le poids de cet horrible malheur ; et aussitôt ses adversaires, fiers de cette palme sanglante, de cette cruelle victoire, insulteront à sa misère, et la poursuivront sans pitié, en action et en paroles. » — Autre exemple : « Aucun de vous, Romains, n’ignore les malheurs qui fondent d’ordinaire sur une ville prise d’assaut. Ceux qui ont porté les armes, sont aussitôt cruellement égorgés ; ceux à qui leur âge et leurs forces permettent de supporter le travail sont traînés en esclavage ; ceux qui en sont incapables sont mis à mort ; en même temps, les maisons sont incendiées par les vainqueurs ; ils séparent ceux qu’avaient unis la nature ou les liens de l’amitié ; les enfants sont arrachés des bras de leur famille ; les uns sont égorgés sur le sein de leurs mères, les autres déshonorés sous leurs regards. Personne, juges, ne saurait reproduire fidèlement ce tableau ; il n’y a pas de paroles qui puissent égaler de si grands . » malheurs. » Cette figure est propre à faire naître l’indignation on la pitié, lorsque toutes les suites d’un fait, ainsi rassemblées, forment une peinture frappante et rapide.

XL. La Division, séparant une pensée d’une autre, les complète toutes deux par la réponse qu’elle y joint ; par exemple : « Pourquoi vous adresserais-je maintenant des reproches ? si vous êtes un homme de bien, vous ne les avez pas mérités ; si vous êtes un méchant, vous y serez insensible. — À quoi bon vous faire aujourd’hui valoir mes services ? si vous vous les rappelez, ce récit vous fatiguerait ; si vous les avez oubliés, mes paroles auront-elles plus d’effet que mes actions ? — Deux choses peuvent pousser les hommes à chercher des gains illégitimes ; la misère et l’avarice. Vous vous êtes fait connaître pour un avare dans votre partage avec votre frère, et nous vous voyons maintenant dans le dénuement et l’indigence. Comment donc nous prouver qu’il n’y avait pour vous aucun motif de commettre le crime ? » Il faut distinguer cette division de celle qui forme la troisième partie de la composition oratoire, et dont nous avons parlé dans le premier Livre à la suite de la narration. L’une fait l’énumération ou l’exposition des choses qui doivent entrer dans le discours ; l’autre se développe à l’instant, et en détachant du discours deux ou plusieurs parties dont elle tire la conclusion, elle remplit le rôle d’une figure d’ornement.

L’Accumulation rassemble les arguments épars dans toute la cause, pour donner plus de poids, plus de véhémence à l’accusation, et la rendre plus accablante. Ainsi : « De quel vice est-il exempt ? Pour quel motif, juges, voudriez-vous l’absoudre ? Il a trahi son propre honneur et porté atteinte à celui des autres ; nous l’avons vu avide, intempérant, audacieux, superbe ; impie envers ses parents, ingrat envers ses amis, dédaigneux pour ses égaux, cruel avec ses inférieurs, insupportable enfin à tout le monde ! »

XLI. Il y a une accumulation du même genre, très utile dans les questions de fait, au moyen de laquelle on rapproche des soupçons qui, séparés, sont légers et faibles ; rassemblés, rendent le fait non plus douteux, mais évident. Par exemple : « Veuillez, juges, veuillez considérer, non pas séparément, les indices dont j’ai parlé, mais les réunir et n’en former qu’un faisceau ; vous y trouverez la preuve que l’accusé trouvait un avantage à la mort de cet homme ; que sa vie est pleine d’infamies, qu’il aime l’argent, qu’il a dissipé son patrimoine, et que ce crime n’a pu profiter qu’à lui seul ; que personne ne pouvait le commettre aussi facilement, et que lui-même ne pouvait s’y prendre d’une façon plus propre à le faire réussir ; qu’il n’a rien oublié de ce qui pouvait être nécessaire pour un assassinat ; qu’il n’a rien fait de ce qui n’y pouvait pas servir ; le lieu était le mieux choisi pour l’attaque ; l’occasion la plus favorable, le moment le plus propice, le temps le plus long qu’il a fallu. Il avait l’espoir le plus fondé d’exécuter le crime sans être découvert. Ajoutez qu’avant l’assassinat, il a été vu seul sur le lieu même qui en a été le théâtre ; à l’instant même du meurtre, la voix de la victime a été entendue ; le jour de cette scène tragique, il est prouvé qu’il est rentré dans sa maison bien avant dans la nuit ; le lendemain il a hésité, il s’est contredit en parlant de cette mort ; toutes ces circonstances résultent en partie des dépositions des témoins, en partie de la question et des preuves, et de la rumeur publique qui, appuyée de preuves, doit être l’expression de la vérité. C’est à vous, juges, de les réunir pour arriver à la certitude du crime, et non pas à des conjectures. Car le hasard peut faire tourner une ou deux circonstances contre l’accusé ; mais lorsqu’elles s’accordent toutes depuis la première jusqu’à la dernière, il est impossible que ce soit là l’ouvrage du hasard. » Cette figure a de la véhémence, et l’emploi en est presque toujours nécessaire dans les causes conjecturales ; on peut aussi s’en servir quelquefois dans les autres genres, et dans toutes sortes de discours.

XLII. L’Exposition, est une figure au moyen de laquelle on s’arrête sur la même pensée, tout en ayant l’air d’en exprimer de nouvelles. Elle se présente sous deux formes, suivant que l’on répète en effet la même chose, où que l’on parle de la même manière. On répète la même chose, non pas de la même manière (car ce serait fatiguer l’auditeur, et non pas polir le discours), mais avec des changements. Ces changements se font dans les expressions, ou dans le débit, ou dans le tour de la phrase. On change la pensée par l’expression, lorsqu’après avoir dit une chose, on la reproduit une ou plusieurs fois dans des termes équivalents ; par exemple : « Il n’est pas de si grand péril, auquel le sage ne consente à s’exposer pour le salut de la patrie. Toutes les fois qu’il s’agira d’assurer le salut de ses concitoyens, l’homme doué de nobles sentiments ne pensera pas à refuser le sacrifice de ses jours pour la fortune de l’État ; il persistera dans sa résolution de prouver son attachement à son pays, quelques dangers qui le menacent lui-même. » On changera la pensée par la prononciation, si, dans le ton simple, ou dans le ton véhément, ou dans toute autre modification de la voix et du geste, à mesure que l’on change l’expression de la pensée, on change aussi d’une façon très marquée le débit. Il n’est pas facile de tracer des règles à cet égard ; mais la chose se comprend bien, et n’a pas besoin d’exemples. La troisième espèce de changement consiste dans le tour de la phrase, à laquelle on peut donner la forme du dialogisme ou celle de l’interrogation.

XLIII. Le Dialogisme, dont nous parlerons tout à l’heure avec plus de détail, et qu’il suffit maintenant, pour notre objet, de faire connaître en peu de mots, est une figure qui introduit le raisonnement qu’a due se faire à elle-même la personne dont on parle. Pour la mieux faire comprendre, je reviendrai à l’exemple précédent : « Le sage qui croira devoir braver tous les dangers pour le bien de la république, se dira souvent à lui-même : « Ce n’est pas pour moi seul que je suis né, c’est bien plus encore pour ma patrie. Cette vie dont le destin disposerait, ne vaut-il pas mieux en faire le sacrifice à ma patrie ? Ma patrie m’a nourri, elle m’a fait vivre jusqu’à présent sous son honorable protection ; elle a garanti mes intérêts par des lois sages, de bonnes mœurs, d’excellentes institutions. Puis-je lui n témoigner assez de reconnaissance pour tant de bienfaits ? C’est parce que le sage se fait ce raisonnement, que souvent, dans les dangers de la république, j’ai affronté moi-même tous les périls. » On varie aussi la pensée par le ton de la phrase, en lui donnant la forme de l’interrogation, lorsque nous paraissons assez vivement émus nous-mêmes pour émouvoir les autres. Par exemple : « Quel est l’homme assez dépourvu de sentiments, dont l’âme soit assez rétrécie par l’envie, pour ne pas se faire un plaisir de combler d’éloges et de regarder comme le plus sage des hommes, celui qui, pour le salut de la patrie, pour la conservation des citoyens, pour les destinées publiques, s’expose courageusement aux plus grands dangers, et s’y précipite avec plaisir ? Quant à moi, je ne puis réussir à louer un tel homme autant que je le voudrais, et je suis sûr que vous ressentez tous la même impuissance. »

On peut donc dire la même chose de trois manières différentes ; l’expression, la prononciation, le tour de la phrase ; ce dernier sous la forme du dialogisme ou de l’interrogation. Mais quand on veut parler de la même chose, il y a d’autres moyens de varier le discours. Lorsque nous aurons exposé simplement notre pensée, nous pourrons l’appuyer d’une preuve ; puis, sans donner, ou en donnant de nouvelles raisons, prononcer une sentence, et la faire suivre des contraires (ce dont nous avons parlé dans les figures de mots). Nous emploierons ensuite la similitude et l’exemple, dont nous développerons les règles à leur tour ; et enfin la conclusion, sur laquelle nous avons donné, dans le second Livre, tous les détails nécessaires, en faisant voir comment il fallait conclure une argumentation. Nous avons dit dans ce Livre même de quelle nature est la figure de mots que l’on nomme la Conclusion.

XLIV. L’Exposition peut donc recevoir un grand ornement de la réunion des figures de mots et de pensées ; elle peut d’ailleurs avoir sept parties. Mais je ne sortirai pas de mon précédent exemple, afin de vous faire voir avec quelle facilité une idée simple se multiplie au moyen des préceptes de l’art, « Le sage ne reculera devant aucun danger pour le service de la république, parce qu’il est arrivé souvent que celui qui n’a pas voulu donner sa vie pour elle, a péri avec elle. Et puisque c’est de la patrie que nous avons reçu tous les biens que nous possédons, aucun sacrifice qui peut lui profiter ne doit nous paraître pénible. C’est donc une folie de fuir devant le danger auquel la patrie nous appelle, car on n’évite pas les maux qu’on a redoutés, et l’on fait preuve d’ingratitude. Mais ceux qui s’associent aux périls de la patrie, méritent le nom de sages ; ils rendent à la république l’hommage qu’ils lui doivent ; et aiment mieux mourir pour tous que de mourir avec tous. Ne serait-il pas souverainement injuste en effet, de rendre à la nature, qui vous l’arrache, cette vie qu’elle ne vous a donnée que pour la mettre au service de la patrie, et de la refuser n à la patrie, qui vous la demande ? Quand vous pouvez mourir pour la république, avec courage et avec gloire, vous aimeriez mieux devoir à votre lâcheté une vie ignominieuse ! Vous consentiriez à vous exposer, pour vos amis, pour vos parents, pour tous ceux qui vous sont chers, et vous refusez ce sacrifice à la république, qui renferme tous les objets de vos affections et à laquelle appartient ce nom sacré de patrie ! Si l’on doit mépriser celui qui, dans une traversée, aimerait mieux sauver sa vie que le vaisseau lui-même, il ne faut pas moins blâmer celui qui, dans les périls de l’État, songe plus à son salut qu’au salut commun. Quand le vaisseau périt, encore parvient-on souvent à échapper au naufrage ; mais quand la tempête engloutit la république, personne n’échappe à sa fureur. C’est ce que Décius avait bien compris, lorsqu’il se dévoua pour les légions, et se précipita au milieu des ennemis. Sa vie fut sacrifiée, mais non pas perdue ; il racheta au prix de ce bien périssable et fragile quelque chose de durable et de grand. Il donna ses jours, et reçut sa patrie en échange ; s’il perdit l’existence, il trouva la gloire ; et cette gloire, transmise par les siècles, brille chaque jour davantage en vieillissant. Si donc la « raison nous démontre, qu’il faut nous exposer aux dangers pour le service de la patrie ; si les exemples nous le prouvent, nous devons regarder comme sages ceux qui n’en redoutent aucun, lorsqu’il y va du salut de leur pays. »

Telles sont les différentes manières de traiter de l’Exposition : nous nous y sommes arrêtés longtemps et nous avons développé longuement cette matière, d’abord parce qu’elle donne à notre cause beaucoup de force et d’éclat, ensuite parce que c’est l’exercice qui peut nous perfectionner le plus dans l’élocution. Il sera donc convenable d’en employer toutes les ressources dans nos déclamations particulières ; et de nous en servir dans nos discours véritables pour orner l’argumentation, dont nous avons donné les règles dans le second Livre.

XLV. La Commoration s’arrête longtemps sur le point essentiel qui fait le fond de la cause, et y revient souvent : l’emploi en est avantageux, et les bons orateurs y ont surtout recours. Car il n’est pas au pouvoir de l’auditeur de distraire son attention d’une pensée qui se présente si forte. Nous ne pouvons pas donner un exemple bien précis de cette espèce de figure, parce qu’elle ne forme pas une partie distincte dans la composition ; ce n’est point un membre séparé, c’est plutôt le sang qui circule dans le corps entier du discours.

L’Antithèse met les contraires en regard. Elle consiste ou dans les mots, comme nous l’avons vu ; par exemple : « Si vous vous montrez clément envers vos ennemis, et inexorable envers vos amis. » Ou dans les pensées, comme : « Vous déplorez ses infortunes ; lui se réjouit du malheur de la république. Vous vous défiez de vos ressources ; lui n’en a que plus de confiance « dans ses seuls moyens. » La différence entre ces deux antithèses, c’est que l’une consiste dans une rapide opposition de mots ; l’autre, dans la comparaison entre des pensées contraires.

La Similitude est une figure qui applique à une chose un trait appartenant à une chose contraire. On s’en sert ou pour orner, ou pour prouver, ou pour éclaircir la pensée, ou pour la mettre sous les yeux. Et comme on l’emploie dans quatre circonstances, on en distingue aussi quatre espèces, qui se font par les contraires, par la négation, par un rapprochement ou succinct ou détaillé. Nous allons donner des exemples de chacune de ces espèces de similitude.

XLVI. La similitude par les contraires ne sert qu’à l’ornement. « Ce n’est pas comme dans les jeux où l’athlète qui prend le flambeau ardent, est plus agile à la course que celui dont il le reçoit ; le nouveau général qui prend le commandement d’une armée ne vaut pas celui qui se retire. En effet, le coureur est fatigué quand il remet le flambeau à son successeur qui a toutes ses forces ; ici, c’est un général expérimenté qui confie son armée à un général sans expérience. » Cette pensée pouvait être rendue d’une manière assez claire et assez évidente, en supprimant la similitude ; on pouvait dire : « Les généraux qui prennent le commandement d’une armée sont moins bons d’ordinaire que ceux qu’ils remplacent. » Mais on fait usage de la similitude pour orner le style, et lui donner plus d’éclat. C’est ici une similitude par les contraires ; car cette similitude consiste à trouver une chose, différente de celle qu’on montre véritable, comme nous l’avons vu tout à l’heure, dans l’exemple pris des coureurs. On emploie la similitude par négation, comme moyen de preuve. Par exemple : « Ni un cheval indompté, malgré ses bonnes qualités naturelles, ne peut rendre les services que l’on attend d’un cheval ; ni un homme ignorant, quel que soit son esprit, ne peut arriver à un vrai mérite. » La comparaison sert ici de preuve à la chose ; car il devient plus vraisemblable que le mérite ne peut s’acquérir sans la science, si l’on admet qu’un cheval même ne peut être utile s’il n’est pas dompté. Cette espèce de similitude est donc employée comme preuve ; c’est la similitude par négation. Elle est facile à reconnaître dès le premier mot de la phrase.

XLVII. On se sert de la similitude par un rapprochement succinct, quand on veut rendre sa pensée plus claire ; par exemple : « Dans le commerce de l’amitié, il ne faut pas, comme dans le combat de la course, ne faire que les efforts indispensables pour parvenir au but ; il faut employer son zèle et ses forces pour le dépasser. » Cette similitude a pour objet de rendre plus évidente l’erreur de ceux qui prétendraient, par exemple, que l’on a tort de prendre soin des enfants d’un ami quand ils ont perdu leur père : car elle montre que si un coureur n’a besoin que du degré de vitesse nécessaire, pour arriver jusqu’au but, un ami doit avoir assez de tendresse pour en donner encore des témoignages à celui qui en est l’objet, même lorsqu’il ne peut plus en jouir. C’est une similitude abrégée. Ici en effet, la comparaison n’est pas, comme dans les autres similitudes, détachée de la pensée qu’elle complète, mais elle s’y trouve réunie et confondue. Quand on veut mettre une chose sous les yeux, on emploie la similitude développée ; par exemple : « Voici un joueur de cithare qui s’avance couvert d’habits somptueux ; sa robe est tissue d’or ; sa chlamyde, bordée de pourpre, est nuancée de mille couleurs ; il porte une couronne d’or étincelante de belles et brillantes pierreries ; il tient à la main un instrument enrichi d’or et d’ivoire ; son extérieur, sa beauté, sa taille le distinguent encore. Au milieu de l’attente excitée par tout cet appareil, dans le profond silence qui s’est fait tout à coup, s’il arrive que cet homme ne fait entendre qu’une voix criarde, accompagnée du geste le plus trivial, il sera chassé avec d’autant plus de dérision et de mépris, qu’il avait affiché plus d’éclat et causé plus d’impatience. De même, si un homme d’une haute naissance, d’une opulence extrême, comblé de tous les dons de la fortune et de tous les avantages de la nature, a négligé la vertu et les arts qui en tracent la route ; plus la possession de tant de brillants avantages l’aura rendu célèbre, et aura fait naître l’attente, plus il sera couvert de ridicule et de mépris, et chassé honteusement de la société des gens de bien. » Ce genre de similitude, en nous présentant le parallèle ainsi détaillé de l’ignorance de l’un, et de la sottise de l’autre, met la chose sous les yeux de tout le monde. On la nomme similitude de détails, parce que, la comparaison une fois établie, toutes les parties se correspondent.

XLVIII. Dans les similitudes, il faut avoir grand soin de n’employer que les termes les plus propres à bien faire ressortir, par leur ressemblance, la conformité de l’objet pris pour terme de comparaison, avec celui qu’on y veut rapporter. Par exemple : « De même que les hirondelles nous arrivent avec la belle saison, et s’envolent aux atteintes du froid ; » nous suivons la même figure et nous disons par métaphore : « ainsi les faux amis nous arrivent quand le ciel est serein, et s’envolent tous au premier souffle rigoureux de la fortune. » Il sera facile à l’orateur de trouver des similitudes, si son imagination se représente souvent les êtres animés et inanimés, muets et doués de la parole, féroces et apprivoisés ; tout ce qui peuple la terre, le ciel et les eaux ; les ouvrages de l’homme, du hasard, de la nature ; ce qui est ordinaire ou merveilleux : s’il cherche dans tout cela des similitudes qui puissent rendre la pensée plus élégante, plus instructive, plus frappante, la mettre enfin sous les yeux. Il n’est pas nécessaire en effet que la similitude s’étende à toutes les parties d’un objet ; il suffit qu’elle soit exacte au point de vue qu’on choisit.

XLIX. L’Exemple est l’exposition d’un fait ou d’une parole dont on peut nommer l’auteur véritable. On l’emploie par les mêmes motifs que la similitude. Il orne la pensée, lorsqu’on ne veut pas le faire servir à autre chose qu’à l’élégance. Il la rend plus claire, en ce qu’il jette plus de jour sur ce qui était obscur : plus probable, en ce qu’il ajoute à la vraisemblance ; enfin il met la chose devant les yeux, parce qu’il en exprime les circonstances avec tant de clarté, qu’il la fait, pour ainsi dire, toucher au doigt. Nous aurions accompagné cette définition d’un exemple de chaque espèce, si nous n’avions déjà fait voir, à propos de l’exposition, en quoi consiste l’exemple, et indiqué, dans la similitude, quels sont les motifs qui le doivent faire employer. Nous n’avons donc voulu cette fois, ni en dire trop peu, dans la crainte de n’être pas compris, ni nous y étendre plus longuement, l’ayant fait assez comprendre.

L’Image est le rapport d’un objet avec un autre, exprimé par une espèce de similitude. On s’en sert pour l’éloge, ou pour le blâme. Pour l’éloge, comme dans cet exemple : « Il marchait au combat, avec la force du taureau le plus fougueux, et l’impétuosité du lion le plus terrible. » Pour le blâme, et dans l’intention d’exciter la haine, l’envie ou le mépris ; la haine, par exemple : « Ce monstre se glisse tous les jours au milieu de la place publique, comme un dragon à la crête sanglante, aux dents aiguës, au regard empoisonné, à l’haleine fétide ; il promène ses yeux çà et là, cherchant une victime sur laquelle il puisse souffler une partie de son venin, qu’il puisse déchirer de ses dents, couvrir de son écume. » Pour exciter l’envie, par exemple : « Cet homme qui vante ses richesses, courbé, accablé sous le poids de son or, crie et jure comme un prêtre phrygien ou comme un devin. » Pour exciter le mépris : « Ce malheureux, qui, semblable au limaçon, se cache dans sa coquille et y reste en silence, on l’emporte avec sa maison et on le mange. »

Le Portrait consiste à représenter par les paroles l’extérieur d’une personne de manière à la faire reconnaître ; par exemple : « Je parle, juges, de cet homme rouge, petit, courbé, aux cheveux blancs et crépus, aux yeux de hibou, qui a une grande cicatrice au menton : peut-être vous le rappellerez-vous. » Cette figure est très utile, quand on veut faire reconnaître quelqu’un ; et très gracieuse, quand elle présente une peinture rapide et fidèle.

L. L’Éthopée décrit un caractère par certains traits, qui, semblables à des signes particuliers, sont le propre de sa nature. Voulez-vous peindre par exemple l’homme qui, sans être riche, s’en donne les apparences, vous direz : « Cet homme, juges, qui s’imagine qu’il est beau de passer pour riche, voyez d’abord de quel œil il nous regarde. Ne semble-t-il pas vous dire : Je vous donnerais volontiers, si vous ne m’importuniez pas. Mais quand il tient son menton de la main gauche, il croit éblouir tous les yeux par l’éclat de sa pierre précieuse et la splendeur de l’or. Lorsqu’il appelle ce seul esclave, que je connais, et que je ne pense pas que vous connaissiez, il lui donne tantôt un nom, tantôt un autre. Holà ! Sannion, lui dit-il, viens ici ; veille à ce que ces barbares ne dérangent rien. Il veut faire croire aux étrangers que c’est un esclave choisi parmi tous les autres. Il lui dit ensuite à l’oreille de dresser les lits de la table, d’aller demander à son oncle un Éthiopien, pour l’accompagner aux bains, ou de faire placer devant sa porte un cheval de prix, ou de préparer enfin quelque fragile simulacre de sa fausse gloire. Ensuite il crie à haute voix, pour que tout le monde l’entende : Fais en sorte que l’argent soit compté soigneusement avant la nuit, si cela est possible. L’esclave, qui connaît déjà le caractère de notre homme, lui répond : Il faut envoyer plusieurs esclaves, si vous voulez que toute cette somme soit apportée chez vous dans la journée. — Eh bien ! va, reprend celui-ci ; emmène avec toi Libanius et Sosie. — Je vais le faire. — Une autre fois, il voit par hasard venir à lui des étrangers qui l’ont accueilli magnifiquement pendant ses voyages. Quoique cette rencontre le trouble, il ne sort pas pour cela de son caractère. Vous faites bien de venir, leur dit-il, mais vous auriez mieux fait d’aller tout droit chez moi. Nous n’y aurions pas manqué, répondent les étrangers, si nous avions connu votre demeure. — Mais il était facile de vous la faire indiquer par le premier venu. - Venez, au reste, avec moi. Ceux-ci le suivent. Chemin faisant toute sa conversation accuse sa vanité ; il demande en quel état est la moisson, disant qu’il ne peut aller dans ses terres, parce que ses maisons de campagne ont été brûlées, et qu’il n’ose pas encore les faire rebâtir : j’ai cependant commencé, ajoute-t-il, à faire cette folie dans mon bien de Tusculum ; je reconstruis sur les anciens fondements. »

LI. « Tout en parlant de la sorte, il les amène dans une maison où doit avoir lieu ce jour-là même un banquet. Il en connaît le maître et y fait entrer les étrangers. C’est ici ma demeure, leur dit-il. Il voit l’argenterie sur la table, les lits préparés ; il en témoigne sa satisfaction. Un petit esclave s’avance, et lui dit tout bas que son maître va paraître, qu’il faut qu’il se retire. Allons, mes amis, suivez-moi ; mon frère arrive de Salerne, je vais à sa rencontre ; revenez ici à dix heures. Les étrangers sortent ; lui va se renfermer à la hâte dans sa maison. Les autres reviennent à l’heure qu’on leur a fixée, ils le demandent, ils apprennent alors à qui appartient la maison, et se retirent pleins de confusion dans une hôtellerie. Le lendemain ils aperçoivent leur hôte, lui racontent leur aventure, se plaignent et l’accusent. Il répond que c’est la ressemblance des lieux qui les a trompés, qu’ils ont pris une rue pour l’autre ; qu’il s’est rendu malade à les attendre une grande partie de la nuit. Dans l’intervalle, il a chargé Sannion de réunir de la vaisselle, des tapis, des esclaves. L’esclave qui ne manque pas d’intelligence, s’est vite et bien acquitté de la commission. Notre faux riche conduit les étrangers chez lui ; il leur dit qu’il a prêté son palais à un de ses amis pour y célébrer des noces. Son esclave l’avertit qu’on réclame l’argenterie. Celui qui l’avait prêtée n’était pas tranquille. Comment, s’écrie celui-ci, je lui ai prêté ma maison, mes esclaves, et il veut encore ma vaisselle ? Eh bien ! quoique je reçoive moi-même, qu’il l’emporte : la vaisselle de Samos nous suffira. Pourquoi vous raconter ce qu’il fait ensuite ? Un homme de ce caractère fait chaque jour tant de choses par ostentation et par vanité, qu’une année suffirait à peine pour les redire. » Ces éthopées qui décrivent les traits distinctifs de chaque caractère, répandent un grand charme dans le discours. On peut mettre aussi sous les yeux toutes les natures particulières : celle du glorieux, comme nous venons de le faire ; celle de l’envieux, du lâche, de l’avare, de l’ambitieux, de l’amoureux, du débauché, du fripon, du délateur. Cette figure peut mettre en évidence la passion dominante de chacun.

LII. Le Dialogisme est une figure par laquelle on met dans la bouche d’une personne un discours convenable à sa situation. Par exemple : « Lorsque la ville regorgeait de soldats, et que tous les habitants saisis de crainte se tenaient cachés dans leurs maisons, cet homme paraît en habit de guerre, l’épée au côté, le javelot à la main. Cinq jeunes gens armés comme lui marchent à sa suite. Il se précipite dans la maison, et s’écrie d’une voix formidable : Où est l’heureux mortel, maître de ces lieux ? Que ne se présente-t-il à l’instant devant moi ? d’où vient ce silence ? Tout le monde est muet de frayeur ; seule, l’épouse de cet infortuné, baignée de larmes, se jette aux pieds du vainqueur : Épargnez-nous, lui dit-elle ; au nom de ce que vous avez de plus cher au monde, prenez pitié de nous ; ne frappez pas des gens à demi morts ; soyez compatissant dans la fortune ; nous aussi nous avons été heureux ; songez que vous êtes homme. Mais celui-ci : Livre-moi ton époux et cesse de me fatiguer les oreilles par tes lamentations. Il ne m’échappera pas. On annonce au mari que sa maison est envahie par un homme qui la fait retentir de menaces de mort. À cette nouvelle : Gorgias, dit-il, fidèle serviteur de mes enfants, cachez-les, protégez-les, faites qu’ils puissent arriver à l’adolescence. Il avait à peine achevé, que son ennemi lui adressant la parole : Tu as l’audace de me faire attendre ? Ma voix ne t’a pas anéanti ? Viens assouvir ma haine ; viens, que ma colère se rassasie de ton sang. Le vieillard faisant un noble effort : Je craignais, dit-il, d’être complètement vaincu ; mais je le vois, tu ne veux pas paraître avec moi devant les tribunaux, où la défaite est honteuse et le triomphe honorable ; tu veux me tuer. Eh bien l je périrai assassiné, mais non pas vaincu. Quoi ! réplique le barbare, à ton heure dernière, tu parles encore par sentences ? et tu ne veux pas supplier celui qui l’emporte sur toi ? Hélas ! il vous implore, il vous supplie, s’écrie la femme ; laissez-vous émouvoir : et vous, mon époux, au nom des dieux, embrassez ses genoux. Il est votre maître, il vous a vaincu, c’est à vous de vous vaincre vous-même. — Pourquoi ne pas mettre fin, chère épouse, à des discours indignes de moi ? N’ajoutez pas un mot, et songez à votre devoir. Et toi, que tardes-tu à m’arracher la vie, et à te condamner par ce meurtre à toute une carrière de crimes ? Le vainqueur repousse la femme qui continuait de gémir ; et comme le père de famille allait prononcer encore quelques mots dignes de son courage, il lui plonge son épée dans le sein. » Je crois que, dans cet exemple, on a donné à chacun un langage convenable, ce qu’il faut avoir soin de faire dans cette figure. Il y a encore des dialogismes par induction. Ainsi : « Que devons-nous penser que l’on dise, si vous portez ce jugement ? Tout le monde ne dirait-il pas, etc. » Et l’on suppose ensuite le discours.

LIII. La Prosopopée est une figure par laquelle on met en scène une personne absente, et l’on donne un langage ou une forme aux choses muettes, aux êtres abstraits, en les faisant parler ou agir d’une façon convenable. Par exemple : « Si notre Rome invincible élevait la voix, ne vous dirait-elle pas : Malgré ces nombreux trophées qui font ma gloire, malgré les triomphes éclatants qui m’enrichissent, malgré les victoires dont l’éclat m’enorgueillit, ô citoyens, vos séditions vont me perdre. Moi que les ruses de la perfide Carthage, les forces éprouvées de Numance, le génie et la science de Corinthe n’ont pu ébranler, souffrirez-vous que je sois détruite aujourd’hui et foulée aux pieds par les plus méprisables des hommes ? » — Ou bien : « Si L. Brutus revenait à la vie, et qu’il parût devant vous, ne vous adresserait-il pas ce langage ? Moi, j’ai chassé les rois ; vous, vous introduisez les tyrans : moi, je vous ai donné la liberté, que vous ne connaissiez pas ; vous, qui la possédez maintenant, vous ne voulez pas la conserver : moi, j’ai délivré ma patrie au péril de mes jours, et vous, qui pourriez être libres sans danger, vous n’en prenez aucun souci. » Cette figure, quoiqu’elle ne donne la parole qu’aux choses muettes et inanimées, n’en est pas moins d’un emploi très utile dans les différentes parties de l’amplification, et dans les morceaux où l’on veut exciter la pitié.

LIV. La Signification laisse plus à entendre qu’elle n’exprime réellement. On se sert alors d’une exagération, d’une ambiguïté, d’une conséquence, d’une réticence ou d’une similitude. D’une exagération, lorsqu’on va au delà de la vérité, pour donner de la force à un soupçon ; par exemple : « Cet homme ne s’est pas même, en si peu de temps, réservé d’un si grand patrimoine une tuile pour demander du feu. » D’une ambiguïté, lorsqu’une expression peut être prise en deux ou en plusieurs sens, mais ne l’est réellement que dans celui que l’orateur veut y donner ; par exemple, si l’on dit d’un homme qui a recueilli un grand nombre d’héritages : « Regardez, vous qui savez si bien voir[1] ». Autant il faut éviter les équivoques qui rendent le style obscur, autant il faut rechercher celles qui le rendent piquant. On en trouvera facilement, si l’on connaît et si l’on se représente les significations douteuses ou multiples d’un même mot. Cette figure se fait par conséquence, si, de ce que nous disons, on en conclut ce que nous ne disons pas : par exemple en s’adressant au fils d’un charcutier : « Taisez-vous, vous dont le père se mouchait avec le coude. » Elle se fait par réticence, quand on interrompt une phrase commencée, après en avoir dit assez pour laisser soupçonner le reste. Ainsi : « Lui, qui si beau et si jeune, a dernièrement, dans une maison étrangère…. Je ne veux pas en dire davantage. » Elle se fait par similitude, quand on cite un point de comparaison, sans y rien ajouter, mais de façon à ce que la pensée soit indiquée ; par exemple : « Gardez-vous, Saturninus, de mettre trop de confiance dans l’empressement du peuple. Les Gracques sont morts sans vengeance. » Cette figure a tour à tour beaucoup d’agrément et beaucoup de noblesse ; elle laisse à l’auditeur lui-même le soin de deviner ce que l’orateur ne dit pas. Le Laconisme n’emploie que les mots absolument nécessaires pour rendre la pensée. En voici des exemples : « Il prit Lemnos en passant ; laissa une garnison ensuite dans Thasos, puis détruisit une ville en Bithynie ; arrivé ensuite dans l’Hellespont, il s’empare aussitôt d’Abydos. - Tout à l’heure consul, autrefois tribun, il devint ensuite le premier citoyen de Rome. - Il part alors pour l’Asie ; on le déclare exilé comme ennemi publie ; plus tard, il est nommé général, et enfin créé consul. » Cette figure renferme beaucoup de choses en peu de mots. Il faut donc l’employer souvent, lorsque le sujet n’exige pas un long discours, ou que le temps ne permet pas de s’arrêter.

LV. La Démonstration est une figure qui exprime les choses d’une manière si sensible, qu’on croit les avoir sous les yeux. On produit cet effet en rassemblant tout ce qui a précédé, suivi, accompagné l’action, ou en ne s’écartant jamais des suites qu’elle a entraînées, des circonstances qui l’ont marquée ; par exemple : « Dès que Gracchus a remarqué l’hésitation du peuple, qui craignait qu’ébranlé lui-même par le décret du sénat il ne renonçât à ses projets, il convoque une assemblée publique. À ce moment, un citoyen, rempli de pensées criminelles, s’élance du temple de Jupiter, et le visage en sueur, l’œil en feu, les cheveux hérissés, la toge relevée, se met à marcher plus vite avec ses complices. Un crieur demandait qu’on écoutât Gracchus : cet homme pressant du pied un des sièges, le brise, et ordonne aux autres d’en faire autant. Comme Gracchus commençait à implorer les dieux, ces furieux se précipitent sur lui ; de toutes parts on s’élance, et un homme du peuple s’écrie : Fuis, Tibérius, fuis. Ne vois-tu pas le sort qui t’attend ; regarde. Alors la multitude inconstante, saisie d’une terreur subite, prend la fuite. L’assassin, écumant de rage, ne respirant que le crime et la cruauté, raidit son bras ; et pendant que Gracchus doute encore, mais ne recule pas, il le frappe à la tempe. La victime, sans flétrir sa vertu par aucune plainte, tombe en silence. Le meurtrier, arrosé du sang infortuné de ce grand citoyen, promène ses regards autour de lui, comme s’il eût fait une belle action, présente gaiement sa main sacrilège à ceux qui le félicitent, et retourne au temple de Jupiter. » Cette figure est très utile dans les amplifications et dans les morceaux pathétiques, par ses narrations animées ; car elle place toute l’action en scène, et nous en donne, pour ainsi dire, le spectacle.

LVI. Je viens de recueillir avec soin, mon cher Hérennius, tous les conseils propres à perfectionner l’élocution. Si vous vous y exercez avec zèle, vous pourrez donner à vos discours de la force, de la noblesse et de la grâce ; vous parlerez en orateur, et vous ne revêtirez pas d’un langage vulgaire une invention sans fond et sans art. Il faudra maintenant nous surveiller l’un l’autre. Car il nous importe à tous deux d’atteindre à la perfection de l’art par une étude soutenue et des exercices fréquents. Beaucoup d’autres n’y parviennent pas, pour trois motifs principalement : c’est qu’ils n’ont personne avec qui il leur soit agréable de s’exercer, ou qu’ils se défient d’eux-mêmes, ou qu’ils ne savent quelle route prendre. Aucune de ces difficultés n’existe pour nous. Car cette communauté d’étude nous est agréable à cause de l’amitié que les liens du sang ont fait naître entre nous, et que le goût de la philosophie a fortifiée. Ensuite, nous ne manquons pas de confiance, ayant obtenu déjà quelques succès ; outre qu’il est d’autres objets plus élevés auxquels nous nous appliquons avec plus d’ardeur encore ; de sorte que, dussions-nous ne pas atteindre le point où nous aspirons, il nous manquerait peu de chose pour avoir une vie bien remplie. Enfin nous savons la route que nous devons suivre, puisque dans les quatre Livres que nous venons de voir nous n’avons omis aucun des préceptes de l’art oratoire. Nous avons fait voir, en effet, quelles sont les sources de l’invention dans tous les genres de causes ; nous avons dit comment il faut disposer les matériaux qu’elle a fournis ; montré les règles de la prononciation, les procédés de la mémoire, et expliqué tout ce qui peut rendre l’élocution parfaite. En nous conformant à ces principes, notre invention sera prompte et féconde, notre disposition lumineuse et régulière, notre prononciation à la fois forte et agréable, notre mémoire ferme et toujours présente, notre élocution élégante et harmonieuse. Or, la Rhétorique ne peut rien donner de plus. Nous pouvons acquérir tous ces avantages, en joignant à l’étude des préceptes la pratique diligente des exercices.


NOTES SUR LA RHÉTORIOUE.

LIVRE PREMIER.

II. Oratoris officium est. Voyez pour une définition plus complète du devoir de l’orateur, de Invent., lib. I, cap. 5 ; et de Orat., lib. I, cap. 31.

IV. Exordiorum rationem. Comparez Quint., de Instit. orat., lib. IV, cap. 1 ; et Cicér., de Invent., lib. I, cap. 15. VI.

Quae risum movere possit. Cicéron a longuement développé ce moyen, de Orat., lib. II, cap. 24-72. Il faut donc y recourir pour les détails et les explications qui manquent ici.

VII. Neque attentum facit auditorem. Comparez de Invent., lib. I, cap. 18.

IX. De insinuationibus nova excogitavimus. Si l’on remarque l’importance que Cicéron attache à l’innovation dont il se dit le premier auteur, et si l’on observe que cette même division se trouve reproduite à peu près dans les mêmes mots, au chap. 17 du liv. 1 de l’Invention, l’on aura une preuve à peu près concluante que les deux ouvrages sont du même auteur.

XI. Noster doctor Hermes. L’on a beaucoup disputé sur ce nom, parce qu’il ne se trouve cité nulle part, ni par Plutarque, ni par Cicéron lui-même, et l’on a voulu le remplacer par plusieurs autres au moyen de conjectures plus ou moins plausibles, mais qui ne sont que des conjectures. Ne vaut-il pas autant garder celui que nous donnent la plupart des manuscrits ; et parce que le rhéteur qui le portait nous est inconnu, faut-il absolument nier son existence ?

XII. Tullius… Terentiae. Les mots Tullius et Terentiae sont évidemment interpolés, car Cicéron ne pouvait parler à cette époque ni de sa femme ni de son fils, puisqu’il n’était pas marié. Le même exemple est, d’ailleurs, reproduit sans noms propres, de Invent., lib. II, cap. 40.

Praetoriæ exceptiones. Le préteur les indiquait lui-même après avoir exposé la cause et prescrit les formes de la procédure. Dès ce moment, l’accusé ne pouvait plus en invoquer d’autres. Voyez de Invent., lib. II, cap. 19.

XII. Legem frumentariam. Cette loi, appelée Apuleia frumentaria, fut proposée par le tribun Apuléius Saturninus. Q. Cépion, questeur de la ville, en empêcha la promulgation. Saturninus fut tué avec le préteur Q. Servilius Glaucia, l’an de Rome 653 ; Cicéron avait alors six ans.

Cistellam detulit. Ce sens, donné par plusieurs critiques et préféré par M. Leclerc, n’est pas admis par d’autres, qui pensent qu’il est ici question de l’urne où se recueillaient les suffrages. Il paraît probable qu’il y avait une différence de signification entre les mots cistella et cista.

XIII. Agnatorum gentiliumque. À la mort du père de famille, toutes les personnes qui avaient été sous sa puissance devenaient bien chefs d’autant de familles particulières, mais elles continuaient à former une famille générale, dont les membres avaient un titre commun, celui d’agnat. Aussi le mot famille a-t-il deux significations. Plusieurs familles générales pouvaient former une gens, dont les membres étaient appelés gentiles. Ainsi la gens Cornelia se divisait en trois familles générales, celle des Scipions, celle des Lentulus, celle des Sylla. La famille des Scipions se divisait elle-même en quatre familles, ou maisons particulières (domus), qui avaient pour chefs Scipio Africanus, Scipio Nasica, Scipio Hispanus, Scipio Asiaticus. Les membres de ces familles étaient agnats entre eux, et ils étaient gentiles à l’égard de la famille des Lentulus ou de celle des Sylla.

Il est à remarquer, toutefois, que Justinien ne parle que de la tutelle des agnats. Voy. Inst., lib. XXIII, § 3.

XIV. In consilium. Le conseil militaire du général se composait de ses lieutenants, des tribuns et des chefs supérieurs.


LIVRE II.

III. Quibus de rebus… Voyez de Invent., lib. II cap. 2.

V. Certioribus argumentis. La correction de Schütz qui remplace argumentis par indiciis nous semble devoir être adoptée, au moins pour le sens, qui résulte, ainsi compris, de tout ce qui précède. Après l’indice simple signum, vient l’argument qui s’appuie sur des indices plus certains.

IX. Legitimae constitutionis. Sur cette question, voyez, pour plus de développements, de Invent., lib. I, cap. 13, et lib. Il, cap. 17 et 40.

Deinde collatione. Ce point de discussion est longuement développé, de Invent., lib. II, cap. 42.40.

Scriptoris voluntatem non interpretatur. Voyez, sur l’interprétation des lois, de Invent., lib. II, cap. 47 et 48.

XI. Quae a dialecticis profertur. Par le mot dialectici Cicéron vent désigner les stoïciens, qu’il nomme quelquefois ainsi parce qu’ils attachaient une grande importance à la dialectique, surtout depuis Chrysippe, pour les subtilités duquel Denys d’Halicarnasse témoigne beaucoup de mépris. Cicéron ne les aimait pas davantage, et les tourne souvent en ridicule : ad ipsas etiam virtutes dialectum adjungunt. De Bon. et mal., lib. III, cap. 21 ; et après : spinosum dicendi genus… vellunt de spinis atque ossa mutant. Ailleurs, en parlant de Zénon, il l’appelle ignobllis verborum apifex.

Verum horum pueriles opiniones… refellemus. Ce passage peut servir encore à prouver que ce traité appartient à Cicéron, car il remplit plus tard l’engagement qu’il prend ici, en réfutant dans ses ouvrages philosophiques les doctrines des stoïciens. Il dirigea particulièrement contre eux les livres de la Divination et du Destin.

XIV. Quam ex comparatione…. Cicéron passe ici à la question judiciaire accessoire, sans en avertir le lecteur. C’est pour cela que Schütz croit devoir ajouter au commencement de ce chapitre les mots : in assumptiva. Voyez de Invent., lib. II, cap. 25.

XV. Translatio criminis. De Invent., cap. 26. Cicéron donne à ce même moyen le nom de relatio criminis ; dans le chapitre suivant il emploie, comme ici, translatio.

Oportueritne in ea repeccare. Cette considération est longuement développée, de Invent., lib. II, cap. 27.

XVII. Ut in primo libro ostendimus. Voyez en effet le chap. 14 du livre précédent.

XVIII. Absolutissima et perfectissima argumentatio. Dans le traité de l’Invention, liv. I, chap. 37, Cicéron divise aussi l’argumentation en cinq parties, dont les noms, quoique différents de ceux que nous trouvons ici, rentrent néanmoins dans le même sens.

XXII. Utinam ne in nemore…. Ces vers, tirés de la Médée d’Ennius, sont imités du prologue de la Médée d’Euripide.

XXIII. Amicum castigare…. Ces vers appartiennent au Trinummus de Plaute ; ils sont cités encore de Invent., lib. I, cap. 50.

XXV. Quum te expetebant omnes…. Vers de la tragédie d’Ennius intitulée Thyeste. Ils se retrouvent aussi de lnvent., lib. I, cap. 48.

XXVI. Quadruplatoris. Les délateurs étaient ainsi nommés, parce qu’on leur donnait le quart des biens de ceux qu’ils accusaient, ou le quart de l’amende à laquelle ils étaient condamnés.

XXVI. Aperte fatur dictio… Ce passage semble tiré d’un ancien poète, qui avait pris pour sujet de ses chants, à l’imitation des Grecs, la dispute d’Ajax et d’Ulysse. Ajax était cousin germain d’Achille, son frater patruelis ; il pouvait donc dire fraternis armis.

XXIX. Et amplificalionibus. Schütz supprime ce mot, qui ne se trouve pas dans tous les manuscrits, et qui semble en effet intercalé mal à propos, puisque Cicéron, qui revient ensuite sur les ornements, ne parle pas de celui-là, et fait plus loin, chap. 30, de l’Amplification, une des trois parties de la conclusion.

XXX. In quatuor locis uti possumus conclusionibus. Schütz et Welzel suppriment toute cette phrase, qui rompt, à leur avis, l’ordre des idées, et qui prête au mot conclusio un sens différent de celui qu’il a dans tous les autres passages, où il ne désigne que la péroraison qui termine le discours entier. Mais pourquoi, suivant l’observation judicieuse de M. Leclerc, Cicéron n’aurait-il pas voulu précisément distinguer ici les conclusions qui peuvent se trouver à la fin de chaque partie du discours, suivant les besoins de la cause ?

Loci communes…. Toute la théorie des lieux communs, applicables à l’amplification, à l’attaque et à la défense, (voyez plus haut chap.6-8), est bien plus développée dans le traité de l’Invention et surtout dans celui des Topiques. On peut consulter encore de Oratore, lib. III, cap. 27.


LIVRE III.

II. Finem utilitatis…. C’est le précepte d’Aristote. Πρόκειται τῷ συμβουλεύοντι σκοπὸς τὸ συμφέρον, que Cicéron rappelle et modifie ensuite, de Invent., lib. II, cap. 51 : In deliberativo Aristoteli placet utilitatem, nobis et hostestaiem et utilitatem. Cette partie de la rhétorique est celle qui a subi les plus notables changements dans le traité de l’Invention.

Prudentiam, fortitudinem, modestiam. Voyez, sur ce sujet, de muent., lib. II, cap. 53, 54.

V. Qui e Poenis circumsessi deliberant. En Sicile pendant la première guerre Punique, Calpurnius Flamma, tribun militaire, délivra l’armée par son dévouement, l’an de Rome 496.

IX. Quoniam dispositio. Comparez sur la disposition : de Invent., lib. I, cap..7 ; et de Oratore, lib. II, cap. 76.

X. Haec dispositio locorum…. Nous retrouvons le même conseil et la même comparaison, de Orat., lib. II, cap. 313. Quintilien, qui parle aussi de cette disposition, lut donne le nom d’Homérique, parce que, dans l’Iliade, Nestor range l’armée dans un ordre analogue ; chant IV, V. 297 et suiv.

XI. Qui non inscii sunt ejus artificii. Ce sont ceux que Quintilien appelle artifices pronuntiandi. Voyez. Inst. orat., lib. XI, cap. 3.

XIII. Quoniam… mollitudo vocis. Ces règles ont été simplifiées ensuite par Cicéron. Voyez de Orat., lib. III, cap. 56 ; et aussi Quintilien, lib. XI, cap. 3.

XV. Motus est corporis gestus. Comparez, sur le geste et sur l’action en général, de Orat., lib. III, cap. 59.

Feminis plangore. Feminis est le génitif de femen, dont la signification est la même que celle de femur, qui l’a remplacé plus tard. On ne peut hésiter sur ce sens, car Cicéron, aussi bien que Quintilien, recommande expressément de s’abstenir toujours de gestes efféminés ; tandis qu’ils conseillent l’un et l’autre l’emploi de celui dont il est ici question. Tuscul., lib. III, feminis et capitis percussio sont présentés comme signes de la douleur. Brutus, cap. 80 : la douleur de l’accusateur Calidius n’est point véritable ; Cicéron en voit la preuve dans le peu d’agitation de son corps : Tu istuc, nisi fingeres, sic ageres ?…. ubi dolor, ubi ardor animi ? Non frons percussa, non femur. Quintilien, lib. XI, cap. 3 : Femur ferire, et usitatum est, et excitat auditorem.

XVII. Ita qui μνημονικὰ dicerunt. On peut consulter sur le même sujet : de Orat., II, 86 ; Orat., part. 7 ; de Finib., II, 32 ; et surtout Quintilien, XI, 2. ils attribuent à Simonide l’invention de cet art.


LIVRE IV.

VIII. Sunt igitur tria genera, quae genera nos figuras appellamus. « Par le mot figuras, l’auteur a voulu désigner la forme, le caractère, la physionomie du style. Le mot latin figura répond aux mots grecs ἰδέα, image, idée, genre, forme, etc. ; σχῆμα, figure, geste, représentation, discours figuré ; τύπος, figure, image, ressemblance, forme, description ; enfin χαρακτὴρ, caractère, genre de style. (Note empruntée à M. Leclerc.) » Sur les trois genres de style, consultez Cicér. Orat., cap. 23 et sequent. ; Quintil., lib. XII, cap,. 19 ; et les rhéteurs modernes, qui ont poussé beaucoup plus loin leurs recherches sur l’éloquence, et fait de précieuses découvertes. Les développements que M. Leclerc a donnés à chacune des parties principales de ce quatrième livre, dans les notes qu’il y a jointes, forment un précieux et complet ensemble de tous les préceptes de l’art sur cette importante et difficile matière. Nous ne pouvons mieux faire que de renvoyer à son excellent travail.

IX. Quibuscum bellum gerimus, judices, videtis. Cet exemple paraît tiré d’une histoire de la guerre sociale ou italique, et du discours d’un citoyen accusé d’avoir excité les Latins à la guerre. Voyez, chap. II, un autre fragment du même discours.

Fregellani. Frégelles, ville du Latium, se révolta l’an de Rome 628 ; elle fut livrée par trahison au préteur Opimius, qui la détruisit. Voyez Tite-Live, LX ; Veil. Pater-Paterc, lib. II, cap. 6 ; et plus bas, dans ce même livre, cap. 15 et 27.

X. Ut ne ad solarium quidem. Les Romains appelaient solarium une terrasse placée au-dessus des maisons, et sur laquelle ils venaient se chauffer au soleil. On appelait encore solarium un lieu très fréquenté dans le forum, tout près des rostres, où la meilleure société de Rome avait coutume de se rassembler. (Pline, VII, 60 ; Censorin, 32 ; Cicér : pro Quint., 18.) Il paraît que c’était aussi une place distinguée dans les jeux publics, c’est-à-dire dans les galeries dont ils étaient ornés. (Note empruntée à M. Leclerc.)

In finitinta et propinqua veniamus. C’est le même précepte qu’Horace a tracé dans ces vers :

Maxima pars vatum, pater, et juvenes patre digni.
Decipimur specie recti. Brevis esse laboro,
Obscurus fio.

XII. Cui vitio versas hic exit exemplo. Il fallait conserver dans la traduction le texte des exemples, pour ne pas nuire à l’application des préceptes. Mais nous croyons devoir l’expliquer ici.

O Tite, tute, etc….O tyran, Titus Tatius, tu t’es attiré tous ces maux ! (Vers d’Ennius.)

Quidquam quisquam, etc…. Quelqu’un refusera-t-il quelque chose dont il soit convenu avec quelqu’un ?

Nam cujus rationis ratio. Il n’est pas raisonnable d’ajouter foi à une raison dont il n’y a pas de raison à donner.

Flentes, plorantes…. Pleurant, gémissant, larmoyant, suppliant.

Has res, etc…. Je vous envoie, Lucius Élius, ce que j’ai écrit pour vous.

XIII. Sententiarum exornatio est. Tous les commentateurs s’accordent à soupçonner ici une lacune. Cicéron a du nécessairement annoncer, dans une phrase, omise sans doute par un copiste, l’énumération des figures de mots. C’est à propos de la plupart de ces figures qu’il est nécessaire de recourir aux notes de M. Leclerc, qui, « ne trouvant pas que l’auteur en donne toujours une idée bien juste dans ses définitions, a cru devoir, dit-il des définir d’une manière plus précise et plus rigoureuse, en y ajoutant des exemples puisés dans Cicéron et dans nos écrivains français. » Voyez aussi le traité des Tropes de Dumarsais.

XIV. Cur eam rem…. Pourquoi vous occuper avec tant d’ardeur d’une affaire qui vous causera tant de soucis ?

Amari jucundum est…. Il est doux d’être aimé, si l’on a soin que l’amour n’offre rien d’amer.

Veniam ad vos si…. J’irai auprès de vous, si le sénat m’en donne la permission.

Traductio est. Cette figure est celle que les Grecs appellent ἀντανάκλασις, repercussio, parce que la même expression frappe plusieurs fois l’oreille. Quintilien, qui parle de cette figure, IX, 3, emprunte des exemples qui se trouvent dans ce chapitre, et il ajoute : Cornifecius hanc traductionem vocat. C’est ce passage qui a donné naissance à l’opinion encore controversée qui attribue à Cornilicius l’ouvrage dont Cicéron avait été jusque-là reconnu l’auteur par tout le monde.

XVI. Ratiocinatio est…. Cette figure n’est point mentionnée par les rhéteurs modernes ; elle a, du reste, le plus grand rapport avec la subjection. Voyez chap. 23.

XVIII. Contrarium idem fere est…. Voyez, sur cette figure, Quintil., lib. V, can. 10 ; et lib. IX, cap. 3 ; et Cicér., Orat., cap. 12 et 50.

XIX. Membrum rationis appellatur. Quintilien n’admet pas les membres de la période au nombre des figures de mots ; mais il n’est pas certain non plus que Cicéron veuille parler ici des membres de la période ; il a bien plutôt pour objet le style coupé, si nous en jugeons par les exemples. Ce qui regarde le style périodique se trouve compris dans ce que l’auteur nomme plus bas la continuation.

XX. Compar appellatur. Voyez de Orat., lib. III, cap. 54 ; Orat., cap. 12 ; et Quintil., lib. IX, cap. 3. Traduction des exemples contenus dans ce chapitre : « Vous louez un homme pauvre en mérite, riche en bonheur. Celui qui fonde tout son espoir sur son argent est bien éloigné de la sagesse. Il met tous ses soins à amasser des richesses, et néglige son âme qui se corrompt ; et néanmoins tout en se conduisant de la sorte, il croit qu’il est le seul homme de la terre. Tu oses agir honteusement, tu t’appliques à parler méchamment ; tu es odieux dans ta conduite, tu recherches le crime, tu fais du mal par tes paroles. Audacieux dans la menace, humble dans la prière. C’est le comble de la honte, que de se livrer à l’amour, de renoncer à la pudeur, de n’aimer que la beauté, de négliger sa réputation. »

XXI. Les jeux de mots qui composent tous les exemples de ce chapitre ne valent pas la peine d’être traduits ; la délicatesse de notre goût les bannit de l’éloquence.

XXII. Exemples de ce chapitre : « Vous connaîtrez bientôt le motif qui m’amène, qui je suis, ce que je me propose, qui j’accuse, qui je veux servir, quel est l’homme que je cite devant vous. — Prenons garde, Romains, qu’on ne croie les sénateurs entièrement circonvenus. — Alexandre de Macédoine fit les plus grands efforts dès son enfance pour exercer son âme à la vertu. Les vertus d’Alexandre ont dans tout l’univers une éclatante et glorieuse célébrité. Si Alexandre avait reçu en partage une plus longue vie, une poignée de Macédoniens aurait volé par delà l’Océan. Si tout le monde craignait Alexandre, tout le monde aussi le chérissait. — Tibérius Gracchus était à la tête des affaires publiques, une « mort indigne ne lui permit pas d’y rester plus longtemps. Ce fut un trépas semblable qui arracha tout à coup Caius Gracchus du sein d’une ville qui lui était si chère. Saturninus, victime de sa confiance dans les méchants, périt sous les coups d’une criminelle perfidie. Ton sang, ô Drusus, a rejailli sur les murs de ta maison, et sur le visage de ta mère. Sulpicius, à qui tout réussissait quelque temps auparavant, fut bientôt privé non seulement de la vie, mais des honneurs funèbres. »

XXIII. Subjectio est. Voyez le bel exemple de cette figure que M. Leclerc, dans ses notes, emprunte au discours : Pro lege Manilia.

XXV. Definitio est. Ce qui concerne cette figure est beaucoup plus longuement développé dans les Topiques, chap. 5, 6, 7 et 8. Voyez encore l’exemple cité par M. Leclerc.

XXX. Conclusio est. Ainsi définie, la Conclusion semble bien plutôt un lien commun qu’une figure. Remarquons toutefois que le mot exornatio s’étend à peu près à toutes les formes dont on peut orner la pensée, et que dès lors il ne peut pas avoir le sens restreint que les rhéteurs modernes donnent au mot figure.

XXXI. Restant etiam decem exornationes. Voyez Dumarsais.

Nominatio est prima. L’Onomatopée, ὀνοματοποία, formation d’un mot, ne peut, non plus, être rangée parmi les figures, qu’autant qu’on se reporte au sens du mot exornatio, suivant la remarque ci-dessus.

XXXII. Non tam cito sarissæ. Les sarisses étaient de longues piques d’environ vingt et un pieds, dont se servaient les Macédoniens. Les matères étaient des espèces de lances en usage chez les anciens Gaulois.

Hoc vobis deos immortales. « Je pense que les dieux immortels vous ont accordé cette faveur, pour prix de votre piété. — La fortune inconstante a exercé sur lui le plus grand empire. — La fortune jalouse vous a enlevé tous les moyens de bien vivre. »

XXXV. Distributio est. On trouve des exemples de cette figure dans un grand nombre de discours de Cicéron : pro Murena, pro Marcello, pro lege Manilia, etc…. Ici commence l’énumération des figures de pensées.

XXXIX. Descriptio nominatur. Voyez Quintilien, lib. IX, cap. 2. — Voyez aussi la note de M. Leclerc sur cette importante figure.

XL. Divisio est. Quintilien ne parle pas de cette figure, et l’on peut remarquer que les exemples que Cicéron en donne sont de véritables dilemmes.

XLIV. Sapiens nullum pro republica. Le mérite de cet exemple et de ceux qui le suivent font de cette dernière partie la plus remarquable de l’ouvrage. « On aime à lire, dit M. Leclerc, ces petites compositions riches de pensées et d’images, où Cicéron, à son début, s’essaye dans ce grand art qui devait un jour le faire régner sur un peuple libre ; et on y cherche avec curiosité le germe de ces a qualités brillantes qui formèrent le Démosthène romain. »

XLVI. Quemadmodum, in palaestra. Voyez, sur cette course aux flambeaux, le Voyage d’Anacharsis, chap. 24.

L. Comparez le caractère du glorieux dans Théophraste.


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  1. Cernere, en terme de droit, se porter héritier