Ronsard - Œuvres, Buon, 1587/Du malheur de receuoir

La bibliothèque libre.
Œuvres de P. de Ronsard, Texte établi par Jean Galland, Claude Binet et al., BuonTome 2 (p. 144-146).
ODE XIX.



DV malheur de receuoir
Vn eſtranger ſans auoir
De luy quelque cognoiſſance,
Tu as fait experiance
Menelas, ayant receu
Pâris dont tu fus deceu :
Et moy ie la viens de faire,
Qui ore ay voulu retraire
Sottement vn eſtranger
Dans ma chambr & le loger.
Il eſtait minuict & l’Ourſe
De ſon char tournoit la courſe
Entre les mains du Bouuier,
Quand le ſomme vint lier

D’vne chaine ſommeilliere
Mes yeux clos ſous la paupiere.
Ia ie dormois en mon lit
Lors que i’entr’ouy le bruit
D’vn qui frappoit à ma porte,
Et heurtoit de telle ſorte
Que mon dormir s’en-alla :
Ie demanday, Qu’eſt-ce là
Qui fait à mon huis ſa plainte ?
Ie ſuis enfant, n’aye crainte,
Ce me dit-il, & adonc
Ie luy deſſerre le gond
De ma porte verrouillée.
I’ay la chemiſe mouillée
Qui me trempe iuſqu’aux oz,
Ce diſoit, deſſus le doz
Toute nuict i’ay eu la pluie :
Et pource ie te ſupplie
De me conduire à ton feu
Pour m’aller ſeicher vn peu.
Lors ie prins ſa main humide
Et plein de pitié le guide
En ma chambre & le fis ſeoir
Au feu qui reſtoit du ſoir :
Puis allumant des chandelles,
Ie vy qu’il portoit des ailes,
Dans la main vn arc Turquois,
Et ſous l’aiſſelle vn carquois.
Adonc en mon cœur ie penſe
Qu’il auoit quelque puiſſance,
Et qu’il falloit m’appreſter
Pour le faire banqueter.

Ce-pendant il me regarde
D’vn œil, de l’autre il prend garde
Si ſon arc eſtoit ſeiché :
Puis me voyant empeſché
A luy faire bonne chere,
Me tire vne fleche amere
Droict en l’œil : le coup de là
Plus bas au cœur deuala :
Et m’y fit telle ouuerture,
Qu’herbe drogue ny murmure
N’y ſeruiroient plus de rien.
Voila, Robertet, le bien
(Mon Robertet qui embraſſes
Les neuf Muses & les Graces)
Le bien qui m’eſt aduenu
Pour loger vn incognu.




ODE XX.



SI i’aime depuis naguiere
Vne belle chambriere,
Hé, qui m’oſeroit blaſmer
De ſi baſſement aimer ?
Non, l’amour n’eſt point vilaine
Que maint braue Capitaine,
Maint Philoſophe & maint Roy
A trouué digne de ſoy.
Hercule dont l’honneur vole
Au Ciel aima bien Iole,