Ronsard - Œuvres, Buon, 1587/O Pere, ô Phebus

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Œuvres de P. de Ronsard, Texte établi par Jean Galland, Claude Binet et al., BuonTome 2 (p. 102-104).
ODE XX.



OPere, ô Phœbus Cynthien,
O ſaint Apollon Pythien,
Seigneur de Déle, iſle diuine,
Cyrenean Patarean,
Par qui le trepié Thymbrean
Les choſes futures deuine :
Ou ſoit que Clare, ou que tes ſœurs
Te retiennent de leurs douceurs,
Ou ſoit que tu laues en l’onde
D’Eurote clairement roulant
Le creſpe honneur du poil coulant
Par flocons de ta teſte blonde :
Entens, ô Prince, mon ſoucy,
Et vien pour ſoulager icy
Celle qui ne m’eſt moins cruelle
Que la fieure, qui va mordant
D’vn accez & froid & ardant,
La douce humeur de ſa moüelle.

Quoy, ſur elle n’eſpandras-tu
Quelque iuſt remply de vertu ?
Veux-tu pas ſon medecin eſtre ?
Si ſeras où ie fus deceu
Ayant l’autre iour apperceu
Ton Cygne voler à main dextre.
Tu as ſeul des Dieux ceſt honneur
D’eſtre Poëte & gouuerneur
De toute herbe ſoit de campaigne,
Soit de monts ſoit de prez velus,
Soit de bocages cheuelus,
Soit de celles que la mer baigne.
Par toy Eſculape pilla
Les enfers lors qu’il reſueilla
Hippolyt de la greſle bande,
Et fraudant le Prince inhumain,
Luy arracha hors de la main
Le tribut qu’à tous il demande.
Par ta puiſſance le charmeur
Arreſte de l’homme qui meur
L’ame à demy deſia rauie :
Par toy le medecin expert
Ayant inuoqué ton nom, pert
Le mal larron de noſtre vie.
Fils de Latone eſcoute moy,
Vien, & apporte auecque toy
Le Moly & la Panacée,
Et l’herbe que Medée auoit,
Quand reuerdir elle deuoit
D’Eſon la ieuneſſe paſſée :
Et l’herbe forte qui changea
Glauce ſi toſt qu’il la mangea,

Le faiſant immortel d’vn homme :
Qui par la mer entre les Dieux
Ne craint que le temps odieux
Le nombre de ſes ans conſomme.
Briſe-les du bout de ton arc,
Puis d’elles preſſurant le marc
Fais vn bruuage & le luy baille,
Ou bien les applique à ſes bras,
Et lors ô Pean, tu rompras
Le mal qui deux ames trauaille.
Deſia ſon beau coural s’eſteint,
Et ia la Roſe de ſon teint
Se fanit pallement fleſtrie,
Et l’œil meurtrier où m’aguettoit
Amour archerot qui eſtoit
L’obiect de mon idolatrie.
Tu peux, Prince, en la guariſſant,
Me ſoulager moy periſſant
Au feu qui ſa fiéure reſemble :
Ainſi ratifiant mes vœux,
De meſme cure ſi tu veux,
Tu en guariras deux enſemble.
Lors vn temple i’edifi’ray,
Où ton image ie feray
De longues treſſes honorée,
A ſon doz pendray l’arc Turquois,
La Lyre ſœur de ſon carquois,
A ſon flanc la dague dorée.