Ronsard - Œuvres, Buon, 1587/Vien à moy mon Luth. Conſolation

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Œuvres de P. de Ronsard, Texte établi par Jean Galland, Claude Binet et al., BuonTome 2 (p. 115-117).
CONSOLATION A LA
Royne de Nauarre, ſur la mort
de Charles de Valois Duc
d’Orleans , ſon
neueu


ODE III.


VIen à moy mon Luth que i’accorde
Vne Ode pour la fredonner
Deſſus la mieux parlante corde
Que Phœbus t’ait voulu donner,
Afin de la pouuoir ſonner
Si doucement qu’elle contante,
Et puiſſe le ſoin deſtourner
Qui mord vne royale tante.
Donques, ô Chimere inconſtante,
Tu as deſſous les ombres mis
Le Prince qui fut noſtre attante,
Et l’effroy de nos ennemis :
En vain donc il auoit promis
De donter la rondeur du Monde,
Et de voir ſous Charles ſoumis

Ce que Tethys ſerre en ſon onde.
Vne pluye en larmes feconde
Vous Muſes, puiſez de vos yeux,
Lamentez la coulonne ronde
Où s’appuyoit tout voſtre mieux :
Pour ta vertu deſſus les Cieux
O fils d’vn grand Roy tu repoſes,
Et ce bas monde vicieux
Du Ciel tu regis & compoſes,
Et nouuelles loix luy impoſes
Nouueau citoyen de là-haut
Entre les immortelles choſes,
Et pres du Bien qui point ne faut.
Des royaumes plus ne te chaut
Dont tu as fait icy la preuue :
Car rien de ce monde ne vaut
Vn trait du Nectar qui t’abreuue.
Tu as laiſſé la terre veuue
Du vray honneur au Ciel montant,
Où ta facile oreille appreuue
Nos vœux qu’elle va eſcoutant.
Appaiſe ton cœur lamentant,
Eſſuye ton œil ma Princeſſe :
Pour-neant tu vas regrettant
Dequoy ſi toſt ton neueu ceſſe,
Et a pris ſon heureuſe adreſſe
Vers vne autre habitation,
Changeant l’Auril de ſa ieuneſſe
Au bien de l’incorruption.
Aux Dieux pleine de paßion
Tu redemandes par priere
Son corps dont la condition

Ne doit deux fois voir la lumiere.
Quand ton oraiſon couſtumiere
Sonneroit außi doucement
Que la harpe tirant premiere
Les bois en esbahiſſement :
Encore l’ame nullement
N’animeroit ſa froide image,
Puis que la Parque durement
Luy a fait rendre ſon hommage.
De Pluton l’auare heritage
Ton neueu n’ira iamais voir,
Que le Ciel pour ſon auantage
Trop ſoudain a voulu r’auoir :
Et ialoux, t’a fait receuoir
(Pour s’enrichir de ſon enfance)
Vn dueil, que le temps n’a pouuoir
D’arracher de ta ſouuenance.