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Le Chansonnier de la Mère Radis/Roul’ta bosse, ou conseils à un bossu

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Le Chansonnier de la Mère Radis ou les goguettes de la Villette et des FaubourgsLocard et Davi (p. 37-39).


ROULE TA BOSSE,
ou
CONSEILS À UN BOSSU.


Roul’ ta bosse,
Petit luron,
Et ris toujours, à pied comme en carrosse ;
Roul’ ta bosse,
Petit luron,
Sois toujours gai, toujours franc, toujours rond.

Petit bossu, retiens bien c’ que ton père
Chantait souvent, en t’berçant dans ses bras :
« Veux-tu, mon fils, avoir un sort prospère,
» Veux-tu d’venir bien portant et bien gras,
» Roul’ ta bosse, etc. »

Te plaindr’ du sort serait une folie,
Ta boss’ n’est pas un si triste cadeau ;
Pourquoi t’ fâcher ? dans cette courte vie,
Chacun de nous n’a-t-il pas son fardeau.
Roul’ ta bosse, etc.


En fait d’esprit, qu’ n’as-tu celui d’Ésope,
Qu’on admirait à la ville, à la Cour,
T’en revendrais, sous ta burlesque env’loppe,
À pus d’un nain qui s’ croit l’ géant du jour.
Roul’ ta bosse, etc.

Pour être heureux, jamais dans ta carrière,
Ne prêt’s l’oreille aux cancans des badauds,
Ne dis point d’ mal des autres par derrière,
Tes quolibets te r’tomb’raient sur le dos.
Roul’ ta bosse, etc.

De tes amis soulage la détresse,
À les servir en tout temps soit dispos ;
Si tu parviens au faîte d’ la richesse,
Devant les p’tits ne fais pas le gros dos.
Roul’ ta bosse, etc.

N’ te maries point, tu n’ s’rais pas à la noce,
Pour toi l’hymen serait un lien fatal,
Tu sentirais chaque jour une bosse
Qui s’élev’rait sur ton front conjugal.
Roul’ ta bosse, etc.

Si tu t’ maries, prends pour épous’ fidèle,
Un’ jeun’ bossue, au minois agaçant,
Vous f’rez ensemble un p’tit polichinelle,
Qui, comme toi, chantera z’en naissant :
Roul’ ta bosse, etc.


Rencontres-tu z’une jeune bergère,
À l’œil fripon, au nez toujours au vent,
Pour la toucher, dis : « J’ suis bossu derrière,
» Mais, vous l’ voyez, je suis droit par devant. »
Roul’ ta bosse, etc.

Quand tu vas voir queuq’ farce de Molière,
Tu t’amus’s mieux qu’un banquier ben cossu ;
Et j’entends dire aux log’s comme au parterre :
» J’ai ri, ce soir, j’ai ri comme un bossu. »
Roul’ ta bosse, etc.

T’est un luron qui n’ boude point à table,
Tu mang’s de tout sans jamais hésiter ;
Lorsqu’on te sert un repas délectable,
Tu t’ fais au ventre un’ boss’ qui peut compter.
Roul’ ta bosse, etc.

S’il s’allumait une nouvelle guerre,
Sois d’ ton pays l’appui le plus fervent,
Qu’ jamais l’enn’mi n’ t’envisage par derrière,
Un bon Français s’ montr’ toujours par devant.

Roul’ ta bosse,
Petit luron,
Et ris toujours, à pied comme en carrosse ;
Roul’ ta bosse,
Petit luron,
Sois toujours gai, toujours franc, toujours rond.