Poésies (Desbordes-Valmore, 1830)/S’il l’avait su
S’IL L’AVAIT SU
S’il avait su quelle âme il a blessée,
Larmes du cœur, s’il avait pu vous voir,
Ah ! si ce cœur, trop plein de sa pensée,
De l’exprimer eût gardé le pouvoir,
Changer ainsi n’eût pas été possible ;
Fier de nourrir l’espoir qu’il a déçu,
À tant d’amour il eût été sensible,
S’il l’avait su.
S’il avait su tout ce qu’on peut attendre
D’une âme simple, ardente et sans détour,
Il eût voulu la mienne pour l’entendre.
Comme il l’inspire, il eût connu l’amour.
Mes yeux baissés recelaient cette flamme ;
Dans leur pudeur n’a-t-il rien aperçu ?
Un tel secret valait toute son âme,
S’il l’avait su.
Si j’avais su, moi-même, à quel empire
On s’abandonne en regardant ses yeux,
Sans le chercher comme l’air qu’on respire
J’aurais porté mes jours sous d’autres cieux
Il est trop tard pour renouer ma vie ;
Ma vie était un doux espoir déçu :
Diras-tu pas, toi qui me l’as ravie,
Si j’avais su ?