Soleils d’hiver
Cannes, 25 décembre.
Jetant follement ses notes perlées
Dans le bleu du ciel,
La cloche s’en donne à toutes, volées…
Noël ! c’est Noël !
Loin de la langueur pâle et. monotone
Du Nord engourdi,
Tout en me charmant, ton éclat m’étonne,
Noël du Midi !
Pour moi, jusqu’ici, Noël, c’était l’âtre
Tant de fois chanté ;
Sa douce chaleur, sa vapeur bleuâtre,
Son intimité ;
C’était, sous la neige épaisse et serrée
Tombant d’un ciel gris,
L’immensité blanche et comme parée
De mon vieux Paris ;
C’était, aux rayons dorés des boutiques,
Des, gens très pressés,
Suivant, à la nuit, ombres fantastiques,
Les trottoirs glacés ;
Bref, Noël, avec son brouillard morose,
Toujours me semblait
La fête du froid, faisant le nez rose,
Rouge ou violet.
Ici, c’est l’aimable et charmante fête
Du soleil d’hiver
Réchauffant gaîment le cœur et la tête
De son rayon clair ;
Au lois, dans l’azur des grands flots tranquilles,
Tout pointillés d’or,
C’est le groupe blanc et coquet des îles
Pour fond de décor ;
Partout, sur le port et sur la Croisette,
C’est le bruit joyeux
D’une foule vive, en fraîche toilette,
Et la joie aux yeux ;
Et sur ce tableau qui brille et rayonne
En tons éclatans,
Le sourire étrange et doux d’un automne
Qui serait printemps !
Un décor de féerie, avec son édifice
Pompeux et surchargé, sa nature factice,
Ses aloès géans rangés en espaliers,
Sa place minuscule aux larges escaliers,
Et, pour toile de fond, la montagne âpre et nue.
L’œil ébloui s’étonne et rêve la venue
De quelque roi grotesque, aux bas jaunes ou verts,
Démarche titubante et couronne à l’envers,
Hurluberlu quatorze ou prince de la sorte,
S’avançant dignement, entouré d’une escorte
De gardes moustachus et casqués de fer-blanc ;
Puis se tournant soudain vers l’escadron volant
Des danseuses, brillant dans sa magnificence :
« Et maintenant, messieurs, que la fête commence ! »
Le soleil éclatant s’abaisse à l’horizon.
Seul, devant le palais, parmi la floraison
Des roses de Bengale et des palmiers d’Afrique,
Un homme est là, debout, sur ce tableau féerique
Attachant un regard vague et comme hébété.
Autour du tapis vert il a longtemps lutté :
La fortune marâtre a fait sa poche vide.
Et, très pâle, sentant le vent du suicide
Passer dans ses cheveux et courir sur son front,
Il regarde, au lointain, le soleil rouge et rond…
Et vers ce louis d’or dont les clartés descendent,
Comme pour le saisir, ses mains sèches se tendent.
Nice.
Dans le ciel transparent que le couchant colore
Une étoile paraît, timide et seule encore,
Comme un œil scintillant aux portes de la nuit.
Seul moi-même, suivant le hasard de mon rêve,
Assis sur un rocher au-dessus de la grève,
Je regarde, songeur, ce point fixe qui luit.
Et je me dis : « Combien, avant moi, d’autres hommes
Depuis les premiers temps de ce monde où nous sommes
Sur cette même grève ont passé, soucieux !
Vers ce même astre clair qui sur l’horizon rose
Ainsi qu’un clou d’argent étincelle et se pose,
Combien d’autres mortels ont élevé les yeux !
Pourquoi tant de regards tournés vers cette étoile ?
Voulaient-ils, ces rêveurs, percer le sombre voile
Qui d’un monde inconnu nous cache la clarté ?
Vermisseaux inquiets s’agitant sur la terre,
Voulaient-ils arracher à l’astre le mystère
Enviable et lointain de sa placidité
N’était-ce pas plutôt dans ces momens d’ivresse
Où tout l’être exalté déborde de tendresse
Que leurs regards montaient vers la pâle lueur ?
Ne la prenaient-ils pas pour douce confidente
De leurs espoirs combles, et d’une voix ardente
Ne lui contaient-ils pas l’histoire de leur cœur ?
Partez, envolez-vous vers les profondes voûtes,
Tristesses et bonheurs, espérances et doutes,
Grandiose soupir de ce monde anxieux ;
De tout temps, Isolé dans sa faiblesse extrême,
L’homme chercha là-haut comme un autre lui-même :
La joie et la douleur font regarder les cieux.
JACQUES NORMAND.