Souvenirs de jeunesse (Houssaye)/9

La bibliothèque libre.



Ernest Flammarion (p. 117-139).


IX

M. DE LAMARTINE

I

L’homme est un dieu tombé qui se souvient des cieux.

Dans ce beau vers, Lamartine a mis toute sa philosophie spiritualiste. En ce drame inouï des destinées humaines qui semble écrit par Eschyle ou par Shakespeare, quelle merveilleuse entrée en scène ces grandes figures qui s’appellent Chateaubriand, Lamartine, Hugo, Lamennais, Dumas, Musset, Michelet, Ingres, Delacroix, Pradier, Rude ! C’était le renouvellement de la poésie et de l’art. Il ne resta debout des anciennes renommées que celles consacrées par le génie : Corneille, Molière, Racine et Voltaire, non pas le Voltaire des tragédies, mais le Voltaire qui avait créé la langue des idées.

Lamartine fut un maître souverain parce qu’il dora les âmes que l’athéisme révolutionnaire avait appauvries. On peut même dire qu’il refit les âmes d’une génération, en rouvrant les horizons d’un idéal religieux, créant ainsi une muse nouvelle : la Rêverie ; muse mélancolique, revêtue de la robe étoilée de la Nuit. Oui, celui-là refit les âmes à son image. Il était beau, de la beauté grecque et française. Loin de jeter des pierres au Ciel, comme tant de poètes de son temps, il élevait à Dieu le grand autel des inspirations chrétiennes.

On semble douter aujourd’hui de l’influence salutaire de Lamartine sur son temps. Comme le dieu Apollon, il promena partout le char du Soleil sur les cœurs nocturnes qui avaient désappris l’espérance. Les femmes surtout furent prises à ce magicien de la pensée.

Ce fut devers lui des adorations inouïes, les cœurs battaient à ses battements de cœur ; c’était plus qu’un poète : c’était un Messie. Les femmes romantiques s’épuisaient en œillades idolâtres, sa poésie avait le pouvoir d’élever toutes les âmes vers l’infini. On se consolait de la vie terre-à-terre par la vie supernaturelle. Chaque vers du poète nous emportait dans son vol ; aussi vivait-on bien moins chez soi que dans les astres. On ne songeait pas, comme aujourd’hui, à enfouir des trésors dans son intérieur, à faire un musée de sa maison, comme si on dût y vivre cent ans. L’ameublement lui-même faisait pitié à voir. On était à cent mille lieues de la chinoiserie et du japonisme. Ni tapis de Smyrne, ni tapisseries des Gobelins. À quoi bon, puisque l’esprit était toujours dehors ?

Ce fut la force du génie de Lamartine d’emporter ses contemporains dans les voyages aériens. C’étaient les vrais voyages à travers l’impossible. Aussi qui ne courait alors à la recherche de l’absolu ?

Lamartine a provoqué des admirations passionnées, des enthousiasmes inouïs. Dans les fêtes dominicales qu’il donnait en son hôtel de la rue de l’Université, on venait des cinq parties du monde lui apporter la myrrhe et l’encens. On lui parlait comme à un Dieu, et il trouvait cela tout naturel, et parmi tous les assistants il ne se trouvait pas un seul sceptique pour protester par un sourire, tant c’était l’esprit du moment. Chez les lamartiniens et surtout chez les lamartiniennes, c’était à qui serait le plus exalté.

Combien de grands jours a eus Lamartine, en son règne d’un quart de siècle ? On n’a pas oublié les ovations à son éloquence de tribun. Un grand jour, entre tous, fut celui où, comme Jésus apaisant les flots, il domina, par ses paroles d’or, cent mille hommes en révolte, après avoir dominé par la hauteur de sa politique les rois inquiets et menaçants. Un grand jour encore quand parut l’Histoire des Girondins, toute une Iliade que contresignerait Homère tant la noblesse des idées y est surélevée par le prestige du style.

On a cru le frapper par un mot : « prose poétique. » La justice eût été de dire que c’était la prose d’un poète.

Après les grands jours, les mauvais jours sont venus. On a dit que ce n’était plus un homme, quand il fut tombé du pouvoir. Il ne tomba pas. Il se retrouva Lamartine. Mais, en ce temps-là, quand on tombait du pouvoir, on tombait pauvre. Lamartine avait tout sacrifié à ses rêves humanitaires. Il ne retrouva rien de sa fortune passée. Ce ne fut pas Homère mendiant ; ce fut Lamartine, ne vivant que de sa plume, mais toujours fastueux, toujours faisant la part des pauvres.


II

La belle destinée de Lamartine l’abandonna à sa chute du pouvoir. Il perdit tout. Ses meilleurs amis se consolèrent, trouvant qu’il avait été jusque-là trop heureux. L’homme est ainsi fait qu’il n’aime pas l’homme de génie s’il est heureux. C’est ce qui explique son adoration pour Molière trahi par sa femme, pour Corneille raccommodant ses chausses, pour La Fontaine pauvre recueilli par madame de la Sablière. Il s’éloigne déjà de Racine, parce que Racine est familier de la Cour ; il ne le plaint pas si l’ami de madame de Maintenon meurt d’un mauvais regard de Louis XIV. Il aime Homère mendiant, Shakespeare misérable, Camoëns mourant de faim et le Tasse mourant de folie. Il aime Voltaire exilé et Victor Hugo proscrit. Il aime Alfred de Musset se consolant de l’amour par les ivresses de l’esprit. Il aime Alexandre Dumas, ne refusant d’argent à personne, hormis à ses créanciers et à lui-même. Il aime André Chénier, qui meurt sur la guillotine ; mais il ne salue pas son frère, un autre grand poète, parce qu’il n’a pas été guillotiné. En un mot, il faut à tout homme de génie une légende de misère et de malheur. « Comment ! tu t’avises de faire un chef-d’œuvre avec un cœur content ? Tu t’avises d’être riche et gai en face de ton lecteur, qui te lit pour se consoler de n’avoir ni la gaieté ni l’argent ? Dépêche-toi de mourir de mort violente ou, tout au moins, d’aller à l’hôpital ! » Lamartine, mourant à la peine avec ses châteaux, n’a jamais pris que pour un jour le cœur du peuple : le 24 février, en allant à l’Hôtel de Ville ; mais, quand il en revint, son royaume politique n’était déjà plus de ce monde.


III

L’homme fait l’homme à son image corporelle, mais jamais à l’image de son esprit. Ne semble-t-il pas que la création de l’esprit vienne de plus haut ? On ne s’étonne pas d’étudier les races idéales comme les races palpables. Lamartine est de la lignée de Pindare. On peut dire aussi qu’il est frère de Chateaubriand. Jusqu’à lui la France avait eu des lyriques académiques : ils se sont évanouis devant sa Muse radieuse, comme les étoiles devant l’aurore. Il a été sublime dans son vol ; mais, le malheur de son origine, c’est qu’il était condamné à ne jamais marcher sur la terre, sinon comme un rayon qui passe. Ah ! s’il avait eu un ami pour arrêter les chevaux d’Apollon et les ramener, çà et là, dans le chemin des mortels ! mais ce n’était pas le temps : Chateaubriand avait marqué, pour lui et les siens, les routes azurées. Lamartine ne fut donc pas maître de lui dans ses emportements ; plus d’une fois il se pencha sur le monde réel et voulut s’y acclimater, mais l’inspiration l’en détachait bientôt ; il ne voyait plus la vérité qu’à travers les brumes argentées du matin, les arcs-en-ciel de l’orage, les empourprements du soleil couchant. Aussi était-il moins un homme qu’un poète. Le Sinaï était son Olympe. Il pouvait dire, chaque fois qu’il remontait aux cimes rayonnantes : « J’ai la nostalgie du ciel. » Ç’a été aussi le ciel de Mahomet, avec des houris virginales.

Moins humain que divin, Lamartine fut le poète adoré de toute une période. Il y a toujours eu en France un homme qui est l’homme de tout le monde. Lamartine le fut pendant un quart de siècle. Sous Louis-Philippe, aux premières années du règne, ainsi que pendant les dernières années de celui de Charles X, il fut le vrai souverain comme le fut Voltaire sous Louis XV. Ces souverains-là tombent du trône aussi bien que les autres ; mais ils ne perdent par leur couronne immortelle. Nul n’entend, aujourd’hui, les lointains échos des vaines discussions politiques, tandis que les livres, je veux dire les âmes de Lamartine, de Victor Hugo, d’Alfred de Musset, de Michelet, parlent haut à des millions de lecteurs, et s’imposent dans toutes les conversations.

Le dix-neuvième siècle aura bien mérité de la patrie parce qu’il aura aimé la gloire, parce qu’on lira son histoire sur l’Arc de Triomphe dans les musées et dans les bibliothèques, partout où domine l’esprit.


IV

En lisant Chateaubriand, Lamartine disait : « La facilité est la grâce du génie. » Chateaubriand en disait autant de Lamartine. Aujourd’hui, quelques dédaigneux de Lamartine voudraient faire croire que sa facilité est un signe de faiblesse. Ils voudraient que le poète se fût enfermé dans l’antre de Vulcain pour battre et rebattre le fer. Ils oublient que c’est Apollon qui conduit allègrement les muses. À chacun selon ses œuvres. Les inspirés font jaillir les vers comme des flèches d’or ; les acharnés au travail écoutent Boileau qui repolit ses vers même quand il n’y a rien dans ses vers.

Quelle merveilleuse source d’eau vive que le génie de Lamartine, soit qu’il fût à la tribune, ministre des idées, soit qu’il improvisât de la prose ou des vers.

Quand il écrivit l’histoire des Girondins, je lui donnai des lettres de Condorcet, qui était cousin de mon grand-père. Il me retint, un matin, à déjeuner avec lui. En attendant, nous causâmes devant le feu. Il prit une vingtaine de feuilles de papier sur ses genoux et il se mit à écrire, sans pour cela cesser de parler ou de m’écouter. Il était de ceux qui, comme Richelieu et Napoléon, peuvent faire deux choses à la fois.

— Que faites-vous là ? lui demandai-je en le voyant à sa dixième feuille, où il jetait rapidement sa belle écriture.

— Eh bien ! j’écris un chapitre des Girondins.

Je n’en revenais pas, car nous ne parlions pas du tout de la Révolution.

Quand on vint nous avertir pour le déjeuner, Pelletan, qui corrigeait les épreuves de Lamartine, entra et lui dit que l’imprimeur attendait.

— Qu’il aille au diable ! Je ne puis lui donner, aujourd’hui, que vingt-cinq pages !

Rien que vingt-cinq pages ! Et vingt-cinq pages que je relis souvent.

Les documents ne lui manquaient pas pour les Girondins. Il en avait de toutes mains. Mais il se contentait de les feuilleter au hasard des trouvailles, ce qui ne l’empêche pas d’être encore aujourd’hui, non pas pour les chercheurs de petites bêtes, mais pour les esprits supérieurs, le premier historien de la Révolution.

En lisant ce beau livre, beaucoup se sont dit : « C’est éclatant, mais c’est du strass. » Oui, c’est éclatant, et c’est du diamant.


V

Madame de Lamartine avait un salon. — Un thé froid. — Il fallait s’y nourrir de ses aquarelles et des stances du poète. Aussi c’était chez lui que Lamartine jetait ce cri légendaire : La France s’ennuie !

On disait de Saint-Just qu’il portait sa tête comme un Saint-Sacrement ; Lamartine portait la sienne comme un tabernacle. Eh bien ! oui, le tabernacle des grandes pensées et des beaux sentiments. Ce qui ne l’empêchait pas de crier à tout propos : « Mille tonnerres de nom d’un diable ! » Ce grand homme qui parlait comme Moïse et comme Platon jurait quelquefois comme un chiffonnier.

On a dit qu’en entrant chez Lamartine on croyait marcher sur des nuages. C’est qu’on ne se sentait pas chez un simple mortel. S’il y avait de l’Olympe chez Victor Hugo, il y avait du septième ciel chez Lamartine. Oui, on franchissait son seuil dans la symphonie des Méditations et des Recueillements, on avait toujours peur de faire la Chute d’un ange.

Rien n’était moins poétique que Lamartine chez lui, jouant l’homme politique et parlant de ses vers comme de futilités féminines. Chez lui, il n’habillait pas mieux sa pensée que son corps ; ayant l’horreur de l’argent, il n’était préoccupé que de la question d’argent. Je ne parle pas ici de ses grandes heures où les beaux vers lui tombaient des lèvres. Quand il y avait en lui du dieu et de l’apôtre, il était sublime ; mais l’homme retombé n’était plus un grand homme. Le premier venu, quelque peu doué d’esprit et de raison, le battait dans la causerie, à moins qu’il ne fût pris d’une inspiration soudaine ; mais alors c’était le dieu qui réapparaissait.

Par malheur, il n’y a pas de portrait du dieu Lamartine. C’est qu’il ne s’est pas trouvé un grand artiste pour saisir l’heure et le moment. Son portrait par Decaisne manquait de tout. Il était, d’ailleurs, en harmonie avec l’ameublement de cet intérieur notarial : partout, de pur acajou, dans la forme la plus discordante. « N’est-ce pas, disait-il, que ma chambre est la cellule d’un cénobite ? » Je me demandais comment il pouvait cueillir une pensée et trouver un vers sur ce prosaïque bureau à casiers ? Mais il avait d’autres inspirateurs, tout un bataillon de chiens et toute une tribu d’oiseaux. Il me fit un jour l’honneur de me présenter à sa perruche, une babillarde sempiternelle, qui n’avait jamais fini de lui conter ses histoires.

Le salon du grand poète eût été littéraire, s’il n’eût été politique ; mais la poésie et l’art s’enfuyaient, tout effarouchés, devant ces hommes qui s’imaginaient qu’on fait une nation à son image, quand on n’a pas d’image. M. de Lamartine, tout grand qu’il fût, coupait ses ailes de poète pour les mettre dans la poche de M. Odilon Barrot, de M. Anselme Petetin, de M. Victor Considérant. Si David d’Angers venait chez lui, c’était comme homme politique.

Les samedis politiques finirent par l’ennuyer lui-même. Madame de Lamartine invita quelques femmes et quelques hommes et quelques artistes à venir le dimanche, mais ce fut encore la politique qui prit le pas. La société française ne voulait pas qu’on la sauvât, même chez Lamartine. Et, pourtant le grand poète enviait la royauté de madame Récamier, qui avait sauvé la société parisienne dans son salon, comme Noé sauva le monde dans son arche. En ce temps-là, où il n’y avait plus de sceptre, elle releva le sceptre idéal de l’esprit. Il est vrai que, dans ses mains, c’était le sceptre de la beauté — de sa beauté. — Madame de Staël disait : « Cette femme, dont le caractère est exprimé par sa beauté même. »

Un jour, je suis allé serrer la main à Lamartine, rue de la Ville-l’Évêque, dans ce triste rez-de-chaussée, qui me sembla le vestibule de son tombeau. Je n’ai plus trouvé que l’ombre de Lamartine. Cette grande lumière s’était obscurcie ; chaque jour éteignait un rayon, la nuit éternelle tombait sur ce beau front. Il restait à son intelligence un seul sillon demi-lumineux qui lui permettait de penser encore, mais c’est en vain qu’il voulait soulever les nuées des horizons. La mort était là, déjà implacable avant de frapper. Il ne me dit presque rien, mais que son silence était éloquent ! Je retrouvai la bonté dans son regard, la bonté, la dernière vertu de cette grande âme. Quand je sortis, je fus frappé au cœur d’avoir vu l’humanité soumise à ses déchéances jusque dans ses représentants les plus glorieux. Je pleurai dans Lamartine un des sept grands hommes du siècle.

On ne saurait trop conseiller aux hommes de génie qui ne veulent pas mourir dans la solitude absolue, après les coups de soleil de la renommée, d’avoir toujours aux heures fatales de la désolation et de la mort un ange, sous la figure d’une femme, pour veiller à leur chevet, comme cette douce et charmante Valentine de Cessia. Elle faisait croire à Lamartine, quand le grand poète se survivait, que ses beaux vers étaient, comme toujours, sur toutes les lèvres. Quand Lamartine lui demandait de lui lire quelque chose, n’importe quoi, à lui, qui ne comprenait plus bien, elle ne manquait pas de lui lire des pages de Lamartine, prose ou poésie.

Il ne savait plus bien si c’était du Lamartine ou du Pindare. J’ai assisté à une de ces lectures, c’était navrant. Mais pour lui le silence était plus désolant encore. Était-il bien sûr de n’être pas dans le tombeau. Fragilité de tout ce qui est humain et même de tout ce qui est divin dans l’homme. Combien d’autres grands esprits ne se sont pas reconnus à l’heure de la mort. Mais encore un mot sur l’intérieur de Lamartine.

Où était le beau temps où le vrai tout-Paris rayonnait dans ses salons, rue de l’Université ? De 1835 à 1848, ce fut la gloire sans nuages.

Madame de Lamartine présidait, et mademoiselle Valentine de Cessia effaçait quelque peu la présidente.

Il me rappelle une scène qui témoigne de l’adoration des femmes pour Lamartine et de la grâce onctueuse de sa nièce :

Une jeune Anglaise francisée, très francisée, mais peut-être trop enthousiaste, arrive dans le salon où se trouvait le grand maître. Elle avait un bouquet à la main ; elle se jette à genoux devant lui, en effeuillant les roses à ses pieds, et d’une voix haute, sans trop d’accent anglais, elle prononce ces paroles :

— Franklin disait à Voltaire : « Dieu et la liberté ! » moi je dis : « Dieu et Lamartine ! »

Et, après ces belles paroles, voilà la dame qui s’effondre et s’évanouit devant le poète.

Mademoiselle Valentine de Cessia, avec une tendresse de sœur, la prend dans ses bras, la caresse et lui fait respirer des sels.

Ce spectacle fut charmant, surtout quand l’Anglaise fanatique revint à elle. Les deux jeunes filles s’embrassèrent avec une effusion toute familiale. Lamartine, qui avait le droit d’être solennel après les paroles qu’il venait d’entendre, verse un pleur. À ce moment, j’ai cru que tout le monde allait s’embrasser.

Quelques dames embrassèrent Lamartine. Suis-je bien sûr de ne pas avoir embrassé madame de Girardin pendant que Girardin appuyait sa voisine sur son cœur ?


VI

Comme toutes les grandes âmes, la nièce de Lamartine fut douce envers la mort. D’ailleurs, cette contemplative fut toujours la meilleure des femmes. Elle veillait sur la toute petite fortune qui restait au poète sans jamais se fâcher, quoique les chiffres aient toujours appelé le combat, comme a dit un philosophe. Elle avait hérité de son oncle le droit d’asile dans le chalet de la Muette. Quand on lui dit que la Ville de Paris désirait reprendre son chalet, elle obéit à ce désir, en acceptant une rente viagère qu’elle aurait pu exiger plus généreuse, puisque ses années ne lui donnaient pas l’espoir de vivre longtemps.

Cette bonne et gracieuse créature, dont le nom restera dans l’histoire des lettres, avait sacrifié sa vie à ce pauvre Lamartine tant abandonné en ses dernières années. Je ne sais rien de plus triste que la vie douloureuse du grand poète mourant tous les jours un peu. Cet amoureux de la lumière s’ensevelissait lentement en se demandant si c’était bien lui qui survivait au grand Lamartine des jours rayonnants. Sa nièce, qu’il adorait en mémoire de sa fille morte à seize ans, voulait dans sa bonté inépuisable qu’il crût encore à sa royauté de poète. Bien des fois en lui lisant un journal, elle improvisait un éloge rapide du grand oublié.

Bien mieux, comme il y avait en elle l’étoffe d’une Muse, il lui arrivait de lire à Lamartine des odes rimées par elle, qu’elle attribuait à quelque poète célèbre d’aujourd’hui.

Saluons donc d’un adieu bien sympathique cette belle âme qui n’a vécu que pour consoler et qui est morte en interdisant d’envoyer toute lettre d’invitation ou de faire-part. Quand Valentine de Cessia entrera dans la chapelle funéraire de Saint-Point, Lamartine tressaillera dans son marbre et lui dira : « Toi, toujours toi, dans la mort comme dans la vie ! »