« Aurore (Nietzsche)/Livre troisième » : différence entre les versions

La bibliothèque libre.
Contenu supprimé Contenu ajouté
YannBot (discussion | contributions)
m Correction des redirects après renommage
YannBot (discussion | contributions)
m Correction des redirects après renommage
Ligne 1 : Ligne 1 :
<div class="text">
{{TextQuality|75%}}<div class="text">
{{Navigateur|[[Aurore - Livre troisième - §203]]|[[Aurore/Livre troisième]]|[[Aurore - Livre troisième - §205]]}}
{{Navigateur|[[Aurore - Livre troisième - §165]]|[[Aurore/Livre troisième]]|[[Aurore - Livre troisième - §167]]}}


''Au carrefour''. – Honte à vous ! vous voulez entrer dans un système où il faut être un rouage, pleinement et entièrement, sous peine d'être écrasé par ce rouage ! Où il va de soi que chacun est ce que ses supérieurs font de lui ! Où la chasse aux « relations » fait partie des devoirs naturels ! Où personne ne se sent offensé lorsqu'on le rend attentif à un homme en remarquant « qu'il peut lui être utile » ! Où l'on n'a pas honte de faire des visites pour quémander l'intercession de quelqu'un ! Où l'on ne se doute même pas que, par une subordination aussi intentionnelle à de pareilles mœurs, on s'est, une fois pour toutes, classé parmi les viles poteries de la nature, que les autres peuvent user et briser à leur gré, sans en éprouver un grave sentiment de responsabilité ; comme si l'on voulait dire : « Des gens de mon espèce il n'en manquera jamais : usez donc de moi, sans vous gêner ! »
Danaé et le dieu en or. - D'où vient cette excessive impatience qui fait maintenant de l'homme un criminel, dans des situations qui expliqueraient plutôt des penchants opposés? Car, si celui-ci pèse avec de faux poids, si cet autre met le feu à sa maison après l'avoir assurée au-dessus de sa valeur, si cet autre encore contribue à frapper de la fausse monnaie, si les trois quarts de la haute société s'adonnent à une fraude permise et se chargent la conscience d'opérations de bourse et de spéculations : qu'est-ce qui les pousse? Ce n'est pas la misère véritable, leur existence n'est pas tout à fait précaire, peut-être même mangent-ils et boivent-ils sans soucis, - mais c'est une terrible impatience de voir que l'argent s'amasse si lentement et une joie et un amour tout aussi terribles pour l'argent amassé, qui les poussent nuit et jour. Dans cette impatience et dans cet amour, cependant, reparaît ce fanatisme du désir de puissance qu'enflamma autrefois la croyance d'être en possession de la vérité, ce fanatisme qui portait de si beaux noms que l'on pouvait se hasarder à être inhumain avec bonne conscience (à brûler des juifs, des hérétiques et de bons livres, et à exterminer des civilisations supérieures tout entières, comme celles du Pérou et du Mexique). Les moyens dont se sert le désir de puissance se sont transformés, mais le même volcan bouillonne toujours, l'impatience et l'amour démesuré réclament leurs victimes : et ce que l'on faisait autrefois « pour l'amour de Dieu », on le fait maintenant pour l'amour de l'argent, c'est-à-dire de ce qui donne maintenant le sentiment de puissance le plus élevé et la bonne conscience.
</div>
</div>
{{A3}}
{{A3}}

Version du 29 octobre 2009 à 13:51

Aurore - Livre troisième - §165 Aurore/Livre troisième Aurore - Livre troisième - §167


Au carrefour. – Honte à vous ! vous voulez entrer dans un système où il faut être un rouage, pleinement et entièrement, sous peine d'être écrasé par ce rouage ! Où il va de soi que chacun est ce que ses supérieurs font de lui ! Où la chasse aux « relations » fait partie des devoirs naturels ! Où personne ne se sent offensé lorsqu'on le rend attentif à un homme en remarquant « qu'il peut lui être utile » ! Où l'on n'a pas honte de faire des visites pour quémander l'intercession de quelqu'un ! Où l'on ne se doute même pas que, par une subordination aussi intentionnelle à de pareilles mœurs, on s'est, une fois pour toutes, classé parmi les viles poteries de la nature, que les autres peuvent user et briser à leur gré, sans en éprouver un grave sentiment de responsabilité ; comme si l'on voulait dire : « Des gens de mon espèce il n'en manquera jamais : usez donc de moi, sans vous gêner ! »

Sources mode texte