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Dimanche dernier, aux courses d’Auteuil, je fis la rencontre du Captain Cap et je |
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ressentis, de cette circonstance, une joie d’autant plus vive que je croyais, pour le |
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moment, notre sympathique navigateur en rade de Bilbao. |
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La journée de dimanche dernier n’est pas tellement effondrée dans les abîmes de l’Histoire |
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qu’on ne puisse se rappeler l’abominable temps qui sévissait alors. |
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— Mouillé pour mouillé, conclut Cap après les salutations d’usage, j’aimerais mieux |
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me mouiller au sein de l’''Australian Wine Store'' de l’avenue d’Eylau. Est-ce point votre |
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avis ? |
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— J’abonde dans votre sens, Captain. |
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— Alors, filons ! |
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Et nous filâmes. |
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— Qu’est-ce qu’il faut servir à ces messieurs ? demanda la gracieuse petite |
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patronne. |
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— Ah ! voilà, fit Cap. Que pourrait-on bien boire ? |
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— Pour moi, fis-je, il pleure dans mon cœur comme il pleut sur la ville, en sorte que |
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je vais m’envoyer un bon petit ''corpse reviver''. |
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— C’est une idée ! Moi aussi, je vais m’envoyer un bon petit ''corpse reviver''. Préparez-nous, madame, deux bons petits ''corpse revivers'', je vous prie. |
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A ce moment, pénétra dans le bar un homme que Cap connaissait et qu’il me présenta. |
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Son nom, je ne l’entendis pas bien ; mais sa fonction, vivrais-je aussi longtemps |
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que toute une potée de patriarches, je ne l’oublierai jamais. |
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L’ami de Cap s’intitulait modestement : ''chef de musique à bord du'' |
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Goubet ! |
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Notez que le ''Goubet'' est un bateau sous-marin qui doit jauger dans les |
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10 tonneaux. Vous voyez d’ici l’embarquement de la fanfare ! |
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Cet étrange fonctionnaire se mit à nous conter des histoires plus étranges encore. |
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Il avait passé tout l’été, affirmait-il, à dresser des moules. |
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— La moule ne mérite aucunement son vieux renom de stupidité. Seulement, voilà, il |
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faut la prendre par la douceur, car c’est un mollusque essentiellement timide. Avec de la |
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mansuétude et de la musique, on en fait ce qu’on veut. |
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— Allons donc ! |
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— Parole d’honneur ! Moi qui vous parle (et le Captain Cap vous dira si je |
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suis un blagueur), je suis arrivé, jouant des airs espagnols sur la guitare, à me faire |
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accompagner par des moules jouant des castagnettes. |
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— Voilà ce que j’appelle un joli résultat ! |
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— Entendons-nous !… Je ne dis pas positivement que les moules jouaient des |
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castagnettes ; mais par un petit choc répété de leurs deux valves, elles imitaient |
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les castagnettes, et très en mesure, je vous prie de le croire. Et rien n’était plus |
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drôle, messieurs, que de voir tout un rocher de moules aussi parfaitement |
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rythmiques ! |
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— Je vous concède que cela ne devait pas constituer un spectacle banal. |
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Pendant tout le récit du chef de musique du ''Goubet'', Cap n’avait rien proféré, mais son |
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petit air inquiet ne présageait rien de bon. |
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Il éclata : |
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— En voilà-t-y pas une affaire, de dresser des moules ! C’est un jeu |
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d’enfant !… Moi, j’ai vu dix fois plus fort que ça ! |
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Le chef de musique du ''Goubet'' ne put réprimer un léger sursaut : |
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— Dix fois plus fort que ça ? Dix fois ? |
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— Mille fois ! J’ai vus en Californie un bonhomme qui avait dressé des oiseaux |
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à se poser sur des fils télégraphiques selon la note qu’ils représentaient. |
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— Quelques explications supplémentaires ne seraient pas inutiles. |
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— Voici : mon bonhomme choisissait une ligne télégraphique composée de cinq |
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fils, lesquels fils représentaient les portées d’une partition. Chacun de ses oiseaux était |
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dressé de façon a représenter un ''ut'', un ''ré'', un ''mi'', etc. Pour ce qui est des |
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''temps'', les oiseaux blancs représentaient les ''blanches'', les oiseaux noirs les |
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''noires'', les petits oiseaux les ''croches'', et les encore plus petits oiseaux les |
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''doubles croches''. Mon bonhomme n’allait pas plus loin. |
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— C’était déjà pas mal ! |
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— Il procédait ainsi : accompagné d’immenses paniers recélant ses volatiles, |
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il arrivait à l’endroit du spectacle. Après avoir ouvert un petit panier spécial, il |
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indiquait le ton dans lequel s’exécuterait le morceau. Une couleuvre sortait du petit |
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panier spécial, s’enroulait autour du poteau télégraphique et grimpait jusqu’aux fils |
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entre lesquels elle s’enroulait de façon à figurer une clef de ''fa'' ou une clef de |
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''sol''. Puis l’homme commençait à jouer son morceau sur un trombone à coulisse en |
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osier. |
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— Pardon, Cap, de vous interrompre. Un trombone à coulisse ?… |
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— En osier. Vous n’ignorez pas que les paysans californiens sont très experts en |
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l’art de fabriquer des trombones à coulisse avec des brins d’osier ? |
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— Je n’ai fait que traverser la Californie sans |
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avoir le loisir de m’attarder au |
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moindre détail ethnographique. |
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— Alors, à chaque note émise par l’instrument, un oiseau s’envolait et venait se |
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placer à la place convenable. Quand tout ce petit monde était placé, le concert |
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commençait, chaque volatile émettant sa note à son tour. |
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La petite patronne de l’''Australian Wine Store'' semblait au comble de la joie d’entendre |
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une si mirifique imagination, et comme nous manifestions une vague méfiance, elle se |
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chargea de venir au secours de Cap avec ces mots qu’elle prononça gravement : |
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— Tout ce que vient de dire le Captain est tout à fait vrai. Moi, je les ai vus, ces |
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oiseaux mélomanes. C’était, n’est-ce pas, Cap ? sur la ligne télégraphique qui va |
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de ''Tahdblagtown'' à ''Loofock-Place''. |
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[[Category:XIXe siècle|Dressage]] |