« Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Trinité » : différence entre les versions
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Version du 15 janvier 2007 à 22:46
TRINITÉ
s. f. Le moyen âge a essayé de représenter matériellement le mystère de la sainte Trinité. C'est à l'école d'Alexandrie qu'il faut avoir recours si l'on veut connaître les diverses phases par lesquelles a dû passer la pensée de la Trinité avant d'arriver à l'état de dogme. Nous n'avons pas, bien entendu, à nous occuper de l'exposition du dogme, mais à rendre compte de la forme sensible donnée à la conception de la Trinité dans nos monuments du moyen âge. «Dès le IVe siècle, écrit M. Didron1, avec saint Paulin, évêque de Nole, qui est né en 353 et est mort en 431, apparaissent les groupes de la Trinité. À l'abside de la basilique de Saint-Félix, bâtie à Nole par Paulin lui-même, on voyait la Trinité exécutée en mosaïque.»
Saint Paulin expliquait, dans les vers qu'il fit à cette occasion, que le Christ était représenté sous la forme d'un agneau, l'Esprit-Saint sous celle d'une colombe, et que «la voix du Père retentit dans le ciel». Le même évêque, dans la basilique élevée à Fondi sous le vocable de Saint-Félix, avait fait représenter le Fils sous la forme d'un agneau avec la croix, le Saint-Esprit en colombe, et le Père sous l'apparence d'une main (probablement) qui couronnait le Fils.
«....., et rutila genitor de nube coronat.»
Comme l'observe très-bien M. Didron2: «L'anthropomorphisme, qui avait effarouché les premiers chrétiens et qui semblait rappeler le paganisme, ne trouva pas la même résistance pendant le moyen âge proprement dit. Une fois arrivé au IXe siècle, on n'eut plus rien à craindre des idées païennes... Le Père éternel, dont on n'avait osé montrer que la main encore, ou le buste tout au plus, se fit voir en pied. Cependant il ne prit pas une figure spéciale; mais il emprunta celle de son Fils, et, dès lors, il devint fort difficile de les distinguer l'un de l'autre. Le Fils continua d'apparaître tel qu'on l'avait vu sur la terre... La colombe quitta quelquefois aussi son enveloppe d'oiseau, pour prendre la forme humaine. Comme le dogme déclarait nettement que les trois personnes étaient non-seulement semblables, mais égales entre elles, les artistes étendirent aux représentations la similitude et quelquefois même l'égalité des hypostases divines.» En effet, bon nombre de peintures de manuscrits des XIe et XIIe siècles3 représentent les trois personnes divines sous la forme de trois hommes de même âge et de même apparence. Au portail de l'église collégiale de Mantes, on voit, dans la voussure de la porte occidentale, la Trinité figurée par une
croix que portent deux anges (le Fils), par le Père sous forme d'un
homme jeune, et l'Esprit en colombe. Mais les artistes prétendirent identifier
les trois personnes divines, afin de faire comprendre aux fidèles à
la fois leur individualité et leur réunion en une seule puissance. Il existe,
sous le porche occidental, non terminé, de Saint-Urbain de Troyes, un
bas-relief de bois datant des dernières années du XIIIe siècle, qui représente
la Trinité (fig. 1) Le Père est au milieu, coiffé de la tiare à triple
couronne, comme un pape; de la main droite, il bénit; de la gauche, il
tient la terre. À sa droite est le Fils couronné d'épines et portant la croix.
À sa gauche, l'Esprit, sous la figure d'un jeune homme imberbe, tenant
une colombe. Ces trois personnages n'ont ensemble que quatre jambes,
adroitement drapées de façon à faire croire qu'ils en ont deux chacun.
De petites figures d'un homme et d'une femme agenouillés (les donateurs)
sont sculptées aux deux extrémités du groupe. L'impossibilité de
séparer les trois personnes divines est ainsi matériellement indiquée
par la disposition des jambes. Quelquefois la Trinité est représentée
sous la forme d'un homme ayant une tête à trois visages, une de face et
deux de profil, et deux yeux seulement; ou bien encore, c'est une figure
géométrique ainsi disposée (fig. 2). Ce triangle mystique était visible
encore sur la façade d'une maison de Bordeaux, il y a peu d'années. Des
vitraux, des vignettes de manuscrits, le représentent assez fréquemment
pendant les XVe et XVIe siècles. À la même époque, dans beaucoup de
portails d'églises, la Trinité se montre ainsi: Le Père assis, coiffé de la
tiare, tient le Christ en croix devant lui. De la bouche du Père descend
la colombe sur le crucifix. Ces diverses représentations ont un intérêt;
elles indiquent la marche de l'art comme expression sensible des idées
théologiques selon le temps. Pendant les premiers siècles, on redoute
évidemment l'expression trop matérielle d'un mystère qui doit rester
impénétrable. Le Fils est un agneau, l'Esprit une colombe, le Père
une voix ou une main sortant d'une nuée. Plus tard, l'artiste se rassure,
il donne aux trois personnes divines l'individualité. Elles sont
séparées, distinctes, mais semblables et assises sur un trône commun.
Puis on cherche à faire comprendre, par un artifice matériel, l'unité
des trois personnes. Au XVe siècle, c'est une sorte de problème géométrique
posé devant la foule et dont la solution est posée comme une
énigme; ou encore c'est un jeu d'artiste, comme cette tête à trois
visages. Au XVIe siècle, on adopte une forme antérieure, mais peu répandue,
celle de la distinction absolue
des trois personnes, en raison
du rôle que leur attribue l'idée
chrétienne. Le Père est le personnage
immuable; le Fils, le rédempteur;
et l'Esprit, l'émissaire
émané du Père; amour, selon saint
Augustin et saint Thomas d'Aquin.
«Jésus, ayant été baptisé, sortit de
l'eau sur-le-champ, et voilà que
les cieux lui furent ouverts et
qu'il vit l'Esprit de Dieu descendant
sous la forme d'une colombe
et venant sur lui. Alors une voix
du ciel dit: Celui-ci est mon fils
bien-aimé en qui je me suis complu4.»
Il est donc assez important
de faire ces distinctions des
caractères donnés à la Trinité figurée
dans les monuments anciens.
Le moyen âge admet aussi une Trinité du mal. De même que les théologiens avaient prétendu trouver le reflet de la Trinité sainte dans l'âme humaine: volonté, amour, intelligence, confondues en une substance, ils supposèrent le mal avec des facultés correspondantes. Des sculptures, des peintures de vitraux et de manuscrits représentent en effet la Trinité satanique (fig. 3)5. Cette miniature du XIIIe siècle montre le pécheur soumis aux lois de la Trinité du mal, armée d'un glaive et couronnée. Satan est souvent représenté ainsi dans les bas-reliefs du jugement dernier. Outre ses trois visages qui correspondent, dans le mal, aux trois hypostases de Dieu, son corps est couvert parfois d'autres faces humaines, comme pour marquer que la puissance du mal est plus étendue, par ses facultés, que celle du bien.