« Les Fleurs du mal (1861)/Allégorie » : différence entre les versions

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'''CXIV. - Allégorie'''


C’est une femme belle et de riche encolure,


Qui laisse dans son vin traîner sa chevelure.
<center>[[Jadis et naguère]]</center>


Les griffes de l’amour, les poisons du tripot,


Tout glisse et tout s’émousse au granit de sa peau.


Elle rit à la Mort et nargue la Débauche,
:Despotique, pesant, incolore, l'Eté,
:Comme un roi fainéant présidant un supplice,
:S'étire par l'ardeur blanche du ciel complice
:Et bâille. L'homme dort loin du travail quitté.


Ces monstres dont la main, qui toujours gratte et fauche,


Dans ses jeux destructeurs a pourtant respecté
:L'alouette au matin, lasse, n'a pas chanté,
:Pas un nuage, pas un souffle, rien qui plisse
:Ou ride cet azur implacablement lisse
:Où le silence bout dans l'immobilité.


De ce corps ferme et droit la rude majesté.


Elle marche en déesse et repose en sultane;
:L'âpre engourdissement a gagné les cigales
:Et sur leur lit étroit de pierres inégales
:Les ruisseaux à moitié taris ne sautent plus.


Elle a dans le plaisir la foi mahométane,


Et dans ses bras ouverts, que remplissent ses seins,
:Une rotation incessante de moires

:Lumineuses étend ses flux et ses reflux...
Elle appelle des yeux la race des humains.
:Des guêpes, çà et là, volent, jaunes et noires.

Elle croit, elle sait, cette vierge inféconde

Et pourtant nécessaire à la marche du monde,

Que la beauté du corps est un sublime don

Qui de toute infamie arrache le pardon.

Elle ignore l’Enfer comme le Purgatoire,

Et quand l’heure viendra d’entrer dans la Nuit noire,

Elle regardera la face de la Mort,

Ainsi qu’un nouveau-né, - sans haine et sans remord.

Version du 21 janvier 2006 à 12:49

CXIV. - Allégorie

C’est une femme belle et de riche encolure,

Qui laisse dans son vin traîner sa chevelure.

Les griffes de l’amour, les poisons du tripot,

Tout glisse et tout s’émousse au granit de sa peau.

Elle rit à la Mort et nargue la Débauche,

Ces monstres dont la main, qui toujours gratte et fauche,

Dans ses jeux destructeurs a pourtant respecté

De ce corps ferme et droit la rude majesté.

Elle marche en déesse et repose en sultane;

Elle a dans le plaisir la foi mahométane,

Et dans ses bras ouverts, que remplissent ses seins,

Elle appelle des yeux la race des humains.

Elle croit, elle sait, cette vierge inféconde

Et pourtant nécessaire à la marche du monde,

Que la beauté du corps est un sublime don

Qui de toute infamie arrache le pardon.

Elle ignore l’Enfer comme le Purgatoire,

Et quand l’heure viendra d’entrer dans la Nuit noire,

Elle regardera la face de la Mort,

Ainsi qu’un nouveau-né, - sans haine et sans remord.